mardi 24 janvier 2023

Lucien. Carayol Sénégas.

Je croyais m’embarquer dans une histoire poétique de balayeur de feuilles :
«T’as vu maman ! Ya le monsieur qui s’appelle Atipic. »
Le monsieur est fort, mais sa faible tête excite les méchants et sa vie routinière va basculer dans la noirceur alors que la bienveillance rencontre la violence d’une façon surprenante qui fait le prix de ces 262 pages.
Il y a eu pourtant de l’amitié avec un petit garçon, chaotique, donc émouvante, se réinventant plus tard en spectacle de marionnettes, mais les hommes crachent du noir.
L’atmosphère un peu surannée participe au charme crépusculaire d’une histoire qui surprend et secoue, loin des mièvreries et simplismes ordinaires.  
« Mon cher Hugo, le monde est tel que je ne saurais trop t'encourager à développer cette fâcheuse manie, qui consiste à embellir la vie. »
Nous sommes si loin du Lucien de Margerin : 

lundi 23 janvier 2023

Babylon. Damien Chazelle.

Le film comme une BD expressionniste destinée au grand écran ne lésine pas sur les moyens, au moment où les spectateurs ne se précipitent plus dans les salles - sauf pour « Avatar ».
Cet hymne au septième art, depuis les coulisses folles, violentes, impures, de l’usine à rêves, persiste à nous faire rêver.
Il traite de la fin de l’époque du cinéma muet et nous parle aussi, depuis les années 1920 de notre monde tel qu’il change un siècle après.
Le film vu précédemment du réalisateur franco- américain laisse le souvenir d’une comédie lumineuse, https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/02/la-la-land-damien-chazelle.html 
cette fois les danses toujours bien réglées sont boostées par la coke et la belle qui veut réussir doit monter sur la table, sur fond de musique toujours aussi entrainante.
Pendant trois heures, le rythme parfois survitaminé s’apaise par exemple avec un entretien d’une chroniqueuse lucide face à un acteur en fin de parcours. Ce moment de gravité prend du relief en succédant à des scènes spectaculaires, drôles ou dramatiques.
Une nostalgie de « Singing in the rain » persiste mais l’évocation d’un assagissement des scénarios dans les années 30 renvoie à une actualité avec le politiquement correct gagnant du terrain ; ces trois heures éblouissantes y échappent.

dimanche 22 janvier 2023

Backbone. Gravity & Other Myths.

A la recherche d’adjectifs synonymes d’ « époustouflant », on va s’épuiser comme en applaudissant avec une salle debout, à en avoir les mains qui chauffent.
Nous avons suspendu notre souffle pendant une heure vingt et avons mal aux vertèbres pour eux, les circassiens, quand nos raideurs nous situent aux antipodes de leur stupéfiante souplesse.
backbone = colonne vertébrale. Merci aux avions qui ont permis à la troupe australienne de venir chez nous. 
La décontraction de la troupe met en valeur des jaillissements surprenants de virtuosité, de rigueur absolue, de confiance entre les acrobates acteurs d’une symphonie magnifique sur des partitions de musique énergisantes. 
La tension monte, s’apaise, des éléments de l’introduction se retrouvent à la fin quand au salut la pesanteur revient, chacun porte son rocher décisif : humour et gravité, voltiges, danse, raideur, élasticité, coopération et superbes bagarres, cupelettes, virevoltes…
A la une à la deux que je te balance ! Elle retombe comme une fleur. 
Et cette pauvre fille couchée au bout d’un bâton quand vont-ils la descendre ? 
L’inventivité est de tous les instants avec portés et voltiges variés dans tous les coins de la scène aux lumières pop : pyramides humaines on ne peut plus collectives et totem solitaire. Les filles jouent les cordes à sauter, grimpent en haut des corps assemblés, empilés le temps d’une prouesse qu’on ne peut admirer longtemps, qu’une autre surgit.  
Les performances vertigineuses s’enchainent aux moments poétiques quand par exemple des perches immenses sont tenues en équilibre sur les têtes des dix artistes. 
Ces quelques lignes verticales élémentaires, fragiles reposent sur une assurance étonnante parmi un bouquet ininterrompu d’arabesques merveilleuses. 
Dix étoiles.  

samedi 21 janvier 2023

En hiver. Karl Ove Knausgård.

Les plaisirs de la découverte d’une écriture limpide alliant humour et poésie en un « quatuor des quatre saisons » se sont un peu émoussés.
« Nous sommes aujourd’hui le premier jour de l’an 2014, je suis par conséquent rendu déjà loin dans le futur de mon enfance. » 
Si la naissance de sa fille décrite dans ces 300 pages est toujours un motif incontestable d’émerveillement, je préfère par ailleurs ses descriptions à propos des brosses à dents que des résumés d’une mythologie nordique restée lointaine. 
« … les journées ensoleillées et pleines de rires ne sont pas la règle, même si elles existent. » 
Bien que les illustrations présentent d’attirants paysages norvégiens, ses considérations sur les atomes m’ont parues quelque peu filandreuses, alors que souvent ses pensées sont percutantes. 
« Je ne sais pas ce qui est le plus effrayant, un individu sur une petite planète qui vénère sa personne et son monde comme si l’infini n’existait pas, ou un individu qui brûle ses semblables parce que l’infini existe. » 
Quelle tristesse d’avoir à relever la phrase ci-dessous comme si n’était plus évident.
« Vivre avec les autres est, je pense, la principale chose que nous apprend l’école… »  
Mais partager ses mots que font naître un feu d’artifices peut nous élever : 
«  … un monde au dessus de notre monde, le temps d’un bref moment riche et plein de beauté, n’était pas une illusion, mais représentait une chose réelle : nos vies pouvaient aussi ressembler à cela. »

vendredi 20 janvier 2023

Madame Martin

Madame Martin est morte.
Madame.
Nous sommes là, désemparés, sans espoir de retrouvailles dans « les siècles des siècles », face au néant.
Pour se montrer à la hauteur de la digne institutrice (magister en latin),
on peut citer Victor Hugo, emblème de notre école républicaine.
Sommes-nous comme ces soldats de Napoléon courbant la tête pendant la Retraite de Russie ?
« Ce n’était plus des cœurs vivants, des gens de guerre ;
C’était un rêve errant dans la brume, un mystère,
Une procession d’ombres sous un ciel noir,
La solitude vaste, épouvantable à voir,
Partout apparaissait muette, vengeresse. » 
Nous sommes là, solitaires.
Nous sommes là, ensemble.
Ensemble, comme nous l’avons été dans nos ambitions pour les élèves qui nous étaient confiés.
Ensemble, dans nos rêves politiques aux nuances diverses qui se disaient et s’acceptaient.
La maîtresse du cours préparatoire était exigeante et distribuait des bonbons.
De Fontaine au Fontanil, de l’école de la Gare à celle de Rochepleine, elle a travaillé à la racine des apprentissages, délivrant aux collègues qui lui succédaient, des mômes outillés pour aller au bout de leurs capacités.
Au service des petites classes, ses savoirs ont été reconnus plus tard à l’Université Inter-âges.
Colette parlait franchement, elle savait que comme disait Camus: 
« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ».
Et nous sommes malheureux.
Attentive à l’orthographe, il fallait combattre sa modestie pour qu’elle accepte de vous corriger.
A force de compter les morceaux de nous en allés après tant de nos amis disparus, nous oublions les couleurs des images de nos vies dans les tiroirs de nos mémoires.
Des souvenirs pourtant ramènent aux rires, à l’humanité, à l’"Huma" : Boule et Bill de la méthode de lecture déboulent parmi les travaux d’aiguille, de confection de robe ou de blouse aux grandes poches, les recettes de cuisine, des longueurs de piscine et des courses sur la digue,  les fleurs et les dessins, les émotions autour d’un tableau de Courbet,  « Simone , le voyage du siècle » au cinéma, les parents d’élèves, nos parents,
et les anciens élèves qu’est-ce qu’ils deviennent ?
Les enfants toujours et nos petits enfants à qui envoyer le poème du jour :
« Année nouvelle
Donne-moi les oiseaux
Qui possèdent les mots
Doux et tendres
Les mots du cœur
Du grand large
Et de l’évasion. » 
(Luce Guilbaud) 

jeudi 19 janvier 2023

Vols d’œuvres d’art. Laurent Abry.

Avant que n’intervienne le conférencier devant les amis du musée de Grenoble pour une révision des mots « inestimable » et « rocambolesque », le président de l’association précise pour ce qui concerne notre ville, la disparition d’un Picasso à deux reprises en 1949 et en 1992, et d'un Gauguin en allé avec d’autres dans un camion dont le conducteur s’était arrêté pour demander le chemin d’un commissariat marseillais.
« La Domenica del Corriere »
après le vol de la Joconde imaginait deux voleurs, alors que le malandrin était seul. Ce genre de larcin a suscité bien des approximations, voire une héroïsation des acteurs,
genre « Arsène Lupin » . Les musées préféraient souvent se montrer discrets.
L’équipe d’« Ocean’s eleven » convoite un très précieux œuf de Fabergé très bien protégé et par ailleurs souvent copié. Ce film pourrait illustrer l’ampleur d’un phénomène répertorié par Interpol : en 2016, 49 000 œuvres d’art étaient volées dans le monde (289 entre 2000 et 2009 en France), si bien qu’une estimation évoque un million de foyers receleurs.
« Bâtiment du mobilier national »
La base de données Sherlock, émanation de la Commission de Recollement des Dépôts d’Œuvres d’art (CRDOA) répertorie les biens mis à disposition des administrations par l'Etat et recherchés après leur disparition.
« Le casse du millénaire » eut lieu en 1792 dans l’Hôtel de la Marine (Garde meuble royal) place de la Concorde où étaient entreposés les joyaux de la couronne : 9 000 pierres précieuses équivalant à sept tonnes d’or. Une cinquantaine de brigands y ont défoncé les armoires en fer, cinq nuits durant et se sont servis. « Le Régent » considéré comme le plus beau diamant du monde, et « Le Sancy » difficiles à négocier sont réapparus.
Le « Grand Diamant Bleu » fut finalement retaillé et devint « Le diamant Hope ». 
Le musée du Louvre présente une partie de sa collection de bijoux désormais sécurisée.
Une « Toison d’or » reconstituée en 2010 est conservée à Genève.
Après la disparition du portrait de Mona Lisa signalée par le peintre Louis Bérou venu pour la copier, la foule se presse pour voir l’emplacement du tableau. La toile doit sa notoriété à sa disparition pendant deux ans sous le lit de Vincenzo Perugia qui l’avait subtilisée. Il prétendra avoir agi en patriote italien alors que Léonard de Vinci avait vendu son travail à François Premier. Sur ce coup Napoléon n’y était pour rien.
Le retable de « l’Agneau mystique » peint par les frères Van Eyck en 1432 a été amputé du volet des « Juges intègres » en 1934. Sur son lit de mort, un agent de change avoue :  
« Moi seul sais où se trouve l’Agneau mystique » mais on n’en saura pas plus.
Une quarantaine de montres anciennes estimées à 10 millions $, dont la « Montre-gousset de Marie-Antoinette », furent dérobées en 1983 à l’Institut d'art islamique de Jérusalem. Retrouvées en France en 2008 elles ont été restituées aux autorités israéliennes.
« Le Concert »
  de Wermeer estimé à 250 millions $ est peut-être l'une des œuvres les plus chères volée en 1990 au musée Isabella-Stewart-Gardner de Boston en même temps que
« Le Christ dans la tempête sur la mer de Galilée »
, la seule marine de Rembrandt
Deux faux policiers, un soir de Saint Patrick, ont laissé 18 cadres vides pour toujours.
« Merci pour la mauvaise surveillance »
a écrit l’ancien footballeur Pål Enger au musée d’Oslo, le jour de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d'hiver en 1994, à Lillehammer. Il s’était approprié « Le Cri » de Munch.
Pendant le carnaval de Rio, l' « Homme au teint maladif écoutant le bruit de la mer » de  Dali a disparu au Museum da Chàcara do Céu.
Le « Pont de Waterloo Bridge »
de  Monet a sans doute été brûlé par la mère du voleur
et « La femme à l’éventail » de Modigliani du Musée d’art moderne de Paris a été mis dans une poubelle,
« Branches de marronniers en fleurs » de Van Gogh a été retrouvé dans une voiture sur le parking d'un hôpital de Zurich.
La « Figure couchée » de Moore pesant deux tonnes, enlevée à la grue, valait 3 millions €, elle a été fondue pour un gain de 3 000 €.
En 2013 à l'hôtel Carlton à Cannes, un homme seul a  volé 103 millions € au détriment du bijoutier Leviev, dépassant de peu un préjudice de 100 millions € lors d'une bourse aux diamants d'Anvers en 2003. 
« Un marchand de tableaux est un voleur inscrit au registre du commerce. » Michel Audiard


 

mercredi 18 janvier 2023

Périgueux # 1

Pour gagner un peu de temps, nous délaissons la route pour l’autoroute, 
destination Périgueux.
Notre impression de toujours descendre réapparait sur le parcours.
Arrivés dans la ville, nous errons un peu pour déposer la Clio mais en nous élevant au-dessus de l’allée  de Tourny et de la préfecture, nous dénichons une place non payante dans un quartier résidentiel, près d’un magnifique parc et d’une synagogue.
Nous traversons l’allée et le cours Tourny à pied cette fois-ci, pour nous  engager dans la rue Saint Front ;
la vue de la cathédrale du même nom nous guide vers le centre touristique.
Nous passons près du temple maçonnique. Il se remarque immédiatement avec son caractère très particulier, de style orientalisant et avec la présence de ses outils symboliques sculptés sur  la façade.
Presque en face, une galerie d’art  moderne propose les œuvres originales et fortes de l’artiste Anne Bothuon, que nous ne connaissions pas.
Elle a confectionné des personnages en ouate recyclée parcourue d’un réseau de fils légèrement colorés.
Réalisés dans un format grandeur nature, ces poupées  nues et expressives revisitent l’art de la statue avec ce matériau inédit, elles manifestent une grande humanité sans hyper réalisme dans la forme des corps (de grands pieds, par exemple) et ne cèdent pas au dictat des canons de la beauté et de la jeunesse. Nous éprouvons un vrai coup de cœur face à ces « créatures textiles », superbes.
D’un tout autre genre, une exposition temporaire sur la truffe se déroule dans une belle maison historique appelée maison du Pâtissier.
Elle a pour vocation d’informer les touristes sur l’histoire de la tuber melanosporum, ce produit du terroir si célèbre et apprécié. Nous nous intéressons d’abord aux panneaux pédagogiques, avant qu’une jeune fille s’approche pour compléter les explications ; un trufficulteur pétrocorien passionné se mêle vite à la conversation, bien sûr plus documenté que la demoiselle qu’il doit trouver un peu insuffisante. Il nous introduit dans la cour intérieure et nous commente le carré de végétaux planté dans le but de présenter les essences favorables à l’apparition du précieux champignon.
En poursuivant notre chemin, nous tombons sur une autre galerie d’art spécialisée dans la peinture d’un seul artiste : David Farren  et tenue par sa femme anglaise. Nous sommes séduits par les paysages représentés  mais surtout par les carnets de croquis  posés sur des tables.
Nous continuons à déambuler dans cette partie du centre-ville.
Ici les ballons remplacent les parapluies dans les airs selon le même principe d’accrochage qu’à Aurillac et Brive.
Nous nous approprions peu à peu les lieux  avant de les mieux appréhender demain au cours d’une visite guidée retenue à l’Office du tourisme.
C’est prometteur.
En attendant, nous avons appris que les habitants de Périgueux s’appellent les Petrucoriens, du nom du peuple gaulois les Petrucores.
L’heure de notre rendez-vous avec Y. notre logeur à Annesse et Beaulieu nous pousse à interrompre nos flâneries, nous remontons donc en voiture, traversons des zones industrielles avant d’atteindre le AirB&B situé en bordure de route. Nous prenons possession d’un studio : chambre avec salle de bain, clim et TV. Dans l’enclos du jardin, Y. met à notre disposition un emplacement pour la voiture, la piscine hors sol entourée de relax, et une plancha. Et en plus, il nous aide à dépatouiller un problème rencontré avec les fonctions de AirB&B. Bon choix !
Sur ses conseils, nous partons manger à Saint Astier.
Ce joli village s’étend autour de son église romane engluée dans des maisons.
Parmi les nombreux bars et restaurants, seuls deux établissements ouvrent le mardi soir, car ils se relaient pour ne pas fermer tous en même temps. Nous  choisissons la terrasse de  « Aux délices des marronniers » et dégustons des brochettes de magret servies avec un accompagnement d’endives braisées plus une pression.