lundi 23 janvier 2017

Paterson. Jim Jarmusch.


Les jours sont tranquilles dans la ville de Paterson où Paterson, l’heureux compagnon de Golshifteh Farahani, est chauffeur de bus.
Elle, rayonnante et fantaisiste, confectionne des cupcakes, réinvente le décor de leur maison ou se met à la guitare sans peine.
Lui, sans téléphone portable - c’est dire sa singularité - attentif aux gens et aux choses, recueille les frôlements de la vie qui passe.
« Nous avions plein d’allumettes à la maison.
Nous les gardons toujours à portée de main
Nous avions plein d’allumettes à la maison.
Nous les gardons toujours à portée de main.
Nos préférées : Ohio Blue Tip...
Celles qui allument la cigarette de la femme que tu aimes pour la première fois »
Les mots dans ce film si peu bavard enregistrent la vibration du monde et scandent délicatement la beauté du quotidien. Et  même lorsque ceux-ci viennent à disparaître, il reste une lumière, un humour léger d’hommes et de femmes simples et magnifiques.
Le réalisateur se garde dans ces deux heures de toute définition close : il livre modestement une œuvre hors du temps et nous apaise. Une poésie fine, tout le contraire d’autres productions pétaradantes http://blog-de-guy.blogspot.fr/2017/01/poesia-sin-fin-alejandro-jodorowsky.html   
Insister sur la douceur de ce film met en évidence son originalité dans ce monde tonitruant et impérieux. Ce film est un délice, cependant, m’autorisant une métaphore Haribo : dans ce couple où le chien occupe une place indue, la sève du désir a été épongée par le coton de la bienveillance.
Je viens de lire dans un commentaire :
« une vie réglée comme du papier à musique » : pas mieux !
J’ai trouvé aussi  sur le site du journal La Croix, ces mots de Golshifteh Farahani :
« Elle vit à fond dans le moment présent. Elle est multi-talents. C’est une extravertie qui habite l’intérieur de la maison et accueille ce qui surgit d’elle, tandis que Paterson est un introverti qui puise son inspiration à l’extérieur. »

dimanche 22 janvier 2017

2666. Julien Gosselin.

Spectacle hors norme : 8h de théâtre, avec les entractes. Nous avons passé notre dimanche à la MC 2 de 11h du mat à 11h du soir, pour  assister à l’adaptation du livre, lui aussi fleuve, de  l’espagnol Roberto Bolaño.
Communiants dominicaux, en bons fidèles du culte culturel, qui nous emmène de l’Europe au Mexique, des narcos aux nazis, nous pouvons mettre en perspective nos préoccupations d’ici et maintenant.  
Nous avons tout le temps de nous enthousiasmer et d’être agacés, de recevoir les musiques à l’estomac, les images au plexus, de divaguer, d’être interpellés, d’être estomaqués, chamboulés.
Sous les brillantes lumières, les 16 acteurs de la compagnie « Si vous pouviez lécher mon cœur » sont vraiment performants.
Un puzzle se reconstitue habilement, tout en laissant des incertitudes, revisitant prestement quelques genres théâtraux: vaudeville, thriller, témoignage, poétique, symbolique, philosophique…
Qu’est ce qui lie Archimboldi écrivain connu seulement d’un petit cercle universitaire aux femmes tuées, torturées pendant des années au Mexique ?
« Personne n’accorde d’attention à ces assassinats, mais en eux se cache ­le secret du monde»
Benno von Archimboldi est la deuxième identité d’Hans Reiter, né d’une mère borgne et d'un père boiteux, et il n’est pas le seul personnage de cette fresque gigantesque mettant en scène policiers, journalistes, intellectuels, soldats… notre histoire, notre monde, nous-mêmes.
Qui sommes nous face à l’indicible, fut-il hurlé ?  
Nous remontons aux sources du mal, sans nous effrayer de ce terme trop absolu et n’avons qu’à nous recroqueviller dans notre fauteuil. Nous sommes dans la position de ces intellectuels tellement en dehors des coups, présentés dans leur vaine quête de l’identité de ce maudit écrivain, et subissons la litanie des crimes les plus horribles, présentés avec une telle efficacité qu’il vaut mieux mettre sa capuche de pseudo critique sur la tête plutôt que de crier : « stop ! » en risquant de se mêler à la représentation.
Les écrans ont envahi les plateaux depuis des années, mais ici la vidéo permet au spectateur de ne pas rester captif de l’admiration à l’égard des performances des acteurs.
La mise en scène met en valeur la qualité littéraire du texte, et matérialise la luxuriance des sujets abordés jusqu’au « too much ».
« Les étoiles sont apparence, de la même manière que les rêves sont apparence. De telle sorte que le voyageur de la route 80 dont un pneu vient d'éclater ne sait pas si ce qu'il contemple dans l'immense nuit ce sont des étoiles ou bien, au contraire, des rêves. »
Le metteur en scène qui nous avait épaté déjà a doublé la mise :
Rendu à reconnaître qu’un compte rendu dans le registre de l’artistique n’est pas suffisant, c’est toute une idée ( noire) de la (pauvre) condition humaine qui est interrogée et ce reflet (ignoble) pisse le sang. L’amour est morte, la bonté, la beauté brûlent dans les décharges, tripes à l’air.
« De 1993 à 2013, 1441 meurtres de femmes ont été commis à Ciudad Juarez, selon le centre universitaire Colegio de la Frontera Norte »


samedi 21 janvier 2017

Les poissons ne ferment pas les yeux. Erri De Luca.

Enchanté. Parler de l’enfance, de son enfance est un exercice difficile et c’est un domaine où je suis particulièrement chatouilleux : les occasions sont légion de jouer au plus malin ou de faire grincer les cordes des violons.
Ici, c’est bien l’adulte qui écrit avec une sensibilité qui rend complètement crédible sa sincérité.
« Ce bout d'un été d'il y a cinquante ans, vu à travers la focale de la distance, s'agrandit.
On découvre des horizons aussi dans un microscope, pas seulement du haut d'une montagne »  
Au bord de la mer du côté de Naples, le père parti en Amérique et le corps comme une enveloppe qui ne demande qu’à grandir, c’est le moment des découvertes, quand les mots enchantent le monde dont il aime les levers de soleil et les couchers :
 « Aujourd’hui, je cherche le coucher du soleil dans toutes les îles où je me rends.
Je vais à l’Ouest à l’heure où il se vide dans la mer.
Aujourd’hui, je racle l’assiette de l’horizon jusqu’à la dernière lumière »
Les dilemmes de l’enfance qui constitueront l’adulte sont traités d’une façon originale, poétique, authentique, réaliste.
La justice, le travail, les animaux, la jalousie, la violence, la fillette et sa robe blanche, les mots croisés, les livres, le cinéma, maman, les odeurs de la cuisine, la liberté, partir ou rester, le Sud et le Nord : 139 pages pour se délecter de croire comme Brel : 
« Faut dire qu'elle était brune.
Tant la dune était blonde.
Et tenant l'autre et l'une.
Moi je tenais le monde »
Et puis l’été finit.

vendredi 20 janvier 2017

Saumon Gravlax

Afin d’inscrire pour la postérité la recette que Claudine nous a servi en ce 25 décembre (dire jour de fête et non plus Noël pour ne pas offenser d’autres religions ; Jésus allant coucher ailleurs), voici ce qu’elle a dû répéter plusieurs fois :
Depuis 5 jours, elle avait mis pour 15 adultes, son saumon de 1, 5 kg, tranché en deux beaux filets entourés de film alimentaire à cuire dans le sel :
16 cuillères à soupe de gros sel et 8 cuillères à soupe de sucre,
avec 4 cuillères à soupe de poivre du moulin, deux bouquets d’aneth.
Gravlax (nom d'origine suédoise) aux intonations médicamenteuses signifie « enterré »: tout est dans la préparation.
Si l’on n’a pas laissé la peau, la marinade ne doit durer que 12 h, sinon c’est trop salé.
Lavez le, épongez, avant de le débiter en s’arrêtant avant de toucher la peau.
3 tranches par personne avec une sauce au fromage blanc battu moutarde et miel  avec tranche de citron, oignons (rouges) et aneth, décidément à toutes les étapes, avec cette fois tomates cerises et mâche en accompagnement.
En plat : avec des pommes de terre, j’ai vu aussi des copeaux d’asperges sur le net où les éloges sont nombreux pour cette recette simple et festive.
A la table tout le monde a apprécié la tendreté du poisson rose.
Si j’ai évité de faire le cuistre des cuisines en narrant que jadis les valets faisaient stipuler sur leur contrat de ne pas être servi en saumons plus de trois fois par semaine, c’est que l’anecdote est remise en question. Par contre le débat sur le bio semble inévitable.
……………..
Une recette, ça faisait longtemps que je n’en avais pas mis en ligne.
Et comme, je deviens frileux en politique le dessin ce cette semaine du « Canard » sera dans le ton.


jeudi 19 janvier 2017

Alfons Mucha. Catherine de Buzon.

La conférencière CDB a pu dévoiler devant les amis du musée de Grenoble, des peintures, des fusains, de vastes réalisations, au-delà des belles affiches du maître de l’ornement « grand style ». Elle a  conseillé à son auditoire d’écouter pour rester dans l’ambiance,  la musique de son compatriote Smetana (La Moldau).
Mucha, ici peint par Tasev Warszawa, est né en Moravie, au sud de Prague en 1860 dans une famille qui a perdu cinq de ses enfants. Lui, petit chanteur, ne se sépare pas de son crayon, il est cependant refusé par l’académie des Beaux arts de Prague.
« Choisissez une autre profession où vous serez plus utile. »
Il deviendra une des personnalités les plus marquantes de l' Art nouveau.
Il passe par Munich et Vienne, creusets des recherches d’alors, avant de devenir illustrateur à Paris.
En 1894, il est choisi par défaut, car il était le seul disponible, pour réaliser l’affiche de théâtre de la Renaissance «  Gismonda » avec Sarah Bernhardt. L’histoire de la martyre chrétienne fut un succès. 

« La lionne en vogue », « La Divine indomptable » l’introduit dans les cercles mondains.
Alors il produit toute une série d’annonces élégantes qui «  s’arrachent » comme « Médée »
Dans cette affiche, tout concourt à l’efficacité du message : le lettrage rappelle la Grèce, lieu d’une passion brûlante où la rivale, terrassée, gît aux pieds de la barbare assassine.
«  La Samaritaine » d’Edmond Rostand entourée de caractères évoquant la culture juive est gracieuse sous son immense chevelure traçant des courbes et des contre courbes affolantes.

Après la tournée américaine de Sarah B., en collaboratrice rousse qui joue dans «  La dame aux camélias » où les motifs floraux vont de soi, comme une certaine langueur, il sera reconnu du côté de New York comme «  le plus grand artiste décoratif du monde ».
« Salammbô », au milieu des fumées d’encens, la belle de Flaubert, dans Carthage revisitée nous fait penser à Klimt.
Il a célébré exclusivement la femme, même avec « Lorenzaccio », puisque Sarah Bernard interprète le rôle.
Il partagea des moments pas tristes avec Gauguin. Passionné d’occultisme, de spiritisme, de théosophie, il s’intéressa aussi aux travaux de Charcot et de Freud et fut un franc-maçon assidu. Il a exposé avec la Sécession viennoise. Mackintosh et les préraphaélites l’ont inspiré. C’est dans son atelier, en tant qu’ami des frères Lumière et de Léon Gaumont, qu’eut lieu la première expérience cinématographique au monde !
Si les couleurs émeraude et roux s’accordent dans la publicité du « Lance- parfum Rodo », les volutes et les boucles de la jeune femme se pâmant sous l’effet de ce qui est contenu dans le papier cigarette étaient vouées à « Job ».
Les bières de la Meuse, des imprimeurs, le PLM, le chocolat Idéal, Nestlé, les cycles Perfecta, des champagnes, bénéficient de son talent, et les petits beurres Lefèvre Utile
« Je ne trouve rien de meilleur qu'un Petit LU, oh si ! Deux petits LU. ». Sarah Bernhardt 
Arabesques entrelacées, étoffes soyeuses, ses décors épurés recèlent des motifs signifiants et le halo qui entoure ses modèles sensuels identifie facilement un style.   
Ainsi, les fruits généreux de la nature s’étalent sur les palissades des chantiers du Paris de la « Belle époque ». Il décore menus, cartes postales, emballages, papier à en-tête, calendriers, la façade et l’intérieur du magasin du bijoutier Fouquet avec qui il collabora depuis un serpent enroulé au bras de Médée. La boutique est visible aujourd’hui au musée Carnavalet.
Il réalise un  répertoire des formes à exploiter dans les arts décoratifs et met en images « Le Pater » dans un livre ambitieux. Cet élan spirituel chargé de références maçoniques traduit la lente ascension de l’homme vers l’idéal. 
A l’occasion de l’exposition universelle de1900, il réalise une fresque pour le pavillon de la Bosnie-Herzégovine où le tilleul et le faucon, symboles slaves, sont présents ainsi que le tabac allégorie de la liberté.
Lorsqu’il est revenu au pays pour trente ans, il n’est pas accueilli à bras ouverts. Après un séjour aux States, le millionnaire Charles Crane finance son œuvre colossale  « L’épopée slave »   composée de 20 toiles de 6m X 8m.  
« Bourgeois décadent » pour les communistes, « judéophile » et « franc-maçon » pour les nazis, il a tenté de sortir de son image trop liée au commerce, pourtant ce soir nous avons mieux fait connaissance avec un artiste profond parfois sombre.
La diversité des supports de sa virtuosité peut  d’ailleurs souligner la richesse de son parcours ainsi le « Vitrail de la cathédrale Saint Guy » à Prague.   

mercredi 18 janvier 2017

Equateur J 10 # 1. Amazonie. San Juan de la Terra.

La pluie se met à tambouriner avec violence sur le toit en tôle, dès qu’on a éteint la lumière. La température sous la moustiquaire est assez fraîche. Pas de chiens, pas de coqs pour troubler notre sommeil.
Après le petit déjeuner, Juan nous équipe en bottes en caoutchouc, préférables dans la forêt amazonienne aux chaussures de marche. Il s’arme  d’une machette et nous le suivons lui et son fils « Ronaldinho » ainsi baptisé à cause de son maillot, sur une trace de sentier qui part derrière le restau.
Juan nous montre une cosse de cacao blanc dont les graines sont comestibles puis les vraies cosses de cacao pendant aux arbres d’une plantation. Il nous donne trois règles :
1) planter les talons ; 2) ne pas s’accrocher ou se rattraper aux branches et aux arbres pour éviter ce qui est venimeux ou vénéneux ; 3) ne pas s’isoler ni partir seul.
Le chemin est glissant, boueux et recouvert de feuilles mortes, il traverse de petits marécages et des ruisseaux où le gamin ramasse des escargots pour les manger.
Nous passons de la forêt secondaire à la forêt primaire, avançons par petites étapes pour découvrir la végétation, nous goûtons des termites au goût de carotte ou des fourmis acides comme des citrons.
Les troncs s’élèvent droit à la recherche de la lumière et s’ancrent dans la terre en multipliant les ramifications car les racines ne peuvent s’enfoncer  qu’à 50 cm dans le sol.
Juan nous explique la différence entre les plantes épiphytes qui ne prélèvent rien de la plante support  et les plantes parasites, nous montre des tiges de vanille qui sont une variété d’orchidée.
Il y a aussi les ficus, végétaux qui se nourrissent de l’arbre,  puis l’entourent  de branches et l’étranglent petit à petit, gagnant sur son tuteur grâce à une croissance rapide.
Nous courons après les papillons, nous voyons des fourmis balles dont les piqûres sont très douloureuses et des feuilles de palmiers dont la nervure est si tranchante que les femmes s’en servent pour couper le cordon ombilical au moment des accouchements.
Des fleurs rouges nous amusent car elles ressemblent à de grosses lèvres que nous mettons dans la bouche.
Nous entendons plus que nous les voyons, les oiseaux, nous apprenons que le toucan est l’ennemi de tous les oiseaux. L’oriole s’en protège en tissant des nids en forme de cône et imite d’autres oiseaux ou animaux pour leurrer des prédateurs.
Les cigales stridulent comme des scies électriques et changent de chant en fonction de l’heure de la journée. Les termites se servent de leurs excréments pour construire leur habitat dont les hommes récoltent des morceaux et les brûlent pour éloigner les moustiques. Dans un tronc, une excroissance indique la présence d’un nid d’abeilles.
Au pied de l’arbre, Juan ramasse de la cire dont les quichuas se servaient comme bougie.
Des racines aériennes, à ne pas confondre avec les lianes, tombent de rhododendrons épiphytes, elles permettent de produire de l’anti venin contre les morsures de serpent.
La symbiose entre animal et végétal est fascinante, tout le monde vivant profite et se rend utile dans un équilibre fragile.
Les racines d’un arbre mort où vivent de nombreux animaux pourront servir à protéger le chasseur de l’ours à lunettes.
Nous n’avons pas vu passer les 3h 30 avec quelques glissades évitées de justesse.

mardi 17 janvier 2017

Ma vie de réac. Morgan Navarro.

J’avais oublié le titre de l’album et j’ai demandé à l’excellente librairie « Les modernes » :
« le livre du grenoblois qui est venu signer chez vous la semaine dernière ».
M’est revenue alors la scène où Woody Allen ayant planqué son magazine porno sous une revue littéraire, se faisait remarquer, la caissière du magasin de journaux interpellant son chef, bien fort :
« Orgasm’ c’est combien ? »
Si énoncer « ma vie de réac » me coûte tellement, c’est que je ne suis pas bien au clair et qu’il serait temps de faire mon coming out, tant j’ai pu me trouver en accord avec le personnage principal.  
 Pourtant la féminisation de la langue m’indiffère, ainsi que les lesbiennes, les drônes ou les téléphones portables, je reste dans les clous et sur le sujet des nouvelles technologies j’ai la chance d’avoir des descendants bien plus rigoureux que moi et des petits enfants pas encore dans les dilemmes de la tablette qui reste pour eux en chocolat.
Mais sur l’éducation, la réforme du collège ou les réunions de démocratie participative : tout à fait d’accord ! Je peux d’autant plus m’identifier au chauve dégingandé justement émouvant dans ses contradictions, et jouant avec les différents degrés de l’humour que ce dessinateur efficace est hébergé sur le site du « Monde » et que « Le Petit Bulletin » en a dit du bien : le bobo beauf que je suis reste « correct », d’autant plus que vient de naître la catégorie « réac de gauche », alors : cette BD est  bien vue, bien marrante.