mardi 28 février 2023

Manhattan beach 1957. Hermann Yves H.

Ce road movie en voitures volées des années 50 avec flashbacks à partir d’une enquête policière de 1976 ravive des souvenirs chez un flic nostalgique.
Il a rêvé de Las Vegas, de sa belle d’autrefois, de ponton face à l’Océan du côté de Los Angeles.
Les dessins magnifiques installent une atmosphère familière avec Elvis Presley en fond sonore parfois installé à l’arrière des limousines, si bien que le scénario passe au second plan. 
 Le classicisme peut lasser ou rassurer : ces 54 pages tranquilles, sans surprises, se découvrent agréablement mais ne laissent pas de trace durable.       
 

lundi 27 février 2023

Tár.Todd Field.

Approche contemporaine de la grande musique dont une seule séquence du « Clavier bien tempéré » de Bach ferme la bouche de la « cancel culture » et vous transperce.
« Le narcissisme des petites différences mène à une ennuyeuse conformité ».
Du grand cinéma et une grande artiste, tout le monde l’a dit : Cate Blanchett. 
Alors que bien des critiques insistent sur les jeux de pouvoir, cette approche du monde de la musique dans l’intimité d’une énigmatique cheffe d’orchestre est passionnante tout en gardant son mystère, son prestige. 
Le personnage principal semble inatteignable avant d’être brisée. 
Ses passions passées la rattrapent mais son homosexualité n’est ni un problème ni un emblème.
Ceux qui la servent, serviles, consciencieux, sont transcendés par la force d’un orchestre répétant Mahler et de celle qui dirige. 
Le sublime se perçoit et une force vitale et indicible se devine transmise à travers les générations, même si les escaliers du présent sont parfois durs. 
« La musique peut nommer l’innommable et communiquer l’inconnaissable. » Bernstein
Loin des démonstrations habituelles avec méchants et gentils, les contradictions sont en chacun de nous, exécutants ou démiurges, la rédemption sera-t-elle à la clef ? Alors que de coûteuses exigences peuvent se dissoudre en complaisantes fleurs bleues, un chef hors du circuit peut bénéficier de discrètes faveurs et la tendresse aller vers une petite fille à consoler.

dimanche 26 février 2023

Harvey. Laurent Pelly.

Ah, l’humour ! Alors que je regrette son effacement dans nos rapports sociaux, au milieu d’une salle rieuse, je me suis senti hors du coup, trouvant cette pièce de Mary Chase de 1944 sans saveur, avec en vedette
un Jacques Gamblin muni de son Molière, surévalué.
Il n’y a que la mise en scène de Laurent Pelly à sauver qui essaie de donner un peu de rythme à cette heure quarante bien longue. Les changements véloces de décor jouant sur les illusions de la réalité sont les éléments les plus convaincants pour illustrer la thématique principale: qui est fou ?
Le gentil personnage central a un ami imaginaire gênant sa tante et sa fille au point qu’elles souhaitent le faire interner, d’où une suite de quiproquos.
Mais la gestuelle mécanique, une poésie à la Jacques Tati, un humour désuet qu’on n’oserait dire de boulevard, un absurde british, une loufoquerie genre Benny Hill m’ont semblé aussi surannés que le téléphone qui scande le début de la représentation avec fille niaise, mère évaporée et psychiatre frapadingue. 
S’il suffit aux critiques de l’évocation d’un lapin pour invoquer Lewis Carroll, qu’ils me communiquent l’adresse de leur droguerie pour que je décolle de cette terne représentation.

samedi 25 février 2023

Mémoire de soie. Adrien Borne.

 Il faut s’habituer au style lyrique quelque peu chargé pour partager cette histoire de paternité. « Elle fait tomber ses logiques au feu léger de ses élégances » 
Même si la métaphore autour de la soie titre chaque chapitre, la magnanerie qui a flambé n’est qu’une toile de fond. L’activité d’élevage des vers à soie était déjà en déclin au moment de la première guerre mondiale. Mais les arabesques d’écriture magnifient le travail et laissent de la place au lecteur pour interpréter les silences, les mystères, les blessures, les malheurs d’une famille dans le Drôme provençale, comment on survit. 
« Émile s’assure que le ciel est déjà vif. D’un bleu peigné de Mistral. » 
L’amour comme la violence en ce début du XX° siècle prennent des aspects pas toujours conformes aux déroulés qui nous sont familiers, quand est mise à l’orphelinat une petite qui n’est pas orpheline, pas plus qu’elle n’était folle quand elle fut enfermée dans un asile pour aliénés. 
« Elle avait tout connu sans rien connaître, elle avait aimé sans même en avoir le temps, elle avait été mère avec à peine le désir d'enfanter, elle avait été malheureuse en ayant tout juste salivé du bonheur. »
Forte, elle accepte son sort quand elle passe d’un internement à d’autres, d’un frère à l’autre sous l’autorité d’une méchante matrone. 
« Alors les gamines de ton cru, elles foutent le camp ou elles s’inclinent. Dans cette famille, les baveuses et les duchesses, très peu pour nous. Et tu m'as tout l’air d'être les deux à la fois. Bien bavarde et bien précieuse. »
La guerre et la grippe espagnole emmenaient les hommes, la vie n’était pas très soyeuse.

vendredi 24 février 2023

Au boulot.

La dame de 64 ans pose le dernier Goncourt et va gratter le pied de ses rosiers. 
A quel moment elle bosse ?
Pas besoin forcément de gants pour extraire de terre une pomme, alors que pour certains se taper Joyce relève toujours du pensum.
Le passage d’une activité à une autre ne peut se décrire sous l’oxymorique vocable :« gestion du temps libre », quand la frontière entre travail et loisir fluctue suivant les époques.
Culture et nature : « ne reste pas le nez dans tes livres !» désormais obsolète, versus «  le jardinage me détend » plutôt tendance.
Revoilà sempiternellement travaillée la notion de travail au moment où se repose encore la date de nos mises en retrait : gagne-pain de hasard ou œuvre d’une vie.
La séquence parlementaire qui aurait pu être éminemment politique enfonce les tactiques politicards, quand les propositions les plus évidentes disparaissent sous les colifichets, dans un brouhaha théâtralisé à ranger dans la catégorie « querelles byzantines » aux fragrances décadentes. 
La dérision n’est que l’autre face d’une pièce où s’exagèrent les enjeux dans le déni des contraintes.
Une accumulation de signes inquiétants chez nos compatriotes auraient pu sembler plus urgente à traiter : maladies psychosomatiques, fatigues, congés sabbatiques avant de s’y mettre, démissions. 
Il y a du pain sur la planche pour les chercheurs qui ne veulent chercher qu'aiguilles dans bottes de foin, sans connaître les prairies.
Des crédits universitaires ont été débloqués en Norvège pour des études autour des peintures blanches des murs qui seraient un signe d’assouvissement raciste : de quoi se rouler dans la neige, se faire un rail ou au moins s’avaler un petit blanc.
Pour le reste, il n’y qu’à passer par les cabinets de conseils.
D’autres études cependant fouillent, des recherches creusent, mais les tweets gagnent à la fin, surtout quand la haine les met en évidence parmi tellement de mots nous sommant, nous assommant, qu’on ne sait de quel côté fuir.
La place laissée vacante par les professeurs sachant professer voit se succéder tant de donneurs de leçons. A l’instar des bonnes âmes qui ne voulaient pas que leur obole à un clochard finisse en vin, voilà que des publications distinguent loisir consumériste et temps consacré à l’épanouissement humain pour flécher nos libertés qui ne sauraient être débridées.
Sûrement que la vacance correcte recommanderait la fréquentation de lieux artistiques, mais à user avec circonspection, quand du pays de Biden, de toxiques injonctions sont prises au sérieux interdisant aux acteurs de jouer un homo s’ils sont hétéros… de doubler Mickey s’ils ne sont souris !
Lieux des alertes, les arts sont en crise et les commentaires à leur suite: je cherche la plupart du temps en vain des critiques en matière théâtrale où l’entre-soi semble le plus installé, masqué derrière des écriteaux appelant à ce qu’ils ont chassé: ouverture, simplicité, légèreté, modestie, humour.
Cette frilosité autour du spectacle vivant se retrouve dans des commentaires certes plus abondants autour des films où domine un conformisme frileux tel qu'il se retrouve aussi sur les plages musicales quand ne sont guère critiques les habituels prescripteurs envers les fans et les enfants de « Nique ta mère ».
La minceur des propositions artistiques contemporaines s’accompagne de gloses volumineuses, et aux portes des galeries dans lesquelles s’exposent des objets minimalistes de gigantesques fresques les serrent comme étaux.
«Ceci n'est pas une pipe» titrait Magritte  sous une peinture, mais un couteau est un couteau à Saint Jean de Luz ou ailleurs.
Quand les notions de bon et de beau sont mises à la question chaque matin, les injonctions nouvelles amènent à confisquer le dernier Vivès au profit de la dernière Nobel.
Je me tiendrais volontiers dans une position méprisante à l’égard des méprisants sermonneurs et autres doctes universitaires. Ils préfèrent en revenir au temps des colonies ou étudier quelques barbaries machistes paléolithiques plutôt que voir comment contrarier les fatalités sociales, réhabiliter le travail et tenir sa place dans la société. 
« A vouloir enseigner trop de médecine, on n'a plus le loisir de former le médecin. » 

jeudi 23 février 2023

Keith Haring. Damien Capelazzi.

Le conférencier présente devant les amis du musée de Grenoble, le turbulent dessinateur qui voulait devenir « artiste en France », dès son enfance en Pennsylvanie où il est né en 1958.« Keith Haring, Autoportrait »
Ses formes stylisées, cernées de noir viennent des BD paternelles et de Dubuffet chercheur d’art chez les fous, du temps des surréalistes, « Ontogénèse ».
L’expressionisme naïf d’Alechinski, « Voilée comme une mariée », sa liberté de geste lui donnent confiance avec des vignettes commentant le motif central comme autant de « remarques marginales » ainsi que disent les typographes.
Il découvre avec Cristo, l’importance de l’art dans l’espace public.  
« Art is the message », la beauté n’est pas que pour l’élite.
Par ailleurs, « Running Fence », peut rappeler par son gigantisme (37km) que le sentiment de Dieu, ayant pourtant perdu de sa superbe dans les pays riches, vient combler les grands espaces de la patrie de Gerarld Ford.
Haring réalise des collages à partir de journaux au moment où l’épisode du Watergate a montré la puissance de la presse, il détourne des publicités. Il avait rencontré un des membres éminent de la « beat génération », William Burroughs adepte du « cut-up » avec des textes nés de découpages d’autres écrits, puisque la poésie est un bien public.
L’art conceptuel de « Marcel Duchamp en Rrose Sélavy », à la consonance juive,  
« Éros, c'est la vie », comme l’art abstrait apparaissent  finalement trop complexes.
Bien que les dématérialisations de Kosuth « Neon »
ou les panneaux de Jenny Holzer éclairent. « Protect me from what I want».
Mais c’est Warhol en refusant toute hiérarchie dans l’art qui va motiver toute cette nouvelle génération, en anoblissant les objets du quotidien comme le fit
Le Caravage avec les « putains ». « Campbell's Soup Cans ».
« L’amoureux de la culture la plus savante comme de la plus populaire » 
va renouveler le graffiti urbain, performatif et spontané. 
« Lichtenstein, Mapplethorpe, Schnabel, Rauschenberg, Basquiat, Haring » connectent street art, rap, hip-hop.
Avant sa première exposition chez Tony Shafrazi, il dessine à la craie dans le métro sur des espaces publicitaires vides.
Pendant cinq ans, il réalise 5000 dessins dans une urgence qui va conditionner son style.
Il a trouvé son public qui dans « The Radiant Baby », reconnait une énergie, une innocence, un optimisme dont la société a tellement besoin.
« Retrospect »
Son vocabulaire « simple pour les enfants et trop compliqué pour les adultes » est reconnaissable à ses dauphins, postes de télévision, masques, chiens aboyeurs protecteurs ou menaçants, serpents, anges, danseurs, soucoupes volantes...
où peut se retrouver l’allure des « Géoglyphes de Nazca » au Pérou.
Il organise des expositions et des performances au Club 57, au Mudd club fréquenté par Madonna, compagne de Basquiat, dans une effervescence digne des cabarets berlinois des années 20.
Il peint le corps« primitif et pop »  de Grace Jones chanteuse disco au Paradise garage.
«Ignorance = Peur», «Silence = mort»
Depuis toujours engagé contre le racisme, l’homophobie, le nucléaire, son dernier combat concerne le Sida dont il meurt en 1990 à l’âge de 31 ans.
Sa fondation lègue à l’Eglise Saint Eustache « La vie du Christ », triptyque réalisé sur argile puis fondu en bronze recouvert d’une patine à l’or blanc.
Il avait peint dans les toilettes d’Act Up : « 
Once Upon a Time »,
« An assortment of accessories from the Keith Haring x CASETiFY »
Dès 86 son Pop Shop permet d’acquérir ses œuvres « au détail », autrement dits des produits dérivés : vêtements, posters, mugs ... 
« L’art n’est pas une activité élitiste réservée à l’appréciation d’un nombre réduit d’amateurs, il s'adresse à tout le monde. » 

mercredi 22 février 2023

Sur la route d’Angoulême.

Une fois le réservoir rempli dans une station d’essence à Auchan, nous optons pour le chemin des écoliers à travers la campagne périgourdine en suivant un itinéraire alternatif du GPS.
Il nous dirige vers une route des cimes, puis vers Allemans où nous nous arrêtons pour admirer dans un bel espace herbeux, bien fauché  un ensemble  avec une église surmontée de son clocher du style de Saint Front et un manoir sans doute municipal aujourd’hui, mais clos dans l’attente de dons pour rénovations. Un village bien joli mais désert : Personne n’arpente les rues hormis une dame d’un certain âge regagnant son logis, aucun bar n’est ouvert pour accueillir les vieux retraités, le travailleur rural en pause ou le rare touriste désireux de siroter son café dans une ambiance « authentique ».
Nous quittons Allemans, sans la boisson convoitée et cheminons tranquillement  jusqu’à Angoulême. Nous y parvenons vers 11h30.
Nous traversons une ville avec des rues montantes et descendantes, sans gout ni grâce au niveau architectural, sans attraits particuliers, et tentons de gagner le centre-ville, alors que les panneaux municipaux nous dirigent invariablement devant la maison d’arrêt.
Mais soyons positifs, nous tombons ainsi au hasard devant quelques murs décorés avec des héros de BD : Angoulême, capitale du 9ème art !
Nous réussissons difficilement à dégoter une place de parking dans une ruelle par derrière la place de l’hôtel de ville, assez bien située pour se rendre à l’Office du tourisme.
Celui-ci réside dans une partie d’un château fortifié équipé d’une grosse tour qui sert aujourd’hui de mairie.
Mais contrairement à d’habitude nous n’obtenons pas beaucoup d’informations ni de propositions sur des opportunités touristiques ou saisonnières, l’employé suffisant camouflant ses manquements derrière quelques blagues pour séduire des ados accompagnés de leurs parents. Nous repartons avec quand même un plan et quelques prospectus glanés sur les étagères.
Nous nous éloignons vers les belles halles de métal et de verre dans lesquelles nous pénétrons. Tandis que nous baguenaudons entre les étals bien présentés, T et J, nos hôtes charentais nous téléphonent pour avancer notre accueil dans leur maison, embêtés mais contraints par des rendez- vous médicaux.
N’ayant pas décidés encore de notre emploi du temps, cela ne nous pose aucun problème  nous partons donc  pour Magnac sur Touvre. La maison des années 70 avec balcon en fer forgé  fait partie d’un lotissement  résidentiel dans une rue tranquille. T. entretient avec soin son jardin bien fleuri et riche de toutes sortes de plantes : agrumes (citrons), plantes grasses, plantes aquatiques... Notre appartement indépendant s’ouvre sur l’arrière de la maison, au milieu des arbres et de  la verdure, il est gratifié d’une terrasse et d’une table pour profiter de l’extérieur. A l’intérieur, l’espace se partage entre une chambre contigüe à une salle à manger/cuisine, et une buanderie permettant l’accès à la salle de bain. Ce logement fonctionnel avait été prévu pour loger les vieux parents des propriétaires aujourd’hui décédés. Une fois installés et sur les conseils bien avisés de T, nous partons déjeuner au p’tit Magnac en voiture car le centre du village n’est pas tout près.
Le restaurant dispose d’une cour intérieure ombragée,  étonnamment fréquentée,  avec un personnel zélé et agréable qui s’affaire à contenter la clientèle. Nous nous installons à une petite table contre le mur d’une ancienne galerie protégée du soleil. Nous nous régalons d’une salade périgourdine, d’un verre de rouge bordelais pour l’un, charentais pour l’autre, et d’un café gourmand. 
Pour digérer, nous nous promenons dans le village, jusqu’à la magnifique église romane du XII° dédiée à Saint  Cybard. Elle forme un joli ensemble avec le
lavoir, en contrebas au bord de la Touvre, qui fait face à des essacs et des anguillards, noms donnés à ces « installations autrefois destinées à capturer des poissons ».
Nous engageons la conversation avec un pêcheur placé au milieu du pont ; de là il épie son comparse immergé dans le lit de la rivière jusqu’à mi-cuisses pour la pratique de la pêche au fouet et commente les opérations du haut de  son perchoir.
Au cours de la discussion, il regrette la présence de la pisciculture que l’on aperçoit de l’autre côté qu’il accuse de polluer la « rivière réputée dans toute l’Europe pour ses truites ».
Pourtant, des cygnes blancs et noirs, des poules d’eau et autres oiseaux  investissent les lieux et s’y baignent, sans être visiblement incommodés par  une eau dégradée. Il dénonce aussi l’arrivée de foulques, il leur reproche leur bêtise et leur agressivité vis-à-vis des canetons ; il est vrai que les gastronomes de la région apprécient particulièrement ces derniers …. Une concurrence impardonnable.