lundi 30 janvier 2023

Les Banshees d'Inisherin. Martin McDonagh.

Dans les
magnifiques et rudes paysages d’Inisherin, île irlandaise imaginaire, « La dame blanche » des fantasmagories enfantines se présente en terre celte, comme une vieille « banshee » noire, messagère de sombres prophéties. 
Le curé, le policier, le violoneux, l’épicière, le patron du pub ne se montrent pas aussi gentils que le héros de cette fable dont seule la sœur a l’énergie de s’éloigner de ce petit monde de violence. 
Les animaux consolent surtout quand l’amitié entre deux hommes prend fin et que sont abordés dans un scénario limpide qui laisse le temps de s’interroger sur le silence, la solitude, la vieillesse, la mort… tout en ménageant des surprises.
Le réalisateur de « Three Billboards » (Les Panneaux de la vengeance) sait mettre les acteurs en valeur et on se régale avec des dialogues drôles dans un univers dramatique sur fond de guerre civile dans les années 20 (1920). 
Je recopie dans Allo ciné où des avis d’amateurs valent parfois autant que ceux de professionnels :  
« Blaise Pascal écrivit que "les hommes, n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser (...) Mais comment s’y prendra‑t‑il ? Il faudrait, pour bien faire, qu’il se rendît immortel." »

dimanche 29 janvier 2023

Edmond. Alexis Michalik.

Le théâtre du Palais-Royal à l’italienne avec ses moulures, ses dorures, était parfait pour cet hommage à Rostand Edmond auteur de « Cyrano », devenu emblématique du caractère français. 
« C'est un roc ! C'est un pic ! C'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? C'est une péninsule ! » 
A la toute fin du XIX° siècle, les vaudevilles de Feydeau et Courteline triomphent sur les boulevards et Strindberg, Tchékhov, Ibsen incarnent déjà la modernité, alors le dramaturge quasi trentenaire a bien du mérite à croire obstinément en ses alexandrins.
« Je me les sers moi-même, avec assez de verve 
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve » 
Il faut toute la confiance de l’acteur Coquelin commanditaire d'une pièce en cours d’écriture pour en tenir le rôle principal.
Nous croisons Sarah Bernard amie du couple formé par Edmond et Rosemonde Gérard qui passe des dettes à l’abondance, en des péripéties alimentant une dramaturgie épique où le panache est servi sur un plateau. 
« Que dites-vous ? C'est inutile ? Je le sais ! 
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès ! 
Non !Non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! »
La pièce colorée, récompensée par 5 Molières, jouée plus de 1 000 fois et vue par 700 000 spectateurs, entremêle la vie romancée et la fiction sur un rythme soutenu. L’humour se combine avec le romantisme et aborde des questions sur la fidélité, la création, le succès. 
Le propos va au-delà d’un biopic plaisant et renouvelle avec simplicité en un rythme allègre, l’éternelle représentation du théâtre au théâtre. Les douze acteurs partagent leur plaisir de jouer avec un public enchanté d’avoir passé deux heures délicieuses garanties sans OGM   (Objurgations Généralement Militantes).

samedi 28 janvier 2023

La ligne de nage. Julie Otsuka.

Quelques pages peuvent dire l’épaisseur de la vie quand la pudeur vient servir une écriture élémentaire décrivant aussi bien les relations de surface que les liens souterrains, les moments routiniers ou les instants exceptionnels.
Dans un genre différent de son livre précédent, c’est la même puissance sans éclaboussure. 
Une fissure est apparue au fond d’une piscine au moment où la conscience de la mère de la narratrice se défait.
La métaphore d’un humour subtil vaut aussi bien pour notre destin particulier que pour celui de notre humanité. 
Les explications complètement fantaisistes du phénomène, les dénis, les fuites, les interprétations péremptoires, ont évoqué pour moi bien des commentaires sur les causes de la COVID ou les considérations les plus diverses à propos du réchauffement climatique ou des problèmes énergétiques.
« … la fissure est-elle transitoire ou définitive ? Superficielle ou profonde ? 
Maligne, bénigne ou - James, l’expert en éthique de la ligne deux - moralement neutre ? 
D’où vient-elle ? Quelle est sa profondeur ? Y-a-t-il quelque chose dedans ? A qui la faute ? Peut-on renverser la situation ? 
Et surtout : Pourquoi chez nous ? » 
Si nous en sommes au moment du tri dans nos vies : 
« pour un chemisier oublié qu’elle a acheté en solde chez Mervin »,
on saura de quoi il est question : 
«  Mets le de côté, j’en aurai peut être besoin un jour quand je serai à l’EHPEAD. Sur ce elle éclate de rire. Et toi aussi. Parce que c’est une blague ! Elle ne le pensait pas. Elle voulait simplement rigoler. Aujourd’hui, lorsque tu lui rends visite elle porte le chemisier en polyester de chez Mervyn. » 
Il est des moments où le rappel des évidences est salutaire et passe bien quand les parenthèses mettent de la distance. 
« Que la vie au-dehors continue exactement comme avant mais sans vous (eh oui). » 
Et on n’en saura rien : 
« … à chaque souvenir que vous oublierez, vous vous sentirez un peu plus légère. Bientôt vous serez tout à fait vide, habitée d'absence et, pour la première fois de votre vie, vous serez libre. » 

vendredi 27 janvier 2023

6 mois. Automne 2022 hiver 2023.

Comment ne pas trouver futile la couverture de la revue du photojournalisme consacrée à « la révolution jeunes » quand le conflit ukrainien occupe plus de 50 pages sur 292 ?
Comme toujours les textes sont forts : 
«  Une photographie, tout en conservant la trace de ce qui a été vu, se réfère toujours et par nature à ce qui n’est pas vu. » John Berger  
Il en faut des pages et des pages pour contrarier nos attentions clignotantes. 
Le choix des images accompagné de commentaires qui décrivent le hors champ nous sort des brouillages numériques disparaissant aussi vite qu’ils apparaissent.
L’histoire de la rencontre d’une vieille dame et d’une toute petite voisine à Barcelone nous fait du bien,
car il n’y a plus guère d’oasis  même sous forme de métaphore
et en réalité dans le désert marocain.« On achève bien les îlots trésors ». 
Maradona a pansé bien des plaies quand il jouait à Naples
et la rupture d’une fatalité de maltraitance d’une femme à New-York pourrait être accueillie sur le plateau de la positivité si ce problème n’était pas récurrent partout dans le monde.
Le destin de Lula est aussi un exemple de réussite incroyable.
Des visages de passants chinois ont beau être mélancoliques, ils sont beaux,
contrastant avec la désolation des terres péruviennes sur lesquelles souffrent des populations misérables.
Alors la jeunesse ? 
Des ados voire des enfants sont impatients de changer de sexe,
d’autres se perchent dans les arbres pour défendre la forêt en Allemagne,
des enfants d’immigrés se cherchent en Italie,
alors qu’en Afrique du Sud, la mixité n’est pas acquise trente ans après la fin de l’apartheid.    

jeudi 26 janvier 2023

L’art du faux. Laurent Abry.

Il convient d’évaluer l’intention pour distinguer un vrai faussaire d’un étudiant copiant les grands maîtres, précise le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble. 
« Le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg » ne présenterait qu’une moitié de tableaux authentiques, l’autre moitié vendue du temps de l’Union soviétique aurait été remplacée par des copies d’après… un trafiquant d’art Youri Vassilievitch Alekseev, dit « le Bossu ».
Le faux accompagne le vrai depuis les « kouros » grecs appréciés à l’époque romaine.
Sur un cartel du musée Getty, figure : « Grèce, 530 av. J.-C. ou faux moderne ».
« Saint Louis dépose la Couronne d’épines dans la Sainte-Chapelle »
 
Le moyen-âge a été créatif en matière de fausses reliques avec une vingtaine de prépuces de Jésus et quelques souffles divins mis en bouteille. Calvin a écrit que l'ensemble des fragments de la « vraie croix » pourrait aisément remplir un navire ou selon une formule célèbre, « on aurait pu chauffer Rome pendant un an » avec tout ce bois.
« La donation de Constantin » est une « forgerie » (tromperie) qui fut fort utile à la papauté pour justifier ses ambitions territoriales.
Michel-Ange avait sculpté un «  Cupidon dormant »  maintenant disparu, enfoui sous terre à l’époque de Savonarole, puis une fois celui-ci déchu, le futur auteur de la Pietà ressortit la statue qui avait pris l'aspect d'une antiquité et voulut la vendre comme telle. Il avoua la supercherie, ce qui fit baisser le prix espéré, mais amorça sa renommée.
Albrecht Dürer, un des artistes les plus copiés à son époque, aurait inventé le droit d’auteur : 
«Que soient maudits les pilleurs et les imitateurs du travail et du talent des autres »
Il a fallu six ans pour que celui qui avait remplacé un « Autoportrait d'Albrecht Dürer » 
dans la mairie de Nuremberg par une copie, soit démasqué.
27 000 tableaux de Camille Corot avaient été déclarés à la douane américaine depuis la mort du peintre qui signait quelquefois des toiles peintes par d'autres.
L'auteur de « Scène de vendanges » surnommé « Le faussaire espagnol » était expert en miniatures : 
Bien que son authenticité ait été rapidement mise en doute, « La Chronique d'Ura-Linda », manuscrit écrit en vieux frison, est toujours cité dans les milieux ésotériques friands des mystères de l’Atlantide.
La Vénus de Brizet
trouvée dans un champ de navets fut un canular à la façon de Michel Ange. 
« Le char des Gardiens du Louvre » au carnaval de Nice de 1912,
met en scène un âne coiffé de la « tiare de Saïtapharnès » achetée à prix d’or par le Louvre alors que ce travail d’orfèvre était un cadeau destiné à un archéologue.
Quand la civilisation étrusque devint tendance au début du XX° siècle, quelques « guerriers en terracotta » trouvèrent place au Métropolitan Museum de New-York, ils venaient d’être réalisés par Alfredo Fioravanti qui avoua. 
Des traces de manganèse inconnu mille ans auparavant avaient été détectées.
Van Meegeren
a lui tellement bien restauré des tableaux de l’âge d’or hollandais qu’il dupera Göring en échangeant un « Vermeer » qu’il venait de peindre contre 200 œuvres saisies par les nazis. Mais il aura fallu qu’il réalise dans sa cellule un « Jésus et les docteurs » « à la manière de » pour persuader les juges qu’il n’avait pas cédé un authentique trésor. Il utilisait des pigments de l’époque, des toiles et cadres anciens, avec craquelures sorties du four. 
Le criminel de guerre allemand fit parait-il une drôle de tête, 
« comme s’il découvrait pour la première fois qu’il y avait du mal dans le monde ».
Chang Dai-chien
inspiré par les maîtres de la peinture chinoise classique a réalisé beaucoup de contrefaçons semant le doute sur les réalisations de ses prédécesseurs. 
Il a été récemment un des artistes le plus vendus dans le monde.
Le district attorney, Joseph Stone a traqué David Stein apparaissant sous 14 pseudonymes différents, puis est devenu sa caution morale.
Les « Bonnie and Clyde de l'art », Wolfgang Beltracchi et sa femme 
ont commercialisé 300 faux tableaux de 100 peintres différents.
Un expert venant témoigner au procès de Guy Ribes consacré par un documentaire intitulé « Un vrai faussaire », dira à son propos :  
« Si Picasso était encore vivant, il l’embaucherait. » 
« Le vrai, c'est le faux - du moins en art et en poésie » Gérard de Nerval.
Les experts ont confirmé que « La Belle Princesse » était bien de
Léonard de Vinci alors que Shaun Greenhalgh célèbre contrefacteur anglais en revendiquait la paternité.
 

mercredi 25 janvier 2023

Périgueux # 2

Notre premier souci de la journée consiste à trouver un garage Renault : en effet « Gédéon », notre véhicule à moteur, nous alerte depuis un moment sur la pression de ses pneus et nous résolvons facilement ce petit problème dans la zone artisanale, sur la route de Périgueux où un employé les regonfle et réinitialise le tableau de bord gracieusement. Nous abordons donc tranquillement notre journée de visite de la ville. Nous laissons la Clio rue Gadaud, elle offre la gratuité du parcmètre pendant 3 h.
A pied nous nous élançons vers le musée Vesunna en  suivant l’itinéraire signalé par un fil rouge peint au sol. Ce système pratique évite de se perdre, de rester le nez collé sur le plan ou l’oreille rivée au GPS.
Nous passons d’abord  devant l’Eglise/cathédrale Saint-Etienne-de-la-cité. De style roman (XI°) elle est la plus ancienne de la ville. De hautes fenêtres finement ornées rythment ses murs clairs  impressionnants. Amputée malheureusement  de certains de ses éléments au fil des guerres et des incendies, elle échappe à cette destruction lente et progressive grâce un classement aux monuments historiques entrainant des travaux de rénovations couteux.
Vésone
est le nom de la cité gallo-romaine de Périgueux ; il désigne aussi tout le quartier dont d’anciens vestiges rappellent l’histoire. L’un d’eux, la tour de Vésone date du II° siècle. Il ne reste plus que cette partie du temple dédiée à la déesse Vesunna.   
« Cette  tutela augusta (auguste protectrice) est une déesse poliade (qui protège la cité) de l'eau et de la fécondité A l'origine divinité pour les Pétrocores gaulois, son culte a été repris dans la religion romaine. »  
Une brèche pourfend la tour, la thèse d’une ancienne porte dont le retrait de gros blocs aurait provoqué un écroulement constitue la thèse la plus sérieuse de sa présence, bien que des légendes fournissent d’autres explications.
Tout autour un jardin aménagé au XIX° siècle puis remodelé encercle la ruine dans un écrin de verdure.
En attendant l’heure d’ouverture du musée, nous lisons les commentaires historiques écrits sur des tables fixes face à la rue romaine, la rue des vieilles boucheries et le 15° RTA en travaux de rajeunissement.
Puis nous  nous rapprochons d’une tente d’un autre temps dressée dans le parc, sous laquelle un maitre verrier a installé un four à bois tel ceux utilisés par les gallo-romains.
Construit en torchis, il accepte cependant des briques réfractaires à l’intérieur, contrairement aux fours antiques, pour des raisons de mobilité et de rapidité de fabrication, l’artisan n’étant  convié par le musée que  pour une animation sur 2 jours. Il fait chaud, devant le feu !
Deux spécialistes se relaient, ils façonnent des copies d’objets retrouvés lors de fouilles, selon les techniques  et les outils de l’époque ; ils soufflent et modèlent le verre en fusion tout en apportant des informations  sur l’histoire du verre. Nous apprenons que originaire du moyen orient, il arriva en France sous forme de blocs, parfois coloré avec du cobalt et du cuivre avant d’être retravaillé sur place.
Nous nous tournons vers le musée-site Vesunna, qui ouvre enfin ses portes. L’architecture moderne de Jean Nouvel, l’enfant du pays, est une réussite.
Elle a pour vocation de protéger les restes d’une ancienne villa gallo-romaine derrière des murs de verre et sous une casquette à large visière. Elle s’intègre parfaitement dans le paysage, légèrement enterrée.
La visite débute par une exposition temporaire sur les bijoux en verre fabriqués aux 1er et 2ème siècles ap. JC (d’où la présence des verriers à l’extérieur).
Elle a été baptisée « Bling Bling » en référence aux couleurs vives mais aussi aux cliquetis des bracelets entrechoqués.
A l’époque gallo-romaine, posséder ces objets conférait un statut social à leur propriétaire car la matière première, exotique, coûtait cher.
Quant au niveau technique, les gaulois furent les premiers à « étirer » le verre pour créer des bracelets.
Une jolie collection témoigne de ce savoir-faire, bien mise en valeur sous des vitrines.
Avant de circuler autour et au milieu de la Domus, nous sommes dirigés vers la mezzanine qui surplombe la maison sur l’un de ses côtés. Elle offre une vue générale sur les vestiges.
Elle contient, comme plus bas au 1er niveau (autour des ruines) des objets et sculptures répartis selon des thèmes : funéraire, utilitaire, hygiène et beauté, nourriture et cuisine, religions,jeux…
Au 1er niveau, des estrades en bois circulent entre les fondations de la villa. Le haut plafond du musée  reproduit le plan des lieux sous forme de rectangles colorés  cernées d’un ruban beige, il permet d’identifier plus facilement les pièces situées directement en dessous. Nous pouvons ainsi repérer la cuisine, la cave, des salles à manger, la salle d’apparat… Elles s’organisent autour d’un jardin et de son bassin rond cerclé d’une riche représentation de la faune marine.
Des galeries couvertes qui encadraient ce patio, il ne reste que quelques colonnes  qui apportent un peu d’élévation dans le décor d’aujourd’hui.
D’autres fresques colorées affleurent sur les soubassements, sauvées par le rehaussement  des sols. Des hypocaustes
(système de chauffage par le sol) subsistent, mais toutes les salles n’en étaient pas équipées, sans doute  les gens de l’époque se servaient-ils aussi de braseros mobiles.
Pour mieux se familiariser avec l’histoire et le bâtiment, un petit film très bien fait relate les différentes étapes de construction, et le remaniement  effectué à l’antiquité. Il informe sur les fouilles  commencées seulement dans les années 1960 1970.