jeudi 6 avril 2017

Fantin-Latour et l’impressionnisme. Xavier Rey.

Beaucoup de monde se pressait à la conférence des amis du musée de Grenoble pour se documenter au moment où s’ouvre l’exposition : « A fleur de peau » consacrée au dauphinois.
L’artiste «  à la croisée des chemins des avant-gardes de son siècle » a été reconnu très tôt, contrairement aux « impressionnistes » qui ont fondé une société anonyme pour ne pas passer sous les fourches caudines des officiels. Ils prendront leur revanche depuis leur première exposition chez Nadar.
 «Impression soleil levant » de Monet donna «  impressionnisme », d’abord péjoratif, le mot devint un manifeste. Cette manière rapide, brillante, lumineuse traduisant des d’atmosphères fugaces, ne s’exerçait pas seulement à l’extérieur.
Edgar Degas dans « Répétition d'un ballet » en 1874, date charnière, dérange les conventions par un cadrage original, influencé par les constructions japonaises, et crée également l’illusion d’un instant pris sur le vif.
Fantin-Latour, le  mesuré, l’indépendant, est souvent mêlé, dans les musées, aux impressionnistes ; il prend position avec son « portrait de Manet » sur fond neutre, comme le vivement critiqué « Fifre », qui fut comparé à une « carte à jouer ».
Sa « Féerie »  fluide et rêveuse a figuré au salon des refusés avec Cézanne, Pissarro, alors que par ses couleurs chatoyantes, il citait Véronèse.
« Tannhäuser sur le Venusberg », vaporeuse et lyrique scène d’imagination, ferait allégeance à un  style néo classique renouvelé.
L’ « hommage à Delacroix » de facture réaliste, réunit autour du portrait d’après photographie du maître romantique, un groupe avec Baudelaire et Manet qui lui tournent d’ailleurs le dos. Fantin-Latour tel qu’en lui-même, tranche avec sa chemise blanche.
Dans « Un coin de table », Rimbaud et Verlaine ne se regardent pas.
Et les « Deux sœurs » ne communiquent pas plus. Parmi les cadres omniprésents, la frontière entre portrait et scène de genre est abolie, le temps est suspendu.
La fermeté du dessin, la carnation, le modelé du visage de « La liseuse » lui vaudront son admission au salon.
Renoir, né dans un  milieu modeste, gagnait sa vie avec ses portraits : un livre illumine l’intériorité de « La liseuse ».
« Edwin et Ruth Edwards » ont commercialisé les natures mortes de  Henri FL qui lui ont permis de vivre confortablement,
leur portrait comme celui de « La famille Dubourg »,  avec ses beaux-parents et son épouse Victoria, sa belle-soeur Charlotte qui s’apprête à partir, est tout en maîtrise.
« Branche de pivoines blanches et sécateur » de Manet 
 et « Le lys du Japon »  de FL sont cadrés serré, l’un saisit l’instant, l’autre reproduit un bouquet soigneusement composé, dessiné. «On peint les gens comme des pots de fleurs »
Les « Chrysanthèmes dans un vase » sont bien vivants,
ses « capucines doubles »  frémissent, et dans le thème « nature morte », pierre angulaire des enjeux de la modernité,
ce « Coin de table » avec rhododendrons à l’Art Institute Chicago est reconnu,
comme la  précoce « Nature morte avec pain et œufs » de Paul Cézanne.  
Sous l‘intitulé  « Fleurs et fruits » illustrer Malherbe :
et « Le réveil »  pour Verlaine :
« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous. »
Ne pas oublier d’évoquer la place de la musique et un versant d’une œuvre où il est au prise avec l’allégorie : « l’anniversaire » en hommage à Berlioz.
Pour conclure, un de ses fameux portraits de groupe : « Un atelier aux Batignolles »  regroupe pour la postérité, autour de Manet, Renoir coiffé d’un chapeau, Zola avec ses lorgnons, Monet au fond, Bazile de profil, tous respectables derrière une statue de Minerve pour la tradition antique et le pot japonais pour des apports plus lointains, nouveaux.

2 commentaires:

  1. C'est fou combien on sent que l'invention de la photographie atteint profondément l'art du portrait...
    Comme si la fichue esthétique "réaliste" était inféodée à la photographie comme profession d'une expérience directe de la "réalité" extérieure, sans passer par l'incontournable représentation.
    Cela est attristant.
    Fantin Latour a l'air d'un grand maître, très versatile.
    J'adore l'évocation du poème de Verlaine, "voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches.....".
    Très romantique.

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  2. Je reviens d'une visite approfondie de l'exposition aujourd'hui qui me réconcilie (un peu..) avec le musée et ses expositions.
    Fantin-Latour est un immense peintre, un vrai sujet singulier dans l'histoire de la peinture.
    Je suis étonnée que la présentation de l'expo n'ait pas relevé sa parenté d'ambition avec Vermeer, dans sa volonté de traduire l'intimité dans la peinture comme art noble. (Lire Daniel Arasse, "L'ambition de Vermeer" pour de plus amples informations. La lecture est ardue, mais gratifiante. J'aimerais pouvoir en parler intelligemment, mais c'est trop difficile.) A mon sens, c'est cette ambition qui l'a écarté de l'ambition des impressionnistes français qui ne célèbre ni l'intimité, ni l'intériorité.
    Ce parcours, de l'auto-portrait à la Rembrandt, avec un visage très jeune qui émerge du magma d'une toile faite d'ombre, où le fond fait terriblement problème à mes yeux (parler d'objectivité est peut-être une manière de camoufler à quel point l'invention de la photographie a chamboulé et traumatisé l'art pictural), à "La Nuit", où Fantin-Latour aboutit à une célébration complète de la figure féminine nue, et résout le problème d'intégration de la figure sur un fond, est comme un parcours analytique.
    On saisit bien pourquoi le grand art tient l'artiste debout dans un parcours spirituel dans cette oeuvre.
    Pour l'incommunicabilité des personnages, cela me fait penser à des difficultés du côté de la dramatisation. Si tu regardes le tableau "Jeune Femme lisant une lettre à une fenêtre ouverte", de Vermeer, tu verras ce que je veux dire. Le côté intimiste, et le portrait de la femme comme intériorité sont préservés en même temps que la dramatisation nous permet de nous identifier à l'émotion de la jeune femme, humanisant de cette manière la scène dans un art qui est... plus grand que celui de Fantin Latour, à mes yeux, et manifestement aux yeux du plus grand nombre en ce moment.
    C'est la difficulté pour dramatiser, pour insuffler vie et relation entre les sujets du tableau, qui fait qu'on les voit juxtaposés les uns à côté des autres, que ce soit dans les premiers tableaux des liseuses, ou dans les tableaux de grands groupes par la suite.
    Je crois que Fantin Latour n'a jamais complètement surmonté cette difficulté, et "La Nuit" est un chef d'oeuvre, un testament, mais il s'agit d'UN sujet, et la seule relation qu'on puisse voir est une relation mystique.
    Mais cela n'enlève rien à mon appréciation d'un immense artiste qui a fait un très grand chemin dans le cours de sa carrière.
    Une grande découverte.

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