lundi 29 mars 2021

Le samouraï. Jean Pierre Melville.

La forme peut envoyer par le fond : ce polar est tellement stylé qu’il en est figé, avec une accumulation de clichés qui le range parait-il dans la catégorie des films culte.
Le scénario cultive les invraisemblances avec Alain Delon en tueur à gages dont on ne voit que le chapeau soigneusement vissé et revissé et l’imperméable. Le mutique ne passe surtout pas inaperçu, il met les gants avant de prendre son révolver, alors que les gestes barrières ne s’imposaient pas dans le seul lieu où il ne devrait pas aller, s’il n'était pas suicidaire.
A quoi bon passer tout son temps à se forger un alibi et abuser ses poursuivants dans le métro pour revenir banalement sur les lieux du crime ?
Il faut que le charme des plans et de la lumière, la beauté des acteurs et des actrices soit forts pour que la nostalgie qui s’attache à ces années nous laisse regarder ces images en noir et blanc, finalement, sans déplaisir. 
A l’heure où le cinéma français célèbre Dupontel avec Masiero et compte ce film de 1967 parmi ses chefs d’œuvre, les borgnes au pays des aveuglements continuent à hanter les salles vides.

dimanche 28 mars 2021

Et toujours en été. Nino Ferrer.

Un coffret jaune pétant avec l’artiste en chemise cintrée et mèche à la Dutronc s’appuyant avec élégance sur le mot « best of » contient 3 CD.
24 chansons, 13 plages instrumentales, 23 reprises.
Les années 70 sont éternelles tels les diamants de chez ce Bond Fleming Ian.
En ces temps de portable, mon petit fils Nino, il était tout petit, épatait un passant en chantant à tue tête «  Gaston y a le téléfon qui son ».
Il n’y a pas qu’Aldebert comme "idole des jeunes" comme disaient ceux qui savaient ce que SLC voulait dire 
Sous de telles couleurs vives, les souvenirs de drôles de paroles aux musiques enjouées viennent se superposer à l’annonce de sa dépression fatale de 98. 
« Les Cornichons », « Oh ! Hé ! Hein ! Bon ! », « Mirza » appartiennent au patrimoine qui relie les nostalgies des papous aux fantaisies pour minos.  
« On est parti, samedi, dans une grosse voiture,
Faire tous ensemble un grand pique-nique dans la nature,
En emportant des paniers, des bouteilles, des paquets,
Et la radio ! »
 La quête éternelle de l’amour : 
« Je cherche une petite fille » qui voudrait bien
Rester près de moi toute ma vie
Je l’ai cherchée longtemps, j’ai cru la voir souvent
 Mais ça ne se trouve pas facilement oh non ».
Se mettre dans une autre peau : « Je veux être noir » :
« S'il vous plait dit's moi comment vous faites,
Monsieur Charles, Monsieur King, Monsieur Brown 
Moi je fais de mon mieux pour chanter comme vous »
 Et même si un super marché s’installe pas loin de « La maison près de la fontaine » : 
«  C'n'est pas si mal 
Et c'est normal
C'est le progrès » 
« On dirait le Sud »: 
« Le temps dure longtemps 
Et la vie sûrement 
Plus d'un million d'années 
Et toujours en été. » 
C’est difficile pour les reprises de tenir la comparaison avec l’original à proximité, fussent elles interprétées par Arthur H ou Nilda Fernandez, ou vraiment revues comme avec Arno à la recherche déchirante de « Mirza ». Par exemple, entre original et copie même si Reggiani a la voix plus belle que celle de Boris Vian, je me suis mis à apprécier « Le déserteur » dans son jus initial. 
Manu Dibango, nous manque : «  Je veux être un noir »,
« Quand tu as compris que tu n’étais pas chargé de mission musicale parce que tu es africain, ça te libère. J’écoute aussi bien Rachmaninov que Duke Ellington. » 
Nous ne sommes pas dépaysés dans le CD sans paroles par des morceaux de « musique progressive » matinée de « rythm and blues », de « musiques noires », par le plus blond des italiens. 
L’auteur, compositeur s’appelait Agostino Ferrari.

samedi 27 mars 2021

Le royaume. Emmanuel Carrère.

L’opposition entre la pluralité des opinions permises par la diversité des livres contre l’étroitesse de La Vérité d’un seul Livre est toujours bienvenue. 
Et là au bout de 600 pages essentielles, l’écrivain érudit en recopiant les derniers mots de l’évangile de Jean permet d’entrevoir avec brio la richesse d’un seul Livre : 
« Jésus a fait encore beaucoup d’autres choses. Si on les écrivait toutes, il faudrait tellement de livres que le monde ne pourrait les contenir ».
D’une pratique de la messe quotidienne à la position d’agnostique, le cheminement intérieur de l’écrivain, ses rencontres, ses amitiés, rendent plus intense le récit de Paul et celui de Luc, de Jacques, entre Jérusalem et Rome, en Asie et en Grèce.
L’histoire des premières années du christianisme est passionnante, les interrogations sur notre condition humaine bien mises en perspective, peuvent émouvoir athée et chrétien : 
« Le christianisme était un organisme vivant. Sa croissance en a fait quelque chose d'absolument imprévisible, et c'est normal : qui voudrait qu'un enfant, si merveilleux soit-il, ne change pas ? Un enfant qui reste un enfant, c'est un enfant mort, ou au mieux retardé. Jésus était la petite enfance de cet organisme, Paul et l'Eglise des premiers siècles son adolescence rebelle et passionnée. Avec la conversion de Constantin commence la longue histoire de la chrétienté en Occident, soit une vie adulte et une carrière professionnelle faite de lourdes responsabilités, de grandes réussites, de pouvoirs immenses, de compromissions et de fautes qui font honte. Les Lumières et la modernité sonnent l'heure de la retraite. L'Eglise n'est plus aux affaires, elle a de toute évidence fait son temps et il est difficile de dire si son grand âge, dont nous sommes les témoins assez indifférents, tend plutôt au gâtisme hargneux ou à la sagesse lumineuse qu'on se souhaite, moi en tout cas, quand on pense à sa propre vieillesse. »
 La documentation très complète est rendue vivante par l’interrogation qui ne se relâche jamais de l’écrivain en train d’écrire et du croyant qui s’est défait de ses croyances.  
« La foi, c’est croire quelque chose dont on sait que ce n’est pas vrai. » Mark Twain

 

vendredi 26 mars 2021

Les jeunes fatiguent.

Hérissés du poil, fines bouches, grandes âmes, s’indignent facilement, mais leur niveau d’exigence baisse très nettement à l’égard de toute parole émise par quelque juvénile figure. 
Ces jeunes pousses connaissent des hauts et des bas mais ne sont pas oubliées:  
le seuil de non-consentement sexuel s’élève, en même temps resurgit le débat à propos de l’abaissement de la majorité électorale. C'est qu'entre poussins et vétérans, les appellations fluctuent : un journaliste parle d’adolescence pour une fillette de 12 ans mais pourrait comme d’autres confrères en rajouter quant à l’infantilisation des étudiants. « L’autonomie » maître mot en maternelle n’est plus usitée pour ceux qui suivent - comment disait-on - des études supérieures.
Je ne pense pas contredire mon article de la semaine dernière
en affirmant que le respect que l’on doit aux plus fragiles passe par des paroles sans détours.  Exercer un esprit critique ne dispense pas d’une lecture dépassionnée des situations quand une nouvelle pensée unique se dope à l’argent magique sans ignorer, au-delà des générations X ou Y, les conditions difficiles d’existence de certains.
Nous ne rendons pas service aux victimes, en versant l’obole d’une larme de crocodile. Pour trier dans les indignations afin de saisir les urgences, rappellerait-on aux intermittents du spectacle qu’ils sont de plus en plus nombreux à bénéficier d’un statut des plus favorables ?
Ce ne sont peut être pas les mêmes qui ont de la vigueur pour secouer le cocotier de l’urgence climatique et les mobilisés contre l’interdiction des teufs, du genre à promouvoir un apéro à l’Estacade, ou des rassemblements sur les quais de l'Isère; ils nous pompent l’air.
Le terme « activiste » aurait des racines communes avec le mot « action » et ne peut se confondre avec allocutions ni demande d’allocations.
Concernant une organisation de jeunesse ayant atteint son seuil d’obsolescence, je reviens sur un de mes mantras consistant à compléter: « on a le ou la … qu’on mérite » par président, conjoint… Ainsi « on a l’UNEF qu’on mérite ». Leurs représentants se révèlent incultes jusque dans l’orthographe de leurs communiqués, violents : après l’incendie de Notre Dame : « On s'en balek objectivement c'est votre délire de petits blancs » d’une responsable dans la ligne de positions récentes qui ont choqué même le PS dont c’était la pouponnière.
Et autour de ces affaires, sous le titre : « Qui fait le jeu de qui ? » refusé par le journal « Le Monde » et publié par « Le point », difficile de mieux dire que JF Khan:
« Depuis des années, systématiquement, que fait-on ? On livre à l’extrême droite toutes les valeurs fondatrices du combat démocratique et républicain pour peu qu’elle ait, cette extrême droite, tactiquement, mis, ne fût-ce qu’un petit doigt dessus : la nation, la laïcité, la sécurité, la République. […]
Qui fait le jeu de qui ? L’aspiration universelle à la sécurité, les déchirures sociales provoquées par la dynamique des flux migratoires, l’angoisse d’une perte d’identité, autant de réalités concrètes qu’il fallait non pas occulter, exorciser, mais affronter pour leur apporter des réponses démocratiques et progressistes. Au lieu de quoi, toute une fraction de la gauche et de l’extrême gauche intello-médiatique a jeté l’interdit, l’anathème sur toutes les velléités d’affronter frontalement ces questions et, ce faisant, en a livré l’exclusivité au Front national à ses alliés et à ses acolytes.
Qui fait le jeu de qui ?Ce qui singularisait l’extrême droite et le néofascisme, c’était l’intolérance, l’appel à la censure, à l’interdiction, la pratique de l’exclusion, la violence excommunicatrice, le rejet de la libre expression… Et voilà que ces pratiques sont récupérées par plusieurs affluences d’un radicalisme prétendument de gauche sans susciter la levée de boucliers qui s’imposerait. Pire : ce qui caractérisait le mal devient l’une des formes acceptables de la manifestation du bien ! » 
Ok roquet boomer!


jeudi 25 mars 2021

Papiers découpés. Stéphanie Miguet.

Les musées sont fermés, alors les galeries connaissent une certaine affluence.
Chez « Alter Art » au 75 rue Saint Laurent à Grenoble du mercredi au dimanche de 15h à 19h, https://sites.google.com/site/alterartorg/home
il vous faudra peut être patienter dans la rue avant d’apprécier le travail de Stéphanie Miguet.
Ce dimanche, on nous proposait même un verre de vin pour être raccord avec l’ambiance conviviale des scènes romantiques présentées dans ce lieu modeste aux propositions souvent sympathiques.
Les techniques du papier découpé traversent le temps et l’espace depuis la Chine pays du papier
aux alpages suisses où des paysans célébraient au ciseau la montée aux alpages (« la poya ») 
ou magnifiaient des images religieuses en dentelles au canif (« canivet »).
Matisse fut une référence colorée d’un genre familier
pour le lecteur de livres dépliants pour les petits ( « pop up »)
voire pour une réalisatrice d’origamis faisant appel à des vertus mobilisées en général au yoga. 
Le Marquis de Silhouette a fourni à nos représentations du XVIII° siècle quelques profils élégants.
Au delà de la délicatesse impressionnante des gestes, les histoires racontées par l’artiste nous reposent des agressions, des jérémiades communes, en privilégiant l’unité d’un immeuble où les familles sont réunies, la cohérence des étapes d’une vie, l’harmonie d’un soir d’été aux terrasses d’une ville où il fait bon vivre.
Il a fallu évider et parfois trancher au scalpel pour faire ressortir les beaux contours d’un couple d’amoureux, l’élégance d’une terrasse, les vibrations d’une rue, l’équilibre d’une danseuse, l’allégresse d’un squelette. 
Bien que le lieu ne soit pas immense on peut s’attarder  devant ces décors paisibles, ces personnages qui ne font pas d’histoires et apprécier le printemps.

mercredi 24 mars 2021

Craonne

Nous prenons le petit déjeuner avec des biscuits roses, spécialité de Reims et nous décollons vers 9h, direction Saint Quentin.
les petits pavillons modestes cèdent la place à quelques immeubles HLM bas. Nous ne traversons plus les vignes en ayant pris la direction du Nord Ouest mais plutôt des champs de chaume blond, immenses et plats. Le long de cet itinéraire sans autoroute ni péage, l’habitat désormais favorise les briquettes rouges.
Des panneaux indicatifs, avant l’arrivée à Laon, signalent  la présence marquante de la guerre de 14-18 dans les parages. Ils annoncent un cimetière anglais ou un monument des chars d’assaut, un petit cimetière en bord de route rassemble des petites croix identiques régulièrement espacées.
Déjà en 1814, la bataille de Laon avait été une des dernières de la campagne de France, Blücher l’emporta de nouveau contre Napoléon.
Puis apparaissent les noms de CRAONNE et chemin des dames
Nous n’avions pas imaginé être si près de ces lieux chargés d’histoire, que nous ne situions pas vraiment.
Nous nous détournons de notre route.
Craonne reconstruit après-guerre est tout juste un hameau avec une petite église, sans même un café sur la place. 
Craonne le vieux n’existe plus, à la place une forêt masque le terrain bosselé par les tirs de mortier et les bombes. 
Là, des panneaux  expliquent avec texte et images  le chemin des dames, l’origine de ce nom, les mutineries, les grottes et les caves où les Allemands coincés par une explosion française moururent asphyxiés. Le nom charmant du chemin destiné aux filles de Louis XV est devenu pour l’histoire celui du lieu des désastreuses offensives commandée par le général Nivelle.
Adieu la vie, adieu l'amour,  
Adieu toutes les femmes 
C'est bien fini, c'est pour toujours  
De cette guerre infâme  
C'est à Craonne sur le plateau  
Qu'on doit laisser sa peau  
Car nous sommes tous des condamnés 
C'est nous les sacrifiés 
Passant, souviens toi…

Mais nous n’avons pas trouvé de monument en l’honneur des soldats morts ou évoquant les batailles terribles. Personne ne vient troubler cette terre ensanglantée, si ce n’est les forestiers que nous entendons  travailler au loin. Nous n’avons pas pris le temps de monter jusqu’à l’observatoire.

mardi 23 mars 2021

Les grands espaces. Catherine Meurisse.

Je place cette auteure au plus haut depuis le partage pudique, profond et original de son chagrin après les assassinats de Charlie. 
En 90 pages elle traite de la nature et de la culture non en les opposant mais en les réconciliant à travers de tendres souvenirs d’enfance.  
Au Louvre :« Je découvrais ces lieux, ces œuvres, ces vestiges, ces peintures, et étrangement, il me semblait les connaître depuis toujours. Le feuillage des arbres de Corot, les bosquets de Fragonard, les buissons de Watteau, la campagne de Poussin, c'était mon jardin, mes paysages... mes grands espaces. » 
Si je ne suis pas d’accord avec son indignation devant la multiplication des lotissements qui permettent de loger des personnes qui n’ont pas forcément les moyens de retaper une vieille ferme comme ses parents ont pu réussir à le faire, je la suis pas à pas quand elle participe à la journée où l’on tue le cochon, ou quand avec sa sœur, elles font musée de tout ce qu’elles découvrent.
L’humour évite toute nostalgie et mièvrerie mais traite de l’évolution de la campagne avec une efficacité qui n’oublie pas les nuances. En dehors de l’harmonieuse famille qui plante des rosiers de chez Montaigne ou baptise un chêne « Swann », les habitants du village ne sont pas jugés comme des bêtes curieuses, ce qui lui permet de dénoncer avec vigueur les évolutions des techniques agricoles qui ont arasé les haies et artificialisé les sols.