Au Magic Mirror installé lors de la fête du livre de Bron
tout le monde aurait aimé se voir si belle en ces miroirs, mais le printemps
était incertain ce dimanche là. Taches et rayures sur nos vieilles peaux
n’étaient pas que des marques effaçables sur la vitre des rétroviseurs.
J’ai assisté à une table ronde entre écrivains, au titre
clin d’oeil en direction du giscardien Gainsbourg, pour Jean Christophe Bailly
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/09/le-depaysement-voyages-en-france-jean.html
accompagné de Ludivine Bantigny qui après un travail d’archives a écrit « 68,
de grands soirs en petits matins » et Tarik Ali figure de l’extrême gauche anglaise.
Nous en sommes restés à resucer ce sucré moment, sans que le
demi-siècle qui vient de s’écouler soit mesuré. Le modérateur avait beau agiter l’épouvantail Sarkosien qui voulait liquider 68, celui-ci n’effraie plus grand
monde mais empêche de penser.
Le mouvement qui mit en grève 10 millions de personnes dans
toute la France ne fut pas qu’une poussée juvénile parisienne mais une remise
en cause de l’ordre social et moral planétaire dont le souffle a tenu jusqu’aux
alentours de 1975.
Depuis janvier 68 des grèves dans la sous-traitance
automobile à Rouen réunissaient ouvriers, jeunes agriculteurs et étudiants
ainsi qu’à la Rhodia à Besançon et Saint Fons, à Quimper.
A Prague le communisme entamait sa fin et le souhait de la
victoire du Vietnam jusque dans les rangs de l’armée américaine marquait la fin
de la guerre froide.
Les paysans représentaient 14% de la population et le PC
20%.
Notre pays alors s’est regardé lui-même : la France
prenait un coup de jeune.
Devant la suffisance des pouvoirs, la lassitude avait gagné,
l’autorité si engoncée avait été rejetée. Les barricades marquaient la fin
d’une époque en mimant La Commune, mais « la répétition générale »
n’a pas vraiment connu de « première ».
Le pesant modèle « soixante-huitard » plus proche
dans le temps des téléphones à manivelle de la Libération que de nos phones aurait
dû éloigner tout fétichisme.
Les préoccupations écologiques et une autre vision de la
condition féminine me semblent des acquis de ces années là, plutôt que le
mantra de « ce n’est qu’un début » reporté de semaine en semaine,
hors vacances scolaires.
Quant au beau projet de mise en commun de pensées par soi
même, « les capacités d’écoute de toutes les singularités »ne s’avèrent toujours
pas évidentes, lorsqu’un intervenant dans la salle agaçant comme c’est souvent
le cas, évoque Jankélévitch, tout de suite Bailly fait la grimace.
Lorsque le pape fait figure de progressiste, que la nation
la plus religieuse est le pays de Bob Dylan alors que le Pakistan était majoritairement laïque il y a un demi siècle, que le vide culturel a été comblé par des monstres, et que bien des intervenants à la tribune
s’accordent sur le rôle déterminant des aumôneries dans les coordinations lycéennes,
nous savons que nous avons changé d’ère.
Alors Malraux : «
Le XXIe siècle sera religieux… spirituel… mystique ... » ?
Il ne nous reste plus qu’à sourire rétrospectivement avec
les « folles » du service d’ordre du Front homosexuel d'action révolutionnaire
(FHAR) courant vers les CRS en criant : « papa, papa ! »
Et se retrouver complètement dans cette
remarque de Télérama qui sur le coup a filé une maille du châle politiquement conformiste
tissé semaine après semaine :
« Après un
demi-siècle d’alternance de gloriole et de procès idéologiques, les héros de 68 sont fatigués, voire fatigants, et ils le
savent. Entre les anciens combattants de la rue Gay-Lussac, moins mobilisés par
leur identité de gauche que par l’affection de leurs petits-enfants, et les
enfants de l’an 2000, dépolitisés, la menace du fiasco plane sur les
commémorations de 68 ! »
…………….
Le dessin du « Canard » de la semaine :