jeudi 2 novembre 2017

Caspar- David Friedrich. Gilbert Croué.

« Le voyageur contemplant une mer de nuages » de l’Allemand né au bord de La Baltique, en terre anciennement suédoise est devenu l’image même du romantisme : nous pouvons nous identifier au solitaire vu de dos, s’arrêtant face à l’infini.
 « Lorsque je donne à l’ordinaire un sens élevé, au commun un aspect mystérieux, au connu la dignité de l’inconnu, au fini l’apparence de l’infini, alors je les romantise. » Novalis
Apprécié par un cercle restreint de son vivant, oublié après sa mort en 1840, Friedrich trouvera la faveur du public dans la seconde moitié du XX° siècle; il fait bon de mieux le connaître avec un fidèle conférencier auprès des Amis du musée de Grenoble.
Le tempérament mélancolique de Caspar, on dirait dépressif, peut s’expliquer par une enfance tragique avec la mort de ses sœurs et de son frère disparu en le sauvant après que la glace ait cédé sous leurs poids. 
« Deux hommes au bord de la mer, au coucher du soleil ».
L’homme si petit face à l’infini, n’est pas une posture affectée chez lui.
« Deux hommes contemplant la lune »
Né dans « Le port de Greifswald » en Poméranie, dans la circonscription d’Angela Merckel, il reçoit une éducation d’un protestantisme rigoureux. Hormis une période de formation artistique à Copenhague, il s’éloigne très peu d’un axe menant de l’île de Rangen sur la Baltique à Dresde.
Dans cette ville intellectuelle, « La fenêtre ouverte » donne sur l’Elbe. A bien observer cette aquarelle sépia (encre de seiche), on aperçoit une partie de son visage dans le miroir.
Il marche beaucoup dans cette « Suisse saxonne », multiplie les dessins d’arbres, âmes de la nature, mais réinvente les paysages dans son austère atelier.
Pendant ses séjours en forêt, il ne rencontre âme qui vive, alors sa sensibilité en accord avec la nature interroge la création : « Portrait rupestre d'Uttewald ».
« Le retable de Tetschen » exposé parmi des cierges dans son atelier d’où il s’est absenté, deviendra un manifeste de la nouvelle peinture romantique.
 « Clos ton œil physique afin de voir d’abord avec ton œil de l’esprit. Ensuite, fait monter au jour ce que tu as vu dans ta nuit.  »
La subjectivité permettrait de retrouver l’unité perdue avec la nature.
 « Matin sur le Riesengebirge » : la bien aimée amène vers Dieu, vers la croix toujours sur les hauteurs.
Le « Paysage de Bohême » est sublimé.
« Ce qu'il y a de plus sublime dans les œuvres de l'esprit humain est peut- être aussi ce qu'il y a de plus naïf. » V. Hugo.
Parmi les sapins, une église également élancée vers le ciel, apparaît près d’un homme priant, ayant abandonné ses béquilles : « Eglise dans un paysage d’hiver »
Dans le « Paysage d'hiver » le chêne est foudroyé parmi d’autres arbres coupés, comme le furent tant de vies fauchées par les armées napoléoniennes.
Le nationalisme allemand naît à cette époque, la «  tombe hunnique » marque le territoire au moment où les thèmes nordiques reprennent vigueur et que se réinvente le moyen âge.
L’ancre abandonnée du « Port au clair de lune », au premier plan de la toile où bateaux et clochers se côtoient, symboliserait l’espérance religieuse attaquée par la raison d’une révolution récente venue de chez nous.
Le silence du « Moine au bord de la mer » est radical, sans compromis.
« Il n’est rien de plus triste et de plus pénible qu’une pareille situation dans le monde: être la seule étincelle de vie dans l’immense empire de la mort, […] comme dans sa monotonie et son infinitude il n’a d’autre premier plan que le cadre, on a l’impression, en le contemplant, d’avoir les paupières coupées. » Kleist
Il se marie à 44 ans, elle en a 19. Caroline est en rouge dans « Falaises de craie à Rügen ».
Le tsar Nicolas Ier avait acheté « Sur le voilier » à la trajectoire sûre, au mouvement paisible.
« Le Naufrage de l'Espoir » du nom du bateau que les puissantes mâchoires de glace ont broyé. « Cet homme a découvert la tragédie du paysage. »  David D’Angers
Parmi tant de cimetières souvent sous la neige, « L’entrée du cimetière » est peut être le plus poignant : un couple reste à la porte, la tombe de leur enfant est encore ouverte. 
« L'arbre aux Corbeaux », propriété du Louvre où la peinture allemande est peu présente, est de taille modeste comme beaucoup de ses œuvres qui donnent pourtant de l’ampleur aux paysages, où la centralité des éléments naturels n’était pas évidente pour ceux qui fréquentaient pourtant les musées.
Et pourtant « Le grand enclos » pourra inspirer Hodler ou Valotton.
Son portrait  par Gerhard von Kügelgen dit bien l’intensité du  regard de l’artiste :
« Le peintre ne doit pas seulement peindre ce qu’il voit devant lui, mais aussi ce qu’il voit en lui-même »
« Je dois me donner à ce qui m'entoure, m'unir aux nuages et aux rochers pour être ce que je suis »

mercredi 1 novembre 2017

Venise en une semaine # 7

Nous passons à la caisse de la Galeria de l’Accademia acquitter nos entrées à 12 € par personne, sans file d’attente avec comme d’habitude des informations en français.
L’expo permanente est située à l’étage où nous pouvons admirer de somptueux plafonds à caissons et à poutres apparentes peintes.
La première salle est entièrement consacrée aux peintures sur bois de style byzantin avec la forte présence de couleur dorée.
Le musée renferme des œuvres de Bellini, Carpaccio dont le miracle de la relique de la Sainte croix à Venise, Tiepolo, Bosch, beaucoup de scènes religieuses.






Notre billet donne droit à une exposition temporaire concernant des poètes interprétés, revisités par un peintre contemporain nommé Gastun.
Bof ! Après l’art raffiné et la volonté de faire partager une recherche esthétique, spirituelle, éthique des anciens, cet art de notre temps parait bien inintéressant et régressif, autocentré, épate bourgeois qui sont les derniers à s’en offusquer puisqu’ils investissent dans ce type d’oeuvres.
Nous rentrons nous reposer ¾ d’heure à notre logement, afin de poursuivre nos visites sans bâillements et coup de fatigue.
Puis parmi les « incontournables » qu’il nous reste à voir, nous choisissons la Ca d’Oro, que l’on a pu rejoindre à pied par un chemin que nous commençons à connaître.
Heureusement que Le routard nous avertit à propos de l’étroit boyau dans lequel s’engager pour trouver la porte d’entrée discrète, que nous n’aurions pu remarquer sans l’affiche : « Sérénissime trame, tappei delle collezionne Zaleski e dispenti del rinascimento ».
Surpris, nous entrons demander s’il y a une expo permanente car une expo de tapis… ne nous inspire pas vraiment. Nous tentons l’expérience en pensant au moins profiter de la beauté du lieu. Nous ne sommes pas déçus ! Au rez de chaussée, une fois passé le petit patio nous accédons à un grand espace au pavement polychrome magnifique ouvert sur le canal, encadré par de fines colonnes dominées par des rosaces comme des fleurs de pierre, ou les nervures enserrant des vitraux, mais laissant passer ici l’air et le regard. Un puits et un escalier extérieur dans un style gothique pavé de marbre blanc sculpté participent à la richesse du lieu. Les hauteurs de crues exceptionnellement hautes sont soulignées d’un trait avec la date correspondante sur un pilier. Nous verrons plus tard du vaporetto que le perron de réception qui permet l’accès par voie d’eau est légèrement immergé c’est que le palais s’enfonce peu à peu.
Sur un mur, une silhouette projetée se déplace de haut en bas, seule présence sobre et moderne dans cet environnement qui exsude la richesse de ses anciens propriétaires et fondateurs. Nous entamons la visite de la collection Zaleski.
Elle propose beaucoup de tableaux, surtout des vierges à l’enfant du XII° et XIII° et des Saint Sébastien, sujets largement abordés dans les musés visités aujourd’hui, comme les anges rouges en escadrille, putti voyants accompagnant les scènes de la vie de la vierge. Quelques statues en bronze ou en terre (miniature de la statue du Nil appartenant aux quatre fleuves du Bernin de la fontaine de la place Navone à Rome).
A l’étage supérieur, d’immenses tapis étalés ou suspendus remplissent les salles souvent dans une dominante de rouges. Usés, laissant apparaître le quadrillage de la trame, ils datent du XVI° siècle et de temps immémoriaux pour ce type d’objets difficiles à conserver.
Nous comprenons leur présence dans un musée de peinture grâce à une petite vidéo sous titrée en anglais qui attire notre attention sur la présence et l’importance de tapis dans une multitude de peintures d’Italie ou des pays nordiques.
Venus d’abord d’Anatolie à Venise, ils s’affichent à l’intérieur comme à l’extérieur posés à cheval sur les rambardes des balcons, comme nappes sur les tables. Ainsi Holbein les place, modèles à l’appui, soignant les détails et la finesse de ces véritables œuvres dans l’oeuvre. La juxtaposition tapis/tableau renforce le propos de l’expo. Nous regardons ensuite différemment la variété des tapis, jouant plutôt avec les lignes et les dessins géométriques dans la production de la Turquie, plutôt avec des représentations florales ou animalières dans la production persane.
Des deux étages nous pouvons accéder au profond balcon donnant sur le Canal Grande où circulent vaporetti, gondoles et bateaux à moteur plein de touristes admiratifs. Pour une expo prévue afin de remplir une fin d’après midi, nous ressortons satisfaits d’avoir appris et avoir été surpris agréablement. Je suis quand même étonnée du peu de monde présent à l'intérieur de tous ces musées dans lesquels nous sommes entrés depuis le début du séjour, même si les lieux investis par Pinault recevaient un peu plus de gens, ce n’est pas la foule !
Par contre les rues grouillent de touristes et les langues se mélangent dans un brouhaha d’où sont absents les vrombissements des voitures et autres bus.
Nous remontons une fois de plus par le rio San Leonardo avec une halte au "Spar" installé dans un ancien théâtre, pour renouveler notre provision de biscuits vénitiens avant de suivre les indications du Routard : circuler en vaporetto dans toute la longueur du Grand Canal, voie unique au monde, et découvrir les palais qui le bordent.
Dommage que le soleil ait disparu derrière les nuages, puis de l’horizon.
Nous descendons à la station San Marco et nous nous promenons pour la première fois de notre séjour sur l’immense parvis de la basilique San Marco. Des deux galeries latérales s’échappent des musiques produites par des orchestres de chambre qui se concurrencent : piano, violon, clarinette et contrebasse. Un quatuor est disposé devant le café Florian face au palais des doges. La nuit tombe, nous nous restaurons d’une pizza précédée de la dégustation d’un Spritz consommé dans une venelle proche de la célébrissime place de la Sérénissime.






La journée se termine par la remontée du grand canal de nuit, dans une ambiance magique mais, sans clinquant. Des ombres chinoises se dessinent par les fenêtres éclairées des palais dont on aperçoit les plafonds et les lustres luxueux.

mardi 31 octobre 2017

Le profil de Jean Melville. Robin Cousin.

Cette bande dessinée, aux dessins élémentaires, est excellente, avec ses couleurs rares et pétantes, autour d’un récit habile pour un phénomène de société préoccupant concernant nos vies personnelles, notre identité.
Nous suivons une agence de détectives privés qui enquête sur des sabotages ayant affectés des câbles sous-marins par lesquels circule l’Internet mondial. L’employeur fournit à ses employés des lunettes connectées pour faciliter les investigations et apporter également du confort dans leur vie privée.
Une vraie découverte par le sujet abordé et la façon originale de le traiter aussi bien graphiquement que par son scénario.
Ainsi la lecture d’une carte des menus au restaurant en est facilitée mais les suggestions des applications performantes modifient les personnalités. Un hyper mnésique, ami du personnage principal un peu maladroit, comme il sied à tout détective et à tout lecteur, apporte de la poésie et de l’émotion dans cet univers bouleversé par les fascinants logiciels.
On se doute bien que l’enquête qui dévoile très rapidement le coupable ne va pas se conclure aussi rapidement, mais les personnages aux comportements encore divers apportent des contrepoints indispensables pour mettre en garde politiquement les citoyens contre une remise en cause de libertés perpétrée au nom de la liberté.
Ce n’est pas tellement le recueil des données par devers soi qui est préoccupant que l’amoindrissement de notre capacité à choisir, à nous tromper, à oublier, annihilée sous les facilités des algorithmes et les paresses contemporaines.  
En extrapolant un peu par rapport aux innovations numériques, à travers ces 210 pages, nous pouvons mieux envisager les modifications anthropologiques que nous sommes en train de vivre entre dépendance, enchantement, et rejet des technologies qui nous ont « pris la tête ».

lundi 30 octobre 2017

Sans adieu. Christophe Agou.

«  La fin des paysans », le thème devient un genre en soi, et bien que connaissant le milieu, après ce retour dans la boue des hivers, j’en ai eu la chique coupée.
Le réalisateur, né dans le Forez, y est revenu  depuis New York où il a réussi comme photographe jusqu’à en mourir, étouffé par la poussière des tours écroulées du 11 septembre.
Les personnages qu’il nous montre, incrustés dans leurs capharnaüms glacés, parmi leurs animaux bruyants et brutalisés, ont des allures moyenâgeuses. La vieillesse, la maladie, la folie aggravent des conditions de vie indignes. Le langage de l’administration est une offense, les notions de valeur d’un autre âge. Les Francs sont évoqués mais ne disent même plus rien.
Les images de brumes peuvent paraître belles, nous les savons mordantes. La misère, la solitude, la fatigue, la mort ; ce film est comme le papier collé à la porte d’une étable par un pauvre scotch pour protester en vain contre la décision d’abattre le troupeau atteint de la maladie de la vache folle.
Nous sommes loin de romantiques herbes folles, nos repères sont devenus flous, nos pères devenus fous. Il fallait un regard en empathie totale pour filmer de si près la déchéance de nos semblables ignorés derrière les collines prochaines, oubliées de ce siècle.

dimanche 22 octobre 2017

Jeux. Dominique Brun.

Quand un spectacle est proclamé « grandiose » c’est parfois plus difficile de hausser son plaisir à la hauteur, alors vaut-il mieux qu’il s’annonce comme ardu, voire pénible, pour induire un avis qui cherche à contredire les premières appréciations sévères ?
C’est le cas de ces « trois études pour sept paysages aveugles » d’une heure qui n’atteint pas pour moi les sommets de l’émotion, mais que j’ai trouvé intéressant.
Une fois le portable mis en mode avion, je suis transporté ailleurs, intrigué, séduit d’emblée, par de furtives silhouettes traversant le plateau encore dans le noir.
Le texte lu par la suite à côté d’un personnage immobile me porte à partager ses recherches de postures quand il se met en mouvement.
Puis trois hommes s’affrontent, lutteurs, en mêlée, en maul, ils se cherchent aussi.
Quand les femmes arrivent, les postures restent brèves entre des traversées rapides du plateau. Danseurs et danseuses sont habillés comme au moment de la création de 1913, alors que les indications chorégraphiques ont disparu. Le travail autour de la mémoire est l’objet du présent ballet.  Les lumières découpent des pans de nuit où s’ébauchent des positions éphémères mais qui semblent toujours bridées, des esquisses contenues.
Bien que parfois, je me ferme devant des propositions artistiques, ce soir j’ai apporté mon panier. Des silhouettes m’évoquent les femmes blanches de Delvaux, et les hommes « le combat de Jacob et de l’ange » de Delacroix.
Pris entre des musiques contemporaines, Debussy m’a semblé dans le ton de ce « poème chorégraphié » à la poursuite de Nijinski.
La thématique de la recherche étant posée ; il est regrettable que chaque spectateur ne dispose pas d’une reproduction des pastels de Valentine Gross-Hugo qui sont cités (voir ci dessus), alors que certains [en]Jeux et autres [Je]ux nous laissent parfois [hors] jeux.
...............
Les petits sont là, je m'éloigne de l'ordinateur pour une semaine.

samedi 21 octobre 2017

XXI. Automne 2017.

Toujours de la variété dans une actualité qui prend d’autant plus de relief que la publication est trimestrielle.
Cette fois le dossier est titré : «  Double France », titre heureux surtout que la publication est plutôt sobre dans ses accroches: la France n’est plus si "douce" et offre bien des "faces" opposées:
- Un village coupé en deux à cause des éoliennes,
- Notre-Dame-des-Landes vu du côté des myriophilles verticillés, des tritons et fauvettes à tête noire,
- et des individus écartelés avec par exemple un militant communiste favorisant l’évasion fiscale pour ses clients.
Alors que le regard du reporter est empathique dans un village de Colombie qui a vu partir ses habitants au Vénézuela qui « n’est plus le Pérou », pourquoi un ton parfois condescendant pour décrire la réalité d’un village du Berry ? Habituelle suffisance vis-à-vis des proches, symétrique d’une indulgence avec les lointains.  
Par contre l’originalité des angles ou des sujets honore la marque de fabrique du « mook » de référence :
- retour sur les problèmes posés par l’exploitation du sable dans le monde,
- suivi des procès pour fait de terrorisme pour des prévenus absents devant des salles vides,
- le problème des migrants vu côté passeurs vers Agadez,
- et portraits aussi bien du patron débarqué d’Uber que d’une personnalité qui a favorisé le désarmement de l’ETA.
La forme BD n’apporte pas grand-chose au reportage concernant un projet de prison nouvelle à Bruxelles, pas plus que les dessins illustrant un film concernant le contrôle des naissances en Chine. Le reportage photo de demoiselles de la légion d’honneur est reposant.
Les interview accolés de Drahi et Niel, maîtres des tuyaux et de ce qui va dedans sont intéressants et on mesure toute la distance entre nos Salamé et autre Bourdin lors de l’entretien avec une courageuse journaliste russe. 
J’ai bien aimé la retranscription de la vie d’une prof qui va prendre sa retraite  du collège à côté de l’école de son enfance et du restaurant familial, illustrée par un dessin à la Sempé, alors...