jeudi 22 avril 2021

Le dernier enfant. Philippe Besson.

Mon enthousiasme pour ces 200 pages contredit les avis mitigés que j’avais pu porter sur deux des ouvrages précédents de Philippe Besson, à ne pas confondre avec Patrick Besson, ni avec les Tesson
L’émotion élémentaire qui vient avec ce récit retraçant le départ hors du nid du petit dernier de la famille, tient à la clarté de l’écriture, à l’évidence de ces heures, à la sobriété de l’histoire. 
«  Anne- Marie a toujours aimé les déjeuners au restaurant avec ses enfants, sans doute parce qu’ils étaient rares. Ils n’avaient jamais vraiment le temps et ils n’avaient pas vraiment les moyens. Et puis Anne-Marie est une excellente cuisinière : à quoi bon aller jeter l’argent par les fenêtres pour manger moins bien qu’à la maison. »
 La situation est banale et les sentiments universels sont d’autant plus forts qu’ils sont retenus. Les plus petits détails ont leur beauté, non telles les images que Delerm encadre, mais s’inscrivant dans un quotidien terriblement ordinaire où le tragique n’est jamais loin. Et l’amour aussi.  
« Certes le départ de Théo l’affecte beaucoup, elle l’admettrait sans difficulté, si son mari ou qui que ce soit lui posait la question, elle répondrait oui, oui bien sûr, comment il pourrait en aller autrement, il faudrait être insensible, ne pas avoir de cœur pour se comporter comme si rien n’était, et d’ailleurs, il n’y a pas de honte à ça, personne ne lui ferait le reproche, tout le monde sait que c’est douloureux le jour où les enfants s’en vont… »

mercredi 21 avril 2021

Lens # 2

Nous sommes prêts de bonne heure pour accéder au but de notre voyage : 
Le Louvre Lens, le musée.
Pris par le temps, nous bâclons quelque peu la fin de l’exposition très complète pour ne pas manquer notre rendez-vous au comptoir de l’Office du Tourisme. 
Un petit groupe s’y forme autour du guide.
Il doit nous faire découvrir la mine autour du Louvre.
Le musée est construit sur l’ancien puits n° 5, rasé puis comblé avec les gravats de démolition, et de ce fait, il est un peu plus élevé que la rue et le stade proche.
La végétation actuelle « sauvage » rassemble essentiellement  des essences  méditerranéennes.
En effet, les bois d’étayage en pin avaient des écorces  imprégnées de pollens qui se sont implantés dans les sols de la mine alors qu’ils n’arrivaient pas à s’adapter dans les jardins.
Il ne reste des corons d’origine que quelques exemples tronqués.
C’était une grande barre horizontale cloisonnée en maisons identiques mais ses fondations reposaient sur un terrain fragile et instable, au- dessus de galeries minières.
Un autre style d’habitat apparait alors dans la rue d’en face, composé de pavillons plus vastes prolongés par un jardin à l’avant et un potager à l’arrière. Un agent surveillait l’entretien côté rue qui devait jouer le rôle de vitrine. Au début de la rue, près de la mine une maison bourgeoise, au loyer plus cher, était dévolue à l’ingénieur. En face, l’autre maison cossue était réservée au médecin, située au plus près de la mine en cas d’urgence. Des religieuses tenaient le dispensaire mitoyen.
Une  école  recevait tous les enfants  divisée en partie ménagère pour les  filles  et une partie plus scolaire pour les garçons.
Enfin une église de style campagnard complète ce quartier ouvrier ; clocher hollandais, porte de grange, absence de décoration et de statue, toiture percée d’ouvertures triangulaires la caractérisent et la rapprochent plus d’un temple que d’une paroisse catholique. Le paternalisme des patrons s’affirmait jusque dans l’absence d’estaminet  près et dans  la mine, où il était interdit d’emporter de l’alcool, on favorisait  plutôt la chicorée. L’unité de tous les bâtiments est accentuée par l’usage de la briquette rouge.
Nous ne nous éternisons pas à la fin, pressés encore par le temps et contents de nous éloigner de deux dames très envahissantes, retardant  le groupe par des commentaires sans intérêt ou répétant ce qui venait d’être dit, «  faisant leur prof ».
D’un coup de voiture, nous rejoignons  le centre-ville pour notre 2ème visite guidée autour de l’art déco à Lens. Les 2 employés de l’Office du tourisme nous offrent un verre d’eau fraiche  bienvenu avant de repartir sans autres touristes  avec Aloïs, le même accompagnateur que pour la mine.
Quand Lens est libéré par les Anglais, plus  aucun bâtiment ne tient debout, la destruction est totale. Cependant les gens reviennent s’installer dans leur cave ou dans des abris en demi-lunes recouverts de tôle. Le 1er édifice reconstruit est l’église, le reste nécessitera beaucoup plus de temps. Dans les années 20, le choix des maisons et des façades est proposé par des  catalogues. Nous commençons notre circuit par l’immeuble occupé aujourd’hui par l’office du tourisme, lui même. 
Cet ancien magasin de porcelaine art déco« A la ville de Limoges » porte encore son nom au sol à l’entrée  et sur le fronton sous fond de mosaïques colorées. A côté, une façade se distingue  par des pignons à redents de caractère plus nordique.
Beaucoup de maisons sont dotées de garde corps significatifs ainsi que de bow-windows, d’ornements végétaux, de cannelures ou de tourelles, éléments prisés à cette époque.
L’architecture s’inspire parfois des grands magasins en adoptant de baies vitrées juxtaposées favorables à l’entrée de la lumière.
Quant à la gare, elle ne manque pas d’originalité : elle prend la forme d’une locomotive dont l’horloge constituerait la cheminée.
Divisée en  cinq modules portés par un terrain troué comme du gruyère, elle est équipée de vérins hydrauliques permettant de hausser l’une des parties en cas de nécessité.
Les ferronneries et une frise de losanges, rouges, sont les seuls éléments décoratifs concédés car les fondations engloutirent tout le budget.
L’intérieur possède un plafond voûté  fait de pavés de verre sertis dans du béton, apportant de la lumière. Des mosaïques horizontales de style cubiste courent  le long des murs ; elles célèbrent d’une part  la mine et les mineurs coiffés de leurs barrettes (casques) allant et revenant du travail.
D’autre part, elles mettent en valeur l’ère industrielle, les machines et les  transports (bateaux, camions,) qui ont un  besoin impératif du charbon.
Nous traversons la rue pour faire face à l’emplacement de l’Apollo. La façade art déco de cette ancienne salle de cinéma et de spectacle réputée, trop vétuste, a dû être abattue. Mais l’entrepreneur  chargé des travaux pour un  hôtel de luxe  s’est engagé à restituer à l’identique ce bien patrimonial.
Aloïs n’a pas compté son temps et son énergie devant pourtant un public réduit, avec une prestation de qualité et une passion bien transmise.

mardi 20 avril 2021

Les brûlures. Zidrou & Laurent Bonneau.

Zidrou, le roi de la diversité scénaristique, réussit aussi bien dans le tendresse, la drôlerie, ou le tragique; son polar promet de l’originalité. 
La variété de ceux qui l’ont mis en dessin s’étend  ici magnifiquement avec Bonneau qui avait excellé dans « Ceux qui me restent »
Mais l’éclat des aquarelles, la force des évocations aquatiques font passer au second plan l’intrigue criminelle qu’ont à élucider Light et Nutella, deux policiers désabusés.
La sobriété des dialogues n’épargne pas d’une certaine grandiloquence dans les mots comme dans les panoramiques souvent grandioses.  
« La vie, c'est comme la piscine.
Il y a toujours quelqu'un pour t'apprendre à nager.
Mais va t'en trouver quelqu'un pour t'apprendre à te noyer ! »
 
Le récit d’une relation amoureuse se mêlant au déroulement d’une enquête aux atroces révélations brouille la lecture des 116 pages qui laisseront le souvenir d’un beau carnet de croquis tragiques plutôt que d’une histoire bouillante.

lundi 19 avril 2021

Coup de torchon. Bertrand Tavernier.

Dans ce film de 81, je me rappelais  d’Eddy Mitchell et de Guy Marchand en imbéciles de haute volée, à les revoir, le rire a tourné au jaune et sous le soleil blanc le propos m’a paru vraiment très noir.
Quand le commissaire humilié se venge, nous sommes soulagés : les salauds sont vraiment trop salauds. De toutes ces personnes minables qui ont la belle vie dans l’Afrique Occidentale Française à la veille de la seconde guerre, n’est épargnée que l’institutrice.
« Tu cherches à sauver des innocents ? Y’en a pour ainsi dire pas. Les crimes, y sont tous collectifs. On participe à ceux des autres et les autres participent aux vôtres. »
 Les dialogues sont excellents : 
« A partir de quel moment on se gratte les couilles parce que ça nous gratte ou parce que ça nous fait plaisir ?".» 
Les acteurs sont au sommet de leur art : Huppert incarne Rose une garce à qui on pardonne (presque) tout, Noiret joue l'ange exterminateur à la voix enjôleuse d’autant plus calculateur et cynique qu’il a été excellent dans la veulerie, Marielle apparait en mac élégant, Marchand se montre abject, Mitchell libidineux, Audran en bigoudis.
Les images très fortes et justes de l’Afrique ne constituent pas qu’une toile de fond. 
Dans la richesse des thèmes abordés l’historien émérite du cinéma
nous gratifie d’une séance en plein air interrompue par une tempête de sable que les spectateurs noirs suivaient avec un traducteur en live alors que les colons depuis leur balcon voyaient le film à l’envers.
Finalement cette drôle de fable est drôle, folle, luxuriante, discordante comme le souligne parfois la musique, poétique, posant quelques problèmes métaphysiques sans sacrifier une once de notre plaisir de spectateur.

 

samedi 10 avril 2021

Fille de révolutionnaires. Laurence Debray.

Nous sommes loin de règlements de compte devenus un genre littéraire et de la formule :« Il n'y a pas de héros pour son valet de chambre »; la fille d’un de mes maîtres et d’une mère épousée lorsqu’il était prisonnier, écrit bien et décape. 
Elle parle de Régis Debray, en père malhabile:  
« Il s’inquiète de la décadence de la France, passant du flamboyant homme d’influence, qui a pris les armes avant d’arpenter les couloirs des palais de la République, entre trois essais, deux maîtresses et cent complices, à « Schtroumf grognon » qui pond des pamphlets entre trois arbres, deux chevaux et cent courtisans. »
 
De Gaulle était intervenu pour protéger le théoricien du « foco » :
 
« Il serait regrettable de mettre un terme, pour des fautes de jeunesse, à une existence chargée de promesses et qui permet un sincère amendement. » 
Au-delà de la biographie de celui qu’elle disculpe d’avoir parlé sous la torture et son propre parcours entre sa famille vénézuélienne et ses grands parents de la haute bourgeoisie parisienne qui assurent, pendant que papa et maman sont à leurs œuvres, est posé le thème de la filiation : 
 « Toute appartenance est une prison ; toute légende est une servitude. »
« Mon père épousait une femme aussi belle que solide […] ma mère convolait avec l’intelligence pure et théorique avec la blondeur et la naïveté du jeune Européen épargné par la vie et l’Histoire »  
A New-York, où son père est toujours interdit, elle a travaillé dans une banque :  
« Evidemment c’est moins glorieux que de sauver les peuples de l’injustice et de l’inégalité. Je trouvais pathétique le dédain de la gauche bien pensante pour l’argent et son mépris pour les enjeux économiques, inquiétant. »  
Moins écorchés que les souvenirs de Virginie Linhart, 
ces 300 pages m’ont passionné et même si je suis bien loin de ces milieux où Signoret est une intime ainsi que tant d’autres aux noms prestigieux, la biographe de Juan Carlos est mariée à un Servan Schreiber, je me suis senti concerné par cet ouvrage. L’amour se cherche et l’écrit permet le pardon ponctuant le temps qui file. Elle remercie ses parents :  
«Ils ont toléré, avec grâce et indulgence, mon point de vue parfois irrévérencieux, sur des sujets personnels douloureux. Ma reconnaissance est à la mesure de leur mansuétude et de leur intelligence.»

.............. Vacances du blog quand les petits sont en vacances par chez nous. 
Retour dans une semaine.

vendredi 9 avril 2021

Poisons d’avril.

J’avais trouvé cette année le premier avril bien terne, dépourvu de créativité, il est vrai que "Le Gorafi" tend à s’épuiser depuis 10 ans face à une concurrence quotidienne dans l’absurde. Certains ne croient aucune information émise ce jour là mais avalent toutes les fake-news tout au long de l’année.
Les températures en hausse rencontrent la durée des calendriers où les fêtes religieuses qui le rythmaient se font de plus en plus discrètes.
«Les amandiers en fleur annoncent le printemps
Au noir figuier qui ne veut pas les croire» Louis Brauquier
Sur l’éphéméride les rendez-vous sont incertains, pourtant des choix s'annoncent, alors il va à nouveau être question de la jeunesse, carrefour des options. 
Surinformation et ignorance, le déni de la létalité du Coronavirus touche surtout nos héritiers qui ont accentué l’aveuglement, que nous boomers, cultivions face à la mort. Conformément aux attitudes pleurnichardes contemporaines, ils vont se montrer compatissants en paroles vis-à-vis des vieux, mais provocateurs en acte.
Quitte à forcer le trait du tragique pour se poser vis-à-vis de l’inconscience d’adolescences prolongées, je vois le jeunisme occulter les souffrances des vieillards abandonnant bien vite toute parole aux jeunes pousses. Les fragrances printanières n'obligent pas à la démagogie.
Alors que nous avons été pris de court par la pandémie, l’exécutif s’est doté d’un Haut-commissaire au Plan. L’appellation sera-t-elle la signature paradoxale de la disparition de toute vision prospective comme la revendication du « respect » quand celui-ci devient denrée si rare ?  En tous cas des échéances vont venir pour des trajectoires amenées à se préciser après des formations perturbées, quelles orientations pour les sortants d'années d'étude?
Je n'insiste pas sur mon antienne : « plus personne ne veut être boulanger » pour regretter un effet pervers de la revendication de « chances égales pour tous » qui a tourné au mépris réciproque envers ceux qui ont accédé à des professions bien rémunérées, à des postes de responsabilité plus visibles, et ceux qui n’y sont pas parvenus. L’intériorisation de l’incapacité de l’école à réduire les inégalités, sans cesse proclamée, fait que chacun se défausse de toute responsabilité.
Malgré les odes en l’honneur des premières lignes, sur fond de croyance fallacieuse d’un accès de tous aux feux de la rampe, est entérinée une hiérarchie des dignités. On se gardera de dire qu’il est plus noble d’être trader qu’assistante maternelle mais qui préfèrerait-on épouser ? 
Variation sur le thème distance actes/paroles :  
« Sauvons la planète, mais qui va sortir les poubelles ? »
La valeur humaine étant indexée sur le salaire, est venu le temps de l’indignation quand les métiers essentiels se trouvent être les plus mal payés. Cependant la bataille idéologique sera rude quand  bien des jeunes gens branchés accolent à « jobs » le terme « bulshit » pour dire « boulot de merde » ; élevé au cul des vaches je ne peux accepter cette hiérarchie des taches.
Le respect du travail « manuel » figurait dans bien des discours, mais laisserait entrevoir un potier plutôt que le ripeur de nos bacs à déchets. Je ne jouerai pas non plus avec le mot « bac » quand s’expriment les regrets à l’égard d’un diplôme dévalué alors que ceux qui font de la musique sans avoir appris le solfège ou sont familiers de Proust sans avoir assisté aux cours, paradent sur les plateaux. Les vérités contradictoires s’additionnent dans un contexte où la valeur travail est mise à bas. Le « progressiste » comme on disait jadis, qui avait sur la poitrine marteau et faucille ne touchait pas forcément des mains calleuses.
Par contre il faudrait remettre au goût du jour le terme « publiciste » qui désignait au XIX° siècle les journalistes, ils ajoutent à leur militantisme peu discret, un conformisme navrant qui les voit reprendre sur plusieurs supports la même expression «  tour de vis »  pour désigner les mesures visant à limiter la propagation du virus.
 « La liberté d'expression se mesure à ceci : tant que les journalistes peuvent dire que tout va mal, c'est le signe que tout va bien. » Geluck.
On va très bien !
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Dessin de Chapatte dans le journal "Le monde"

jeudi 8 avril 2021

Un récit qui donne un beau visage. Jørn Riel.

Première partie de la trilogie « La maison de mes pères » dans l’œuvre du Danois où le mot « racontars » figure souvent, ce récit retrace l’enfance du narrateur au pays des Eskimos dont l’appellation avait fini par disparaître de notre vocabulaire au profit d’Inuit exempt de connotation péjorative. 
« J'ai deux pères. En vérité, j'aurais sans doute dû en avoir cinq, mais les camarades s'étaient mis d'accord pour désigner Pete et Jeobald comme mes vrais pères et Samuel, Gilbert et Small Johnson plutôt comme un genre d'oncles. »
Les cinq compères aux personnalités affirmées et leur petit bénéficient des bons soins d’une vieille recueillie alors qu’elle attendait la mort. 
«  Les deux traineaux arrivèrent tard dans la soirée. Les hommes suspendirent leur pelure dans l’entrée et bientôt tout le monde fut attablé autour de la soupe souveraine d’Aviaja. Une soupe à base de chair de mouette, agrémentée de graisse de renne et de filets de nageoire épilée de phoque. » 
L’auteur ayant vécu 16 ans au Groenland nous restitue avec humour quelques aspects de la vie rude des habitants de ces contrées arctiques où l’apparition d’êtres imaginaires lors de longues nuits peut s’expliquer par l’abus de substances distillées.
Ces 230 pages cocasses de couleur saumon nous dépaysent.
L’importance des récits dans des lieux où sont bousculées les notions de distance et de temps s’accorde bien aussi au mode BD