jeudi 13 avril 2023

Vierge, sainte, mère. Serge Legat.

En ce 8 mars, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble ouvre le cycle consacré à l’image de la femme dans l’art avec le tableau d’autel du florentin, Giotto, la « Maestà di Ognissanti ». La Madone en majesté présente l’enfant qui bénit. « La donna angelica » était apparue au moyen-âge avec maris partis à la guerre ou aux croisades; sa beauté spiritualisée « sacralise le culte de la pureté féminine ».
Andrea di Bartolo
peint une « Vierge d’humilité », assise sur le sol.
Après la terrible peste noire de 1348, le ciel se rapproche de la terre. 
Piero della Francesca  réalise une « Vierge de miséricorde » protectrice.
Sa fresque de la « Madonna del Parto » met en valeur la divine parturiente d’une grande intériorité malgré la théâtralisation.
Bien plus fréquentes, les représentations de l’ « Annonciation » peuvent surprendre, avec la vierge impassible pour l’église San Francesco à Arezzo dans un coin de la fresque de Piero della Francesca, consacrée à l’ « Histoire de la vraie croix ». 
Interrompue dans sa lecture, sa main marque la page.
Elle est effrayée dans  l’ « Annonciation de Recanati» de Lorenzo Lotto  
avec un ange Gabriel impératif ; le chat diabolique s’enfuit.
Marie, la servante du seigneur, savait que son fils mourrait avant elle : 
« La piéta » de Romanino de Brescia.
Pierre et Gilles ont fait poser Lio pour la «  Madone aux sept douleurs » au cœur blessé.
Au cours de l’ « Histoire de sainte Brigitte » commandée à Lorenzo Lotto, la famille Suardi assiste à la  cérémonie de consécration de la religieuse. Le couvent représentait souvent la seule alternative au mariage préservant ainsi le patrimoine familial ; la chasteté étant le degré le plus élevé de la condition féminine.
Tous les couvents n’étaient pas aussi mondains que « Il Parlatorio delle monache di San Zaccaria » par le vidutiste
Francesco Guardi qui inspira Comencini avec un Casanova devant honorer la mère supérieure pour se rendre à un rendez-vous avec une novice.
Artemisia Gentileschi
se représente en « sainte Catherine d'Alexandrie » patronne des écoles de filles et des élèves de philosophie. Elle avait sidéré le César et Auguste Maximin II Daïa lorsqu’elle convertit 50 philosophes païens convoqués pour la faire renoncer à sa foi.
« La légende dorée » de Jacques de Voragine relate que la roue promise à la populaire martyre va se briser, elle sera décapitée.
Son « Mariage mystique » par Le Corrège exprime une grande douceur,
une copie de Gaston Bazille d’après une version de Véronèse figure à l’église de Beaune-la-Rolande où avait péri un des précurseurs des impressionnistes pendant la guerre de 1870. 
« Sainte Agathe » ( Zurbarán), protectrice des nourrices et des fondeurs de cloches, issue elle aussi d’un milieu patricien, garde sa virginité même après un viol rituel.
Au moment où l’Etna  entrait en furie, la foule demanda la suspension de son supplice aux charbons ardents, elle mourra de faim. Amenée  dans un lupanar pour être violée, « Sainte Lucie » clouée au sol par le Saint-Esprit ne pourra être déplacée par mille hommes ni par mille paires de bœufs, ainsi représentée par Lorenzo Lotto.
La tendre et mélancolique « La Vierge et l'Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste » de Botticelli permet d’aborder le rôle des mères
comme le fit aussi Le Caravage où un vrai bébé s’endort dans la douceur et la quiétude lors du «  Repos pendant la Fuite en Égypte » de la sainte famille.
Le bonheur de « Madame Vigée-Le Brun et sa fille Julie » sera provisoire.
« Le berceau » de Berthe Morisot est devenu emblématique ainsi que
« La mère laborieuse » de Chardin,
pendant de son « Bénédicité », marque le triomphe de la vie domestique dans l’espace féminin
respectant tradition et éducation.
Au XVIII° certaines femmes avaient tenu un rôle capital, recevant l’élite intellectuelle dans les salons et avaient modifié leur image ; l’une d’elle, Madame du Deffand s’interrogeait :
« Est-ce que je crois aux fantômes ? Non, mais j’en ai peur. »
Théo Mercier : «  La famille invisible »

mercredi 12 avril 2023

Cordouan

Nous nous réveillons in extrémis à 7h45 et partons pour Royan.
Le brouillard issu de brumes maritimes denses nous enveloppe, nous ne regrettons pas nos vêtements chauds.
Après avoir laissé la voiture face à l’église moderne en béton qui domine la rade, il nous reste suffisamment de temps pour nous offrir un petit déjeuner dans une boulangerie ouverte : tous les commerces ou presque sont encore fermés aux alentours du port de plaisance.
Nous récupérons nos billets au kiosque « la sirène » à 9h 30 avant d’embarquer à 10h15 et démarrer à 10h30.
Les entrées maritimes persistent, toujours aussi compactes, et pendant les 45 minutes de traversée, nous perdons  la côte de vue.
Lorsque que les moteurs ralentissent  enfin, le capitaine nous informe sur les conditions de débarquement, alors que  nous flottons au milieu de nulle part baignés dans  une atmosphère cotonneuse, sans apercevoir la moindre silhouette du phare de Cordouan : 3 contingents de quarante personnes emprunteront l’un après l’autre le véhicule amphibie, le Jules Verne II que nous avons tracté à l’arrière du bateau depuis Royan. Ainsi, il sera plus facile de gérer le flux touristique dans cet espace limité surtout en marée haute et les passagers bénéficieront au mieux de la visite proposée par les gardiens. Tandis que nous attendons la 3ème fournée pour accoster, la brume se décide à se retirer, en nous laissant découvrir le monument, suivant l’ordre chronologique de sa construction ! Se devine d’abord le socle, puis la première partie érigée sous Henri III, peu à peu la 2ème partie datant de Henri IV émerge à son tour  puis tout le phare sort de sa chrysalide. C’est magique !
Le Jules Verne II vient nous charger puis nous  déposer au pied du phare, devant  la poterne en bois à l’entrée de la tour.
Nous sommes accueillis par Benoît, c’est l’un des deux gardiens responsables de ce monument historique : dreadlocks, tatouages maoris sur des jambes et un visage burinés par une vie au large, ce guide pittoresque s’avère très intéressant, passionné par le lieu et la vie qu’il y mène, il joue son rôle de pédagogue avec réussite.
Il nous explique en premier comment sont classés les phares existants : l’enfer, situé en pleine mer, le purgatoire, placé sur une île, et le paradis relié au continent. Cordouan entre dans la catégorie paradis de l’enfer. Ci dessus : le phare de la Jument situé à Ouessant.
Puis il relate l’histoire de l’édifice avec la construction commencée par Louis de Foix s’étendant sur une longue période de 25 ans ; les guerres de religion, les soucis financiers, les problèmes météorologiques, la peste à Bordeaux, tout cela  ralentit les travaux mais le phare est achevé en 1611, et culmine à une hauteur de 37 m, il  devient un symbole monarchique fort, Henri IV s’emploie à son embellissement et agrandissement. 
Il en fait un phare de prestige destiné à impressionner les bateaux étrangers et ainsi à prouver aux puissances maritimes environnantes la stabilité de son royaume après les guerres de religions. Surélevé à  67,5 m au XVII° siècle, ce qui correspond à sa hauteur actuelle,  il expérimente pour la première fois le prototype de lentille à échelon. 
Inventé par  Augustin Fresnel, cette lentille révolutionnaire équipe toutes les côtes et les phares du monde encore aujourd’hui.
Benoît nous entraine au rez-de-chaussée, dans un vestibule plus imposant que les deux petites  chambres latérales côté entrée,  tout en bois bien ciré  occupées autrefois par les gardiens.
En face, un escalier à vis mène à l’appartement du Roi au 1er étage. Malgré son nom, aucun roi n’y mis jamais les pieds, mais deux cheminées, inhabituelles dans un phare, dénotent par leur présence d’un certain luxe. L’une  d’elles est fictive, son existence s’explique par un souci de symétrie. L’autre est  fonctionnelle, elle servit aux gardiens successifs à se chauffer et à cuisiner.
Le dallage en marbre noir et blanc du sol aux dessins géométriques se marie parfaitement à la pierre claire des murs.
Le 2ème étage  est entièrement réservé à la Chapelle Royale. Le plafond me rappelle le Panthéon de Rome avec son oculus, ou encore ces coupoles à caisson de la Renaissance italienne. Mais l’autel, les vitraux de saint Michel entre autre, rendent ce lieu pareil à n’importe quel autre édifice religieux de l’époque.
De forme circulaire contrairement à l’appartement du Roi, de forme carrée, la pièce baigne dans une lumière tamisée. Le dessin du  dallage en marbre coloré noir gris et blanc respecte la géométrie de la chapelle en partant du centre et se déployant  vers l’extérieur.  Le guide attire notre attention sur le buste de Louis de Foix qui mérite sa place en tant que mécène important du phare, car il suppléa aux manques financiers du Roi. Cordouan est le seul phare à abriter une chapelle et un tel luxe d’ornements.  Encore consacrée aujourd’hui, un prêtre  y célébra le mariage d’un marin employé par la compagnie « la sirène » assez récemment. Puis nous continuons pour atteindre la salle des girondins au 3ème étage.
Elle sert de départ à un escalier plus sophistiqué, « une voute rampante hélicoïdale » appuyé sur le pourtour des murs.
Nous voilà donc au 4ème étage, dans la salle du contrepoids et sa machinerie, nous grimpons au 5ème dans la salle des lampes et au 6ème, utilisée comme chambre de veille.En se penchant vers l’intérieur, nous apercevons le rez-de-chaussée par l’oculus qui traverse tous les paliers. Ce puits, reproduit à chaque étage, a permis de monter les matériaux et déverse la lumière.
Enfin, nous sortons sur la coursive extérieure ou chemin de ronde, au pied de la lanterne aux deux couleurs rouge et verte.
De là nous bénéficions d’une vue sur l’océan, des couleurs marines subtiles  sous un ciel de plus en plus ensoleillé ; et la marée qui se retire découvre le chemin constitué de grosses dalles menant jusqu’à la poterne.
Notre gardien passionné nous raccompagne jusqu’à la couronne. Cet anneau en bas de la tour  comprend  des espaces privatifs, 4 chambres, une cuisine des locaux techniques et un groupe électrogène.
Si le phare, monument classé, se visite à la bonne saison, il continue d’être surveillé toute l’année par ses gardiens. Il doit subir des restaurations fréquentes dues aux conditions climatiques. Lors des grains ou simplement du mauvais temps, la pluie bat la façade ouest et rince les pierres calcaires mais côté est le sel se dépose et l’érosion de la pierre apparait très nettement sous forme de trous.
Nous aurions bien trainaillé un peu plus à l’intérieur de l’anneau mais le temps nous presse et l’heure de rendez-vous fixé par le capitaine du bateau approche. Puisque la marée est basse nous empruntons la chaussée dallée encore un peu  immergée délimitée par des piquets.
Les pieds dans l’eau jusqu’aux chevilles nous pataugeons au milieu des  bancs de sable. L’un d’eux est la survivance d’une île végétalisée,  érodée par la tempête et rabotée à une hauteur d’ 1,5 m. C’est agréable de barboter dans l’eau tiède et le sable, à condition d’éviter les coquilles coupantes des huitres à moitié enfoncées.
Le véhicule amphibie nous récupère sur une émergence sableuse ressemblant à une plage entourée d’eau et nous confie rapidement au bateau prudent stationné un peu plus loin. Nous  sortons nos sandwichs pendant une traversée  différente de celle de ce matin, sous le soleil avec des teintes d’été et une vue plus dégagée sur la côte.

mardi 11 avril 2023

En attendant Bojangles. Ingrid Chabbert Carole Maurel.

Le roman à succès a été adapté au cinéma, au théâtre et en BD.
« Mr Bojangles » est le titre favori d’un couple d’amoureux qui passe son temps à danser sur la musique de la chanson de Nina Simone.
On ne sait comment ce couple amoureux peut voyager vers autant de lieux de carte postale, avec des dépenses en alcool sûrement élevées même en dehors de leurs fréquentes fêtes.
Camille et Georges sont irresponsables, retirant leur enfant Gary de l’école après des retards répétés. Le papa écrivain « n’a pas entendu le jour se lever », elle brûle le courrier qui s’est accumulé et brutalise l’agent des impôts venant réclamer leur dû à la collectivité.
Gary le petit garçon veut être « chasseur de mouche au harpon ».
Cette poésie de pacotille où l’on croise une grue appelée « Mademoiselle Superfétatoire » et un sénateur, « l’Ordure », ne change pas ses charmantes couleurs quand le petit cercle familial se brise. La belle maman dont la perte de la raison a pu paraître romantique doit être hospitalisée,  le père abandonnant à son tour le petit garçon spectateur de l’amour fou de ses parents. 
Pauvre gosse!

lundi 10 avril 2023

Sur les chemins noirs. Denis Imbert.

Ce film aux beaux paysages n’adapte pas seulement le roman de Sylvain Tesson, écrivain notoire, avec Jean Dujardin en star, il parcourt un chemin de réparation après séparations.
Le marcheur traversant la France du Mercantour au mont Saint Michel a failli perdre la vie et en tous cas sa mobilité, sa mère vient de mourir et sa bien-aimée est partie, il a arrêté de boire.
Parfois rejoint par un ami ou sa sœur à qui il donne des raisons de s’inquiéter tant sa volonté l’approche souvent de l’imprudence, il cherche le silence en évitant les sentiers balisés.
Les réflexions du randonneur solitaire, empreintes de misanthropie, sont contredites par des rencontres brèves mais riches avec une néo-rurale, un vieux paysan, un moine de Ganagobie, une tante, un jeune compagnon de hasard…
Au-delà d’un récit où le courage personnel force le respect, nous sommes invités autour de feux de bois à considérer la géographie de notre monde. Nous goûtons une fois encore la beauté de la France et percevons le vide qui sonne dans une des diagonales de notre hexagone quand à un rond point s’abime une banderole à la recherche d’un médecin.
L’expression « dormir à la belle étoile » a quelque charme poétique mais je la laisse volontiers au rayon des souvenirs. Je préfère contempler et réfléchir un peu pendant une heure et demie, à laquelle aurait pu s’ajouter un quart d’heure de plus, depuis un bon fauteuil plutôt que de me ruiner un peu plus le dos dans les éboulis. 

dimanche 9 avril 2023

Ombres portées. Raphaëlle Boitel.

Des scènes de théâtre, des séquences de danse et des performances circassiennes se juxtaposent sans se parler sous une musique soulignant le pathos.
Les non-dits de cette chronique familiale sont appuyés par des dialogues parfois volontairement ou pas inaudibles, autour d’un père impavide et des filles excitassées. 
Le drame braillard succède à des scènes au comique insistant si bien que je me suis identifié au muet de la famille ne parvenant pas à éteindre la radio.
Il n’y a bien que la stroboscopique lumière pour apporter quelque peu d’originalité, à cette heure dix qui s’étire. Le titre est juste, car «ombre portée» c’est la « zone d’ombre résultant de l’interception de la lumière » bien jolie, mais le propos est resté obscur.
Pourtant la première image de l’acrobate sur sa corde est belle, et ses paroles dites sans essoufflement ajoutent à la performance. Mais bien vite entre rêve et cauchemar, rire et souffrance, la poésie disparaît aussi vite qu’elle est apparue.
La chorégraphe dit elle-même : 
« L’univers tragi-comique et la métamorphose, propres à Kafka, ont toujours été présents dans mes projets. De façon poétique, Ombres Portées, aussi inspiré des polars des années 50, du cinéma de science-fiction et de la bande dessinée, nous plonge dans des destins qui basculent. » 
Tout ça ? C’est un peu lourd pour un spectacle qui se voudrait aussi aérien. 

samedi 8 avril 2023

Le cœur innombrable. Anna de Noailles.

Il y a belle lurette que je n’avais lu un livre de poésie, mais pour avoir croisé quelques vers charmants de la belle mystérieuse, j’ai osé aller chercher ce recueil dans un coin exilé de la librairie; quelle audace! 
« La forêt, les étangs et les plaines fécondes
 Ont plus touché mes yeux que les regards humains.
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains. »
Loin des anecdotes, sa sensibilité envers la nature traverse les époques.
Elle saisit avec finesse les variations des saisons dans un univers de beauté, de tendresse.
« Serrer entre ses bras le monde et ses désirs
Comme un enfant qui tient une bête retorse,
Et qui mordu, saignant, est ivre du plaisir
De sentir contre soi sa chaleur et sa force. »
 
Mais les molles complaisances, qui pourraient naître d’un excès d’élégies, s’éloignent lorsque la mort familière apparaît derrière chaque statue. 
« Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment
Les rives infidèles,
Ayant donné ton cœur et ton consentement
À la nuit éternelle… »