« Il se répète qu’il est en Afrique, il sait bien
qu’il n’existe rien qui soit vraiment l’Afrique, il sait bien que l’Afrique
n’existe pas ... ».
Hé bien, ce roman vient contredire la réflexion du fils au
sortir de la morgue où il vient de voir son père : l’écriture intense rend
compte des contradictions du continent noir. Ses richesses, sa pauvreté, ses rapports
intimes avec la nature et ses servilités.
Le fil narratif est documenté : nous assistons à la
construction d’une ligne de chemin de fer avec tous les porteurs anonymes
disparus, à l’installation de cultures horticoles.
Il y a des paléontologues, un planteur d’acacias, une championne de
marathon, des touristes, des prostituées ; le fils est photographe, le
père était écrivain public.
Un fatalisme bien de là bas s’est emparé du récit qui se
construit sur le choix de donner une sépulture conforme à l’empathie du père à
l’égard des kenyans. Ce pays dont nous assistons , par des chapitres nerveux, à
la construction, à l’indépendance, nous apparaît dans toute sa vigueur avec une
présence des ancêtres qui donne une profondeur palpitante aux 250 pages.
L’écriture est sèche et poétique, tragique mais se dispensant de toute
psychologie.
Ce père sacrifiant son confort de blanc pour aider les plus
déshérités s’est bien peu préoccupé de son fils durant sa vie.
« L'animal enroué ne peut plus braire. Il essaie
cependant, la respiration qui soulève imperceptiblement ses côtes lui arrache
chaque fois un braiment avorté, grotesque, et nous qui connaissons la mort
autant qu'il est possible de la connaître, nous savons qu'il n'est pire chose
au monde que cette mort sans langage, l'âne s'enfonce dans une nuit plus sombre
que la plus sombre nuit …»