vendredi 27 avril 2018

Le Postillon. N° 45. Printemps 2018.


Dans cette livraison, le journal satirique du quartier Saint Bruno à Grenoble crapote, toussote, crachote, quelque peu.
La première page est plutôt convenue: « Avec Piolle je positive » annonçant un article qui reprend les plaintes d’employés municipaux qui n’ont pas perçu dans leur quotidien les effets d’un « buen vivir » slogan très com’ mais pas forcément communicatif.
Cet abus généralisé des grands mots trompeurs doit être débusqué car il participe à la perte de saveur du politique, banalisant jusqu’à sa critique. L’ironie elle-même s’affadit lorsque le maire de Grenoble  est devancé  par Ferrari pour le poste de remplaçant de Salengro dans le casting de Groland.
Les scoops de la saison nouvelle portent sur des anecdotes : une personne armée aurait été vue à la Villeneuve, les badges de la nouvelle école Simone Lagrange ont des problèmes de paramétrage, et le directeur du journal qu’ils persistent à appeler Daubé aurait battu sa femme. Après ça les rédacteurs anonymes qui font témoigner des employés sous de faux noms vont regretter de ne pas être pris au sérieux comme journalistes ! Pseudos sur le net, témoignages aux visages floutés dans une époque où la transparence est une vertu proclamée : allez éduquer vos mômes à la franchise !
Par contre la présentation des revendications de travailleurs sociaux dépendant du département sous forme d’un entretien tels que ceux-ci en mènent avec des personnes en difficulté est percutante, dense et originale.
Le refus des compteurs Linky est répétitif, et je persiste dans mon incompréhension quand je vois des écologistes acharnés parler d’enlaidissement des paysages avec les éoliennes ou de « désastre environnemental » quand une micro centrale hydraulique est envisagée. De même que le problème de l’extraction des métaux rares composants nos téléphones et autres batteries me semble un prix à payer pour de progrès indéniables, bien que l’interrogation «  A quand des mines de cobalt en Belledonne ? » soit pertinente face à nos égoïsmes bien pensants. Cela étant accolé judicieusement à un compte rendu d’exploration dans les mines qui ont alimenté, dans les années 1880, 32 cimenteries (1/3 de la production nationale) qui employaient alors 1250 personnes à Grenoble et alentours.
L’actualité a amené les difficultés de l’hôpital sur le devant de la scène et si les postillonneurs restent vigilants quant aux stratégies de communication, ils ne se donnent pas les moyens d’une réelle enquête, se contentant de rapporter les réactions à un film concernant le CHU : « La fin de l’omerta » qu’ils ne contribuent guère à briser faute de manque de pratique de la contradiction ou d’approche équilibrée d’une institution complexe. Ils sont plus dans leur périmètre de confort en rendant compte d’un livre «  La sécu, les vautours et moi-les enjeux de la protection sociale » sous le chapeau approprié : «  De qui l’avenue Ambroise Croizat tient-elle son nom ? »
Un article concernant les MNA éclaire les débats actuel : 1200 exilés Mineurs Non Accompagnés ont été reçus dans l’Isère en 2017 dans des conditions qui deviennent de plus en plus difficiles.
Si une partie de pêche à la confluence du Drac et de l’Isère est distrayante, le rappel de l’histoire des pompes funèbres à Grenoble est intéressant d’autant plus qu’il est suggéré d’accéder au paradis sans enrichir les vautours.
Faute d’avoir trouvé un dessin spirituel, je reprends une de leurs photographies de tag qui avait repris un de leur titre ancien, quand ils étaient drôles et inattendus.
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Voisin de présentoir, un hors série de Charlie hebdo qui a recueilli les témoignages d’une soixantaine d’enseignants : « profs les sacrifiés de la laïcité ».
«  J’avoue avoir de plus en plus l’impression d’aller enseigner dans un territoire qui serait comme un laboratoire du pire, qui couvre peut être les atrocités de demain, avec lequel on entretient un déni devenu aussi ridicule que violent, de la part d’ami-e-s et collègues de gauche comme de la part des élites du même bord. » 
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En supplément un dessin du  magazine Le Point :

jeudi 26 avril 2018

Yves Klein. Christian Loubet.


Le conférencier traitant du « blues d’Icare » devant les amis du musée de Grenoble va nous emmener au-delà du bleu immuable qui est associé au peintre né à Nice en 1928.
Il a manifesté très tôt une soif d’absolu passant par le judo, le bouddhisme, l’art Gutai, la cosmogonie Rose Croix et la philosophie de Gaston Bachelard. Yves Klein à l’institut Kodokan.
« Alors que j'étais encore un adolescent, en 1946, j'allais signer mon nom de l'autre côté du ciel durant un fantastique voyage "réalistico-imaginaire". Ce jour-là, alors que j'étais étendu sur la plage de Nice, je me mis à éprouver de la haine pour les oiseaux qui volaient de-ci, de-là, dans mon beau ciel bleu sans nuage, parce qu'ils essayaient de faire des trous dans la plus belle et la plus grande de mes œuvres. »
Puisqu’il a pris le ciel, il partage le monde avec son ami Arman à qui revient la terre, l’air sera pour le poète Claude Pascal.  
Yves Klein et Claude Pascal dans les rues de Nice en 1948.
Devenu ceinture noire, quatrième dan, il accroche plusieurs monochromes aux couleurs  des différentes ceintures de judo dans l’école qu’il vient d’ouvrir.  Peintures, 1954
Au salon des Réalités Nouvelles, son monochrome orange, Expression de l’Univers de la couleur mine orange est refusé par le jury.
« Une seule couleur unie, non, non, vraiment ce n’est pas assez, c’est impossible ! »
Et pourtant, Malevitch, Carré blanc sur fond blanc en1918 est à la limite du perceptible.
Rothko White Band no. 27  « buvarde » et donne à méditer.
Qui a-t-il derrière les entailles de Fontana, Concetto spaziale/Attese ?
Et que dit Icare de Matisse en papier bleu découpé ?
Le souvenir de De Staël pourra-t-il se dissocier de son suicide comme s’il était condamné à un ordre local ? Tempête.
Il fait la connaissance du critique Pierre Restany qui oblige le spectateur « à saisir l’universel sans le secours du geste ou de la trace écrite. » Si Milan reconnaît « chaque couleur comme une présence » Londres ne comprend pas. 
A Paris il présente dans une galerie une salle entièrement vide : Immatériel,
et lâche 1001 ballons : Sculpture aéro-statique.
Avant de travailler avec Jean Tinguely
où il est question aussi de « saut dans le vide », il réalise des monogolds et monopinks:
« la monochromie est la seule manière de peindre permettant d’atteindre à l’absolu spirituel. »
Après sa rencontre avec Rotraud Ueker du groupe allemand Zéro, il développe la technique des pinceaux vivants, « célébration d’une nouvelle ère anthropométrique ».
Pendant l’exécution de « La symphonie monoton » des femmes nues apposent les empreintes de leur corps sur des papiers blancs, ou laissent la trace de leur silhouette en négatif après vaporisation, composant une série de 180 œuvres. Est alors suggéré, « le passage du visible à l’invisible, du matériel au spirituel » et inversement.
Il participe aux expositions des « Nouveaux Réalistes » avec Arman, Tinguely, Raysse, les niçois, qui ont fréquenté les mêmes lieux, sans constituer véritablement une « école niçoise ».
Il retrouve aussi César, Villéglé, Spoerri …dans la présentation de «  A quarante degré au dessus de dada » avant de désapprouver un nouveau texte de Restany.
Ses premières « cosmogonies » sont réalisées à Cagnes-sur-mer.
« Je plaçai une toile, fraîchement enduite de peinture, sur le toit de ma blanche Citroën. Et tandis que j’avalais la nationale 7 à cent kilomètres à l’heure, la chaleur, le froid, la lumière, le vent et la pluie firent en sorte que ma toile se trouva prématurément vieillie. Trente ou quarante ans au moins se trouvaient réduits à une seule journée. »
Dans ses sculptures de feu, les couleurs flambent.
Il porte l’uniforme de l’ordre des chevaliers de St Sébastien lorsqu’il se marie avec Rotraud. Tableau de mariage (1962), Yves Klein, Christo
Au musée des arts décoratifs, est présentée une maquette du « Rocket pneumatique » engin sans retour « pour les consommateurs d’immatériel décidés à disparaître un jour dans le vide ».
Il meurt à 34 ans. Il venait d’assister à la projection de « Mondo cane » un film provocateur qui présentait une de ses performances d’une telle façon qu’il s’était senti humilié.
Ayant désigné «  tout espace comme espace plastique possible », « son refus de recourir à l’objet » et la notion « de sensibilité immatérielle » vont laisser des traces dans bien des courants: le body art, le minimalisme, l’art conceptuel. Pour le conférencier niçois, il a rejoint Matisse, Bonnard et Ernest Pignon Ernest, sous le blason « soleil d’or sur fond d’azur ».

mercredi 25 avril 2018

Schnock. N° 26.


Quand on parcourt les numéros déjà publiés avec Renaud, Choron ou les Charlots… à côté desquels on est passé sans les voir, nous voilà avec la perspective d’autres heures d’agréable lecture puisque ce trimestriel peut se lire dans le désordre.  
Dans ces 176 pages, « A vous Cognac Jay ! » : un historique de la télé à travers le portrait fouillé de PierreTchernia, l’ami de Goscinny et de Mickey, depuis le premier journal télévisé en passant par une émission de chansonniers : « La boite à sel » jusqu’aux « Enfants de la télé » avec une avalanches d’anecdotes savoureuses comme lorsque Francis Blanche créée un scandale en emboutissant avec son  immense voiture américaine une 4 CV qui le gênait pour se garer ; les deux voitures lui appartenaient.
Les conditions de recueil de témoignages permettent d’apporter une dimension émouvante lors d’une rencontre avec Monsieur cinéma dans une maison de retraite, voire lorsque Jean Loup Dabadie répugne à s’exprimer dans un journal pour les vieux; il a 79 ans.
De nombreux articles sont écrits avec une verve qui se fait rare, ainsi celui qui est consacré à un disque de France Gall et Michel Berger ou lorsque Tito Topin raconte le voyage vers l’Italie de l’équipe de la série Navarro tournant à l’épopée par la grâce du style. Hommage est rendu aussi à Blondin, Morand, Chardonne qui pour les éditions « Sun » maintenant disparues, écrivaient sur des villes ou des pays; les « hussards », anars de droite, savaient tenir un stylo :
« La Suisse, c’est le nœud du bois, un de ces nœuds où se brise la scie ; les invasions l’ont contournée, comme la varlope du menuisier obligée de dévier au milieu du fil. Le Rhône s’en détourne, le Rhin va chercher d’autres pentes. La Suisse, c’est l’unité de la matière en sa vie la plus dense, le noyau du fruit dont les plaines sont la pulpe. »
Ils savent dégoter aussi des lieux rares comme « La Galcante », galerie-brocante, qui vend des vieux journaux et magazines à Paris, rue de « L’arbre sec » dont le nom vient du pilori qui était installé sur une placette voisine. Nous pouvons nous remémorer la carrière atypique de Valérie Lagrange : quelle était belle ! Par contre je ne savais pas qui était Serge Riffard qu’il est intéressant de connaître, lui qui est parti en tournée avec Brassens, a chanté avec Anne Sylvestre et donné la réplique à bien des têtes d’affiche du cinéma français, et a écrit sous le patronage de René Fallet. 


mardi 24 avril 2018

Filles des oiseaux 2. Florence Cestac.

J’ai beau les connaître par cœur les soixante huitardes, elles me font toujours sourire, et  pour la Cestac, je me mettrais même à m’habituer à ses gros nez.
50 pages simples et efficaces, c’était tout à fait ça :
rigolo et pathétique, comme ce  conformisme des anti-conformistes
« - C’était des spectacles insolites, très dépouillés, très longs, que si tu les ratais t’étais un naze.
 - Du théâtre du soleil, très cosmopolite, très populaire, très partageur et très engagé.
Que si tu n’avais pas partagé la soupe avec eux, t’étais un perdu de la vie.
- Du rock, du pop rock, du hard rock, du funk, du reggae, du black métal…
Que si tu n’avais pas vu le concert de machin, il vaut mieux en finir… »
Une des deux copines du pensionnat des oiseaux, a suivi un glandeur magnifique en Angleterre et l’autre s’est lancée dans les choux à la crème avec Benoît, mais leurs couples ont  foiré et après des années d’ivresse elles se sont retrouvées mamans, pas si loin des attitudes de leurs propres parents qu’elles ne supportaient plus.
Les fous rires demeurent et les BD au loin les suivent.

lundi 23 avril 2018

Mes provinciales. Jean-Paul Civeyrac.


Un jeune lyonnais monte à Paris pour des études de cinéma.
Journal d’un mou qui ne participe même pas tellement aux conversations au cours de soirées fréquentes, voire en cours, passant quelques instants avec ses charmantes colocataires ou suivant d’autres étudiants aux personnalités plus affirmées.
Un film de plus qui prétendrait saisir l’air du temps en évoquant ZAD et migrants tout en citant Pasolini, Novalis, Pascal, Nerval : bien plus que cela. Le noir et blanc n’est pas chichiteux mais   permet de déplier dans une langue très contemporaine des préoccupations éternelles. Pas d’omniprésence des téléphones comme dans la vraie vie, et les clean quais de Seine sont toujours aussi cinématographiques. Quand le suicide devient un art de vivre, la lanterne magique peut-elle résoudre le mal de vivre par un cadrage? 
Tendre, léger et grave, actuel et intemporel, littéraire et incarné, poétique et naturel.
La mise en œuvre des préceptes cinématographiques discutés par les jeunes excellents acteurs prénommés Andranic, Gonzague, Corentin, Sophie… est limpide et traite sur un ton nouveau de la légèreté, de l’ambition, de l’engagement, de la sincérité, de l’amour …
Et Paris, même pour ma génération de pères qui ont laissé cette planète ravagée à leurs enfants, reste le lieu de toutes les promesses, celui de l’éternelle jeunesse.

dimanche 22 avril 2018

Ex anima. Zingaro.


Bartabas, je l’ai tant aimé et depuis si longtemps, que j’ai été submergé surtout par le fait que c’était la dernière fois que j’assistais à un de ses spectacles.
Désormais, plus de percheron magnifique, de cavalcade de rêve, de burlesque en pointillé dans des rituels où s’exprime toute la vigueur de notre condition de vivants musclés et nerveux, imprévisibles, reverra-t-on tant de beauté inédite sur une piste ?
C’était un soir d’été au bord du lac du Bourget, les amis sont assis à une grande table et nous partageons un verre de vin et des souvenirs
J’ai envie de vénérer ces chevaux auréolés de brume artificielle, où les numéros de cirque qu’ils effectuent, évitent de se laisser duper par quelque mythologie désincarnée. Sa poésie qui a partie liée à l'enfance va chercher vers l'autre extrémité de la vie.
Les palefreniers tout de noir vêtus viennent ramasser les crottins des blancs chevaux de porcelaine qui ont fait mine de combattre, délivrant quelques éclairs d’une violence contenue.
Un palan qui soulève un cheval  beau comme une chimère dans ses sangles, cliquette.
Un bourricot tourne ses oreilles dans tous les sens et braille. Des loups viennent sur un champ de bataille où des chevaux font les morts. Des  colombes se posent sur une croupe, de faux corbeaux et un épouvantail jouent, un cavalier est monté une fois, une seule, pour entraîner la troupe aux noms de peintres, Le Tintoret, ou de toreros, Manolette… Sûrement pas un troupeau, terme à réserver de préférence à quelques collégiens mal élevés en voyage scolaire.
A énumérer les tableaux dans leur diversité accordée par des sons élémentaires, ceux de la nature et des souffles aux sonorités irlandaises, tibétaines, avec appeaux qui obligent, nous revivons un moment exceptionnel.
J’ai envie de me replonger dans les mots d’un univers aperçu chez mon grand-père où on parlait d’anglo-arabes et d’ardennais, ce soir il y avait bien un shire avec ses grands fanons. Races et anatomie équines ont un vocabulaire particulier comme pour les robes : alezan, bai, isabelle, palomino, pie… l’animal peut « broncher» mais il vaut mieux éviter qu’il « tire au renard ».
Au tableau final un étalon réalise le tabou ultime sur scène de théâtre, il effectue une saillie, mais il n’a qu’un leurre pour conclure.
Le chapiteau est plongé dans le noir, nous applaudissons.

samedi 21 avril 2018

La succession. Jean Paul Dubois.


« Depuis que le monde était monde, il y avait toujours eu deux façons de le considérer. La première consistait à le voir comme un espace-temps de lumière rare, précieuse et bénie, rayonnant dans un univers enténébré, la seconde, à le tenir pour la porte d'entrée d'un bordel mal éclairé, un trou noir vertigineux qui depuis sa création avait avalé 108 milliards d'humains espérants et vaniteux au point de se croire pourvus d'une âme. »
Le narrateur est un harassé de la vie et pourtant il a aimé bondir au jaï - alaï, lieu où l’on joue à la pelote basque, qui signifie « jour de fête joyeux ».
« J’avais 44 ans, la vie sociale d’un guéridon, une vie amoureuse frappée du syndrome de Guillain-Barré et je pratiquais avec application et rigueur un métier estimable mais pour lequel je n’étais pas fait. »
Sa formation de médecin justifie une écriture précise qui nous fait sourire dans un premier temps avec ses diagnostics impitoyables jusqu’à ce que l’air de la tragédie  devienne dominant.
Désinvolture et humour entre Miami et Toulouse, gravité et profondeur.
« Cette femme obnubilait mes pensées. Auprès d’elle j’oubliais le caryotype de ma famille, les rouleaux de scotch, la dernière mort du quagga, le nom de mon recruteur, celui du boxeur, du fabricant de grand chistera, c’est à peine si je distinguais Khrouchtchev, Beria et Malenkov gigoter sur la photo en bas de page… »
Ce court extrait pour donner une idée du foisonnement des péripéties d’un parcours dépressif dans un style aussi lumineux qu’il peut être hanté par la mort.
« Elle me disait des choses que tous les enfants devraient entendre, des mots qui enlèvent la peur, bouchent les trous de solitude, éloignent la crainte des dieux et vous laissent au monde avec le désir, la force et l’envie d’y vivre. »
Léger et fort, excellent.
Au détour d’un avis concernant Annie Ernaux, je l’avais égratigné
et avais apprécié son efficacité dans un article sportif :
On peut changer.