jeudi 26 janvier 2023

L’art du faux. Laurent Abry.

Il convient d’évaluer l’intention pour distinguer un vrai faussaire d’un étudiant copiant les grands maîtres, précise le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble. 
« Le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg » ne présenterait qu’une moitié de tableaux authentiques, l’autre moitié vendue du temps de l’Union soviétique aurait été remplacée par des copies d’après… un trafiquant d’art Youri Vassilievitch Alekseev, dit « le Bossu ».
Le faux accompagne le vrai depuis les « kouros » grecs appréciés à l’époque romaine.
Sur un cartel du musée Getty, figure : « Grèce, 530 av. J.-C. ou faux moderne ».
« Saint Louis dépose la Couronne d’épines dans la Sainte-Chapelle »
 
Le moyen-âge a été créatif en matière de fausses reliques avec une vingtaine de prépuces de Jésus et quelques souffles divins mis en bouteille. Calvin a écrit que l'ensemble des fragments de la « vraie croix » pourrait aisément remplir un navire ou selon une formule célèbre, « on aurait pu chauffer Rome pendant un an » avec tout ce bois.
« La donation de Constantin » est une « forgerie » (tromperie) qui fut fort utile à la papauté pour justifier ses ambitions territoriales.
Michel-Ange avait sculpté un «  Cupidon dormant »  maintenant disparu, enfoui sous terre à l’époque de Savonarole, puis une fois celui-ci déchu, le futur auteur de la Pietà ressortit la statue qui avait pris l'aspect d'une antiquité et voulut la vendre comme telle. Il avoua la supercherie, ce qui fit baisser le prix espéré, mais amorça sa renommée.
Albrecht Dürer, un des artistes les plus copiés à son époque, aurait inventé le droit d’auteur : 
«Que soient maudits les pilleurs et les imitateurs du travail et du talent des autres »
Il a fallu six ans pour que celui qui avait remplacé un « Autoportrait d'Albrecht Dürer » 
dans la mairie de Nuremberg par une copie, soit démasqué.
27 000 tableaux de Camille Corot avaient été déclarés à la douane américaine depuis la mort du peintre qui signait quelquefois des toiles peintes par d'autres.
L'auteur de « Scène de vendanges » surnommé « Le faussaire espagnol » était expert en miniatures : 
Bien que son authenticité ait été rapidement mise en doute, « La Chronique d'Ura-Linda », manuscrit écrit en vieux frison, est toujours cité dans les milieux ésotériques friands des mystères de l’Atlantide.
La Vénus de Brizet
trouvée dans un champ de navets fut un canular à la façon de Michel Ange. 
« Le char des Gardiens du Louvre » au carnaval de Nice de 1912,
met en scène un âne coiffé de la « tiare de Saïtapharnès » achetée à prix d’or par le Louvre alors que ce travail d’orfèvre était un cadeau destiné à un archéologue.
Quand la civilisation étrusque devint tendance au début du XX° siècle, quelques « guerriers en terracotta » trouvèrent place au Métropolitan Museum de New-York, ils venaient d’être réalisés par Alfredo Fioravanti qui avoua. 
Des traces de manganèse inconnu mille ans auparavant avaient été détectées.
Van Meegeren
a lui tellement bien restauré des tableaux de l’âge d’or hollandais qu’il dupera Göring en échangeant un « Vermeer » qu’il venait de peindre contre 200 œuvres saisies par les nazis. Mais il aura fallu qu’il réalise dans sa cellule un « Jésus et les docteurs » « à la manière de » pour persuader les juges qu’il n’avait pas cédé un authentique trésor. Il utilisait des pigments de l’époque, des toiles et cadres anciens, avec craquelures sorties du four. 
Le criminel de guerre allemand fit parait-il une drôle de tête, 
« comme s’il découvrait pour la première fois qu’il y avait du mal dans le monde ».
Chang Dai-chien
inspiré par les maîtres de la peinture chinoise classique a réalisé beaucoup de contrefaçons semant le doute sur les réalisations de ses prédécesseurs. 
Il a été récemment un des artistes le plus vendus dans le monde.
Le district attorney, Joseph Stone a traqué David Stein apparaissant sous 14 pseudonymes différents, puis est devenu sa caution morale.
Les « Bonnie and Clyde de l'art », Wolfgang Beltracchi et sa femme 
ont commercialisé 300 faux tableaux de 100 peintres différents.
Un expert venant témoigner au procès de Guy Ribes consacré par un documentaire intitulé « Un vrai faussaire », dira à son propos :  
« Si Picasso était encore vivant, il l’embaucherait. » 
« Le vrai, c'est le faux - du moins en art et en poésie » Gérard de Nerval.
Les experts ont confirmé que « La Belle Princesse » était bien de
Léonard de Vinci alors que Shaun Greenhalgh célèbre contrefacteur anglais en revendiquait la paternité.
 

mercredi 25 janvier 2023

Périgueux # 2

Notre premier souci de la journée consiste à trouver un garage Renault : en effet « Gédéon », notre véhicule à moteur, nous alerte depuis un moment sur la pression de ses pneus et nous résolvons facilement ce petit problème dans la zone artisanale, sur la route de Périgueux où un employé les regonfle et réinitialise le tableau de bord gracieusement. Nous abordons donc tranquillement notre journée de visite de la ville. Nous laissons la Clio rue Gadaud, elle offre la gratuité du parcmètre pendant 3 h.
A pied nous nous élançons vers le musée Vesunna en  suivant l’itinéraire signalé par un fil rouge peint au sol. Ce système pratique évite de se perdre, de rester le nez collé sur le plan ou l’oreille rivée au GPS.
Nous passons d’abord  devant l’Eglise/cathédrale Saint-Etienne-de-la-cité. De style roman (XI°) elle est la plus ancienne de la ville. De hautes fenêtres finement ornées rythment ses murs clairs  impressionnants. Amputée malheureusement  de certains de ses éléments au fil des guerres et des incendies, elle échappe à cette destruction lente et progressive grâce un classement aux monuments historiques entrainant des travaux de rénovations couteux.
Vésone
est le nom de la cité gallo-romaine de Périgueux ; il désigne aussi tout le quartier dont d’anciens vestiges rappellent l’histoire. L’un d’eux, la tour de Vésone date du II° siècle. Il ne reste plus que cette partie du temple dédiée à la déesse Vesunna.   
« Cette  tutela augusta (auguste protectrice) est une déesse poliade (qui protège la cité) de l'eau et de la fécondité A l'origine divinité pour les Pétrocores gaulois, son culte a été repris dans la religion romaine. »  
Une brèche pourfend la tour, la thèse d’une ancienne porte dont le retrait de gros blocs aurait provoqué un écroulement constitue la thèse la plus sérieuse de sa présence, bien que des légendes fournissent d’autres explications.
Tout autour un jardin aménagé au XIX° siècle puis remodelé encercle la ruine dans un écrin de verdure.
En attendant l’heure d’ouverture du musée, nous lisons les commentaires historiques écrits sur des tables fixes face à la rue romaine, la rue des vieilles boucheries et le 15° RTA en travaux de rajeunissement.
Puis nous  nous rapprochons d’une tente d’un autre temps dressée dans le parc, sous laquelle un maitre verrier a installé un four à bois tel ceux utilisés par les gallo-romains.
Construit en torchis, il accepte cependant des briques réfractaires à l’intérieur, contrairement aux fours antiques, pour des raisons de mobilité et de rapidité de fabrication, l’artisan n’étant  convié par le musée que  pour une animation sur 2 jours. Il fait chaud, devant le feu !
Deux spécialistes se relaient, ils façonnent des copies d’objets retrouvés lors de fouilles, selon les techniques  et les outils de l’époque ; ils soufflent et modèlent le verre en fusion tout en apportant des informations  sur l’histoire du verre. Nous apprenons que originaire du moyen orient, il arriva en France sous forme de blocs, parfois coloré avec du cobalt et du cuivre avant d’être retravaillé sur place.
Nous nous tournons vers le musée-site Vesunna, qui ouvre enfin ses portes. L’architecture moderne de Jean Nouvel, l’enfant du pays, est une réussite.
Elle a pour vocation de protéger les restes d’une ancienne villa gallo-romaine derrière des murs de verre et sous une casquette à large visière. Elle s’intègre parfaitement dans le paysage, légèrement enterrée.
La visite débute par une exposition temporaire sur les bijoux en verre fabriqués aux 1er et 2ème siècles ap. JC (d’où la présence des verriers à l’extérieur).
Elle a été baptisée « Bling Bling » en référence aux couleurs vives mais aussi aux cliquetis des bracelets entrechoqués.
A l’époque gallo-romaine, posséder ces objets conférait un statut social à leur propriétaire car la matière première, exotique, coûtait cher.
Quant au niveau technique, les gaulois furent les premiers à « étirer » le verre pour créer des bracelets.
Une jolie collection témoigne de ce savoir-faire, bien mise en valeur sous des vitrines.
Avant de circuler autour et au milieu de la Domus, nous sommes dirigés vers la mezzanine qui surplombe la maison sur l’un de ses côtés. Elle offre une vue générale sur les vestiges.
Elle contient, comme plus bas au 1er niveau (autour des ruines) des objets et sculptures répartis selon des thèmes : funéraire, utilitaire, hygiène et beauté, nourriture et cuisine, religions,jeux…
Au 1er niveau, des estrades en bois circulent entre les fondations de la villa. Le haut plafond du musée  reproduit le plan des lieux sous forme de rectangles colorés  cernées d’un ruban beige, il permet d’identifier plus facilement les pièces situées directement en dessous. Nous pouvons ainsi repérer la cuisine, la cave, des salles à manger, la salle d’apparat… Elles s’organisent autour d’un jardin et de son bassin rond cerclé d’une riche représentation de la faune marine.
Des galeries couvertes qui encadraient ce patio, il ne reste que quelques colonnes  qui apportent un peu d’élévation dans le décor d’aujourd’hui.
D’autres fresques colorées affleurent sur les soubassements, sauvées par le rehaussement  des sols. Des hypocaustes
(système de chauffage par le sol) subsistent, mais toutes les salles n’en étaient pas équipées, sans doute  les gens de l’époque se servaient-ils aussi de braseros mobiles.
Pour mieux se familiariser avec l’histoire et le bâtiment, un petit film très bien fait relate les différentes étapes de construction, et le remaniement  effectué à l’antiquité. Il informe sur les fouilles  commencées seulement dans les années 1960 1970.

mardi 24 janvier 2023

Lucien. Carayol Sénégas.

Je croyais m’embarquer dans une histoire poétique de balayeur de feuilles :
«T’as vu maman ! Ya le monsieur qui s’appelle Atipic. »
Le monsieur est fort, mais sa faible tête excite les méchants et sa vie routinière va basculer dans la noirceur alors que la bienveillance rencontre la violence d’une façon surprenante qui fait le prix de ces 262 pages.
Il y a eu pourtant de l’amitié avec un petit garçon, chaotique, donc émouvante, se réinventant plus tard en spectacle de marionnettes, mais les hommes crachent du noir.
L’atmosphère un peu surannée participe au charme crépusculaire d’une histoire qui surprend et secoue, loin des mièvreries et simplismes ordinaires.  
« Mon cher Hugo, le monde est tel que je ne saurais trop t'encourager à développer cette fâcheuse manie, qui consiste à embellir la vie. »
Nous sommes si loin du Lucien de Margerin : 

lundi 23 janvier 2023

Babylon. Damien Chazelle.

Le film comme une BD expressionniste destinée au grand écran ne lésine pas sur les moyens, au moment où les spectateurs ne se précipitent plus dans les salles - sauf pour « Avatar ».
Cet hymne au septième art, depuis les coulisses folles, violentes, impures, de l’usine à rêves, persiste à nous faire rêver.
Il traite de la fin de l’époque du cinéma muet et nous parle aussi, depuis les années 1920 de notre monde tel qu’il change un siècle après.
Le film vu précédemment du réalisateur franco- américain laisse le souvenir d’une comédie lumineuse, https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/02/la-la-land-damien-chazelle.html 
cette fois les danses toujours bien réglées sont boostées par la coke et la belle qui veut réussir doit monter sur la table, sur fond de musique toujours aussi entrainante.
Pendant trois heures, le rythme parfois survitaminé s’apaise par exemple avec un entretien d’une chroniqueuse lucide face à un acteur en fin de parcours. Ce moment de gravité prend du relief en succédant à des scènes spectaculaires, drôles ou dramatiques.
Une nostalgie de « Singing in the rain » persiste mais l’évocation d’un assagissement des scénarios dans les années 30 renvoie à une actualité avec le politiquement correct gagnant du terrain ; ces trois heures éblouissantes y échappent.

dimanche 22 janvier 2023

Backbone. Gravity & Other Myths.

A la recherche d’adjectifs synonymes d’ « époustouflant », on va s’épuiser comme en applaudissant avec une salle debout, à en avoir les mains qui chauffent.
Nous avons suspendu notre souffle pendant une heure vingt et avons mal aux vertèbres pour eux, les circassiens, quand nos raideurs nous situent aux antipodes de leur stupéfiante souplesse.
backbone = colonne vertébrale. Merci aux avions qui ont permis à la troupe australienne de venir chez nous. 
La décontraction de la troupe met en valeur des jaillissements surprenants de virtuosité, de rigueur absolue, de confiance entre les acrobates acteurs d’une symphonie magnifique sur des partitions de musique énergisantes. 
La tension monte, s’apaise, des éléments de l’introduction se retrouvent à la fin quand au salut la pesanteur revient, chacun porte son rocher décisif : humour et gravité, voltiges, danse, raideur, élasticité, coopération et superbes bagarres, cupelettes, virevoltes…
A la une à la deux que je te balance ! Elle retombe comme une fleur. 
Et cette pauvre fille couchée au bout d’un bâton quand vont-ils la descendre ? 
L’inventivité est de tous les instants avec portés et voltiges variés dans tous les coins de la scène aux lumières pop : pyramides humaines on ne peut plus collectives et totem solitaire. Les filles jouent les cordes à sauter, grimpent en haut des corps assemblés, empilés le temps d’une prouesse qu’on ne peut admirer longtemps, qu’une autre surgit.  
Les performances vertigineuses s’enchainent aux moments poétiques quand par exemple des perches immenses sont tenues en équilibre sur les têtes des dix artistes. 
Ces quelques lignes verticales élémentaires, fragiles reposent sur une assurance étonnante parmi un bouquet ininterrompu d’arabesques merveilleuses. 
Dix étoiles.