jeudi 31 mars 2016

Georges de La Tour et les caravagesques français. Jean Serroy.

« Saint Jérôme pénitent dit aussi Saint Jérôme à l'auréole » peint par De La Tour aurait pu servir d’écran d’attente au conférencier, dans son exposé devant les amis du musée.  Appartenant au musée de Grenoble, il est actuellement à Madrid, échangé contre un Le Gréco.
Le maître des ombres et des lumières a été cité déjà dans ce blog :
Au moment où Le Caravage meurt, Rome, religieuse et diplomatique, est très influente ; pour ses relations avec l’Espagne, Paris passe par la ville éternelle. La cité de 100 000 habitants est pourtant moins peuplée que Venise, Milan ou Naples. Mais la contre réforme dans ces années 1620 y bat son plein, les architectes rendent les façades des églises séduisantes et les peintres ont des commandes au-delà des religieux. 
Les visiteurs emportent des souvenirs, souvent des « bambochades » : scènes de la vie quotidienne, des rues et des auberges, au format des sacoches des chevaux.
Les artistes Caravagesques sont allés plus loin que leur maître : après les dieux antiques détrônés et détournés, le naturalisme s’impose, les sujets les plus humbles prennent la lumière, le spirituel doit toucher les sensibilités. Les jésuites s’engagent à donner les clefs d’une rhétorique propre à exciter les cœurs, alors que les jansénistes voient la spiritualité dans l’ascèse.
Jacques Callot, fera le voyage à Rome comme de nombreux collègues. Le graveur évoque ici avec vigueur les « Grandes misères de la guerre » de 30 ans.
Lorrain comme lui, De La Tour, Le ténébriste français le plus fameux, resté à Lunéville n’aura pu prendre connaissance des travaux du Caravage que par des peintres flamands ou hollandais de passage.
«  Les mangeurs de pois », éclairés par la gauche, cadrés à mi-corps, loin des bergers d’Arcadie, ne sont pas idéalisés, l’une est méfiante, l’autre absorbé, leurs gestes dans la continuité, essentiels.

Le « Vieillard » et la  «  Vieille Femme », endimanchés dans leurs  habits colorés, tranchent sur un fond éclairé encore par le jour. Ils viennent du musée De Young à San Francisco, et si bien des musées français exposent De La Tour, sa renommée, importante déjà de son vivant, a repris vigueur dans la deuxième partie du XX° siècle. Sorti de l’ombre.
L’œil ne se perd plus dans le fond devenu noir. Autour du  « Tricheur à l'as de trèfle » éclairé violemment, les regards et les mains jouent.
Il existe plusieurs versions de « Madeleine » réfléchie, dont l’éclairage venu de l’intérieur, fait franchir les portes de la nuit. Celle-ci, « La Madeleine au miroir »,  est intitulée aussi La Madeleine pénitente ou Madeleine Fabius. Le père de Laurent F. l'a vendue à la National Gallery of Art de Washington.
Des enfants paraissent : « le souffleur à la lampe » est éclairé par la lumière qu’il vient de faire naître. 
Le seul petit qui avait été représenté jusque là, Jésus, éclaire magnifiquement « Saint Joseph charpentier », aux manches retroussées, le pied sur une poutre pour qu’elle ne bouge pas ; est-ce la croix ?
« Le nouveau né » est le « Chef-d'œuvre d'entre les chefs-d'œuvre » d’après le critique Thuillier.
La flamme cachée par la main d'une femme découpe la scène en traits simples et aplats quasiment cubistes. Les courbes enveloppant l’évènement célèbrent le mystère universel de la venue au monde d’un bébé, encore dans son cocon.
Alors qu’il aurait été possible de juxtaposer plusieurs « David et Goliath », interprétés par des caravagesques français, je choisirai plutôt  quelque « Diseuse de bonne aventure » de Valentin de Boulogne mort à Rome,
celle de Nicolas Régnier, appelé aussi Niccolò Renieri,
ou  l’égyptienne de Simon Vouet qui  fait les poches, en faisant l’impasse sur celle de De La Tour, 
mais pas sur « La Femme à la puce » moderne de forme,  massive de corps, dans un calme propice à la méditation : de l’intimité la plus prosaïque à la profondeur de l’âme humaine.
« Loth et ses filles » évoquera le baroque Claude Vignon, l'un des peintres français les plus célèbres de l'époque de Louis XIII, contemporain de Poussin qui lui refusa l’héritage du Caravage. 
Quant à Trophime Bigot, son « homme criant » ouvrant sa bouche d’ombre, nous saisit.    
 « On peint ce qui est en nous, ce qui n’a pas de bords, ce qui est noir à l’intérieur » Walter.

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