dimanche 13 septembre 2020

La Méouge, le Rhône, la Durance. Michel Jonasz.

 
Malgré le charme de ses mélancoliques mélodies funky, l’auteur de « Super nana » apparaissait essentiellement sur les photos de groupe dans les albums jaunis de ma mémoire
et il a fallu qu’il mentionne une rivière des Hautes Alpes affluent du Buëch que nous longeons souvent pour que j’aille dégoter son dernier CD.
Dans cet album où les nuages rejoignent l’océan, avec un slam il évoque « La Méouge » et autour d’un feu, dans la fumée, se demande :
« Mais pourquoi voulez-vous saisir l’insaisissable ».
Il aimerait «  Traverser la mer à la nage » :  
« Sauter à cloche-pied d’étoile en étoile » 
Et demande à l’ « Océan » : 
« Prends-moi comme tu as pris mon père » 
Nous sommes bien sur « La planète bleue » :  
« Il faut faire honneur à ce que nous sommes
 Et ce qui fait l’Homme c’est la main tendue
 Et les bras qui s’ouvrent pour mieux accueillir
 L’étranger qui passe et l’enfant perdu. » 
Le poète éco-responsable, comme tout un chacun, se rappelle de son âge (72 ans): 
« On était bien tous les deux »et sa voix aux vibrations caractéristiques chevrote un peu sur «  La photo effacée » des bonheurs d’écriture : 
« Trouver l’échelle pour se hisser au grenierPour ne plus voir le temps passer »  
Mais difficile de prendre des paris à l’abord de « La maison de retraite » : 
« On ira jamais 
On dormira dehors, on r’gardera les étoiles  
On vivra libres et dignes » 
Mais il repart sur les routes, «groove», fait danser «  Baby c’est la crise » : 
« Tout le monde veut sa place au soleil
 Et les heures exquises 
Avant d’avoir la carte vermeil »  
« Le bonheur frappe à la porte » :« Allez-y » 
Et dans les « Nuits tropicales » 
« Danse Merengue  
Charanga jouez 
Habanera 
Reggae 
Merengue
Mambo 
Cha-cha-cha 
Bolero
Rumba 
Cha-cha-cha » 
La mélopée lancinante de « Sombre est la nuit » nous restera : 
« Sombre est la nuit comme dit la complainte
 Celle de Mackie et c'est une étreinte
 Sombre est la nuit une ombre qui passe
 Froide est la pluie d'une mémoire ancienne
 Sauvée de l'oubli on devine à peine 
Perdue dans la nuit cette ombre qui passe »

samedi 12 septembre 2020

L’art de la joie. Goliarda Sapienza.

L’appréciation d’un livre peut varier au fil des pages surtout quand il y en a près de 800. J’ai failli abandonner au début après une série de scènes d’une violence insupportable, si peu attendues sous un titre aux connotations mystiques inaccessibles. 
« Mais les promesses de liberté que les vagues et le vent s’en allaient répétant, se brisaient le long du mur des édifices fleuris de roses et de pampres de lave coupante. Il n’y avait pas de liberté dans ces rues, ces ruelles, ces places ambigües, débordant des seuls hommes avec des canotiers et des cannes arrogantes, épiés par des ombres féminines cachées derrière les rideaux des fenêtres ou dans l’obscurité des pauvres rez-de-chaussée à la porte toujours entre ouverte. » 
Nous sommes en Sicile au début du XX° siècle. 
« Par le sang de Judas » ponctue les dialogues.
Puis le style, la force de la figure centrale Modesta, la Princesse dite aussi Mody, m’ont captivé avant d’avoir du mal à retrouver tous les personnages après avoir délaissé trop longtemps une lecture exigeante, poétique, politique.  
«Comme je suis content que vous au moins vous ayez compris, Princesse, et que vous ne  vous soyez pas laissée influencer par la tendance répandue à rabaisser l’adversaire, chose qui comme dit Gramsci, « est par elle-même un témoignage d’infériorité de celui qui en est possédé… » 
On s’étreint beaucoup, on veille, on dort, on cherche, on change, on meurt, on nait, on aime.  
« Durant ce voyage Modesta fut toujours attentive à épier la plus légère ébauche de sourire ou de tristesse sur le visage aimé ; et chacune de ses volontés, chacun de ses gestes, chacune de ses pensées, fut absorbée par le soin de scruter, prévenir les désirs, repousser la douleur latente qui, toujours aux aguets, venait ponctuellement troubler ce visage d’amour. » Epuisant. 
Bien que fusionnelle avec hommes et femmes, la peu modeste héroïne venant  de si loin des douleurs et de la misère est devenue tellement admirée qu’elle nous dispense d’une quelconque empathie à force de traverser la vie sans faillir.
De jolies notations : «  les couleurs viennent du cœur, les pensées du souvenir, les mots de la passion.» 
L’amour : «  Il me semble qu’on tombe amoureux parce qu’avec le temps on se lasse de soi-même et on veut rentrer dans un autre. » 
L’homme : «  Il ne peut pas créer charnellement une vie. Et alors il essaie de donner vie à des idées.»
La mort : «  Il est temps de se remuer, de lutter de tous ses muscles et de toutes ses pensées dans cette partie d'échecs avec la Certa qui attend. Et chaque année volée, gagnée, chaque heure arrachée à l'échiquier du temps, devient éternelle dans cette partie finale. » 
Livre d’une vie, un chemin vers la liberté:  « Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie les plantes, les animaux… Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations des siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m'en servir, ceux que l'usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation. »

vendredi 11 septembre 2020

Le Postillon. Eté 2020.

Je crois savoir parfois renouveler mes opinions, rafraichir mes à priori, voire retourner ma veste, pourtant à la lecture  des 20 pages du Postillon, je reste constant dans mes accords et mes critiques.
Les rédacteurs sont anonymes, alors qu’ils ne manquent pas de nommer ceux qu’ils ont dans le collimateur. 
Leur ironie peut être lourde concernant des personnes à qui n’est pas laissé d’espace pour se défendre, se justifier, ainsi la directrice de la prison de Varces lors d’un reportage pourtant intéressant sur cette institution où des abus de pouvoir, des humiliations, des violences sont mis en évidence. 
Ils prennent le parti d’une jeune lectrice s’estimant humiliée par son père et qui n’a pas obtenu les réponses qu’elle attendait aux numéros d’urgence ou d'une prof en butte à son chef d’établissement, elle a forcément raison. 
Quand ils vont auprès des travailleurs, ils sont plus convaincants, surtout s'il n’y a « EHPAD répit pour les soignants ». 
Lorsqu’« un corbeau poukave les indics », le monde de la délinquance s’adapte aux nouvelles façons de communiquer, le travail de la police en est changé. Le ton de l’article est raccord pour cet aperçu en milieu hors la loi, alors que l’envoyée spéciale en immersion dans un espace de coworking le temps d’une session de coatching a plus de recul.
Le qualificatif « macronasse » envers Chalas ne grandit pas le bimestriel, même si  la députée use et abuse d’une langue de bois qu’ils savent bien débusquer de toutes parts, ainsi chez Piolle : 
« Ici, nous regardons l’espoir dans les yeux ».
Avec la novlangue des starts-uppers, leur cible privilégiée, pas besoin de commentaire quand c’est du concentré : 
«  Expérimenter des solutions inclusives, ensemble, pour demain. Création d’un lieu d’expérimentation pour répondre aux défis pour demain. Les Minimes est une fabrique d’innovation sociale et économique, un lieu d’hybridation urbaine mêlant activités économiques, initiatives citoyennes et tremplin associatif. L’objectif est de soutenir l’émergence et le développement de projets innovants, portant des valeurs sociales, culturelles, artistiques… »  
J’apprécie toujours autant leurs angles originaux: par exemple auprès des travailleurs exploités  de Deliveroo et Uber Eat  qui sillonnent la ville sac cubique sur le dos rempli de Macdo, pourtant  ces jeunessont satisfaits de ce type d’emploi où la souplesse est de mise. 
Je ne suis pas d’accord avec leur complaisance à l’égard des saccageurs d’antennes relais et des phraseurs volubiles et indélébiles sur les murs des autres.
Ils prétendent ne pas être de ces imbéciles qui regardent le doigt du sage qui montre la lune mais leur ton badin pour évoquer les incendies qui inquiètent les citoyens attachés au bien  commun participe de ce climat délétère qui appelle des surveillances renforcées.
Par contre je partage leur sympathie pour le Centre Inter Peuple placé en liquidation judiciaire ou leur évocation amicale du quartier Beauvert et celle du dernier cyber café grenoblois. 
J’apprécie leur humour avec leur classement des files d’attente, « queue je t’aime » : la poste Chavant explose le coefficient Cupidon, alors que la mercerie « Au Minou » devrait améliorer son score rapport ombre/soleil.
Encore un classement: celui des journaux de la cuvette en fonction de l’éloignement de leur imprimerie est original.  Gremag est imprimé en Mayenne  (778 km), Les Affiches et Le Petit Bulletin en Espagne ( 541km), Le Postillon à Montbonnot (11km).

 

jeudi 10 septembre 2020

Grottes d’Ardèche et pont du Gard.

Mes petits enfants ayant réalisé avec leur papa un petit film d’animation consacré à La préhistoire https://www.youtube.com/watch?v=gQO8ljNJYjE, il fallait aller voir sur place de quoi il retournait depuis ces temps reculés.
Une visite près de vallon Pont d’Arc, à La Grotte Chauvet, du nom de son « inventeur » en 1994, allait de soi avec ses dessins deux fois plus anciens que ceux de Lascaux.
La réplique très récente de la grotte originale promettait toutes les séductions de la muséographie contemporaine.
Le choix de miser sur les applications par téléphone pour respecter les mesures sanitaires en individualisant les parcours n’est pas allé sans gène vis-à-vis d’autres visiteurs qui avaient réservé à la même heure que nous. Cependant la profusion des œuvres, la précision des reproductions en font un site exceptionnel,
surtout quand la trace d’un doigt dans l’argile semble toute fraîche alors qu’elle date de 34 000 ans. 
A l’entrée les peintures sont rouges, et noires de charbon de bois en fin de parcours.
Les techniques varient pour représenter lions, panthères, mammouths, rhinocéros, chevaux, bisons, rennes, ours et un hibou.
Les parois préparées sont décorées d’empreintes de mains, les artistes ont utilisé les accidents de la roche, jouant de l’estompe, évoquant le mouvement et la perspective, avec même un couple mi-humain mi-animal très tendance en notre siècle anthropomorphe.
Les hommes et les femmes n’ont pas résidé en ces lieux mais un crâne d’ours sur un rocher entouré d’autres crânes alignés évoquerait des pratiques chamaniques.
Des marques de griffes voisinent avec des gravures et des traces de pas d’un enfant sont inscrites dans le sol pour l’éternité.Si l’interdiction de photographier libère du temps de cerveau disponible pour suivre les explications, nous nous sommes dispensés de visiter la galerie de l’Aurignacien ou le campement paléolithique et autre pôles pédagogiques discrètement installés parmi les chênes verts.
Concrétions, stalactites et draperies scintillantes sont reproduites dans Chauvet 2, mais c’est dans les salles gigantesques de l’Aven d’Orgnac que les paysages souterrains font valoir toute leur majesté.
Un siècle sera nécessaire pour que les belles gouttes qui tombent sur la stalagmite l’augmentent de 1cm.
Nous sommes là dans les temps géologiques remontant à 100 millions d’années pédagogiquement évoqués dans un petit film introductif avant de descendre 700 marches à 121 m sous terre. Nous remonterons en ascenseur. Dans ce royaume minéral subsistent des ossements d’animaux tombés dans le gouffre, voire jetés par les hommes quand la maladie ne les conduisait pas dans l’assiette.
La visite est guidée par une vraie personne et les éclairages facilitent la lecture des panoramas où apparaissent, stalagmites et colonnes, palmiers de calcite et Tour de Pise, piles d’assiettes ou évocation de kébabs, tuyaux d’orgues...
La salle Joly du nom d’un des découvreurs (1935) qui pourrait contenir un terrain de foot, est haute comme un immeuble de 12 étages. Des spéléologues aperçus avec leurs échelles de corde tout petits nous donnent l’échelle.
Un spectacle son et lumières conclut agréablement l’heure et demie de visite où le gilet est de rigueur.
Et c’est dans la cité de la préhistoire de ce site accueillant que nous révisons le passage du paléo au néolithique avec des outils interactifs qui fonctionnent, des maquettes bien faites, des objets authentiques bien choisis, des animaux naturalisés avenants.
De somptueuses images projetées la nuit sur le pont du Gard évoquant les arts de différentes époques, de différentes cultures, ont révisé les peintures pariétales de par ici, parmi les évocations de Gaudi, de l’art aborigène et les prouesses d’Eiffel…
Un guide un peu lourd avec ses blagues sur les belles mères et les touristes (qui le font vivre) nous avait tout de même renseignés sur l’aqueduc.
Sur les 360 m initiaux subsistent 275 m qui ont échappé aux prélèvements des riverains après l’interruption de l’alimentation en eau par les  Francs qui comptaient assoiffer les Wisigoths installés Nîmes.
Le canal de 50 km sur un dénivelé de seulement 12 m avait alimenté pendant 500 ans les termes et les fontaines de la Colonia Augusta Nemausus (Nîmes) depuis Uzès.
La plus haute construction de l’empire romain (49 m) au premier siècle de notre ère est une prouesse technique réalisée en 5 ans avec des pierres pouvant atteindre 6 tonnes et posées sans mortier. Un enduit rouge assurait l’étanchéité du troisième étage et signalait ainsi la limite à ceux qui étaient chargés de gratter les dépôts de calcaire qui aujourd’hui ont rendu le conduit très étroit. Au moyen âge des échancrures furent opérées pour permettre  à des charrois de franchir la rivière mais le trafic imposa au XVIII° siècle un passage adossé à la construction initiale qui n’a pas bougé même sous les crues impressionnantes du Gardon.
Les cars et les voitures y ont circulé jusqu’en 2000.

mercredi 9 septembre 2020

Le château de Pupetières.

La destinée de cette ancienne maison forte située sur la commune de Chabons (Isère)au cœur des « terres froides », territoire à l’appellation discutable,  
est étroitement liée à celle du château de Virieu, très proche. 
La propriété de François Henri de Virieu, ancêtre du François Henri présentateur de « L’heure de vérité », qui avait été élu député de la noblesse aux états généraux avait été pillée, quasiment détruite au temps de la grande peur de 1789.
Le père de Stéphanie de Virieu - celle ci fournira à la conférencière un lien entre un riche passé et des préoccupations féministes actuelles - était colonel du régiment de royal-Limousin, il fut tué lors du siège de Lyon en 93. Son fils Aymon décida de la reconstruction des bâtiments,
Lamartine son invité y écrivit « Le vallon » depuis les ruines dominant le val.
« Mon cœur, lassé de tout, même de l'espérance,
N'ira plus de ses vœux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort. »
 
90 ans plus tard Anna de Noailles évoque ces paysages qu’elle a également connus : 
« Dans ce vallon tintant de fraîcheur argentine
J’ai mis mes faibles pas dans vos pas, Lamartine,
Et je vais, le cœur grave et le regard penché,
Sur les chemins étroits où vos pieds ont marché.
Le vallon, entre ses coteaux,
Que parfument de molles menthes,
Comme un vase aux parois charmantes
Contient la liquide douceur
De cent petites sources sœurs.
On entend bruire la course
De ces joyeuses, folles sources ! »
C’est Alphonse, le petit fils, qui mènera les travaux; voisin de Mérimée, il confie le projet à l’inévitable Violet Le Duc, père du néo gothique voire précurseur de l’art déco.
«  Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné  » Sa signature, un chat, figure au plafond de l’entrée d’une des tours.
Le chemin de ronde est symbolique, les meurtrières factices en forme de croix de Malte  témoignent de temps chevaleresques d’une famille dont l’origine remonte aux gallo-romains et dont la devise : «Virescit vulnerus virtus, la blessure accroit le courage » était alors une façon d’affirmer ce que l’on nomme aujourd’hui la résilience.
Les miroirs de la grande salle où se réunissait la famille voudraient davantage refléter les âmes que les visages. Les psychés des cabinets de toilette leur sont réservées. La coquetterie était de mise, les parures des dames devaient être différentes au salon de celles de la salle à manger.
Cette pièce n’existait pas au moyen âge, on dressait la table, elle a bénéficié de moins de soins lors de réfection que la bibliothèque sur deux étages pour 45 000 livres, une des plus belle du département.
Au dessus de tapisseries de la manufacture de Beauvais, brique, marbre, fer forgé se côtoient autour d’un escalier peint de fausses tentures. Il mène, à l’étage dit des enfants, où derrière des panneaux de bois, des feuilles de houx découragent les rongeurs qui voudraient s’y installer.
Une chambre a été décorée de diables par Stéphanie.L’artiste s’était occupée de ses neveux, elle ouvrit au village une école pour les filles, « dont le devoir est d’étudier et de s’instruire » après avoir tenu une correspondance avec Monseigneur Dupanloup. Elle va créer jusqu’au soir de ses 88 ans.
Elle a conçu la frise sculptée au dessus de la cheminée qui représente le don d’une source fait par la famille de Virieu aux Chartreux de la Sylve bénite voisine dont on retrouve un panneau de bois ayant appartenu à leur couvent, lui aussi disparu, dans la chapelle du dernier étage.
Un oratoire est installé dans une tour restaurée récemment depuis qu’une expérience scientifique hasardeuse lui eut mis le feu. Les communs terminés en 1865 s’harmonisent bien avec le château,
Les eaux du vaste parc, mettent le bâti en valeur, elles courent, jaillissent, dorment dans les étangs où se reflètent sept tours en poivrière. 
Les plus anciennes sont recouvertes d’enduit alors que les murs de galets impressionnent sous les toits aux 45 modèles de tuiles vernissés. En 2006, Pascal Thomas tourna d’après Agatha Christie, « Le Crime est notre affaire »  avec Catherine Frot et André Dussolier. L’émission des racines et des ailes y posa l’œil de ses caméras.

 

mardi 8 septembre 2020

Le bruit des mots. Germain Huby.

Les mots prennent du poids avec des dessins à la ligne claire et aux couleurs pastels et effectivement, ils font essentiellement du bruit.  Banale source de malentendus, ils sont, bien entendu, à la fois des outils élémentaires de la communication et vecteurs d’incommunicabilité, terribles et insignifiants.
On a envie de déguster chaque scène qui est de la veine occupée par Fabcaro, en moins déjanté http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/03/et-si-lamour-cetait-aimer-fabcaro.html
mais on arrive vite au bout des 96 pages car on a envie d’en découvrir de nouvelles.
Ces dialogues brefs et variés telles des pastilles acidulées révèlent avec humour l’absurdité de nos conditions aggravée par les technologies nouvelles: 
« - Mon portable marche pas. Le réseau passe pas ici.
- Et la beauté du paysage, elle passe ?
- J'ai froid ! »
 
Au miroir d’une information en continu: 
«  Nous n’avons pas d’information pour le moment. Mais surtout restez avec nous ! Nous referons le point dans quelques minutes. » 
Quand le chef d’entreprise fait allusion à un employé peu scrupuleux, une dizaine d’auditeurs se sentent visés, et sur une autre planche un fils annonce à son père agriculteur qu’il veut être web designer.
Sur les chantiers, dans la rue, au lit, sur la plage, autour de la table ou au marché, dans les réunions, entre copines, entre père et fille, l’humour rattrape tous les conseils décalés, les surdités, les indifférences, les cruautés avec une pointe de poésie.
« - Papa pourquoi on vit ?
- La question c’est pas pourquoi on vit mais pour quoi en deux mots.
- Alors pour quoi on vit ?
- Tu préfères manger des fraises ou des cailloux ?
- Des fraises !
- Alors voilà, tu vis pour des fraises !
- Mais tu dis toujours que les fraises c’est bourré de saloperies aujourd’hui.
- Ça c’est pourquoi on meurt ma chérie. Mais on en parlera plus tard si tu veux bien. Ça suffit pour ce soir. »

lundi 7 septembre 2020

Kongo. Hadrien La Vapeur Corto Vaclav.

Il aura fallu six ans de préparation pour ce documentaire aux allures de fiction qui suit du côté de Brazzaville,
l’ « apôtre » Médard remis en question après le foudroiement de deux enfants d’une adepte de l’église « Ngunza » (les résistants). 
Les images poétiques rendent compte d’une réalité misérable tout en mettant en scène quelques processus mystérieux de guérison:   
«  désenvoûtement, chasse-diables, protection de parcelle, domination-attirance-maris de nuit, diabète, femmes stériles, folie chronique ». 
Nous plongeons dans une Afrique toujours aussi impénétrable, donc fascinante, où les morts font partie de la vie, l’imaginaire fertilisant le réel quand les sirènes se mettent en bouteille. 
Mais pourquoi le spectateur trouvant ridicule les mitres vaticanes et poussiéreux bien des mythes occidentaux se dispenserait-il d’être critique à propos de la sorcellerie? Cette pratique répandue fait tant de ravages en particulier auprès des enfants martyrisés lorsqu’ils sont dénoncés comme « enfants sorciers » .
Décoloniser sa pensée consiste à ne pas mépriser de tels rites, ce que fait admirablement ce film. Nous pouvons nous autoriser à considérer avec la même exigence, tous les bonimenteurs qui exploitent le désarroi des hommes et des femmes de ce pays. D’un côté on y lit les « écrits du ciel » dans la fumée des bougies et des cigarettes quand s’ouvre sous leurs pieds des carrières où creusent les Chinois.