samedi 29 janvier 2011

Ce qui a dévoré nos cœurs. Louise Erdrich.

Je garde de mes ancêtres laboureurs, une part d’incompréhension à l’égard des oisifs qui se promènent dans la campagne; je me soigne, mais c’est encore dans les livres que je trouve le plus de charme à la nature.
Louise Erdrich nous avait livré un ouvrage roboratif avec « La chorale des maîtres bouchers », c’était son côté allemand ; cette fois c’est sa part indienne qui s’exprime puissamment.
Un tambour rituel découvert lors d’un inventaire dans une maison américaine va être le véhicule de transmission d’histoires essentielles peuplées de personnages qui acquièrent très vite une densité chaleureuse. Même les corbeaux dévoilent de leurs mystères, alors si les loups, les ours constituent un fond romanesque, les humains dans ces contrées où le froid est plus froid, sont palpitants.
L’empathie de la romancière n’est jamais mièvre et bien des scènes sont violentes, des situations pénibles avec incendies, abandons et chienne folle ; elle nous emmène où elle veut sans les artifices du polar. Nous partageons sa façon d’envisager la vie, la mort, les filiations d’une façon inédite. Ce tambour dont il est question qui exacerbe les sentiments, qui initie, qui rappelle, c’est ce livre lui même.
Je suis assez imperméable aux atmosphères fantastiques et pourtant dans ces 300 pages, j’ai suivi avec passion ces dialogues entre vivants et morts, à la fois poétiques et enracinés dans la terre la plus élémentaire.
« Tu es ici pour être engloutie. Et quand il t’adviendra que tu sois brisée, trahie, abandonnée, blessée, ou que la mort te frôle, autorise- toi à t’asseoir au pied d’un pommier et écoute les pommes tomber en tas autour de toi, gaspillant leur goût sucré. Dis-toi que tu en as goûté autant que tu as pu. »

vendredi 28 janvier 2011

Champ de ruines

La politique s’est tellement dévaluée que subsistent seulement quelques silhouettes ridicules à qui lancer des boulettes.
Morano et Lefèvre entretenaient avec constance la vieille impression facile que « décidément le niveau baisse ! » mais Alliot Marie (« Ali Mariolle » Le Canard) vient de les rejoindre au fond du panier. L’image de la France prêtait à sourire avec « Nicolas le Névrosé » selon le mot de Patrick Rambaud ; c’est la honte à présent, plus personne ne rit, elle est partie la patrie des droits de l’homme, dans le passé.
La Tunisie : en dehors de Daniel Mermet qui prêchait dans le désert depuis des années, les vertueux de la dernière minute qui envahissent les écrans sont inconvenants, et le parti socialiste, qui côtoya Ben Ali dans l’internationale du même nom, ne peut que se montrer discret.
Quotidiennement, viennent s’accumuler les signes de la dégradation des services de santé, de l’éducation, des transports, de la justice, de l’emploi et les seules mesures en matière de fiscalité sont péjoratives pour l’environnement, ils s’apprêtent en outre à cramer l’ISF !
Si Hollande dit « mourir dans la dignité, c'est respecter ce que l'on a été, mais il faut aussi vivre dans la dignité», il a bien sûr raison, cependant comment secouer le pessimisme qui nous accable ?
Le plus préoccupant, car le plus durable, c’est la mise à bas des valeurs qui tenaient debout les citoyens, qui donnaient sens au travail.
Les recteurs étaient des serviteurs de l’intérêt général, ils obtiendront des primes personnelles, s’ils appliquent avec zèle une politique mortifère pour le service public. Et les télés de jouer la diversion voulue par les communicants gouvernementaux : l’anglais à trois ans, et tout et son contraire sur les rythmes scolaires pour masquer les dégâts sans précédents occasionnés à l’école par l’ancien de l’Oréal, Chatel.
Ceux qui ne mesuraient pas leur conscience professionnelle avec quelques Euros, ont les tripes qui se nouent. Des suicides à la poste, chez les policiers, après France télécom : faites venir le psy sur le plateau ! Que peut-il rester de la responsabilité des acteurs d’une société qui ont cru à la noblesse de leur travail ? Les tissus les plus intimes de la société sont touchés par une marchandisation des plus cyniques : l’argent pour les chefs d’établissements n’aurait pas mieux servi à l’embauche d’un jeune ? Woerth ministre de la République fit profession de tromper l’état et récompensa ceux qui se soustrayaient à l’impôt : ça c’est vu ! Mais nous sommes passés à d’autres dadas.
La défaite sur les retraites va au-delà des retraites et ce n’est pas rien cette régression. Le défunt journal Bakchich qui ne manquait pas de vigueur, reconnaissait que ce n’était pas que la faute des directions syndicales. Le « Ploutocratique Leader » (P. Rambaud) peut se féliciter devant son premier cercle de la passivité des enseignants devant l’hécatombe des postes, c’est grave. On a peut être crié trop de fois à la casse des services publics, là c’est fait !
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Dessin du Canard

jeudi 27 janvier 2011

L’exaltation du corps au temps du baroque.

Le XVII° siècle sera celui du corps triomphant. La beauté est aussi masculine quand Le Caravage l’amène dans sa lumière.
Par des cadrages serrés, sur des fonds sombres, l’attraction vers le corps humain est cependant teintée de culpabilité. Bacchus malade, c’est un autoportrait : le corps est fragile. Le bourreau de Saint Matthieu est plutôt bien traité, comme Judith la criminelle et l’amour vainqueur a un air coquin. La rédemption arrive après les souffrances, c’est Isaac sur le point d’être sacrifié. La mise en évidence de l’influence du Caravage assez récente, est indiscutable aujourd’hui. Des corps de vieillards prennent de la noblesse avec Ribera. Au palais Farnèse, le baroque grimpe au plafond, c’est la bénédiction de la chair avec Annibal Carrache et ses mises en scènes panoramiques. Les jésuites qui l’ont accueilli, avec ses amours de dieux antiques, se sont montrés habiles en renvoyant la mythologie au rang de fable ; ces Apollon ne font plus peur. L’orchestration symphonique de cette gloire des corps, encadrés par des trompe- l’œil rend gloire au corps, création divine.
Poussin a passé l’essentiel de sa carrière à Rome, et sa Vénus triomphale est d’une humaine beauté.
Christian Loubet, intervenant devant les amis du musée, a mentionné les collages d’Ernest Pignon qui a remis dans les rues de Naples les représentations des modèles qui inspirèrent les peintres d’alors. Il parle d’ « effets spéciaux » concernant l’élargissement de la scénographie avec Rubens. Persée représentant la peinture libère la beauté. Je reviendrai voir son jugement dernier à la fluidité impressionnante. Les filles de Leucippe semblent consententantes quand elles se font enlever par Castor et Polux avec leurs courbes généreuses aux rythmes complémentaires.
La vision du corps sera plus prosaïque avec Rembrandt qui se met dans un coin d’un tableau où il représente son épouse, pour nous dire : « je suis le gardien de la beauté de ma femme ». Sa leçon d’anatomie où les apprentis chirurgiens en toute discrétion chromatique ont les yeux rivés sur un corps mort pour mieux apprendre la beauté des vivants. C’est « l’âge d’or ».
La source de la lumière est au centre des tableaux du discret Georges De La Tour dont les corps nacrés resplendissent. Son prisonnier, qui est interprété aujourd’hui comme étant Job au corps flétri reprenant de l’énergie avec sa femme qui vient le visiter. René Char : « La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j'ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n'ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l'emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d'ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l'homme assis. Sa maigreur d'ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L'écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l'inespéré mieux que n'importe quelle aurore. »
Le Mars de Vélasquez semble déchu, le temps emporte les corps. Le Bernin qui sculpta souvent des statues pour des tombeaux est le mieux placé pour représenter l’art baroque en donnant vie au marbre. La plus immuable des pierres devient l’organe des métamorphoses. « La vérité dévoilée par le temps » n’est pas qu’un titre parmi d’autres, c’est à travers la théâtralité la plus outrée la sublimation du corps, celui-ci n’est pas que faible, il s’exalte. Sublime il nous transporte. Sainte Thérèse accède à la transverbération dont Wikipédia nous dit : « Ce terme désigne le transpercement spirituel du cœur par un trait enflammé. Il s'agit d'une blessure physique provoquée par une cause immatérielle. Il s'agit du prélude à l'union du "Verbe" et d'une âme, sous forme de noces ou mariage mystique » Encore le « Verbe ». Sainte Thérèse, elle-même, écrivait : « J'ai vu dans sa main une longue lance d'or, à la pointe de laquelle on aurait cru qu'il y avait un petit feu. Il m'a semblé qu'on la faisait entrer de temps en temps dans mon cœur et qu'elle me perçait jusqu'au fond des entrailles; quand il l'a retirée, il m'a semblé qu'elle les retirait aussi et me laissait toute en feu avec un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu'elle me faisait gémir » Il fait chaud dans la chapelle de Santa Maria della Vittoria à Rome.

mercredi 26 janvier 2011

Touristes en Chine 2007. # J3. Brocante du dimanche.

Nous avons récupéré un sac oublié hier à la pâtisserie. Nous démarrons à 8 heures.
Fabrique de cloisonnés : une vraie fabrique où nous pouvons suivre le processus étape par étape avant d’en contempler les résultats dans la boutique. Des cloisons de cuivre sont collées, des pipettes remplacent les pinceaux pour remplir les espaces avec des poudres d’émail aux couleurs harmonieuses mélangées à de l’eau.
A la sortie du four un vase rouge incandescent se métamorphose très rapidement avec l’apparition magique des couleurs. Il est poli au sable et à l’eau et les mains tenant l’objet sont soumises à une humidité permanente
Le Palais d’été attire beaucoup de monde en ce dimanche, nous passons par des petits chemins. Des arbres sont emmaillotés, bandés tout le long du tronc. Le jardin avec ses plans d’eau envahis de lotus, est entouré de passerelles et de ponts, de kiosques où s’abritent des musiciens, flûtiste, chanteuse « classique » accompagnée par un enregistrement.Beaucoup de charme et de tranquillité. Les portes en forme de vase symbolisent la paix. Grimpette pour un point de vue sur le lac. Le temple comporte de curieuses peintures sur bois et une façade de bouddhas décapités qui ont retrouvé à nouveau une tête. L’immense galerie couverte de plus de 700 m, est-elle la plus longue du monde ? Le souvenir humiliant des pillages de 1860 sur ce site par les troupes franco-britanniques est encore là. C’est Victor Hugo qui écrivait : « Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d’Été. L’un a pillé, l’autre a incendié. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits. Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre »
Pour 10 yuans chacun, nous prenons un bateau, assorti aux bâtiments du palais sur le lac Kumming. A proximité un bateau en marbre d’une trentaine de mètres qui a englouti l’argent des Anglais destiné à moderniser la flotte chinoise. Sous le pont de 17 arches (8+8+1), seul l’empereur passait sous la plus haute.
La Buick qui a rayé sa carrosserie rutilante, nous retrouve sur une autre rive, elle nous dépose au Panjiayuan pour un marché du dimanche.Petit encas dans un self pas terrible pour un poulet avec cacahuètes bouillies (riz=mifa).
Evocation du grand bazar d’Istanbul. A l’attaque ! La brocante est riche de 3000 stands : tissus, bronzes, art tibétain, pierres, fossiles, jade, porcelaine… Peu d’occidentaux ou alors ils achètent en gros. Nous déambulons sous la halle couverte, même derrière une des portes d’entrée les marchands ont investi les lieux. Vers 16h le remballage commence. Les marchandises rejoignent des boites molletonnées, les vélos tractent des bouddhas, des monceaux d’objets s’échafaudent. C’est à ce moment que nous marchandons des statuettes en bois, abandonnant le marchand qui nous rattrape acceptant notre offre. Retour à l’hôtel en taxi. Thé dans la chambre. Transaction difficile pour changer des $ à l’hôtel. La fille maussade compte et recompte nos billets et recompte pour finalement nous changer 400$ des 800 demandés. Repas dans notre restau du premier jour : 73 Y avec les bières. Lichies à la sortie et préparation du départ de demain.

mardi 25 janvier 2011

Un certain équilibre. Dupuy et Berberian

Episode 7 des aventures urbaines de Monsieur Jean.
Tranches de vie de couple, papa est papa poule, son copain Félix toujours aussi sentencieux et agaçant, mais son fils futé lui donne quelques leçons de savoir vivre, tout en profitant de la situation.
Petites scènes de la vie quotidienne : la boulangère assène ses « bonjour » parce qu’elle n’a pas entendu le vôtre.
Mais ce ne sont que légères contrariétés, comme les chaussettes qui se désolent de vivre dans « un monde qui est une machine à laver qui sépare ceux qui s’aiment ».
Ce n’est pas seulement parce que le trentenaire bobo en est encore à découvrir le portable que cette BD a un petit parfum charmant d’un temps déjà révolu, mais cette douceur de vivre ne me semble plus tout à fait à l’âpre goût du jour.
Cinq ans déjà, on ne savait pas qui était Frédéric Lefèvre et Kouchner était presque intact.
Quelques pages de gentillesse et d’humour badin ne peuvent pas faire de mal.

lundi 24 janvier 2011

Poupoupidou. Gérald Hustache-Mathieu

Pou : film pour acteurs de second rôle qui ici tiennent bien l’affiche : Jean-Paul Rouve et Sophie Quinton.
Pou : film policier, une jeune fille blonde est retrouvée morte sous la neige.
Pi : un écrivain parisien à Mouthe « la-ville-la-plus-froide-de-France ».
Dou : La fragilité de la gloire médiatique fut-elle bien modeste.
Il y a un peu de tout dans Poupoupidou : de l’humour et des lourdeurs, quelques jolies images de neige et des personnages aux traits forcés, des surprises dans le scénario et des accumulations un peu bourratives : il y a du « Vénus beauté », du Mocky, du Chabrol certains disent Lynch ou les frères Cohen mais moi je l’ai trouvé bien frenchy et je n’ai pas apprécié le fil trop gros qui trace le parallèle entre la vie de « La belle des champs » qui a le mérite de ne pas être présentée comme une « gourdasse » et Marilyn. J’ai trouvé cependant que le ton était juste pour décrire la vie dans un village du Jura avec cruautés adolescentes et rêves inaboutis.

dimanche 23 janvier 2011

Lulu. Braunschweig.

Wedekind l’auteur qui fut emprisonné par Guillaume II, travailla et retravailla cette œuvre pendant des années depuis 1892, et Pabst au cinéma et Berg pour l’opéra y tournèrent autour. Cette fois c’est le directeur du théâtre de La Colline qui fait tourner le décor et nous en met plein la vue, allant jusqu’au Grand Guignol. Le mélo parfois teinté de comédie dure quatre heures qui ne m’ont pas semblé longues, il m’est arrivé même parfois souhaiter prendre du temps pour quelques nuances, mais ce n’est pas le propos puisqu’il est plutôt question de tourbillon, d’étourdissement. Pédophilie, inceste, prostitution, cependant les vapeurs de soufre se sont diluées dans la grande salle de la MC2. Des références à l’univers de Dickens sont évidentes dans le dernier acte, beaucoup plus que Schiele ou les expressionnistes allemands convoqués pour décrire un érotisme qui va littéralement jusqu’à l’écorché. La mise en scène est réussie pourtant le jeu des acteurs ne fait pas l’unanimité. Dès que l’érotisme est mis en tête de gondole, il s’évapore. Les miroirs refroidissent les images en les multipliant. Le carrousel des fantasmes embarque la pauvre fille plus objet que sujet, vers la phase ultime de la perversité : les cadavres sans mémoire se sont accumulés, l’argent a coulé ; retour vers le ruisseau. Cet essai de concentré justifierait finalement le titre : « tragédie monstre » et pourtant l’émotion n’était pas au rendez-vous.