dimanche 30 septembre 2018

Amélie-les-crayons.

Le nouveau spectacle intitulé « Mille ponts » d’une chouchoute de Télérama, était présenté à la salle du Pont de Vence, à Saint Egrève, après avoir été un succès cet été dans la ville où l’on danse sur le pont, Avignon.
« Ponponponpon » pour s’essayer à l’humour léger, sans conséquence, de cette gentille heure et demie.
« J’habite au bord du monde
Le ciel est à ma porte
La terre n’est pas si ronde »
Il me faut revenir lire des paroles pas toujours très audibles en début de séance où les ficelles pour entrainer le public à se lever, fréquemment sollicitées, nuisent à la poésie, à mon avis.  
Le spectacle est bien rythmé. La native de Vienne(38), à présent bretonne, frappe comme en fest-noz, joue de tout son corps, des pieds et des mains. Ses deux musiciens pratiquant tous les instruments sont au premier plan et à la sortie des spectateurs avaient visiblement les mélodies entrainantes dans la tête.
Les thèmes sont d’actualité, arbres, nature et éoliennes:
« Y a plus d’saison j’dis ça j’dis rien ! »
Les migrants :
« C’est la vie, c’est l’espoir et la lumière
Qui nous poussent tous dehors
On s’en va avec rien passer les frontières »
Les éternels tourments sentimentaux sont bien troussés :
« C’est toi l’huile, moi le beurre
Toi tu files quand je pleure
Traversés par nos faiblesses
Je déprime et toi tu stresses
Toi sans moi, moi sans toi
On n’y a même pas pensé
Si jamais ça nous prend,
Rendez-vous dans l’escalier ! »
Mais l’écoute perturbée par des procédés trop faciles, je n’ai pas dansé, même intérieurement. Pourtant :
« Et je suis avec vous au bal des vivants
Et je suis avec vous dans un tableau géant
Un manège envoûtant, ces païens
Sur ce plancher chantant
Personne n'est chancelant
Tout le monde se tient
Se tient bien »
Le nom même de l’artiste qui a collaboré avec Aldebert
avait peut être incité des parents à amener leurs enfants dans cette soirée, mais je me suis demandé s’ils pouvaient bien saisir par exemple que Laleina, « celle qui est aimée de tous », en malgache, est une adepte de la décroissance:
« Elle s’est délestée des malles remplies d’autrefois
Elle porte une robe à volants, un talisman et sa voix
Et tout l’tralala , Laleina l’a liquidé
J’envie la légèreté de Laleina
J’envie sa bonne étoile et son bel éclat »

samedi 29 septembre 2018

L’art de perdre. Alice Zeniter.

Je rejoins volontiers l’idée que le prix Goncourt des lycéens est une distinction des plus sûres : ce roman est pour moi le livre de l’année procurant le même bonheur que ceux de Maylis de Kérangal : http://blog-de-guy.blogspot.com/2015/10/reparer-les-vivants-maylis-de-kerangal.html , avec une empathie de même intensité.
Chaque chapitre recèle une scène forte, constituant au bout des 500 pages, un volume remarquable à propos de nos identités.
Le titre s’avère bien plus profond que ce qu’il m’évoquait comme rapprochement, avec le délicieux « Que le meilleur perde » de Bon et Burnier, une gourmandise, comme les « langues de chat » venues du Leclerc que la grand-mère kabyle sert à ses petites filles qui auraient préféré ses gâteaux au miel.
«  Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître,
Tant de choses semblent si pleines d’envie
D’être perdues que leur perte n’est pas un désastre. » Elisabeth Bishop 
Il s’agit autour du sujet délicat des harkis, traité en finesse, de remonter le temps, revisiter des pays, suivre l’existence palpitante de trois générations depuis le grand- père devenu un «  jayah » (celui qui n’est plus dans le troupeau) qui ne peut plus rien apporter à la famille, ne comprend plus son monde et que personne ne comprend. 
Plutôt que des coïncidences éclairantes, les silences, les maladresses, laissent de la place pour les révélations.
« Si elle savait qu’à la fin de l’été 56, son grand-père s’était trouvé ici, à quelques mètres à peine de l’endroit où elle se tient, pris dans une pluie de verre, de plâtre, de sang, elle contemplerait peut être la place avec avidité… »
Les formules frappantes, les observations acérées et légères, les images poétiques, abondent, sans encombrer :
 « Ce qu’on ne transmet pas se perd, c’est tout. Tu viens d’ici mais ce n’est pas chez toi. »
« Autant chercher les racines du brouillard. »
«  On ne sait pas ce qu’il vend et on ne sait pas ce qu’il gagne. Probablement rien, mais ça lui prend tout son temps. »
«  Elle lui assure que tout va bien, qu’elle veut simplement parler. En s’entendant prononcer ces mots, elle prend conscience de ce qu’ils ont de menaçant. C’est la phrase qui précède les ruptures, c’est le mensonge du méchant dans les films d’action pour qu’on lui ouvre la porte. »
« Chez la plupart des gens, la colonne vertébrale ploie lentement avec les années et une sorte de calme s’installe. »
«  Je suis un ex-suicidaire qui serait prêt à devenir immortel pour peu qu’on le menace tous les jours, dit il »
En guise de résumé, ces paroles d’un des protagonistes, extirpées par sa compagne, pourraient faire l’affaire:
« On était dans un camp, on était derrière des barbelés, comme des bêtes nuisibles. Je ne sais plus combien de temps ça a duré. C’était le royaume de la boue. Mes parents ont dit merci.
Et puis après, ils nous ont foutu dans la forêt,[…] Mes parents ont dit merci.
Ensuite, ils nous ont envoyés dans une cité HLM de Basse-Normandie, dans une ville où avant nous, je ne crois pas que qui que ce soit ait jamais vu un arabe. Mes parents ont dit merci. »
Ou bien cette vision : «  Annie en robe d’été qui court dans les oliviers, sa peau dorée par le soleil, qui se tourne vers lui en souriant, en criant son nom note suspendue quelques secondes puis qui enfle devient stridente insupportable cris multiples hommes femmes hurlements déchirent la gorge et les oliviers brûlent traits noirs contre le ciel odeur de pneu fondu chair éclatée homme feu qui trébuche homme-fer tombé au sol sous les hués on reviendra pour toi pour ton père on reviendra. »
La complexité est rendue avec clarté :
« Il voudrait comme Gilles et François, des parents au mode vie identifiables et cohérents qui peuvent être rejetés en bloc - mentalité paysanne, mentalité bourgeoise. Au lieu de quoi il a hérité d’un père insaisissable, qu’il voudrait défendre mais qui refuse d’être défendu. »
Et si hommes et femmes n’entrent pas forcément dans des familles aussi typées que celle de la tristesse ou celle de la colère, j’aimerais retenir cette façon de dire la fragilité du bonheur :
« vous vous penchez et voyez que votre lacet est défait. »

vendredi 28 septembre 2018

Le Postillon. N°47. Automne 2018.

En lecteur suiveur des humeurs trimestrielles contenues en 20 pages du journal n’hésitant pas à distribuer surtout les mauvais points, je vais distinguer dans leurs brèves et articles ce qui me ravit ou me désole.
J’aime quand ils vont à l’encontre des opinions communes surtout quand elles fleurissent dans leur camp où l’herbe est plus verte. Ainsi la critique, si elle est extrême de chez écologie profonde, vis à vis d’Aurélien Barrau, l’astrophysicien grenoblois qui cartonne sur Youtube avec « Des mesures politiques radicales pour sauver la planète », est tonique.
Et ils peuvent y aller franco lorsque les Républicains hurlent à l’insécurité alors qu’un des leurs à Fontaine était suspect dans la disparition de Maldera, un fameux mafieu. 
J’apprécie quand ils farfouillent encore du côté de la profession d’ingénieur, tellement répandue par ici, dont ils ne loupent jamais une fuite en avant vers des productions inutiles voire nocives. Lorsqu’ils ne s’en tiennent pas à des constructions théoriques, les publicistes de  l’association technophobe « Pièces et main d’œuvre » sont plus convaincants en nous alimentant en témoignages vécus par des ingénieurs reconvertis dans les vignes, les chèvres ou correcteurs au Postillon. 
Il faudrait d’ailleurs que ceux-ci étendent leur vigilance aux dessinatrices : si « l’usine l’a payée pour cela » il faut un « e » au participe passé « payé », d’après l’orthographe de l’ancien monde blédard. La bande dessinée à propos de son travail de vacances dans une fabrique de ravioles était d’ailleurs intéressante.
Je goûte à tous coups les conversations au comptoir, cette fois avec la patronne du « Bien être », bar de la place Championnet :
«  C’est bien beau Internet, mais ça n’écoute pas beaucoup. »
J’accompagne volontiers un marcheur le long du Drac, et déguste  l’article bien écrit, historique, juridique, politique, qui interroge : « les arbres peuvent-ils plaider ? »
Les rédacteurs (trices) anonymes sont heureusement prudents quand ils décrivent un conflit au travail chez Emaüs, tout en révélant des comportements problématiques. 
Avec le récit d’une fin de vie du côté de Coublevie, peut-on parler de « mort suspecte » ? La discrétion serait me semble-t-il de mise quand la douleur dans ces moments là affecte tout discernement.
Leurs expatriations au delà des fortifications d’Haxo sont toujours pittoresques et bien sûr le pavillon Keller à Livet-Gavet où a été tourné le film «  Les rivières pourpres » était tout indiqué pour une visite en dehors des journée du patrimoine, d’autant plus que des projets ambitieux ont été envisagés pour le réhabiliter, mais auront bien du mal à se concrétiser.
Par contre je suis en total désaccord avec leur complaisance récurrente envers ceux qui ont mis le feu à une boutique du CCI, qui présentait des innovations dédiées au commerce ou à l’égard des tagueurs, contre Levy le directeur de l’Université, qui ont salopé une fois encore la fac :
«  La rentrée ça gaze(ra) » ne peut que déclencher l'indignation.

jeudi 27 septembre 2018

Mandala en piécettes # 2.

Le roi des pièces jaunes, c’est bien mon voisin Hubert et non Bernadette Chodron de Courcel ( Chirac)
Il dispose les pièces de 1, 2, 5 et 10 c d’€uros, en voie d’obsolescence, en ne se contentant pas de les laisser en tas , comme tant d’oeuvres contemporaines, mais en les disposant sous forme de pyramides soignées aux proportions harmonieuses quoique fragiles.
Il aime souligner bien des absurdités de notre société de consommation  :
« Un article à 14,99 € se vendra-t-il mieux que ce même article à 15 € ?
En tous cas la monnaie permet de réaliser de beaux mandalas en relief »
Pour cette création, le familier des animations en sable à disperser au bout d’un patient travail, qui l’a amené d’écoles en maisons de retraite, a fait appel à des mendiants.
Sillonnant la ville en vélo, et volontiers liant, il n’a pas hésité à associer les plus démunis à son entreprise. Ainsi se rejoignent, non sans humour, les hommes à qui l’argent fait défaut et cette masse de monnaie en cuivre réputée sans valeur mais pesante.
Voilà une idée que Pinault, le milliardaire esthète, ne pourra mettre en ses palais.
Lors d’une de ses compositions, il a rassemblé 3888 pièces de 0,01 €, 1805 pièces de 0,02 € et 1916 pièces de 0,05 € pour un total de 170,78 €. Le facétieux moine cycliste aurait pu arrondir.

mercredi 26 septembre 2018

Epinal #1.

Notre hôte Airbnb claque de chaud et désespère de voir éclater l’orage désiré, son jardin objet de tous ses soins est cramé. A propos, il s’agit bien de noter « air » avant bnb (bed and breakfast) pour cette plateforme bien pratique puisqu’il s’agissait au départ pour les inventeurs du concept de location de proposer matelas pneumatique (airbed) et petit déjeuner quand ils s’étaient aperçu que les hôtels de la ville où ils devaient participer à un colloque étaient complets.
Depuis notre chambre située en bas du quartier « Justice », à 5 minutes à pied du centre historique, nous nous arrêtons à La Plomberie, lieu d’exposition d’art contemporain. Un artiste a déroulé un rouleau de papier dans un projet d’ « auto anthropologie », où tout au long des mois, il a laissé des essais de graphie, cherchant une inspiration, ponctuée de pensées sûrement profondes.
La basilique Saint Maurice se préparait à un mariage avec des bouquets de gypsophiles bordant la travée centrale, des musiciens et des  choristes répétaient.
Les murs de la nef datent du XI° siècle et les bas côtés du XIII°.
Une vierge à la rose qui avait été volée a retrouvé sa place grâce à un « scrupuleux » collectionneur anglais, comme dit le Routard.
L’église à la vocation défensive affirmée, juxtapose les styles rhénan, champenois, bourguignon, sans grande cohérence
 mais une mise au tombeau  de  style bourguignon nous plait bien dans sa naïveté.
La rue du Chapitre à proximité où logeaient des chanoinesses nobles mène aux anciennes fortifications. Les maisons canoniales sont pimpantes.
Ces dames entraient par la porte qui a gardé l’appellation « porte des dames » pour la distinguer du portail des habitants du bourg, les bourgeois.
Les alentours sont en réfection, les placettes promettent d’être accueillantes.
Le nom des rues témoignent d’une ville au riche passé avec la rue des teinturiers, des tisserands, et plus inhabituelles celles des corvées ou du passeur ; la Haie du Loup ne manque pas de poésie comme la rue du Point du jour, du Clair matin ou du Couchant…
Beaucoup d’étals de la joie halle nouvelle sont fermés en ce mois d’août. Nous nous  restaurons à la brasserie « Au bureau » qui ne chôme pas.
Le ciel gris ardoise est photogénique mais pas une goutte ne tombe.

mardi 25 septembre 2018

Je, François Villon. Luigi Critone d’après Jean Teulé.

« Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous merci »
Maudit fut le poète, et pas qu’un peu.
Grâce à  sa langue, il a échappé au gibet qu’avait connu son père et à la mort qu’avait subit sa mère déterrée, finissant en terrine. Les temps étaient difficiles.
Merci à Ferré, Brassens, Souchon de nous avoir transmis ces mots de liberté, d’ironie, qui ont traversé le temps :  
« Où sont ils, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d'antan ? »
Trois tomes parfaitement mis en images sont nécessaires, cadencés par les vers de celui dont le nom est encore incertain comme bien des faits de sa vie.
« Je suis François, cela me pèse
Né à Paris près de Pontoise
Et de la corde d'une toise
Mon cou saura c'que mon cul pèse »
L’image de luron « sans foi ni loi » suscite souvent de la complaisance, pourtant dans le tome deux intitulé : « Bienvenue chez les ignobles », nous touchons à l’abjection, lorsqu’il livre sa bien aimée qui l’a pourtant sauvé, à la bande de malfaiteurs à laquelle il a désiré être intégré.

Son  ecclésiastique protecteur est d’une telle « bienveillance » que le terme semble trop faible.
Familier des plus misérables, il bénéficiera de la grâce des rois et de princes, Charles d’ Orléans, qu’il volera.
 « Prince, je connais tout en somme,
Je connais les bronzés des blêmes,
Je connais  la mort qui tout consomme,
Je connais tout, sauf moi-même. »

lundi 24 septembre 2018

Avant l’aurore. Nathan Nicholovitch.

Ce film choc, présenté il y a trois ans à Cannes, sous le titre plus intrigant : 
« De l’ombre, il y a » est enfin dans les salles. L'affiche, elle aussi, des plus banales, ne laisse pas deviner l'oeuvre exceptionnelle. 
Je notais à l’époque :
« Un travelo à Phnom Penh sauve une petite fille de la prostitution.
Filmé avec une telle intensité qu’on ne sait où finit le documentaire où commence la fiction ; en tous cas ce cinéma là balance un grand coup de chaussure à talons dans le bas du ventre.
L’acteur David D'Ingéo est fascinant.
Les histoires individuelles les plus atypiques, les plus sordides rencontrent les sempiternelles douleurs rouge khmer. La vie persiste et saigne. « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » Aragon »
Suite à des commentaires entendus récemment je ne sais plus si la gamine est sauvée, mais reste le souvenir d’un film hors du commun et celui de l’incarnation de l’intensité par un acteur exceptionnel.