samedi 3 juillet 2021

Condorcet. Elisabeth Robert Badinter.

Qui mieux que la féministe et le ministre qui a aboli la peine de mort pour mettre en évidence le rôle majeur de l’intellectuel héritier des « Lumières » pendant la révolution française ? 
« Cet orphelin trouva les plus prestigieux pères spirituels. D’Alembert, Turgot et Voltaire l’adoptèrent comme leur fils et chacun transmit ce qu’il possédait de meilleur. Le premier lui légua l’amour de la vérité ; le second, la passion du bien public ; le troisième, le refus de l’injustice. »
Mathématicien, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences à 32 ans : 
« Dans cet univers d’idées et de chiffres, il n’y a nulle autre déception à redouter que ses propres erreurs. La violence, le péché, le ridicule n’ont pas leur place dans la réflexion scientifique. » 
Rationaliste :
« L’originalité de Condorcet consiste notamment à bâtir une science de l’homme comme une science appliquée, c'est-à-dire désacraliser l’idée de l’homme, démarche en tout point contraire à celle du christianisme. »  
« Pour lui, les seuls obstacles au bonheur de l’homme s‘appellent préjugés, intolérance, superstition. Il suffit donc d’instruire le peuple et de développer la raison de chacun pour mettre un terme au malheur public. »
Ces termes sont encore tellement d’actualité qu’on est amené à douter de leur force, alors qu’à cette époque : 
« La torture, le servage sont en voie de disparition ; la médecine progresse […] et l’ignorance recule »
Il a posé les bases de l’école républicaine : 
« Il est possible de faire en sorte que tous les hommes, étant instruits de ce qu’ils doivent savoir… soient à l’abri des prestiges de la charlatanerie » 
La philosophe et l’avocat écrivent avec une limpidité remarquable qui rend agréables ces 670 pages instructives. 
Le tranquille natif de Ribemont dans l’Aisne devenu révolutionnaire, qu’admirent ses biographes était un piètre orateur et a pu justifier parfois son sobriquet de «  mouton enragé ». Ses silences après les massacres de septembre (1792) sont dénoncés. Et son appel aux autres peuples n’a pas suscité leur adhésion quand à l’intention des allemands il évoque « un peuple serf, des bourgeois avides, des nobles esclaves et tyrans. »   
Son rôle est éminent dans la rédaction de la constitution: 
«  Les institutions ne valent  qu’autant qu’elles garantissent le respect des Droits de l’homme : c’est l’exigence de la liberté ; une société ne vaut qu’autant que chaque homme y jouit de la plénitude de ses droits : c’est l’exigence de l’égalité ; comment se résigner en effet à une société où les femmes, les pauvres, les protestants, les juifs se voient à des degrés divers, dénier la jouissance des Droits de l’homme ? Et pis encore, où les Noirs se voient refuser jusqu’à la qualité d’hommes. » 
Dans un ensemble très documenté, factuel, qui rend parfaitement l’intensité, l’imprévisibilité des évènements fondateurs de notre République, 
« détaché de ses amis Girondins sans pour autant rallier les Montagnards »,
le destin du mari de la belle et brillante Sophie de Grouchy est poignant en ses derniers instants. Le mystère des causes de sa mort à 51 ans n'est pas levé, s'est-il suicidé? 
« Lui, le proscrit, le traqué, annonce la venue inévitable du jour où la dignité de l’homme sera partout reconnue, où la Raison répandue par l’instruction mettra fin sur tous les continents à l’insupportable servitude de l’homme. »

1 commentaire:

  1. Un grand merci pour ce billet, Guy.
    A l'heure qu'il est, je renie mon engagement dans la défense des droits de l'Homme. J'ai cru pendant un certain temps qu'il était possible de concilier mon héritage chrétien, mon amour pour Jésus, pour ce que j'ai reçu de mes pères, avec mon engagement dans la défense des droits de l'Homme, mais maintenant je sais qu'il n'est plus possible. En tout cas, à l'heure actuelle, où l'intolérance devient incandescente, il n'est plus possible pour moi de les concilier. Je le regrette.
    Je dis ça en précisant que je ne suis baptisée en aucune église, pratiquante dans aucune église, et que je ne peux même pas réciter le Credo de Nicée avec conviction (mais au moins je le connais...).
    Le monde est étrange, n'est-ce pas ?
    Je ne suis pas prête à me mettre en porte à faux avec mon héritage pour porter les banderoles de la Révolution française qui... continue. Encore moins prête maintenant que je la vois... tout obscurantiste qu'elle a été, avec les conséquences obscures qui ont découlées... de son obscurité, revenir sur le devant de la scène avec son... fanatisme à côté duquel le "fanatisme" des Pères de l'Eglise était pipi de chat.
    Il faut avoir un culot monstrueux pour professer... contre l'obscurantisme en prônant d'autres préjugés, d'autres.. erreurs, et une intolérance terrible.
    "La violence, le péché, le ridicule n'ont aucune place dans la réflexion scientifique". De belles paroles, bien prononcées, et elles seraient plus belles encore de pouvoir être suivies, mais... à la dernière nouvelle, la science est faite par des scientifiques, des scientifiques sont des hommes, et des femmes, avec les passions des hommes et des femmes, et l'homme et la femme scientifique ne laissent pas leur état d'être humain à la porte en entrant dans le satané laboratoire. On a pu croire, peut-être que c'était possible, mais ça ne l'est pas.
    Le dévoiement de la science médicale dans les camps de concentration, les effroyables expériences médicales qui ont été pratiquées sur les prisonniers... en Allemagne nazi, mais ailleurs dans le monde depuis, sur des prisonniers, y compris dans les pays occidentaux, sont là pour témoigner qu'il ne suffit pas de... professer les droits de l'Homme, il faut les pratiquer, de préférence en même temps que les devoirs de l'Homme envers ses semblables. Mais... je crois que cette religion laïque, faite d'abstraction et de bonnes intentions, n'est fondamentalement pas assez pour soutenir l'Homme dans les terribles épreuves qu'il peut traverser dans sa vie, que ces épreuves viennent du hasard, de la persécution, ou simplement de la condition humaine elle-même.
    Je recommande la lecture de Tocqueville qui a le mérite de s'interroger sur comment la France a fabriqué une nation de... lettrés, loin du terrain de la gouvernance, pour dicter ce que le monde devait être, sans avoir la moindre expérience de gouverner, et sans côtoyer les gens de différentes conditions. Tocqueville fait bien remarquer tous les ravages que fait tant d'abstraction (et de bonnes intentions...) dans les têtes. Je partage son point de vue sur la situation, moi qui ai vécu si longtemps avec ma tête dans les nuages, sans observer ce qui se passait sur le sol...

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