vendredi 19 avril 2024

Schnock n° 41.

En picorant au hasard dans la collection des revues des vieux de 27 à 87 ans 
puisque le temps ne fait rien à l’affaire, voilà le numéro consacré à celle qui « faisait peur aux garçons » : Claudia Cardinale. Honnêtement pas que peur.
N’est ce pas Paul VI qui la reçut ? 
«  Moi je suis pape mais vous vous êtes cardinal, vous pouvez faire ce que vous voulez » 
Effectivement, à travers un entretien avec elle, Jacques Perrin son partenaire de « La fille à la valise », Jean Sorel celui de «  Sandra » de Visconti, ou sa fille Claudia, la brune C.C.  face à B.B. dans « Les pétroleuses » a gagné sa liberté au cours d’une riche carrière.
Après une sélection de 12 films dont « Cartouche », « Fitzcarraldo », ses rôles se sont étoffés  dans «  Il était une fois dans l’Ouest » ou « Les professionnels ». Et dans le bric à brac sensément alphabétique allant de C comme « Cascadeuse » à C comme « Chirurgie esthétique », il n’y a pas que Moravia qui s’exprime : un admirateur  pour celle qui fut la femme d’un seul homme, Pasquale Squitieri, un réalisateur très coureur : 
« Je suis un jeune paysan, j’habite la Lozère, dans un petit village joli, je ne suis pas bien riche, mais j’ai quand même un revenu stable. J’ai sept vaches, qui donnent du bon lait et du beurre, trente trois brebis et un bouc. J’ai aussi une agréable petite maison mais… ? Il me manque quelque chose pour être tout à fait heureux. Chère Claudia, si vous le désirez, vous serez la plus heureuse et la plus chérie de toutes les femmes du monde. » 
Après ce dossier fourni, la fin prématurée de la chanteuse, Joëlle Mogensen du groupe musical « Il était une fois » donne une tonalité sombre à l’évocation d’Yves Bigot.
Et même l’article consacré au « Corned beef » fabriqué à Bressuire (Deux Sèvres) malgré son « effet bœuf » a des allures crépusculaires.
Patrick Bouchitey et Jackie Berroyer, toujours intéressants, réhabilitent en 12 pages le film rock « Lune froide » sur la route de l’oubli.
Mais le rappel des pubs d’ Europe N° 1 de 1966 à 1992, de Bellemare à Delarue, ajoute un chapitre de plus au catalogue : « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ».

jeudi 18 avril 2024

Aspects méconnus de l’art nouveau. Gilles Genty.

« L’Armurerie Coutolleau »
à Angers dessinée par Guimard, dont il ne reste que quelques photographies, illustre le propos du conférencier devant les amis du musée de Grenoble: porter à notre connaissance certaines créations méconnues, disparues.
Ne subsistent que quelques dessins du « Castel « Eclipse »  à Versailles
pour Mirand Devos qui devait sa fortune à la bière.
« Le billard » de Serrurier Bovy occupant jadis le château de la Chapelle en Serval
a été reconstitué hors contexte.
Parfois le décor initial a pu être redécouvert, ainsi la salle de restaurant de  « La Fermette Marbeuf » créée par l'architecte Émile Hurtré en 1900 au moment de l’exposition universelle fut restaurée en 1978.
Les œuvres de Théodore Deck, qui a donné son nom à des nuances de bleu, 
sont exposées à  Guebwiller, « Décor provenant de la véranda de la villa « Les Glycines ».
Le projet de vitrail au musée d’Orsay, « La capture de Jeanne d’Arc » 
d’Eugène Grasset pour la cathédrale d’Orléans ne verra pas le jour.
Son « Printemps » figure au musée des arts décoratifs
et « Le Travail, par l'Industrie et le Commerce, enrichit l'Humanité » 
se trouve dans l'ancien siège de la  Chambre de commerce et d’industrie de Paris.
L’art nouveau doit sa diffusion aux revues qui donnaient carte blanche aux artistes, 
Maurice Pillard Verneuil illustre « Art et Décoration ».
Georges Le Feur
dessine dans  « Le Figaro illustré ».
Des concours offrent des opportunités aux amateurs:
Socart : « Lithographie pour vitrail ».
Les  frères Calavas éditent « Flore Naturelle » d’ Henry Lambert.
Les femmes sont reconnues dans les arts décoratifs : Juliette Milési « Géranium »,
Mary Golay
« Poésie matinale »,
au musée du Pays rabastinois à Rabastens, Jeanne Atché est à l’honneur: «  Job ».
Jeanne Jozon, céramiste et sculptrice, 
célèbre le célibat dans «  Pourquoi ne se marie-t-on plus en France ? »
La frontière entre petits maîtres et amateur doués est  ténue  
« Pendant de cou » de Madame Jonnart.
Des matériaux inédits investissent des domaines inhabituels dans les reliures de Charles Meunier, « Les fleurs du mal ».
L’art s’allie à l’industrie : Emile Muller crée à Ivry la plus grande fabrique de céramiques 
pour orner par exemple « La Chocolaterie Menier ».
Des manteaux de cheminée produits en série réduisent les coûts. 
« Les Flammes ».
A Briare, le Musée des Émaux et « La Mosaïque » présente une œuvre de l’exposition de 1905 à Liège.
Eugène Grasset
auteur du « Logotype de Larousse »,
avait illustré l’ouvrage considéré comme le « plus original du siècle »,  
« l’Histoire des Quatre Fils Aymon, très nobles et très vaillants chevaliers »  
destinée aux bibliophiles.
Parmi tant d’affiches : 
l’ « Exposition internationale d’Electricité Marseille » 
de David Dellepiane, souligne le progrès apporté par la lumière.
« Last but not least » (dernier mais non le moindre) quelques surprises:
- à Nevers une « Faïencerie » 
a résisté au temps, cachée derrière des caissons,
- «  Le grand café »  à Dreux fut une imprimerie
- et la « villa Laurens » à Agde où d’importants  travaux de réhabilitation ont duré 16 ans.  
« Le monde de l’art n’est pas celui de l’immortalité, c’est celui de la métamorphose » 
A. Malraux.

mercredi 17 avril 2024

Antichambre. Romain Bermond Jean Baptiste Maillet.

Un musicien et un plasticien entourent un écran où apparaissent leurs manipulations.
Cette heure de spectacle offre aux enfants le temps de regarder un trait de pierre noire agrandi, les traces d’une brosse, la naissance de plantes tropicales, et des couchers de soleil, sous des musiques en vrai. 
Un film rassemble les séquences vues dans la première partie sans gagner en cohérence : l’histoire d’amour qui permet de passer des territoires polaires à l’Amazonie, m’a semblé décousue de fil blanc. Les vues sur la ville sont cependant mignonnes alors que les animations restent rudimentaires. 
Ce côté rétro tranche, sans présenter d’alternative probante, avec la sophistication des productions des studios américains, mais ces bidouillages ont pour eux l’avantage d’être du spectacle vivant. 
Je mettrai donc sur le compte d’une subjectivité tatillonne le fait de ne pas partager avec « Le Monde », « Télérama », le mot « poésie » à propos de ce spectacle d’une heure, car la belle vient  d’après moi quand on ne l’appelle pas trop fort.

mardi 16 avril 2024

Blanc autour. Wilfrid Lupano Stéphane Fert.

En 1832, 30 ans avant l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis, une élève 
afro-descendante est accueillie à l’école de Prudence Granval dans le Connecticut où les Noirs sont déjà « libres ».
Les violences des Blancs autour se déchaînent.
Je craignais un album édifiant sous ses traits décoratifs, eh bien cette douceur des dessins et même leur côté suranné ne font que mieux ressortir l’actualité du propos, l’exemplarité de l’institutrice, l’inhumanité des foules.
Dans les premières pages, un jeune « sauvage »  colporte le récit de la vie de Nad Turner, esclave révolté qui a massacré avec sa bande une soixantaine de personnes. Ainsi nous sommes sensibles au contexte où se complique la délimitation entre les gentils et les méchants.
Mais quand on sait que le slogan : « Black Lives Matter » (les vies noires comptent) est usité encore au XXI° siècle. La barbarie dirigée contre l’école, les femmes et les noirs est insupportable et de tels bavardages à la sortie du temple inadmissibles : 
« Et d’ailleurs, pourquoi des filles ?
En quoi cela va-t-il les aider dans leurs tâches quotidiennes ?
Ça n’a pas de sens ! 
Cela risque de laisser penser à ces négresses qu'elles valent les blanches. »
Les 150 pages ne baignent  pas que dans la haine et la férocité, elles illustrent le rôle émancipateur de l’école, et c’est bon ! Plus que jamais !

lundi 15 avril 2024

Chroniques de Téhéran. Ali Asgari Alireza Khatami.

Dispositif simple pour des constats élémentaires en neuf séquences avec des personnages à tous les stades de la vie face caméra, affrontant l’arbitraire le plus liberticide : nous sommes en Iran sous la coupe des religieux.
Chaque plan fixe déclenche l’indignation devant tant d’absurdité et révèle souvent de beaux caractères, surtout féminins.
Cette fois le tournage, effectué en une semaine, ne se déroule pas dans une voiture bien que la question de l’espace privé se pose à cet égard, mais aux guichets d’administrations, de commissariats, auprès d’employeurs éventuels, voire dans un magasin destiné à recouvrir  jusqu’aux petites filles.  
L’humour permet de ne pas désespérer totalement des petits et grands ne se laissant pas intimider par les serviteurs d’un état  tatillon, intrusif, totalitaire.

samedi 13 avril 2024

Cézanne. Marie-Hélène Lafon.

Les livres de poésie ne sont pas condamnés à la relégation : dans ce nouvel ouvrage, je retrouve l’écriture intègre de l’admiratrice de celui dont on a baptisé tant de rues de Provence.
Le travail de l’écrivaine est issu d’une exigence hors norme, quand elle se fustige d’avoir mis une virgule à la place d’un point dans la citation dont une partie sous titre les 160 pages : 
« C’est comme une carte à jouer. Des toits rouges sur une mer bleue. »  
Nous sommes invités à « aller au paysage » avec le peintre, qui pour moi encore se rebiffe,  lorsqu'il célèbre «La sainte Victoire», les « Sous bois » :  
«… je suis dans le bois, sous les arbres, traversée de lumière pâle. L'air est tiède, c'est un matin d'été caressant et parfait. Le vent bleu court dans les branches basses, le remuement des feuilles est tissé de pépiements d'oiseaux furtifs. »
Les regards des femmes, sa mère, sa femme, sa sœur, qui ont entouré l’Aixois et posé pour lui « comme une pomme » mais aussi celui de son père, le jardinier Vallier, enrichissent un portrait personnel de Paul, père de Paul.
La parole de l’impressionniste, elle, s'exprime essentiellement dans sa peinture. 
«  … on cherche la peinture, dans la lumière et dans le vent, dans le chatoiement des choses et dans leur fourbi, on est assailli, on est traversé, le monde est indémêlable, inextricable, c'est un taillis, une broussaille charnue et insolente couchée sous le ciel. Le monde est hirsute, il est offert, il se refuse, il galope, il s'écartèle, il suinte, il sue, il renâcle. On le prend comme il est, on n'a pas le choix, on s'appelle Paul Cézanne et on va tout réinventer. »
Nous percevons la solitude du maître, l’incompréhension qu’il a pu rencontrer, à travers ces pages ferventes, originales, subjectives, magnifiques. 
« On ne saisit pas Cézanne, on ne l'épuise pas, il résiste, on l'effleure, il glisse, il disparaît dans le sous-bois. On l'espère. On l'attend. »

vendredi 12 avril 2024

Au final.

Quand «  artificielle » s’accoquine avec « intelligence », la tentation est grande d’appeler sous la plume virtuelle des mots collés aux fond des coffrets oubliés :
« Belles Lettres et propédeutique, calligraphie et enseignement ménager… »
afin, au final, de contredire les tics langagiers qui nous impactent grave !
Ce n’est pas que l’intelligence artificielle, qui déjà nous aide, soit démoniaque, mais difficile de ne pas avoir envie de « regimber » dans ces temps d’assèchement de l’humanisme.
Les nouveaux échafaudages autour des programmes scolaires, sous leurs bâches publicitaires, font s’exprimer les commentateurs de la rubrique éducation qui comme moi n’arpentent plus depuis longtemps les couloirs bruyants des établissements scolaires.
Les pratiques pédagogiques s’entrevoient dans des films comme « Bis repetita » ou dans les actualités quand les héros sont décapités. Mensonges rigolos et tragédies paralysantes évitent toute considération générale.
Iannis Roder dans « Franc-Tireur » sous le titre « L’école de la peur » signale que 900 enseignants ont été menacés d’une arme en un an, 6 par jour ouvrable. C’est pas du cinéma.  « La Marseillaise doit être apprise » et «  La dictée fait son retour » : il me semblait que ces affaires étaient engagées, réengagées depuis le « Che ». Distance entre les chefs à plumes et les fantassins avec actes loin des paroles, comme d’habitude.
L’effondrement des connaissances en culture générale des candidats au professorat autorise quand même l’allusion à « la boîte de Pandore » des querelles scolaires jamais refermée.
J'aimerais que l'image de la perte de couleurs de lampes magiques, puisse faire allusion  à l’affadissement des utopies généreuses qui ont fait pschitt quand les boomers pétaient le feu en équipe, en textes libres, éveil et projets. Le moule des rêves fraternels est fêlé.
Les rubriques nécrologiques débordent de grands noms : Badinter, Delors, Julliard, Godard, Sempé… sans qu’il soit utile de déterrer Rocard, et si peu de naissances apparaissent à ma connaissance.
Pour un Claude Malhuret, pas de la dernière pluie, combien de Louis Boyard en histrion 2.0 ?Bien des mots semblent tomber en poussière sitôt qu’on les soupèse, ainsi « progrès » barbouillé de CO2 « disperse, ventile » avec lui, les progressistes.
Au moment des orientations en cours d'études, où les horizons pourraient s’ouvrir, bien des souhaits de changements se paralysent. 
Qui osera ressortir la maxime d’un autre siècle : « il n’y a pas de sot métier » quand serait proposé à un cadre voué aux vacances à Acapulco, un poste de plongeur ? 
Les rappels du temps de l’esclavage peuvent paraître envahissants, pourtant combien de serviteurs modernes sillonnent nos villes, lavent nos carreaux, torchent nos vieux, quand même préparer un repas relève de l’exploit, de l’exploitation ?
Pas question d’examen lucide, partagé, d’une situation quand une transition de genre peut paraître moins douloureuse que de travailler deux mois dans un restaurant.
La phrase de Kennedy n’est plus comprise :
« Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays ». 
Qu’une existence doive consister à faire sa part dans l’avancement de la société n’apparaît plus avec évidence pour bien des individus qui ont seulement daigné mettre les pieds sous la table. 
« Vivre est assez bouleversant » Georges Perros.
L’heureuse expression « la charge mentale » a mis en évidence la disparité Homme/femme en matière de tâches ménagères quand devant un tas de vaisselle sale le monsieur se dérobe : « mais tu m’avais pas dit » pour répondre à sa femme qui le sollicite.
Cependant bien souvent les actes sont mesurés à cette aune.
Le don, le plaisir de travailler sans qu’il soit utile de négocier chaque geste sont ignorés. 
Et dans l’hystérisation des rapports sociaux cela se qualifie en harcèlement, burn out, se résolvant en #, marche blanche, cohorte d’avocats qui en arrivent à disqualifier les grandes souffrances. 
« La fin justifie les moyens. Mais qu'est-ce qui justifiera la fin ? »  Albert Camus.