jeudi 22 octobre 2020

Monet : le sacre de la lumière. Damien Capelazzi.

Le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble avait choisi un portrait de  l’artiste à 25 ans pris par Etienne Carjat, bien que celui qui s’est éteint à Giverny à 86 ans soit passé à la postérité avec sa vénérable barbe blanche.
Nous l’avions déjà croisé : 
Oscar Claude Monet est né en 1840, à Paris rue Laffite, plus tard devenue une rue où les marchands de tableaux sont nombreux. Son père agent de commerce ayant fait faillite rejoint sa  demi-sœur au Havre avec sa famille. Cette tante Marie-Jeanne Lecadre, élèvera les enfants Léon et Oscar Claude après la mort de leur mère.
Le jeune O. Monet vend ses caricatures comme celle de « Léon Manchon », chez un papetier où il va rencontrer Eugène Boudin qui sera déterminant pour sa carrière.
Il s‘agit du « Portrait présumé » de l’artiste de plein air, visible dans son musée à Honfleur.
De retour à Paris, Claude Monnet rencontre Corot, Daumier, Courbet, Pissaro, à l’académie suisse et A. Daudet, Baudelaire à la Brasserie des martyrs, place forte des « réalistes ».
Bien que sa famille ait proposé de payer son exemption de service militaire, il part à Alger où Charles Lhullier le peint en tenue de zouave.   
« Les impressions de lumière et de couleur que je reçus là-bas ne devaient que plus tard se classer. »
Seize mois plus tard il contracte la fièvre typhoïde et reprend des cours à Paris chez Charles Gleyre qu’il quitte rapidement avec Bazile, Renoir et Sysley
Le tableau peint par Renoir représentant « Frédéric Bazile » avec en arrière plan un tableau de Monet sera acheté par Manet. Manet fait l’actualité avec son « Déjeuner sur l’herbe » pour lequel Clémenceau se bat en duel avec un spectateur qui avait craché sur cette « Partie carrée » intitulée initialement « Le Bain ».
Monet
  propose son « Déjeuner sur l’herbe »  plus sage mais en des dimensions prévues pour la peinture d’histoire : 6 m. 
Face aux critiques de Courbet figurant pourtant au centre du tableau, il le replie et après quelques dégâts dus à l’humidité, le découpe en trois morceaux dont deux sont à Orsay ; la préparation en format plus modeste est à Moscou.
Camille Doncieux, sa femme est son modèle avec son fils Jean dans  « La Femme à l'ombrelle » monumentale, où les nuages s’accordent à sa touche.
Elle était aussi « La femme à la robe verte ».
Alors que les artistes à cette époque étaient invités à reproduire les œuvres des anciens, il se place derrière une fenêtre du musée pour peindre «  Le Quai du Louvre ».
Surnommé « Le Raphaël de l’eau » il a été tenté par deux fois de se noyer, alors qu’il nous a donné à voir tant de ciel dans ses reflets.« La Grenouillère » haut lieu de l’impressionnisme n’était pas vue forcément comme un lieu de calme et de miroitements,  
Je complète ici les écrits de Maupassant précédemment cité :  
«On sent là, à pleines narines, toute l'écume du monde, toute la crapulerie distinguée, toute la moisissure de la société parisienne : mélange de calicots, de cabotins, d'infimes journalistes, de gentilshommes en curatelle, de boursicotiers véreux, de noceurs tarés, de vieux viveurs pourris ; cohue interlope de tous les êtres suspects, à moitié connus, à moitié perdus, à moitié salués, à moitié déshonorés, filous, fripons, procureurs de femmes, chevaliers d'industrie à l'allure digne, à l'air matamore qui semble dire : “Le premier qui me traite de gredin, je le crève.” »
Jongkind qui a peint « La plage à Saint Adresse », va lui « ouvrir les yeux ».
La « Terrasse à Saint Adresse » de Monet claque
et « Sur les planches de Trouville » c’est chic.
Il part à Londres pendant la guerre de 1870 où Bazile, la veille de sa mort au combat, avait dit « Pour moi, je suis bien sûr de ne pas être tué : j'ai trop de choses à faire dans la vie ». 
Turner vient flouter son espace  pictural dans  « La Tamise à Westminster ».
Dans la continuité, « Impression, soleil levant » représente bien plus que le port du Havre à 7h 35 le 13 novembre 1872.
Exposé dans l’ancien studio de Nadar boulevard des Capucines,  devenu vedette du musée Marmottan, il donnera son nom de baptême au mouvement « Impressionniste ».
«  La pie » ou « Effets de neige » avait suscité des manifestations hostiles d’étudiants des beaux arts.
Sur «  Le Pont du chemin de fer à Argenteuil » près de chez lui, deux époques se rencontrent.
« Les Dindons » constituent un sujet inhabituel d‘autant plus que le château de son commanditaire Hoschédé figure en fond.
A cette occasion il rencontre Alice Hoschédé qui soigna sa femme Camille jusqu’à sa mort.  « Camille Monet sur son lit de mort » ».
Elle s’était installée à Vétheuil, dans la nouvelle maison commune avec ses cinq enfants et deviendra sa deuxième femme « Eglise de Vétheuil » 
Ce fut « La débâcle », alors que deux ans auparavant  en 1878, 
quand l’exposition Universelle ouvrait une nouvelle ère, « La Rue Montorgueil » sortait les drapeaux
et la « Gare Saint-Lazare » devenait la cathédrale de la modernité.
Le minéral est proche de l’eau avec « Le Manneporte à Étretat »,
et « La  Creuse, soleil couchant » parait sauvage : 
premières séries avant celles des « Meules, milieu du jour »,
« Les peupliers»
ou « Les Cathédrales de Rouen »
et « Les Nymphéas » depuis Giverny où il va cultiver son jardin après avoir voyagé dans « ses campagnes »
depuis les « Aiguilles de port Coton » à Belle île
jusqu’à « Monte Carlo vu de Roquebrune »
L’Orangerie, qui accueille depuis le 11 novembre 1918, son œuvre testamentaire sous forme de panneaux se déployant  sur cent mètres « illusion d'un tout sans fin, d'une onde sans horizon et sans rivage », est devenue la Chapelle Sixtine des impressionnistes. Il a travaillé jusqu’au bout, bien qu’une cataracte qu’il ne veut pas faire opérer, l’ait diminué.
Clémenceau son ami fera retirer le catafalque noir qui couvre le cercueil pour le remplacer par un drap blanc décoré de fleurs.« Pour moi, un paysage n’existe pas en soi puisqu’il change d’apparence tout le temps… Seule l’atmosphère environnante donne sa valeur au sujet. »… « Il n’y a que du temps qui passe »

mercredi 21 octobre 2020

Côte d’Azur 2020 # 3. Carros. Cagnes sur mer.

Pour nous rendre au village de Carros nous traversons une zone industrielle et un quartier récent où vivent la plupart des 10 000 habitants de la commune qui compte aussi une autre entité : Carros-les-Plans plutôt horticole et résidentielle.
Ainsi dans l’arrière pays, les anciens villages perchés ont leur « Plan », ici au bord du Var alors frontière entre le Comté de Nice et la Provence à laquelle appartenait Carros.
Nous sommes dans les Alpes maritimes sur fond de Mercantour à la porte du parc naturel régional des Préalpes d’azur.
L’entrée en matière est parfaite avec un artiste carrossois, Dominique Landucci, spécialiste passionné d’un autre peintre exposé au château : Guillonnet.
Les œuvres recueillies par le collectionneur Frédéric Ballester accrochées jusqu’au 27 septembre conviennent bien aux vieux murs : de Callot à Combas, de Dürer à Arman, Braque, Bonnard, Chagall, Delaunay et 70 autres.
A Cagnes-sur-mer la maison de Renoir comporte plus de sculptures que de peintures du maître des formes rondes et roses.
La maison est agréable au milieu du jardin des Colettes qui n’a plus l’authenticité du temps de l’acquisition du domaine (1908) quand la famille pressait l’huile de ses oliviers,
mais des arbres vénérables demeurent tels qu’ils figurent sur des tableaux de Pierre le père.
Jean le fils y tourna « Le déjeuner sur l’herbe ».
De nombreuses séquences filmées nous montrent Pierre Renoir en action malgré des rhumatismes articulaires handicapants.
Il peindra jusqu’à sa mort en 1919 à 78 ans.
Dans cette journée des villages perchés nous sommes passés à Saint Jeannet sous son Baou (rocher en provençal).

mardi 20 octobre 2020

Un printemps à Tchernobyl. Emmanuel Lepage.

Quand on m’a mis dans les mains ce beau volume au titre irradiant comprenant le mot : « Tchernobyl », que même les plus oublieux n’ont pas perdu de vue depuis 1986, s’est réveillée ma culpabilité d’avoir déserté aussi le combat antinucléaire.
Ancien de Bugey et de Malville (1977), j’en suis à trouver qu’il est difficile de se passer du nucléaire, tant l’éolien a du mal à s’installer et que nos besoins en électricité ne cessent de croître : toute vie génère des déchets.
La démarche de jeunes gens qui installent une résidence d’artistes à proximité de la zone interdite et le courage qu’il déploient force le respect envers leur engagement et donne du crédit aux informations qu’ils rappellent ou qu’ils mettent en doute, voire lorsqu’ils en révèlent d’inédites.
Mais leur propos ne tient pas à un rappel de chiffres fussent-ils impressionnants : 
« Début 2010, l'académie des sciences de New-York affirme que la pollution durable due à l'accident a provoqué la mort, sur toute la planète, de près d'un million de personnes entre 1986 et 2004 »
 800 000 liquidateurs nous ont sauvés.
Leur sincérité rend passionnantes ces 176 pages, tendues, poétiques, chaleureuses.
Nous suivons intensément l’intention de l’auteur de montrer l’invisible. Il évite de tomber dans le formalisme,  et plutôt que de se complaire dans des images d’apocalypse, il touche le cœur du réacteur de nos vies de lecteur, lorsque ses dessins prennent des couleurs, alors qu’il a surmonté la douleur de ses mains qui le paralysaient .  
« Je croyais me frotter au danger, à la mort... et la vie s'impose à moi. Gildas, tu crois qu'on peut dire « Tchernobyl, c'est beau ? »
Ce voisinage avec la mort, ces défis pour la titiller avec une recherche d’une affirmation sommaire d’une virilité parmi de jeunes ukrainiens qu’ils fréquentent et respectent bien qu’ils soient tellement éloignés de leurs valeurs, est une belle histoire de vitalité et de tolérance. Il est bien question de printemps.
Lepage avait causé de Fukushima et dessiné, magnifiquement, dans la Revue Dessinée 
et depuis l’Amérique du Sud, il évoquait déjà les dilemmes d’un artiste 

lundi 19 octobre 2020

Drunk. Thomas Vinterberg.

Quatre potes profs se lancent dans une expérimentation « scientifique » pour combler le déficit  d’alcool que tout homme aurait dans le sang. Cette théorie a été développée par un psychologue norvégien et ne constitue pas seulement une ficelle scénaristique.
Peu importe finalement pourvu qu’on ait l’ivresse de l’amitié et du dépassement des rigidités et des fatigues.
La complexité des rapports pédagogiques n’est pas traitée en priorité, ce serait plutôt la difficulté de vivre dont il est question sur deux heures, tanguant entre comédie et tragédie. Quand la quiétude vire à l’ennui, la vodka donne de la vigueur aux glaçons.
L’équilibre est réalisé entre l’éloge de la convivialité accélérée par des breuvages de plus en plus forts qui peuvent mener au pire ou à la renaissance, alors qu’une pente fatale attend inexorablement les bambocheurs désinhibés. Aucune leçon de tempérance n’est infligée.
Comme le whisky que je me suis autorisé à prendre pour rédiger ce billet, ça arrache, mais c’est bon ! Nos frères les hommes sont parfois pitoyables et j’aimerais savoir danser comme le mystérieux Mads Mikkelsen.
Ce film est plus proche du film « La Communauté » 
que de « Festen » qui identifia le réalisateur au point de susciter des produits dérivés au théâtre http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/02/festen-thomas-vinterberg-cyril-teste.html

 

dimanche 18 octobre 2020

Le jardin de mon père. Ali Djilali-Bouzina.

Joli titre, qu’éclaire une conclusion émouvante, après que l’humour ait parcouru pendant une heure et quart un récit souriant et grave, loin du carré de fraises ou de navets*  qui est devenu l’horizon de tant de nos contemporains.
Venant d’Algérie, la famille Djilali arrive dans le Sud de la France « rue des âmes du purgatoire » puis se fixe dans une HLM près d’un cimetière en Alsace, contrée que la mère trouve exotique avec une langue qui ressemblerait pour elle au berbère.
Le one man show a de nouveau touillé mes potions nostalgiques quand pourtant la vie est rude au cœur du conflit entre la France et l’Algérie, à aucun moment ne sourd de plainte misérabiliste.
Le chocs des cultures, la découverte des distances de classes sociales sont universels comme le travail qui tient le père debout ou la pudeur des parents qui n’affichaient aucun signe d’amour mais ne pouvaient se passer l’un de l’autre ; ils ont eu 12 enfants.
Ce spectacle bien mené avec des trouvailles de mise en scène simples et efficaces où sa complice Clotide Aubrier joue la souffleuse, avait bien commencé avec des remerciements à son institutrice qui dans le contexte convoque pour moi Camus voire Pagnol, comme on peut aussi penser à Begag pour la tendresse ou à Fellag pour la vitalité
Mais c’est du Djillali, personnel, sensible, sans effronterie, un beau cadeau à son père à qui il donne la lumière et les mots et au public qui ne boude pas son plaisir. 
Il revient en mars à la MC2.
*Champ de navets : Cimetière d’Ivry, où étaient enterrés les condamnés à mort, voir Brassens et Gaston Couté (champ de naviaux)