dimanche 9 juin 2019

En amont. Alain Bashung.

Pourquoi ce titre pour un album posthume ?
Une métaphore de plus pour dire la vie avant que la mort survienne, il y a dix ans, dix ans déjà !
Submergé par le blues, enveloppé par la voix familière, j’ai  écouté le CD plusieurs fois sans accrocher les paroles dont ne subsistaient que quelques oripeaux, parmi les derniers mots d’un ultime morceau, avant de  «  Mettre nos âmes à l’abri »:
 « Seul le chien se souvient
Seul le chien vous attend
Dommage
Qu’il vive si peu de temps. »
Dominique A l’avait dit :
«  Mortel, mortel,
 Nous sommes immortels »
 «  Ma peau va te plaire » dit la putain.
Et La mariée des roseaux peut bien
« Brûler sa traine »
Elle me dit toujours les mêmes mots :
« J’t’aimais tellement mieux
Quand t’allais mal »
Même le familier des Arcanes se perd :
«  Pas un mot qui ne soit nu »
L’exotisme fait pacotille à Montevideo :
« Y avait des cormorans qui fixaient les falaises »
Les rêves de vétéran sont des cauchemars inoubliables :
«  Une petite fille court, elle crie
Elle est jolie, doucement je l’essuie
Elle disait oui, oui merci
J’ai pas appris à parler l’ennemi
Elles sont jolies, moi j’les essuie
Je dors mal la nuit
Moi j’les essuie. »
Ce fut « Un beau déluge »
«  Qu’avons-nous vu, qu’est ce qu’on a pris ».
Et c'est ainsi qu'Alain B. est grand.

samedi 8 juin 2019

Une femme en contre-jour. Gaëlle Josse.

Voilà une occasion de distinguer littérature et journalisme. Le livre commence par la fin d’une vieille dame solitaire. Nous sommes à côté d’elle sur son banc au bord du lac à Chicago : roman.
Puis à partir du récit de la découverte par un dénommé John Maloof des photographies de cette femme, une distance journalistique est prise.
« John Maloof va en effet inventer Viviane Maier. La révéler au sens photographique du terme. Naissance et résurrection d’une artiste de génie. Naissance d’une énigme ».
Le matériau romanesque était fertile rien qu’à partir de la découverte dans un vide-grenier de photos jamais exposées du vivant d'une nounou énigmatique dont l’œuvre connaît aujourd’hui une faveur exceptionnelle.
L’auteure qui a aimé cette femme « aux yeux ouverts », explique honnêtement sa démarche:  
« Entrer dans une vie, c'est brasser les ténèbres, déranger des ombres, convoquer les fantômes. C'est interroger le vide et tendre l'oreille vers les échos perdus. »
Originaire des Hautes Alpes, vivant à New York et Chicago, la nurse a accumulé les images des oubliés de l’opulence, pauvres comme elle.
Les témoignages à son égard sont contradictoires entre ceux qui lui ont rendu à la fin de sa vie l’attention dont elle avait fait preuve à leur égard, et d’autres qui ont souffert de ses colères quand elle n’échappait pas à la reproduction de fatalités familiales.
Son nom même est incertain:
« D’où vient ce nom, qui apparaît puis disparaît comme une bulle de savon ? Nul ne saurait dire. C’est l’inexplicable fantaisie de Marie Maier. Des mensonges, des incohérences, des dénis qui interrogent et laissent imaginer un désir de fuite, ou d’une autre vie, telle la réécriture d’une réel insatisfaisant, qu’un mot suffirait à réparer et à rendre présentable. » 
150 pages qui donnent envie de découvrir des photos qu’elle n’a même pas vues pour la plupart.

vendredi 7 juin 2019

Samedis.

Voilà que me revient une antienne qui ne date pas d’aujourd’hui concernant les rythmes scolaires  http://blog-de-guy.blogspot.com/2013/11/rythmes-scolaires-et-priere-de-rue.html.
Tant se sont perchés sur les ailes du Temps que son vol s’est alourdi, la métaphore sent fort, les formules rusées se sont usées, les allitérations condamnées à s’aliter.
Mais trêve des circonvolutions coutumières, je reviens à un signe des temps, petit créneau perso : la disparition des samedis à l’école.
« Dis raconte nous Oncle Paul ! »
L’affaire est entendue et nul ne fera revenir ces heures tranquilles.
Reste après avoir éloigné la nostalgie à souligner quelques traits d’une évolution qui ne me semble pas si anodine.
Les élèves pendant la semaine vivent à un rythme différent de celui de la famille soumise à d’autres contraintes, dans d’autres lieux. Le samedi des écoliers était soustrait au temps de repos parental, à celui de la maison. La décomposition des familles a été fatale à cet oasis pédagogique quand l’école dictait la loi. Cette demi-journée de classe permettait de ramasser la semaine écoulée et de projeter la suivante.
Les loisirs ont donné le tempo pas seulement pour des raisons économiques mais ont accompagné les glissements culturels où le travail est vécu comme un fardeau, les apprentissages étant d’avantage l’affaire des écrans bleus que des tableaux noirs.
Les sociologues à la queue leu leu qui chargent l’école de tous les maux, pourront fustiger le poids des déterminismes sociaux, les marques d’appartenance de classe se sont tatoués un peu plus avec cette réduction des horaires scolaires. Certains vont au ski et d’autres subissent les goûts musicaux des ainés et le silence des pères. Là aussi le privé a pris le pas sur le public.
Faisant semblant de commander aux éléments alors que le sol se dérobait sous leurs pieds, les  différents ministres ont d’abord satisfait des électeurs et les instits parisiens qui avaient un trajet de moins à effectuer jusqu’à leur banlieue. Il y a belle lurette que les maîtres n’étaient plus dans le quartier.
Cette évolution étalée sur des années allait dans le sens du vent, alors qu'en ce qui concerne le bac recueillant  depuis longtemps des critiques, celles-ci se sont tues pour laisser place... à la contestation de la réforme. Les oppositions vont de zig en ZAD.
Que l’on ne nous dise pas que c’est l’école qui fatigue : ceux qui sont affalés sur leur table ont veillé jusqu’à point d’heure, accros à leur téléphone en verre.
Oui, quelques branleurs déconsidèrent le mouvement pour la planète pointant le manque de courage des vieux qui viseraient à se défausser sur les générations à venir « nous ferons nos devoirs quand vous aurez fait les vôtres » mais qu’ils n’oublient pas de bosser ! Des ingénieurs seront utiles pour compléter le cobalt des batteries.
Bruno Latour précise après avoir remarqué : «  A part quelques Californiens qui veulent aller sur mars, tout le monde sait que la modernisation ne peut pas continuer. » Et le progrès humain ? «Ma génération voulait faire table rase. Les jeunes qui manifestent pour le climat souhaitent eux ralentir le temps et font appel à la responsabilité. » 
Il est encore question de temps.
Décidément la fibre professorale me constitue, mais au pays des donneurs de leçons, il y a du monde et pas forcément de la profession. Les journalistes distinguent de moins en moins information et commentaire, si bien que la formulation d’un journal anglais, envisageant après les européennes, les réactions de deux camps et non seulement celui du bien, m’a parue remarquable : 
«  En revanche, nous n’avons pas assisté à la percée que certains de leurs sympathisants promettaient ou que leurs opposants craignaient. »

jeudi 6 juin 2019

Urbain VIII. Serge Legat.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble nous présente au moment de l’apogée du baroque, le pape Urbain VIII peint par Gian Lorenzo Bernini (Le Bernin), sculpteur, urbaniste, architecte, inventeur, décorateur.
http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/05/paul-v-serge-legat.html
Venant après Paul V, il y eut pendant deux ans un pape de transition entre eux  : Grégoire XV qui beaucoup canonisa  et fit du Bernin un chevalier, à 23 ans.
Piastres à l’effigie d'Urbain VIII. Maffeo Barberini, né en 1568  dans une famille florentine influente, élevé par son oncle protonotaire apostolique, éduqué dans l’excellent Collège romain, après des études de droit à Sienne, avait un destin tout tracé. Il fut élu triomphalement pape (Urbain 8) en 1623 après un conclave décimé par la malaria.
« C'est un grand bonheur pour vous, Cavalier, de voir le cardinal Barberini élevé à la papauté, mais c'est pour nous un bonheur encore plus grand que le Cavalier Bernin vive sous notre pontificat. »
Le mécène fastueux  mourut en 1644. 
Sous son pontificat, eut lieu le procès de Galilée qui avait pourtant l’appui des Médicis et que le pape, qui le connaissait bien, essaya de protéger. Mais l’Inquisition obtint l’abjuration du défenseur de l’approche de Copernic qui remettait en cause Aristote et Ptolémée. La célèbre phrase : «  Et pourtant elle tourne ! » serait apocryphe. Assigné à résidence, le père de la physique devint aveugle, avant de mourir en 1642. Ce n’est qu’en 1992 que Jean Paul II reconnut  l’erreur de l’église : le soleil ne tournait pas autour de la terre.
Galilée face au tribunal de l'Inquisition par Joseph-Nicolas Robert-Fleury (XIX°).
Le pape condamna l’Augustinus de Jansenius, l’inspirateur des jansénistes (Port Royal)
Bulle papale rédigée par le pape Urbain VIII.
Son népotisme atteint de tels sommets qu’il demanda par deux fois à des théologiens si ses neveux pouvaient conserver tous leurs biens. Ils se réfugièrent en France quand tourna le vent.
Le palais Barberini commencé par Maderno, comporte un escalier pour chaque architecte rival qui se sont succédés: 
hélicoïdal pour Boromini,
à section carrée pour Le Bernin.
Ce symbole de la puissance dont la façade superpose les ordres dorique, ionique et corinthien, sera confisqué par Innocent X. Aujourd’hui sont exposées des œuvres d’art ancien qu’on peut retrouver également au palais Corsini.  
La Fornarina de Raphaël y est en majesté avec la signature du peintre amoureux sur son bracelet.
Au plafond Pierre de Cortone a peint une fresque : « Le triomphe de la Providence » mise en scène tourbillonnante, à la gloire des propriétaires, avec profusion d’abeilles, emblème de la famille.
Ses collections considérables ont été dispersées. Le faune endormi date de la période hellénistique, restauré par Bernin, il fut acheté par Louis 1° de Bavière, celui qui dut abdiquer pour avoir anobli sa maîtresse Lola Montès. 
La fontaine du triton est en travertin comme le Colisée, de préférence au marbre.
Devant un des piliers reliquaires, situé sous la coupole majestueuse de Michel Ange, à Saint Pierre, Bernin a réalisé la statue de Saint Longin.
Celui-ci était le soldat romain qui a percé de sa lance le côté droit du Christ comme l’a montré Fra Angelico. Il s’est converti, puis est mort en martyr.
Inspiré des dais, des tentures pour processions, Le baldaquin, de près de 30 m de haut au dessus de la tombe de Saint Pierre, pèse 60 tonnes. Il constitue la plus grande structure en bronze du monde.
La matière première  a été arrachée au Panthéon antique : « Ce que n’ont pas fait les Barbares, les Barberini l’ont fait ». Les fondations très profondes ont détruit des reliques de premiers chrétiens dont les visiteurs de la nécropole peuvent voir quelques sépultures mêlées à  d’autres plus païennes. Les colonnes torses, signature du baroque, sont dites « salomoniques », en référence au temple de Salomon à Jérusalem.
Dans le vocabulaire baroque, la finitude de toute chose est rappelée sans cesse. Le tombeau d’Urbain VIII qui allie plusieurs matières a été conçu  bien sûr par son ami : « un homme rare, un artiste sublime, qu’une inspiration divine a fait naître pour la plus grande gloire de Rome et pour apporter la lumière à ce siècle. » Qui dit mieux ?
Pour les siècles des siècles, le pontife est entouré de l’allégorie de la charité, vertu théologale donnée par Dieu, et de la justice, vertu cardinale gagnée par les hommes.

mercredi 5 juin 2019

6 mois. Printemps été 2019.

Au revers de la première page est mise en évidence une phrase du photographe japonais Nouyoshi Araki qui aime jouer des cordes :
«  La photographie est l’obscénité par excellence, un acte d’amour furtif, une histoire, un roman à la première personne »
Les 300 pages qui suivent sont à la hauteur de l’ambitieuse déclaration,
quand depuis l’Orient extrême, sont abordés
le business de la solitude avec des stars du web en Corée,
la mutation des paysans chinois en citadins,
des hommes qui deviennent des femmes en Thaïlande.
Toutes ces photographies nous épargnent les filtres jaunes de nos derniers mois
et si la photobiographie de Chirac comme les années Solidarnosc cultivent nos nostalgies,
un tour en Irlande où s’affrontaient pro et anti IVG,
un reportage à Bab el Oued
ou la démarche d’un photographe américain qui nous fait voir de près la guerre que mène Trump à la frontière mexicaine,
les pages consacrées à ce village de Calabre qui recevait bien les migrants,
comme le courage d’une jeune fille et des ses parents après une greffe du visage,
sont passionnants, bouleversants, beaux.
Le Liban doré contraste avec les commandos qui expulsent les squatteurs en Afrique du sud.
Des portraits  d’habitants dans les quartiers Nord de Marseille sont proches des poses de Kenyans  à la sortie de la messe.  
Les photos prises le long du cortège funéraire de Castro sont semblables à celles qui furent prises lors de l’ultime voyage du corps de Robert Kennedy
La touche d’humour réside souvent dans les pages destinées aux instantanés qui ont gagné à être agrandis, mais cette fois c’est l’ « album de famille » mettant en scène une magnifique centenaire qui apporte sa dose massive de joie de vivre : la mamie de Sacha Goldeberger, mariée quatre fois, chevauche les motos à l’envers, se déguise en super héroïne, téléphone avec un godemichet…

mardi 4 juin 2019

Baudelaire ou le roman rêvé d’E.A. Poe. Tarek & Morinière.

Plate bande dessinée où en première page la taille des caractères des noms du scénariste et du dessinateur dépasse celle des prestigieux écrivains pour qui on a ouvert cet album de 48 pages.
Le poète du spleen se rend dans le fog londonien à la rencontre de l’américain maître du fantastique qu’il a traduit.
Mais l’absinthe a beau couler à flot, et celui qui a supporté « le ciel bas et lourd comme un couvercle » se réveiller dans une pièce inconnue, aucune ivresse, aucun mystère.
Les péripéties ont beau se présenter en plongée ou contre-plongée, aucun vertige.
Le brouillard est bien rendu mais c’est l’ennui qui nous accompagne parmi des personnages sans épaisseur dont on est amené à se méfier pour on ne sait quelle raison.
C’est vrai que la barre était très haute :
« Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! »

lundi 3 juin 2019

Nous finirons ensemble. Guillaume Canet.

Intrigué par la violence de certains avis concernant ce film à succès, je suis allé y voir.
Leur embarras vis-à-vis du milieu aisé décrit aurait du les éloigner de tant de films comme l’aristocratique « Guépard » et de lointains « Parrains » : nous sommes- quelle affaire!- dans le milieu habituel du cinéma français, picolant, avide de bons mots et de baise.
Le cadre est agréable et l’on peut prendre du plaisir au jeu des acteurs même si la légèreté attendue n’est pas au rendez-vous. A mon avis, l’amitié parmi ce groupe difficile à loger, car trop nombreux, manque de profondeur et même si les enfants relégués pendant longtemps au second plan reviennent en force à la fin, le manque de maturité des adultes est confondant.  Certes cela constitue une source comique mais ce reflet de l’époque est plutôt gris.