mercredi 15 mars 2023

Angoulême # 4

A notre réveil, le brouillard et les nuages enveloppent le jardin et l’intérieur dans une lumière cotonneuse d’une autre saison, mais le baromètre est optimiste pour la suite de la journée. Nous parquons la voiture à 9h30 au même endroit qu’hier.
Au programme, nous envisageons de suivre le parcours établi par l’Office du tourisme, reliant essentiellement  les murs recouverts par les peintures de BD. Il nous conduit par la même occasion dans des quartiers que nous n’aurions pas fréquentés autrement.
Nous passons ainsi devant l’église Saint André construite dès le XII° siècle, fermée à la visite à cette heure pour nous trouver ensuite face à la modernité de l’Alpha.
L’Alpha constitue un ensemble de médiathèques et de lieux culturels conçu par l’architecte Françoise Raynaud. Il est composé de cinq bâtiments imbriqués et superposés appelés « mondes » (continents..) formant un A dirigé vers le ciel.
Pour continuer notre chemin, une passerelle enjambe les voies de chemin de fer  d’où nous pouvons voir en taille XXL
- « l’archiviste » de François Schuiten.
- La gare se pare d’une statue de « Lucien » qui se prélasse au- dessus de l’entrée
- tandis que le parvis recueille  un « menhir » avec Astérix et Obélix représenté dans la pierre et un « obélisque » gravé de leurs répliques cultes.
Dans les rues adjacentes avec quelques zig et zag, nous parvenons à voir :
- « Le jardin extraordinaire »de Florence Cestac
- « New York sur Charente » de Nicolas de Crécy
- « 1er RIMA ancré dans sa ville » de Fawzi Baghdali
- « Un samedi à Malakoff » de Margerin (avec Lucien)
- les portraits de « Lucky Luke » « des Dalton » et de «Jolly Jumper » de Morris
- « La fille des remparts » de Max Cabanes
- « Avec le temps » de François Schuiten
- « Les pieds nickelés » de Pellos
- « Le monde  de René Goscinny » de Moon et Catel-
« Blake et Mortimer » sur deux  toiles marouflées
- « Le voyage au travers des images » de Philippe Druillet
- « Le cosmos d’Uderzo » de François Boucq
- « Titeuf » de Zep
-Nous avions déjà aperçu  plusieurs fois « Kirikou » de Michel Ocelot illustré près des chais et de notre parking et choisissons d’abandonner notre quête des quelques peintures murales restantes (« Réalité sortie de secours » de Marc-Antoine Mathieu ou « Cubitus » par exemple) au profit d’une pause méridienne bien méritée.
Nous nous installons dans la brasserie le saint Germain  sur une place tranquille du vieil Angoulême et apprécions nos salades gourmandes  notre bière et notre café.
L’intérieur de l’établissement n’échappe pas à l’engouement de la BD, où Tintin et Milou juchés sur un chameau se détachent sur une glace.

mardi 14 mars 2023

L’étreinte. Jim & Laurent Bonneau.

Cette BD de 300 pages m’a surpris, séduit, poussé à la réflexion et à l’admiration davantage que tant d’autres productions de l’heure, plus bruyantes.
Je ne révèlerai pas grand-chose du scénario dont la richesse n’est pas le moindre attrait du livre, le dessinateur déjà apprécié ici a trouvé un complice virtuose en écriture.
« Il faut ou se renfermer, ou s’habituer à avoir de la poussière dans les yeux quand il fait grand vent. » Diderot
Les délices de la vie s’apprécient encore plus quand la mort inconcevable débaroule.
Alors se jouent les contraires les plus saillants, les amours absolus, les trahisons, la culpabilité, la beauté, les arrangements, la douceur, les complicités, les solitudes, la création : 
« Deviens sans cesse celui que tu es, sois le maître et le sculpteur de toi-même. » Nietzsche.
Les citations ci-dessus parfaitement illustrées entre Cadaquès et Paris ne se résument pas à des placages artificiels : les deux philosophes ne sont pas déplacés quand le désir de vivre se risque dans les paradoxes, quand une « passante » croise l’éternité et que la profondeur jongle avec la légèreté.

lundi 13 mars 2023

Alma viva. Cristèle Alves Meira.

« Les vivants ferment les yeux des morts, les morts ouvrent les yeux des vivants ». 
Le cercueil de la grand-mère dans un village au nord du Portugal est au centre du film, et une petite fille, pour laquelle un prix d’interprétation n'aurait pas été volé, partage le deuil porté par trois générations de femmes aux paroles vigoureuses.
L’amour parfois brut de décoffrage est bien là. Il y a les familles revenant de France et ceux qui sont restés tandis que les incendies se rapprochent.
Une part de fantastique met à jour les tensions ancestrales, les mesquineries comiques et les dilemmes essentiels de la transmission et de l’émancipation.

dimanche 12 mars 2023

Une jeunesse en été. Simon Roth.

Inspirés par le film de Jean Rouch et Edgard Morin : « Chronique d’un été » (1961) le jeune auteur et sa troupe ont recueilli les avis de personnes rencontrées en faisant de l’auto-stop. 
La question initiale : « Comment vis-tu ? Comment te débrouilles-tu avec la vie? » et ses variantes va amener des réponses élémentaires concernant le bonheur, la mort, les liens, le genre, l’image de soi… parfaitement retranscrites dans des évocations poétiques ou drôles, des monologues émouvants ou tonitruants, des dialogues de sourds (générationnels).
Lors d’un micro trottoir projeté sur l’écran en fond de scène :  
«- Etes-vous heureux ?
 - Oui… à Grenoble : non ! » (rires)
Les défauts d’une première production, où « je - je » s’expose, en arrivent à être attendrissants tant cette heure quarante cinq pétille, se situant à la hauteur de l’ambition affichée :«  dramaturgie plurielle » voire «  nouveau souffle au théâtre français ».
Pourtant un plateau encombré de palettes et de pneus avec monologue initial devant la salle éclairée était plutôt conventionnel. Mais la combinaison virtuose entre vidéo et acteurs en live synchronisant des témoignages s'avère féconde. Une femme prête sa voix à un homme, une blonde joue un Sénégalais, et bien vite toute polémique à propos de l’appropriation valdinguent. 
La fidélité du théâtre à la vie, la place des acteurs et le plaisir du jeu se revisitent avec légèreté. 
A travers des témoignages pittoresques ou banals qui ne sont pas les moins signifiants, le respect de la parole des personnes interrogées est évident qu’elle soit recueillie à Notre Dame des Landes ou auprès d’un prêtre. 
Un théâtre humaniste, un théâtre honnête.

samedi 11 mars 2023

Regain. Giono.

Comme une pierre qui délimite un champ, ce livre témoigne pour moi des étapes d’une vie qui se superposerait volontiers à l’histoire d’une époque voire à celle de notre condition humaine. 
« On est peu à peu arrivé à ce temps où l’hiver s’amollit comme un fruit malade. Jusqu’à présent, il était dur et vert et bien acide, et puis d’un coup le voilà tendre. » 
Adolescent, je fus emporté par le style foisonnant du résident de Manosque, puis gavé de trop d’adjectifs, je pris mes distances avec « la terre qui ne ment pas ». 
Je retrouve sur le tard cet ouvrage fort, autant par la manière que par le fond : un chasseur-cueilleur redevient agriculteur prenant le chemin inverse de ceux qui prônent en ce siècle 2.0, un retour au paléolithique d’avant la propriété capitaliste. 
« Ça a changé depuis la tombée du jour : une force souple et parfumée court dans la nuit. On dirait une jeune bête bien reposée. C’est tiède comme la vie sous le poil des bêtes, ça sent amer. Il renifle. Un peu comme l’aubépine. Ça vient du sud par bonds et on entend toute la terre qui en parle.Le vent du printemps ! » 
Un hymne à la nature et à l’homme tellement évident qu’il n’est pas besoin de surcharger de précautions oratoires ou d’allusions à d’anecdotiques verts vaseux.
Il suffit de reprendre des bribes pour dire le bonheur de la lecture à chaque phrase : 
« Les bords transparents du ciel s’appuient de tous les côtés dans l’herbe » 
« Un grand silence craquant comme une pastèque »… 
Les parfums de la Provence, les rudesses d’un temps passé, la confiance en la vie, jaillissent de chacune des 177 pages que l’on aurait envie de lancer comme grains de blé en bout de « geste auguste du semeur ». 
« Il a des chansons qui sont là, entassées dans sa gorge à presser ses dents. Et il serre les lèvres. C'est une joie dont il veut mâcher toute l'odeur et saliver longtemps le jus comme un mouton qui mange la saladelle du soir sur les collines. Il va, comme ça, jusqu'au moment où le beau silence s'est épaissi en lui, et autour de lui comme un pré. »

vendredi 10 mars 2023

Sembler.

Du temps des foules sentimentales, il faisait bon chanter : « tous ensemble (bis) » mais maintenant que les blocs jaunes croisent les gilets noirs, la fraternité ne s’use qu’en petits comités. 
Régresse aussi tout sentimentalisme, quand les émotions sont sollicitées plus que de raison dans le débat politique ou lorsqu’invectives et bras d’honneur passent devant tout argument sensé. Face à un jeune Président au travail, des vieux épuisés et d'autres qui ne veulent plus se lever, sauf le poing.
Les blocages effectués par les plus déterminés contraignent leurs collègues là où les difficultés des conditions de travail sont inversement proportionnelles aux positions stratégiques et aux capacités de nuisance des boutefeux.
Depuis « Toujours plus » de De Closet, très années 80, les corporatismes existent toujours comme les inégalités, bien que les régimes spéciaux se rebiffent au nom de l’égalité.
Les anonymes se lâchent sur les réseaux sociaux mais la prudence domine et les micros s’éloignent quand il s’agit de contredire les cris dominants, les communiqués de presse fournissant les journalistes en éléments de langage.
Les intentions les plus noires sont prêtées aux « assassins » qui osent la réforme et leur tête de caoutchouc est écrasée sous le pied d’un député.
Certains  osent parler sans scrupules de précipitation pour une réforme des retraites qui occupe les colonnes depuis des décennies ; ce n’est jamais le moment.
Dans le genre « gonflé.e », une des représentantes d’ « Osez le féminisme » déclare que les féminicides sont dus à « notre culture judéo-chrétienne » comme si sous d’autres cieux les femmes n’avaient rien à craindre ! Par contre ce type de réflexion est bien de chez nous quand les critiques portent en priorité sur nos pairs, pères aux larges épaules.
Au fil des semaines, nous attendons la pluie comme un épisode de beau temps. Et à force, l’homme bon de Rousseau Jean-Jacques se liquéfie et s’approche du détestable. Son visage se grêle sous quelques pointillistes remarques tirées d’une actualité dont j’essaie pourtant de m’éloigner. Une autre Rousseau s’avère désormais plus bruyante que le promeneur solitaire, les médias qui n’ont trouvé que Sardou à lui opposer ont choisi leur camp, sans que l’humanisme y gagne.  
« Le diable est diable parce qu'il se croit bon. » Ramiro de Maeztu.
Je viens d’un temps où Just Fontaine s’émerveillait qu’on le paie pour jouer au ballon, alors les galactiques sommes qui circulent maintenant dans ce milieu me semblent venir d’un autre univers. Il reste essentiellement la nostalgie du sourire de Pelé, d’un drible de Kopa  pour se rattacher quand même aux dramaturgies présentes.
Le décalage est du même ordre en comparant l’école maîtresse des places villageoises dont les agents savaient ce que civisme et République signifiaient et celle qui a réduit ses horaires. Le SNES est contre le SNU (Service National Universel) destiné pourtant à créer du commun au pays du « tout pour ma gueule ». Les «  Contretout », estiment cette entreprise « totalitaire » risquant d’empiéter de surcroit sur les heures de cours qui pourraient subsister après quelques jours de grève. 
« La puissance militaire remporte des batailles, la force morale remporte les guerres. »
G. Marshall

jeudi 9 mars 2023

Camille Claudel. Gilles Genty.

Le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble s’est attaché à mettre en lumière l’originalité artistique de la sculptrice, 
occultée trop souvent par sa relation passionnelle avec Rodin auquel elle a offert des solutions inattendues ou sa folie progressive. 
« Portrait de Camille Claudel à 20 ans »  au Musée de Nogent sur Marne. 
La famille de trois enfants a suivi  là, le père nommé conservateur des hypothèques, « lieu de sa naissance artistique » où Alfred Boucher le fondateur de « La ruche » reconnaît son talent. Elle s’installe à Paris avec sa mère qui était plutôt réticente envers sa vocation alors que son père l’encourageait dans cette voie. Elle s’installe en colocation avec des anglaises tout en suivant des cours à l'Académie Colarossi.
« Le Portrait de Paul Claudel »
, son frère auquel elle vouait une grande admiration fut remarqué par Rodin et le baron de Rothschild.
« La Vieille Hélène »
, représente une des domestiques de la famille, 
les dessins préparatoires subsistants sont rares.
Rodin fut son modèle, son mentor, son idole, «  Camille au bonnet ».
« Quêtant inlassablement la perfection des gestes, des poses des effets de matière, elle est une travailleuse acharnée, perfectionniste parfois jusqu’à l’épuisement. »
Une des premières œuvres de Camille, la « femme accroupie » peut se rapprocher de celle de Rodin figurant dans l’ensemble des portes de l’enfer.
Dans les divers processus de création des éléments peuvent être repris, diminués, augmentés transposés.
Quand pour l’Opéra, Garnier choisit « La Pythie » de Marcello qui n’est autre qu’Adèle d’Affry, duchesse de Castiglione, celle-ci est soupçonnée d’avoir moulé son propre corps.
Sarah Bernhardt, l’actrice, était aussi sculptrice : « Autoportrait en chimère »,
son « Coupe-papier », inspiré par des algues, surprend par sa modernité.
Les jeunes femmes pouvaient accéder à « L'Académie Julian » avec ses six ateliers répartis sur Paris.
« Galatée » d’Auguste Rodin serait un hommage
à « La jeune fille à la gerbe » de Camille Claudel.
Le parallèle entre « Sakountala » et « L’éternelle idole » peut aussi être tracé.
Elle marche vers la modernité, son « Portrait de Rodin » allie naturalisme et expressionnisme
et plus encore avec « Clotho » la Parque qui tisse le fil de l’existence, 
« vieillarde gothique emmêlée dans sa propre toile ».
Rodin ne quittera pas Rose Beuret son premier amour. 
Ce moment est évoqué dans « L’Âge mûr » où la séparation est un long processus.
« La valse »
, autobiographique, a connu plusieurs versions :
« Cette Valse ivre, toute roulée et perdue dans l’étoffe de la musique, dans la tempête et le tourbillon de la danse » Paul Claudel, 1905. 
« Un haut et large esprit a seul pu concevoir cette matérialisation de l’invisible » Léon Daudet.
Le marbre monumental de Camille Claudel, « Persée et Galatée » a été taillé par François Pompon.
« Vertumne et Pomone »
représente « les amants parfaits ». 
Elle meurt à l'asile de Montfavet en 1943 à l'âge de 78 ans après 30 ans d’internement. 
«Tout cela crie, chante, gueule à tue-tête du matin au soir et du soir au matin. Ce sont des créatures que leurs parents ne peuvent pas supporter tellement elles sont désagréables et nuisibles. »