mercredi 21 janvier 2015

Iran 2014 # J 15. Ghazur Khan/Zarabad

Pour éviter la chaleur nous nous levons plus tôt ce matin et nous partons dès 8h 30, armés de nos bâtons pour une randonnée de trois heures environ. Nous prenons le chemin du castel Alamount avec les marches casse-pattes qui conduisent à la fontaine. Là nous attendrons le guide pour « la sécurité ». Le jeune costaud, barbu de trois jours se montre plein d’attention et d’efficacité, s’adaptant parfaitement à notre groupe. Au lieu de bifurquer à droite vers le château, nous nous engageons sur un genre de sentier muletier, d’abord à flanc de colline puis descendant vers une rivière. Aux passages délicats, le guide nous offre une parade face à la pente et nous sert de béquille avec son épaule.
La vue est magnifique sur les montagnes, le château, les vallées. La végétation est constituée de chardons, de petits œillets violets, de plantes grasses. Parfois des odeurs fugitives de thym sauvage ou de menthe nous arrivent. Le silence est interrompu par des chants d’oiseaux. L’altitude de 2200 à 2500 m ne pèse pas à tout le monde de la même façon. La plus malheureuse subit son mal des montagnes et souffre, souffle court et haut le cœur. Notre pro de la rando prête ses bâtons de marche.
Nous avançons dans une terre fine comme du sable, épuisons nos bouteilles d’eau pour passer un autre col. Le guide nous raconte qu’en hiver, bien  que connaissant parfaitement le terrain, il s’était égaré. Enfin le dernier col passé, nous dévalons la pente où certains ramassent quelques morceaux de quartz, pour aboutir au village d’Atan lieu de rendez-vous avec Ali notre chauffeur. Quitter les chaussures est un vrai bonheur, tout comme se mouiller à un tuyau d’eau. Des hommes chargent un petit âne de lourds sacs de ciment, le village fait des travaux de rénovation. Les habitants nous proposent de pique-niquer à la fraîche sous l’auvent de la mosquée. Nous mourrons de soif : jus de fruits en brique, fausses bières (présence de malt), cocas et pastèque, il faut  bien tout ça pour nous désaltérer. Nous nous octroyons une petite sieste sur la natte et les tapis de la mosquée avant de remonter dans le minibus. Nous raccompagnons le guide Ghazur auquel J. a cédé ses chaussures de marche, puis nous prenons un vieux monsieur en stop jusqu’à un village prochain assez éloigné. Nous nous rendons au lac d’Evan bordé de hauts joncs avec une plage aménagée… pour les hommes ! Nos trois compagnons ne se font pas prier et courent s’ébattre dans l’eau en caleçon. D. aurait volontiers fait quelques brasses. En maigre compensation nous effectuons le tour du lac en attendant, nous passons sous des arbres fruitiers et à côté de champs de haricots, grignotons une ou deux petites prunes rouges et goûteuses.

Le groupe réuni, fesses sèches ou trempées, reprend le minibus et nous stoppons pour acheter des esquimaux et de l’eau à la même épicerie qu’hier à l’aller. 
Le voyage continue jusqu’à Zarabad où nous prenons possession de nos chambres chez l’habitant. Elles appartiennent à deux ou trois veuves extrêmement propres. Elles veillent à ce que nous nous déchaussions sur l’escalier et que nous posions nos sacs poussiéreux sur un drap. Nous installons les matelas qui nous attendaient rangés en tas sur les tapis. Le bâtiment tout en longueur comporte quatre pièces groupées deux par deux et deux chambres séparées par une cuisine. 
Les hommes et C. partent visiter le village tandis que D. et moi préférons user d’un peu de temps libre : douche, lessive, lecture et écriture.
Nous prenons le repas dans la grande salle commune dans l’autre bâtiment qui héberge aussi douche et W.C. pour toute la maisonnée et les touristes. Les deux vieilles femmes ont soigné notre repas et utilisé les produits de leur jardin pour confectionner le ragout et l’omelette aux herbes, la salade concombre tomates coupés en petits dés. Le yaourt de « mouton » plus consistant cette fois fait les délices de l’un d’entre nous qui retrouve le goût de ceux qu’il a mangés en Grèce, il y a trente cinq ans. C’est du fait maison. A la fin du repas notre hôtesse secoue une sorte d’encensoir dont la fumée n’est pas un remède aux moustiques mais une bénédiction qui nous enveloppe légèrement. Comme hier, les nuits sont fraiches, pas besoin de clim’. 
D'après les notes de voyage de Michèle Chassigneux

mardi 20 janvier 2015

Pourvu que les bouddhistes se trompent. Manu Larcenet.

Quelle variété dans les talents du chroniqueur amusant d’un « Retour à la terre » ou
émouvant  dans « Le Combat ordinaire » !
Ici,  il prend les habits d'un auteur dantesque qui a fourni quatre tomes d’une série qui s’annonçait terrible dès le départ  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/10/blast-larcenet.html.
Cette fois c’est la fin.
La diversité des dessins est contenue dans ce volume de 200 pages, avec des encres noires pour une campagne désolée et des vies de solitude absolue, des éclats de couleurs aux traits enfantins, des collages malades, des strips à l’ancienne avec un ours bipolaire.
Polza, le personnage principal obèse est interrogé par la police mais c’est lui qui mène le récit qui ne conduit pas forcément à des aveux, le passé est lourd et le présent cruel, étouffant; même pas apaisé par ces moments de « blast » :
« alliage écrasant de lard et d'espoirs ­défaits, je pèse lourd et pourtant, ­parfois, je vole ».
Il est monstrueux et fait pitié : naïf et manipulateur, sincère et tordu, peureux et indestructible.
Quand le silence règne, quelques sentences prennent du relief :
« Ce sont souvent les hommes les plus répugnants qui vous feront grief de vulgarité. Votre cigarette déclenchera une colère démesurée chez l'ancien fumeur. Les plus infects menteurs font les donneurs de leçon les plus vindicatifs. De la même manière, ce sont ceux qui sont le moins aptes à l'amour qui aiment le plus intensément. »

lundi 19 janvier 2015

Pasolini. Abel Ferrara.

Ce n’est pas avec ce film que j’avancerai dans ma connaissance de Pasolini dont j’ai aimé récemment quelques écrits, bien longtemps après m’être extasié, parce qu’il le fallait en 68, devant « Théorème », sans vraiment  parvenir à saisir le génie du  poète, écrivain, metteur en scène.
« Seul peut éduquer celui qui sait ce qu'aimer veut dire »
Lors de ce récit embrouillé de la fin de sa vie, chez sa maman, entouré d’amis, en chasse vers quelque ragazzi, fatigué, il jette quelques phrases lors d’une interview.
Malgré l’interprétation apaisée de Willem Dafoe, nous restons sur notre faim.
En 75, les temps étaient dangereux, et les bords de mer désolés sans la mer meurtriers pour les homos, pourtant la façon d’évoquer ces années les rend lointaines, au-delà des fumées de cigarettes en avion et du porte-cigarettes démesuré de Maria de Medeiros interprétant Laura Betti.
Alors que l’agitateur proclamait que tout est politique, je n’ai pas su voir cette dimension et si la silhouette de Pier Paolo Pasolini est crédible, le choix de l’anglais pour les dialogues est rédhibitoire.

dimanche 18 janvier 2015

Le comte de Bouderbala. Sami Ameziane.

Sa coiffe de fou du roi sur les affiches, par son côté conventionnel, ne collait pas pour moi avec sa verve très stand up. Le titre de noblesse en titre du spectacle gagne en signification quand on apprend que « bouderbala », signifie « haillons » en arabe.
La tradition opère la jonction avec la modernité chez  le « seul Rebeu né avec une tête de Portugais et un corps de Turc ».
Basketteur se moquant de Parker bien moins que des footeux, slameur intraitable avec les rappeurs, né à Saint Denis et jouant sur les scènes américaines, ses comparaisons entre les US et la France sont savoureuses :
«là-bas, quand tu te casses la main droite, la meilleure solution, c'est de devenir gaucher. »
Efficace, bien que pas toujours très original, avec son  rythme agile et son sens du public, il  a emporté l’adhésion de la salle comble de la Vence Scène à Saint Egrève.
Son auto dérision joviale permet que ses vannes sur les roms, les arabes, les chinois passent … parfois sur un fil. Certains  ne trouveront pas convenables ses caricatures d’handicapés, aux accents de Timsit, mais ses audaces sont salutaires.
Dans la période, ce spectacle a pris encore plus de prix, alors que certaines de ses références sont devenues soudain plus datées (Amanda Lear,  Navarro, les vedettes du Raï, Ribéry, Zidane …), d’une époque d’avant l’attentat contre Charlie. 

samedi 17 janvier 2015

Schnock n° 13. Belmondo.

Pour avoir fait part  de mon plaisir sans partage  avec des numéros d’un des mooks les plus réussis : http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/11/schnock-n-11-et-12-bardot-desproges.html
je trouve que cette livraison est un peu mollassonne. Pourtant Bébel en couv’ fait le beau pour 60 pages à lui consacrées : des scènes cultes, l’interview inévitable de son pote Charles Gérard, le film qui n’a pu voir le jour : « le voyage au bout de la nuit » de JL Godard avec Audiard au dialogue, les témoignages de Lelouch et d’un cascadeur, des affiches de films, Sarde à la musique et Lautner à l’œilleton, ses voitures, et les Belmondettes dont les noms semblent des pseudos.
Pour retenir une citation, mieux vaut garder Pasqua dans la rubrique toujours savoureuse « des schnocks qui se vannent, se chargent, s’écharpent, s’injurient, se flinguent »:
« Si monsieur Zemmour pense  que Pétain a protégé les juifs de France […] Qu'il vienne me voir, nous irons dans le Midi ensemble, nous monterons sur la route Napoléon... Un petit village qui s'appelle Séranon, dans lequel on verra des maisons détruites par les SS et les gens qui étaient dedans assassinés parce qu'ils avaient protégé des enfants juifs".
Mocky ne manque pas de couleur, il connait bien le milieu du cinéma et défouraille tous azimuts, injuste mais savoureux pour qui aime l’amertume.
L’importance de Vline Buggy m’avait échappée, elle a été pourtant une parolière qui a porté chance aussi bien  à Cloclo, à Hugues Aufray, Herbert Léonard qu’à Michel Sardou : intéressant. On saura tout sur le personnage de Malabar qui fut dessiné entre autres par Margerin. Si je n’avais pas assez de souvenirs concernant « Amicalement votre » pour apprécier l’article consacré à Brett Sinclair, les confidences de Laurent Chalumeau, complice de De Caunes, concernant des souvenirs Rock & Clope de « Marlboro music » étaient illisibles par  la faute d’un imprimeur négligeant. Alors il ne reste plus qu’à se consoler avec un retour à propos des poubelles de tables qui nous vaccinera de toute nostalgie.  

vendredi 16 janvier 2015

Je suis + Je suis = Nous sommes.

Les poussières de nos principes écroulés ne sont pas retombées, et nos yeux sont brouillés, la seule certitude éclatante est que le siècle commencé en 1914, finit en  janvier 2015.
Nous essayons de nous blinder avec des mots, nous répercutons ceux des autres, et même le journal The Sun fera l’affaire : « Je suis 4 millions ».
Celui qui, dimanche, au bord de la manif historique, avec sa pancarte, se disait « Charlie mais ne marchait pas avec les hypocrites ni le pouvoir » figurait en tant que fossile de ce monde d’avant où parmi ceux qui prônaient la tolérance, n’étaient que mépris, ne pouvant être une heure rien qu’une heure seulement au côté de leur voisin de hasard. Il y avait, dans les rues, un sacré paquet d’hypocrites, moins un, mais comme un début de pouvoir, citoyen : une nation.
L’émotion mondiale qui a débordé la personnalité parfois bien contestable de représentants d’états  venus défiler à Paris, nous a redonné de la fierté à nous, français. J’ai retenu les paroles d’une libanaise qui disait avoir l’habitude des attentats chez elle, mais que ça se passe à Paris, lui semblait inconcevable. 
Le glas de Notre Dame n’était pas à mes yeux en contradiction avec les convictions anti-cléricales des dessinateurs, il allait bien au-delà d’attachantes individualités qui ont bien sûr façonné nos vies et dont la mort nous plombe. Ils ont pour toujours incrusté comme une évidence que l’humour est le meilleur contre-poison à la soumission. Et les rebeux, pas très nombreux, le savent bien, eux que j’ai connus, pas très moutons plein de verve et d’esprit. 

Dimanche la triade républicaine est descendue des frontons de pierre pour se réécrire en banderole et en actes : liberté de parole, liberté, sans hiérarchie de conditions sociales et de générations, sans un mot qui aille contre la fraternité.
Par ailleurs, le maître d’école, « ce pelé, ce galeux » devant réparer les péchés du monde ne se trouva pas forcément dépourvu quand la tempête fut venue, ainsi Constance maîtresse de CP à Montreuil:
«Ce lundi quand je suis partie à l’école, je me suis sentie plus que jamais investie d’une mission [….] Il y a juste eu un petit moment de flottement quand une petite est intervenue pour dire que, quand même, les gens de Charlie avaient «moqué».
Alors on a parlé de ce verbe. Je leur ai demandé ce qui se passerait s’ils se moquaient de leur maîtresse en la dessinant avec des grosses fesses et un gros nez.
Avais-je le droit de donner une punition ?
Réponse unanime : «Oui.»
De frapper ?
En chœur : «Non».»

jeudi 15 janvier 2015

Le choix de la modernité. Musée des beaux arts.

Jusqu’au 16 février les tableaux rassemblés par Jacqueline de Lubac et son deuxième mari Myran Eknayan sont présentés à Lyon.
La belle actrice qui épousa auparavant Sacha Guitry était à l’avant-garde de la mode pour se vêtir et également pour recouvrir ses murs des plus grandes œuvres :
Dubuffet, l’iconoclaste,
Rodin au puissant baiser,
les coquelicots fragiles de Bonnard et les immortelles danseuses de Degas,
des silhouettes toujours surprenantes de Picasso, 
un riche Dufy et un Bacon embobinant qui figurait dans sa salle à manger.
«J’ai un bon œil, j’ai eu le bonheur d’avoir un assez bon instinct et d’acheter des
peintures de Poliakoff, de Fautrier, de Dubuffet qui étaient peu connus et j’ai
la joie de les avoir acquises quand tout le monde se moquait de moi.»
La description de la vie mondaine de madame revient à ouvrir un Cinémonde de ces années 30. 
Mais près d’une quarantaine de tableaux et de sculptures valent le détour avec d’autres Picasso ou Rodin, Manet,  Monet, Léger, Renoir, Corot…