dimanche 14 novembre 2021

Bachelard quartet. Noemi Boutin Pierre Meunier.

« Il n’est pas impossible que le moulin fasse tourner les vents ».
 
Nous partons sur de bonnes bases quand le récitant démarre ainsi la séance sur une musique de Béla Bartók. 
Dans la ville de Grenoble, un stade porte le nom du philosophe dont nous allons apprécier la fantaisie et la poésie, il permet de jouer avec les éléments qui scandent ses pensées : l’eau comme la sueur des athlètes, le feu des efforts, l’air des souffles et la terre des pelouses.  
Ce soir c’est un hymne à la planète dont j’ai pu saisir la beauté de la charrue qui découvre les petites bêtes, la parole qui conserve la mémoire des mains, les jours qui expliquent les nuits… en un bouquet imaginatif, varié, bon enfant où même la mort en premier navigateur n’est pas triste : 
 « Bien avant que les vivants ne se confiassent eux-mêmes aux flots, n'a-t-on pas mis le cercueil à la mer, le cercueil au torrent ? Le cercueil, dans cette hypothèse mythologique, ne serait pas la dernière barque. Il serait la première barque. La mort ne serait pas le dernier voyage. Elle serait le premier voyage. Elle serait pour quelques rêveurs profonds le premier vrai voyage. » 
L’humanisme est chaleureux, l’imagination à portée de main, les fondamentaux rassurants. 
Le feu : «  ... les jours de ma gentillesse, on apportait le gaufrier. Il écrasait de son rectangle le feu d'épines, rouge comme le dard des glaïeuls. Et déjà la gaufre était dans mon tablier, plus chaude aux doigts qu'aux lèvres. Alors oui, je mangeais du feu, je mangeais son or, son odeur et jusqu'à son pétillement tandis que la gaufre brûlante craquait sous mes dents. Et c'est toujours ainsi, par une sorte de plaisir de luxe, comme dessert, que le feu prouve son humanité. Il ne se borne pas à cuire, il croustille. Il dore la galette. Il matérialise la fête des hommes. » 
L’air : « L’alouette en l’air est morte 
Ne sachant comme l’on tombe » 
L’eau et la terre :« La mort de l'eau est plus songeuse que la mort de la terre : la peine de l'eau est infinie. » 
Les incongruités de certaines musiques sont fécondes quand Monk ou Webern alternent avec Debussy ou Saint Saëns. Le piano travaillé et le violoncelle garni de ressorts éveillent l’attention, note après note. Les morceaux les plus classiques en sont revigorés comme lorsque des œuvres contemporaines s’imposent dans les musées des beaux arts.  
Un rhum flambé était servi à la sortie du spectacle de deux heures et demie et l'envie est là de le prolonger avec encore quelques pensées de celui qui a interrogé les rapports de la science et de la littérature au cœur de nos embarras de l'heure. Quelques mesures de Chostakovitch à consommer aussi sans modération.

samedi 13 novembre 2021

La volonté. Marc Dugain.

Le titre justifié par la qualité évidente d’un père atteint de poliomyélite insiste sur la contradiction contenue dans ces 280 pages entre l’admiration dont ce livre témoigne et le côté impersonnel du terme général pour désigner celui qui ne sera jamais nommé. 
Ce n’était guère la mode autrefois d’appeler son père par son prénom.
Les ambigüités sont passionnantes, les flous laissent de la place aux lecteurs, mais, à mon goût, encore pas assez dans ce livre.
Le père, personnage principal, est devenu expert dans le nucléaire et espion sans doute. Son fils écrivain affiche ses valeurs « humanistes » sans explorer davantage le passage d’une tradition communiste au service zélé des pouvoirs en place.
Mon plaisir de lecteur avait commencé fort, dès l’incipit : 
« La plus belle des fictions est celle qu’on entretient sur ses proches dans des souvenirs qui jalonnent une mémoire flottante. Ce n’est pas la biographie d’inconnus, c’est un vrai roman. » 
Des pages sont magnifiques quand il est question de la fin du père et de leurs rares moments d’intimité. 
« J’allais mourir une première fois avec lui et il me faudrait ensuite trouver la force de la résurrection, seul. Je n’avais jamais imaginé que si jeune, au seuil de mon existence, j’allais être confronté à la violence d’une telle épreuve. La question de la dépression qui allait suivre risquait de se poser mais j’en avais déjà démonté les mécanismes : ne sombre dans ce cancer de l’âme que celui qui refuse le monde tel qu’il est. Il faut savoir s’avouer vaincu si l’on veut perdurer dans son être, et toutes les illusions sont permises pour persévérer. »
Résolution sans faille, ambition pour sortir d’une condition modeste, travail acharné, leur description fait du bien d'autant plus que ces vertus ne sont plus guère à la mode, surtout lorsque est sacrifiée la tendresse à l’égard des enfants, voire une présence que sa mère non plus n’a pas assurée.
J’ai eu plus de mal quand des considérations parfois anachroniques alourdissent le récit pourtant aventureux qui a mené le père fils de marin à vivre en Nouvelle Calédonie ou au Sénégal. Les conditions favorables de son existence en tant qu’expatrié sont peu explorées bien que le récit soit parsemé de réflexions anti colonialistes décidément tendances, comme n’est pas divulgué le nom de la ville de Grenoble où ils ont vécu. 
« La ville est comme un estomac rétréci aux deux bouts par des vallées étroites où se concentrent des industries chimiques, qui libèrent des vapeurs colorées comme si le ciel leur appartenait. »

vendredi 12 novembre 2021

Z. N° 14.

Une revue de critique sociale qui titre « Grenoble et l’école elle est à qui ? » peut susciter l’intérêt au moment où une proposition pour les écoles de Marseille vise à nommer des enseignants en dehors des règles ordinaires du mouvement, comme ce fut le cas dans les écoles expérimentales de la Villeneuve de Grenoble.
Mais ma curiosité a été mise à l’épreuve par des partis pris lourdingues qui voient par exemple dans l’obligation scolaire en 1882 « une contrainte des plus pauvres ». 
Leurs rappels historiques sont biaisés qui oublient une date essentielle : la réforme Haby du collège unique sans doute trop complexe à décrypter quand l’égalité était servie en amuse-bouche de la part d’un ministre de droite.
L’article concernant la Villeneuve se conclut sur les mots d’André Béranger avant sa mort et croise d’autres témoignages à tonalité essentiellement nostalgique.
Les réponses  entrevues à la question de la propriété de l’école peuvent prêter à contestation, même si elles ont la fraicheur de mots d’enfants en tête des 200 pages agréablement illustrées 
« Nous on travaille et on n’est pas payés : c’est un peu du travail forcé, non ? » 
La mise en valeur du travail des ATSEM est louable même si je sais que leur pouvoir était parfois abusif quand une jeune collègue instit’ avait la prétention de changer quelques habitudes. Quant aux mamans d’élèves, elles n’ont pas toutes comme première préoccupation de porter le hijab pour jouer au foot ou le burkini.
Il est vrai que les rédacteurs ont eu plus de contacts avec « Alliance citoyenne », Sud éducation, la CNT, voir le PAS dont j’avais dessiné le logo affirmant une diversité de points de vues qui n’est point venue, qu’avec le SGEN CFDT à l’origine des ZEP alors qu’il est question d’éducation prioritaire.
A l’image de leur rappel « les courants pédagogiques pour les nuls » n’est pas trompeur, sous des formules rebattues «  Maria Montessori et Célestin Freinet sont dans un bateau ».  Pour le coup leur inculture n’est guère alternative comme pourraient le faire croire leur goût pour les squats, les Zad et les Zapatistes. Les thématiques, école à la maison, hypertrophie du religieux, transgenre, l’école dehors, ne sont guère originales. Le seul de l’académie qui ait refusé de faire passer les évaluations est interviewé, et il faut ressortir de sa retraite Claude Didier pour que soit dénoncé un « base élèves » qui commence à dater.
Si les rédacteurs disent avoir été bousculés dans leurs certitudes lors de la pandémie, cela ne les conduit guère à nuancer leurs jugements envers ceux qui avaient à gérer la crise que ce soient Blanquer ou Piolle. Leur résistance proclamée envers la numérisation à l’école ne prend même pas en compte leur déception de ne pas découvrir dans les classes visitées toutes les horreurs technophiles qu’ils souhaitaient.
Finalement il n’y avait pas que leur écriture inclusive pour m’agacer les gencives, j’ai trouvé plus rétro que moi.

jeudi 11 novembre 2021

Carpeaux, Bergès, Saint Ex, et d’autres dans les parages.

L’exposition consacrée à Jean- Baptiste  Carpeaux en face du musée Hebert à La Tronche fermera ses portes le 8 novembre,
alors que Mario Prassinos y est avec ses arbres noirs jusqu’au 31 janvier. 
« Mais déjà, se montrait le front sombre des grands arbres pressés l’un contre l’autre comme une foule qui m’aurait attendu. Une ouverture sombre indiquait le début d’un sentier qui s’enfonçait parmi la majestueuse population. Il fallait accepter l’invitation et suivre l’étroit chemin. »
Sur le thème de la forêt, une photographie intrigante de Philippe Baudelocque est collée à l’extérieur du paisible musée.
Si « La Danse », la sculpture de Carpeaux la plus célèbre ne figure que sous forme de citations,
plusieurs salles offrent un aperçu intéressant des talents de l’artiste dont la brève carrière fut très liée à Napoléon III.
Ses tableaux témoignent d’une patte originale
et ses ébauches d’une belle vigueur.
Le buste magnifique de la « Princesse de La Valette » est  émouvant, elle n’en était pas contente et heureusement qu’il en était resté des copies car l’artiste vexé de ne pas être connu dans sa vérité avait massacré la sculpture originale à coup de masse.
Il y a d’autres belles histoires comme celle de « La Palombella » dont il tomba amoureux lors de son séjour en Italie. Ses traits l’inspireront au-delà de sa mort.
Le sourire de ses personnages est célèbre,
l’interrogation « Pourquoi naître esclave ? », puissante.
Les sculptures de papiers à leur place à la maison Bergès de Villard Bonnot sont visibles jusqu’au 2 janvier.
L’ancienne usine à papier dont le fonctionnement est bien expliqué est toute indiquée pour recevoir en ses locaux art déco : origamis, collages, découpages, dentelles, de Ingrid Siliakus, Béatrice Coron, Stéphanie Beck, Mathilde Nivet.
Pour prolonger les plaisirs de la biennale consacrée aux dessins en 25 lieux de la rue Saint Laurent à Grenoble
voir à la galerie Alter Art «  Street Yeti »
https://thestreetyeti.art  encagé jusqu’à mi novembre.
Les techniques de la patatogravure ou de la linogravure rappellent les techniques Freinet d’une enfance lumineuse. Les monstres sympathiques amènent à des interrogations plus contemporaines dépassant les nostalgies.
Jusqu’au 16 janvier à La Sucrière à Lyon, Le petit Prince pour son 75° anniversaire est rapproché de son créateur Saint Exupéry.
L’iconographie fidèle aux originaux du célèbre aviateur est mise en valeur sous des lumières noires qui actualisent la poésie de l’ouvrage le plus traduit dans le monde après la bible.Tous les poètes n’ont pas forcément une image qui corresponde à leurs écrits comme l’icône Rimbaud, mais l’évocation de moments héroïques de l’aéropostale peut encore faire rêver.

mercredi 10 novembre 2021

Sur la route de Belfort.

Après une nuit inconfortable dans un canapé lit, nous roulons en direction de Vesoul sur des routes étroites et droites. Le beau temps est au rendez-vous.
La journée commence par une jolie surprise;  lorsque nous traversons le village de DAMEREY, nous tombons sans nous y attendre sur la maison originale d’un « artiste de bord de route » nommé Roger Mercier.
Décédé, il a souhaité léguer son « château de Bresse et de Castille » à la communauté sous réserve qu’elle l’entretienne, ce qui est actuellement le cas mais interdit toute visite à l’intérieur des murs.
Cependant, on entrevoit de l’extérieur l’architecture créative et les sculptures colorées en béton.
Il en a  recouvert tous les espaces : les toits, la  façade ou le jardin. Ce créateur modeste pose un regard d’enfant sur son environnement, tendre, simple, imaginaire.
Ses représentations s’inspirent d’animaux avec des cigognes près des cheminées, une biche, un toucan  une otarie, des aigles….
Elles évoquent aussi l’Espagne, pays de sa femme, à travers un toréador et un taureau, un patio andalou ;
des palmiers des danseuses et des constructions rappellent l’Orient.
La mythologie transparait aussi dans la scène nautique avec Neptune et des sirènes.
Après quelques renseignements pris auprès d’une jeune cantonnière, nous quittons ce village désert et continuons notre voyage. Nous  constatons  à de multiples endroits que la crue du Doubs inonde toujours  les champs et déborde de ses rives, la décrue tarde à se faire. Nous passons dans le département du Jura où la limitation de vitesse sur les nationales autorise 90 km/heure au lieu des 80 imposés jusqu’ici. Les paysages et l’habitat semblent  plus pauvres ; des écriteaux à vendre apparaissent  sur beaucoup de maisons.
Nous buvons notre café en terrasse à Moissey « Au convivial comtois », agréable établissement qui connait la faveur de la presse et dont les articles élogieux sont placardés près de la porte. (la photo date des inondations de décembre)
Puis nous traversons des paysages plus vallonnés croisant de nombreux camions sur le ruban asphalté qui se déroule devant nous.
Nous nous arrêtons déjeuner après Vesoul à Roye dans un routier  « La réunion des amis ». Son décor vieillot avec ses pin up et ses couleurs fanées accueillent des habitués rebondissant aux propos du patron Jean Luc ; ce truculent personnage  possède une voix de stentor et un accent prononcé mis au service d’un humour et d’une faconde irrésistibles. L’ambiance est à la rigolade. Pas de menu ni de prix affichés, ici on mange ce qu’on vous sert, à l’ancienne : des tomates, de la terrine de foie et du cervelas composent les entrées. Elles sont suivies d’un plantureux plat familial qui aurait nourri 4 personnes au moins avec de nombreuses tranches de langue de bœuf accommodées de riz.
Le plateau de fromages bien achalandé circule de table en table puis il faut choisir son dessert entre tiramisu, profiteroles, îles flottantes ou baba au rhum bien arrosé et fortement recommandé. Nous conversons sans façon avec nos voisins de table, un couple de royens, et amis du patron qui vient se joindre à nous pour tailler bavette en fin de repas.

 

mardi 9 novembre 2021

La revue dessinée. N° 33. Automne 2021.

On commence à parler des algues vertes en Bretagne, pour ma part c’est dans la revue dessinée suivie ici depuis le premier numéro 
que j’ai eu connaissance du scandale.
Chaque trimestre apporte son lot de récits de combats pas toujours aussi imaginatifs que celui de soignants voulant se signaler au-dessus du défilé du 14 juillet.
Dans plusieurs régions des agriculteurs ont constaté une hausse de la mortalité dans leurs troupeaux et des comportements perturbés de leurs animaux, ils ont bien eu du mal à faire reconnaître les préjudices causés par l’implantation de transformateurs électriques, de lignes à haute tension enterrées, voire des parcs éoliens pourtant bien utiles.
L’incendie de Lubrizol a fait plus de bruit mais les lenteurs administratives, le déni justifie le titre «  écrans de fumée ». 
Il en est de même bien entendu lors de la course aux armements dont la narration n’est pas aisée, 
alors que le décryptage d’une image devenue icône de la grève du Joint français en 72 nous apprend que l’ouvrier et le CRS face à face étaient des amis de lycée.
Un petit rappel de la pause salutaire pour les animaux imposée par le confinement nous repose de tant de noirs aspects de notre humanité.
L’historique du canal de Suez à l’occasion de l’échouage d’un porte conteneur de la compagnie...Evergreen, est habilement didactique.
Les pages consacrées à l’association Unis-cité posent le problème qui mérite vraiment débat, car ce n’est pas si simple, de la notion de travail, de bénévolat, d’engagement.
Les aléas pour que soit reconnue l’inventrice du test de grossesse individuel sont révélateurs de tout un système.   
Le parcours de Fela Kuti débordant du domaine musical pourra intéresser mais les mystères du « Secret des poignards » bien que narré plaisamment peuvent laisser indifférents: question de goût. 
Comme cette fois la rubrique : « La sémantique c’est élastique » qui aborde le langage des chiffres : pourquoi dit-on « dix sept » après « seize » ?

 

lundi 8 novembre 2021

Ron débloque. Alessandro Carloni Jean-Philippe Vine.

Les petits enfants nous autorisent à voir des films qui ne nous sont pas forcément destinés et comme dans la littérature enfantine avec « Le plus bel été du monde » de Delphine Perret, 
ils nous permettent de réactiver des réflexions essentielles avec une légèreté qui n’est pas toujours présente dans les productions pour les grands trop souvent pris pour des minus.
Ce film d’animation se situe à la hauteur de « Wall-e » 
 Ron est un robot mal configuré qui va accompagner le seul collégien à ne pas posséder un « B-Bot », dont les performances anticipent à peine un univers où les machines omniprésentes permettraient de se faire des amis.
Le sujet brûlant est traité avec humour et nuance. Le sympathique personnage principal n’est pas chargé d’asséner des vérités, pourtant décalé parmi ses camarades, il est bien dans sa famille avec son père ringard et son archaïque grand-mère qui l’aiment. Les personnages nous rappellent des acteurs essentiels qui façonnent notre monde ou qui essayent de le réparer avec cette collègue professeure dégoulinante de bienveillance, à côté de la plaque.
Les relations humaines sont défendues, la vacuité des relations numériques soulignée et la singularité des individus valorisée : ça va de soi, mais c’est encore mieux en le disant subtilement.