mercredi 8 octobre 2008

Arts plastiques (« Faire classe »#5)


A la façon d’un dictionnaire amoureux de l’école primaire, j’effeuille désormais la marguerite des matières à enseigner par ordre alphabétique, passionnément.
A, comme artistes que sont devenus souvent nos propres enfants à juger par l’échantillon restreint mais parlant de la descendance de mes amis pédagos. Nos dynasties se sont dirigées vers ces professions bohèmes, pour la beauté, la gratuité du geste permises par la sécurité de l’emploi des parents, sur fond de posters de Picasso accrochés très tôt dans les chambres des logements de fonction.
A comme art. Comment ne pas prendre la grosse tête dans ce boulot ?
Nous croyons dans ces domaines créatifs côtoyer l’essence de la vie. Ces lieux sont hantés par les génies, et nous finissons l’heure à l’éponge et au balai, à frotter les taches persistantes à l’essence de térébenthine. J’ai toujours goûté ces mélanges : le grossier et le sophistiqué, le pinceau en poil de martre et le balai de genêts dans les étables sombres. J’abuse des métaphores mais suis agacé des euphémismes qui hésitent devant l’appellation d’un chat. La culture se frotte à la nature et le trivial à l’idéal.
Dans ces contrées de carton bulle et de papier de soie, j’ai toujours l’impression de proférer une incongruité en nommant l’art en tant que discipline, pour le temps que nous avons à consacrer à la carte à gratter, au métal à repousser. Comme en pédagogie, se dupliquent dans le domaine esthétique où la main intervient pourtant, les excès de bavardages concernant en particulier l’art contemporain. Les images sont noyées sous les mots.
Entre parenthèses : quand l’acrylique est mise de côté, les lieux d’installations se couvrent de sang à défaut de sens. Ils squattent souvent d’anciens lieux d’industrie. Le « magasin », la « faïencerie », la « chaufferie », salles de spectacles ou d’expositions ont pris les noms des lieux où travaillait une classe : l’ouvrière. Maintenant les classes s’y pressent : les culturelles.
Cependant, sur un nuage mignon, dans nos écoles « Prévert » et « Pierre Perret » les secrets des muses seraient à portée de petites pattes et grands yeux. Quelle douce fraîcheur faut-il cultiver pour accrocher aux cimaises d’un jour les productions enfantines ?
Les enjeux pédagogiques se visualisent pendant cette heure : la liberté peut tétaniser et la contrainte anime, spectateur et acteur, admirateur et iconoclaste, créature ou créateur, une corde peut s’ajouter à chaque harpe. C’est seulement quand les instruments sont posés que l’ampleur des contradictions apparaît : est ce que l’individu est plus libre, plus créatif lorsqu’il ignore l’histoire, lorsqu’il s’émancipe de la culture ?
L’histoire se rejoue avec les enfants depuis le coup de fusain sur le rocher en papier kraft jusqu’au hasard de l’instant. La modernité commence quand ?
Renouveler les affichages, sinon le regard se lasse. Le dessin qui se décolore au soleil, l’adhésif qui se desquame disent trop l’abandon. Qui fera le recueil des panneaux d’affichage à l’extérieur des écoles qui ne savent souvent mettre en vitrine que les dates des vacances, ou la liste des parents élus ? Des progrès sont en cours, l’école apprend à se valoriser quand plus rien ne va de soi.
Le temps de préparation et de bouclage est des plus important dans cette matière. Sans compter des minutes de parcmètres pour fouiner dans les papeteries à la recherche d’astuces et de beaux papiers : les bonnes odeurs dispensent de décompter en heures supplémentaires.
Une organisation réfléchie de la salle de peinture autorise un gain de temps et d’argent avec des meubles adéquats pour ranger papiers divers et recueillir les chutes à recycler, les pinceaux à la durée de vie aléatoire, les colles, les encres, les craies, le peintures en tube, en pot, en rails. Du matériel de qualité préservé permet le soin et magnifie les productions. Le temps de rangement, nettoyage peut être qualifié de civique mais il y a encore à se gendarmer pour que le maladroit fainéassou ne laisse pas aux fillettes le soin de ranger ses œuvres et accessoires. Temps de stress, révélateur des ambiances de classe. Temps de plaisirs et de travail quand pour mettre en valeur il faut du temps.
Des classeurs avec pochettes en plastique protègent des reproductions d’œuvres diverses qui amorceront un travail de début d’année dans le but d’expérimenter les différentes techniques, prendre connaissance de productions de maîtres appartenant au patrimoine. L’angélus de Millet descendu de son calendrier sera reproduit aux crayons de couleurs, Miro choisi pour sa simplicité contentera celui qui se juge comme nul en dessin, alors que Dürer au stylo à bille rencontrera volontiers le minutieux ; Van Gogh en papier déchiré, De Staël à la craie, un égyptien de profil à l’encre, Matisse à la gouache. Cette réserve constituera comme dans d’autres domaines un pense-bête, un recours quand le travail proposé dans l’heure se termine ; ce stock attend dans le coin images où un magazine consacré à Di Rosa côtoie quelques beaux livres comme il s’en publie au moment des fêtes avec Magritte qui étonnera, et le catalogue des œuvres du musée où se réviseront les impressions premières. Des boîtes à fiches permettent des manipulations aisées et les éditeurs sont prolifiques. C’est de l’histoire active de l’art. « La liberté guidant le peuple » de Delacroix représente un moment de l’histoire des hommes et de la peinture. Comment dissocier l’art de l’histoire quand les cathédrales se profilent, où que l’on peut marcher dans le tableau d'un empereur après tant d’autres ?

« Entre les murs » : au-delà.


Quelques mots encore autour du film de Laurent Cantet qui a déjà apporté quelques pièces rares au paysage cinématographique français (« Ressources humaines »).
Le personnage du principal me plaît bien, avec sa façon de parler toujours maîtrisée. Le regard qu’il porte sur sa communauté éducative n’est dénué ni de lucidité ni d’humour. Quant à sa position vis-à-vis des élèves, s’il n’a pas les oripeaux de la branchitude, il a plus de respect à leur égard que bien des démagogues, cependant rares dans ces portraits. Je suis volontiers le professeur d’histoire géo qui se veut plus cadrant au départ pour éviter les débordements qui se fracassent au bout des renoncements. Il préfère prévenir que sévir trop tard.
Le film aurait pu titrer : « malentendus » tant les mots font barrage entre tous les partenaires de l’école. « Ma mère s’excuse en mon nom » traduit l’élève exclu. Médiateurs, traducteurs, les mots à qui sont-ils ?
Cette affaire de tchatche me taraude depuis nos revendications de lycéens en 68. Nous avions demandé un bac à l’oral le déguisant ainsi de vertus démocratiques alors que ceux qui avaient l’aisance du verbe, le devaient plus à leur assurance de classe sociale qu'à leur travail dans des classes surchargées. Plus tard, les mots des praticiens des mouvements pédagogiques, une fois récupérés par ceux qui allaient s’abstraire du brouhaha des classes, ont perdu bien du sens en route. Ce qui était le fruit de libres démarches a tourné au pathétique bureaucratique quand le conformisme s’en empara. Lorsque la norme « papa cool » s’est imposée auprès des pères arrivant du bled, ceux-ci privés de leur ceinturon en ont perdu leur dignité. Les mots - ces pétasses - n’échappent pas à leur contexte.

lundi 6 octobre 2008

« Entre les murs » : vrai de vrai.

J’avais aimé la vérité du livre (dans mes archives au mois de mai). D’emblée je m’oblige à réviser une de mes opinions quasiment inaltérable qui consiste à trouver un film forcément moins profond que le roman : c’est un plaisir différent, mais j’ai vraiment apprécié la sincérité du film. Et pourtant ce n’était pas gagné ! La saturation médiatique m’avait fait reculer jusque là.La prof honoraire avec qui j’ai partagé ces bons moments d’émotion avait plutôt envie de rempiler à la sortie tant les situations appellent l’empathie, voire des corrections de certaines maladresses. Reprendre l’éternelle cape qui nous permet de croire que nous pouvons agir sur le cours des choses, voire du cours… tout court. Essayer de s’y prendre autrement : bien malin qui pourrait mieux faire. Je parle d’un autre temps, d’autres lieux, mais j’étais plus exigeant avec mes CM2 dans leur expression écrite que ce prof avec ses quatrièmes. Parmi les nombreux articles consacrés au film, la phrase de Montessori « Il faut se mettre à la portée des élèves, pas à leur niveau » me paraît vraiment juste. Mais le bon mot « entre quatre planches » s’il convient à décrire le sort réservé à l’école par Sarkos, ne peut s’appliquer au collège Dolto vivement décrit dans ce film. C’est tout le contraire la vie, l ’énergie, les promesses de la jeunesse qui débordent ! Bel hommage aux professeurs, comme dans « Etre et avoir », ils ne sont pas parfaits mais humains, pas caricaturés ni idéalisés : des travailleurs qui font au mieux, loin des démagogies. Inutile de citer les meilleures scènes ; le mieux c’est d’aller voir. Mais si…une: le défilé des parents, très juste. « Entre les murs » pourrait signifier une étanchéité au monde ; en quelques plans, les murs de la classe ne sont plus : le monde et sa misère déboulent, avec ses faux espoirs, ses contradictions, ses incompréhensions. Il a toujours été là. Bégaudeau a cessé d’être prof, ma copine avait envie d’assurer le remplacement. Le temps d’un film.

Forum de Libé : Vivement l’année prochaine


Je viens de terminer la mise en blog de dix comptes-rendus des débats du forum Libération. Privilège de la retraite : trois jours pleins à écouter de belles machines intellectuelles qui ont du temps pour développer leurs pensées. Si ça pouvait être contagieux ! Même si l’excitation d’être à proximité de l’endroit où se fabrique l’information (studios de France Culture, Inter, Isère) a réveillé le badaud qui ne sommeillait pas en moi, à qui l’on souffle : « t’as vu, y a Jack Lang qui se fait prendre en photo». Ce n’est plus la ronde des petites phrases, mais des cohérences qui se frottent, et ce n’est pas rien quand Edgar Morin, plus en forme que l’an dernier, déploie ses grands bras : de la pensée, du temps, de la politique incarnés. Des occasions de voir se rencontrer ceux qui ne sont pas d’accord : la démocratie, c’est le débat. Cette année, l’actualité venait accélérer l’urgence d’une pensée qui dépasse le paradoxe d’une société de plus en plus balkanisée, émiettée, enfermée par les marqueurs religieux, ethniques, en guise de résistance à l’homogénéisation. Le message D’Edgar Morin pour clore ces journées tiendrait sur une assiette décorative à poser au dessus de nos cheminées :
« ajouter de la vie à nos jours, plutôt que des jours à notre vie ». Son exposé avait les mots de l’optimisme, mais je n’ai pu me défaire d’un sentiment de mélancolie dans ses voeux destinés à la gauche qui devrait plus énoncer que dénoncer ; quand je pense que Nombril 1er avait saisi le terme de Morin, « une politique de civilisation », le temps d’un discours. Non ce n’était pas devant le MEDEF ; je ne me souviens plus. Des apprentis qui viennent de siffler son nom, sont oublieux aussi.
Pour conclure avec un peu d’amplitude et faire mine de convaincre des amis dévoreurs de livres que ces journées ne sont pas si vaines : dans ses échanges avec Houellebecq, Bernard Henry Lévy va chercher Haïm de Volozine qui a écrit « l'Ame de la vie » qui dit en substance : « à quoi servent, non pas exactement les livres, mais le Livre ? à quoi bon ces siècles passés, dans les maisons d’études, à pinailler sur des points d interprétation de la Loi dont nul n'aura le dernier mot ? à empêcher que le monde ne s’écroule ; à éviter qu'il ne tombe en ruine et en poussière ; car Dieu a créé le monde , mais aussitôt, il s'en est retiré , il l'a abandonné à lui-même et à ses forces d'autodestruction ; en sorte que seule l'Etude, seules ses lettres de feu projetées en colonnes vers le ciel peuvent l'empêcher de se dé créer et faire qu'il reste debout - les Commentaires, en d'autres termes, ne sont pas les reflets mais les piliers d'un monde qui, sans cela, retournerait au néant ; les livres sont, non le miroir, mais les poutres de l’ univers ; et c est pourquoi il est si important que subsistent des écrivains. »

samedi 4 octobre 2008

Mondialisation et repli identitaire.

Les crises financières, écologiques, guerrières, en s’aggravant accélèrent elles une renaissance ? Il faudra, au forum de Libé, plus d’un artiste aussi profond soit-il (Bilal) et plus qu’un philosophe aussi brillant (P.Viveret) pour que de la larve surgisse le papillon. Le dessinateur tragique entre en résonance avec le théoricien dont la cohérence force l’admiration. Nous révisons, lors de ce dernier débat à la MC2, l’analyse transactionnelle qui repère les messages guerriers jusqu’à l’intime (« dépêche toi, sois fort, fais des efforts ») et les prescriptions (« sois parfait, fais plaisir »). Le capitalisme autoritaire (DCD) comme Dérégulation, Compétition, Délocalisation, est en train de mourir. La refondation d’une mondialisation dérégulée en une mondialité ne sera pas suffisante, pas plus que la qualification de nos dirigeants au cynisme destructeur, en grands malades du pouvoir. L’économie de marché est sortie de son lit et la société s’est marchandisée à outrance. Développement local et coopération combinés peuvent être des réponses. Mais quand les captateurs de sens allument leurs cierges, les lumières des résistants créateurs me semblent bien ténues à côté !

« Afterschool » Antonio Campos

Quand les images ont mangé les mots. Film d’un réalisateur de 24 ans, dérangeant donc important. Bien sûr c’est du cinéma, du bon d’ailleurs mais je m’en veux de ma candeur quand j’en suis à découvrir encore un degré de plus dans la gravité de la crise de notre société. Comme si des fonds pourris (hedge fund) des subprimes étaient entrés aussi dans le coeur de notre jeunesse. Dans une école de la côte Est des Etats Unis, la mort de jeunes filles survient, moins explosive que dans « Eléphant »( massacre de Columbine) mais au bout d’un ennui paresseux : overdose. L’école privée nuit gravement à la vérité : comment l’hypocrisie dans cet univers confortable constitue le vernis d’une société minée de l’intérieur avec sa jeunesse sans espoir. Une réflexion efficace sur le cinéma et le montage, sur le flux des images par internet où la pendaison D’Hussein se confond avec des scènes pornos, ou des rigolades. Triste monde où il ne reste que les pirouettes des artistes pour avaler les potions amères. A voir.

jeudi 2 octobre 2008

La religion du progrès

Tel était le titre alléchant du débat de Libé opposant Michel Taubmann qui jouait au nostalgique du temps où les hommes s’émerveillaient de marcher sur la lune, face à Alain Gras, bedeau de la religion de la décroissance. Il faudra éviter de dire que le combat fut prométhéen, car celui qui vola le feu aux dieux est mis à l’index, comme les lumières qui qualifièrent un siècle. Sale temps pour les rationalistes où la pensée scientifique est jetée par-dessus bord avec l’eau nauséabonde des dégâts d’un progrès marchandisé. Les tarots dépassent des manches de celui qui parle du pétrole comme « le sang du diable », quand il appelle la poésie au secours d’une dénonciation fondamentale de la place même de l’homme dans la nature. Le choix des énergies fossiles (le feu) pour une société ivre de pouvoir est funeste pour ceux qui poussent la modestie à considérer l’homme à peine mieux qu’une blatte, et la machine à laver comme bien peu indispensable. Le confort acquis grâce aux techniques, les avancées pour soigner nos corps ne conduisent même pas à la nuance les prêcheurs appelant à une sobriété drastique : les monstres peuplant leurs imagiers sont tellement plus expressifs. La passion contre la raison, la nature contre la culture. « Back to the trees » : j’en ai frôlé ce matin là, ils dénoncent sans répit les lobbies, mais imposent leurs thématiques. Ils gagneraient en crédibilité, à se montrer moins volontiers punitifs, mais leur pureté serait en péril. Une croissance « autolimitée » serait plus atteignable qui conserverait le monde autant qu’elle le transformerait.