samedi 19 novembre 2016

Ma part de gaulois. Magyd Cherfi.

J’aime le chanteur, j’ai aimé l’écrivain à l’écriture originale en accord avec son récit et son être chaleureux trouvant sa voie entre deux cultures qu’il fait bon de voir aimer.
J’ai pensé au « Gône de Chaaba »  d'Azouz Begag plus tourné vers l’enfance mais également enchanteur et aussi aux « Ritals » de Cavana pour l’amour de la langue et des « gens de peu » En évoquant sa réussite au bac qui avait alors dans les années 80 une valeur, démultipliée pour lui, premier lauréat des quartiers nord de Toulouse, je me demande quelle serait la tonalité d’un témoignage qui dirait les années 2010 depuis la Villeneuve par exemple avec une sincérité et une force égale ? Je ne sais si la France se montre aujourd’hui aussi désirable, aussi sûre de ses valeurs et ce n’est pas qu’une affaire de politiques que certains à l’occasion de la sortie de ce livre ont mécaniquement mis en cause, comme d’habitude. L’école n’était pas écrasée tous les quatre matins, elle ne s’écrasait pas.
Le « guéri imaginaire » comme il se nomme,  a subi la violence qu’il me coûte de qualifier de « classique » de la part de ses pairs du quartier à l’encontre des élèves qui travaillent.
L’amour de sa mère et son exigence l’ont protégé, « élevé » ; ce mot trop rare est si beau.
La scène où il s’approche d’elle après sa réussite m’a bouleversé, comme me fait chavirer, à chaque fois, le père, dans « La gloire de mon père », lorsqu'il s’aperçoit  que son fils sait lire.
« Enfin après ce marathon de sueur de quelques deux cents cinquante mètres, je m’enfonçais sous les aisselles de l’amour. C’est là bien au chaud que je l’ai entendue pour la première fois me dire en français :
- Mon chéri (avec son r roulé) »
Les critiques systématiques des pères alors moustachus vis-à-vis de leur pays d’origine vers lequel ils retournent chaque été prêtent à sourire : ils sont bien du même bois râleur que ceux de la tribu gauloise d’à côté.   
A l’injonction impossible : « Sois français, mais ne le deviens pas... » il répond par ces 260 pages drôles, brassant toutes les contradictions, entrant dans la complexité, sans renier la Kabylie de ses parents, ni refuser les mots de la langue française venus de chez Léo Ferré ou Maupassant sur  fond de musiques de Claude François.

vendredi 18 novembre 2016

Petit manuel de survie à l’intention d’un socialiste dans un dîner avec des gens de gauche. Bruno Gaccio.

Jadis, je ne manquais pas  « Les Guignols de l’info » dont le furtif amant de Ségolène Royal, était une des meilleures plumes, puis j’ai vu Gaccio le stéphanois, en chroniqueur pompeux, imbu de lui-même et donc méfiant avec ce petit livre au long titre.
Mais là je n’ai pas été déçu : un festin.
Enfin de la politique pour ceux qui comme moi en sont à éviter les sujets politiques à table, alors que ce fut ma vie.
Il ne s’agit pas bien sûr d’un traité savant , mais il ne  prend pas le lecteur pour un simplet.
Il va au-delà du pamphlet  rigolo : une critique charpentée, sensible et féroce qui n’épargne pas Hollande d’avant le lamentable « «Un président ne devrait pas dire ça», ni les gens de gauche dans une galerie de portraits plus vraie que nature.
Il inventorie des moyens de masquer les débats, entre l’invective dandy et le raisonnement absurde : « Sarkosiser le dîner », « Faire peur », « L’Allemagne ne veut pas », « Dire qu’on connaît un grec », « Oser le point Godwin »… pour citer quelques têtes de chapitres vivement troussés qui tiennent en 125 pages.
Pour l’énigmatique  paragraphe intitulé « Queue du rat », il part d’une réflexion de personnes connaissant bien Mitterrand :
«  Même si la queue du rat lui sort de la bouche, il nie l’avoir avalé, c’est là sa force. »  
Pas de nostalgie donc, mais des bons mots : le PS serait « la droite complexée ».
Et il fait partager son goût pour l’économie avec des graphiques parlants provenant du « Collectif Roosevelt » où l’auteur milite désormais.
Il était aux dernières nouvelles en première ligne dans « Nouvelle Donne » parti inventif, moins péremptoire que le Parti de Gauche, mais le groupuscule a éclaté, ils ont viré Larroutourou leur fondateur : misère des alternatives.
En annexe une hilarante batterie de tests pour récupérer  des points sur son permis socialiste :
«  Vous revenez de l’île de Jersey où vous avez constaté qu’un immeuble de 3 étages abritait 10 000 sièges sociaux de société, vous pensez que…
 Réponse 1 : …  la crise du logement est un problème pour les insulaires.
 Réponse 2 : … c’est pas possible quand même sur trois étages si, parce que sinon le concierge il doit avoir beaucoup de travail rien que pour distribuer la courrier quand même déjà, non ? En même temps pour ses étrennes, ça doit être avantageux. Vous êtes sûrs de vos chiffres ?
Réponse 3 : … la lutte contre les paradis fiscaux est indispensable si on veut remettre la finance à sa place, il faut s’y mettre vraiment.
Réponse 4 : … personne n’est content de payer des impôts… donne dix briques à un ouvrier tu vas voir qu’il va devenir un excellent exilé fiscal… »
Ce n’est pas toujours aussi facile et je me suis fait flasher plusieurs fois.
…………
Cette semaine un extrait d’un dessin de Joep Bertrams pour Courrier international :

jeudi 17 novembre 2016

Du maniérisme au baroque.

Jean Serroy avait sous titré sa conférence devant les amis du musée de Grenoble : « Des cous et des couleurs » ; il a parfaitement illustré le jeu de mots, passant des gracieuses encolures allongées du XVI° siècle aux représentations de décapitations qui se multiplièrent au XVII°.
Julia Kristeva au moment de l’exposition du Louvre « Visions capitales » (1998) avait proposé une vision philosophique, psychanalytique, anthropologique de ce phénomène qui a tellement marqué les consciences, réinterrogé ce soir sur le plan esthétique.
Le « Maniérisme » fut un courant artistique du temps où les peintres se sont rapprochés des maîtres de la Renaissance, à leur manière.
C’est l’époque où la « Terribilità »  de Michel Ange, héroïque, athlétique, côtoie  la grâce raffinée des vierges de Raphaël, où tout est harmonie.
L’enfant tenu par « La Madone de Saint Sixte » est en sécurité et d’espiègles chérubins peuvent figurer en toute décontraction sous une composition où la raison classique renvoie à l’équilibre d’une église qui alors ne doute pas de ses valeurs.
La  « Vierge au long cou » du Parmigianino est inscrite dans des lignes serpentines, l’enfant démesurément long semble échapper à la belle au cou de cygne.
Bronzino avait déjà magnifié les visages ovales de beautés effilées aux longs doigts, son « Allégorie du triomphe de Vénus » destinée à François 1° où l’érotisme affronte la mort
entremêle les personnages et recèle d’innombrables énigmes tel que « le Plaisir » faisant mine de distribuer des pétales au moment où il va se blesser au pied…
 « Moïse défendant les filles de Jethro » de Rosso Fiorentino, est grandiose, la gracieuse bergère au buste menu, hanches et bras puissants, répond aux canons du genre de l’époque.
Alors que dans son angoissante « Sainte Famille » peinte précédemment, toute en grisaille, la mort est annoncée, l’Enfant terrorisé.
De l’école de Fontainebleau nous connaissons peut être les tétons  de « Gabrielle d’Estrées et sa sœur » mais tout aussi charmante, idéale et sensuelle, est la « Dame à sa toilette » dont la blanche nudité s’habille seulement de quelques bijoux. Derrière le jeu des mains où l’une cache le médaillon de l’être aimé et l’autre s’arrête au choix de l’alliance, un personnage à l’arrière-plan rappelle les différents étages de la société.
Le Caravage va trancher avec le maniérisme, art de cour.
« Le baroque réinvestit la réalité pour s’engager dans la voie d’un naturalisme bouillonnant. »
« La Madone des palefreniers »  ou « La Madone au serpent »  résout habilement un dilemme théologique : la vierge pour les protestants ne pouvant écraser le mal, elle aide ici son fils. Son décolleté bien garni va troubler quelques moines.
«  Sainte Catherine d'Alexandrie » a subi plusieurs supplices après que la roue fût brisée par Dieu, sa décapitation n’est que suggérée, l’ombre lui cisaille le cou.
Artemisia Gentileschi a rendu toute l’horreur de la scène de « Judith décapitant Holopherne » pour sauver son peuple, avec une détermination des femmes impressionnante.  Les experts n’ont toujours pas rendu leur verdict concernant une version de plus de cette scène peinte peut être par l’incontournable Michelangelo Merisi da Caravaggio, trouvée récemment dans un grenier toulousain.
Par contre, il a signé avec le sang de son saint bien aimé lors de « La Décollation de saint Jean Baptiste »
Lors de l’opération suivante, « Salomé avec la tête de saint Jean Baptiste » prend moins d’importance que le bourreau tout à sa commisération.
Bien sûr David peut brandir la tête de Goliath de diverses façons et Isaac maintes fois échapper au sacrifice par son père Abraham, la Méduse continuer à pétrifier ceux qui la regardent, la tache lumineuse du cou de Sainte Cécile décapitée à trois reprises semble appeler la lame comme elle a conclu le propos du conférencier avec le mot un peu raccourci de Guillaume Apollinaire, «Soleil cou coupé  », qui venait après ces quelques vers :
« Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied
Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée
Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances
Adieu Adieu 
Soleil cou coupé »

lundi 7 novembre 2016

Moi, Daniel Blake. Ken Loach.

Daniel Blake, le menuisier aimerait travailler, et malgré des problèmes cardiaques qu’il n’arrive pas à faire reconnaître, il doit déposer ses C.V chez des employeurs, bien qu’il ne soit pas « employable ». La révolte peut-elle venir à bout de l’absurdité ?
Pourtant qui n’a pas été troublé par des récits concernant des individus qui abusent des allocations, alors que la fraude fiscale représente 70% des manques à gagner pour l’état, contre 30% concernant la fraude sociale ?
Ce film  utile  nous remet du côté des pauvres, du côté des « éligibles » - les moins nombreux possibles - aux aides car ils se multiplient.
Contrairement aux productions françaises dont nous reconnaissons d’abord les acteurs avant d’identifier un ouvrier ou une mère célibataire, nous poussons la porte des appartements des plus humbles à Newcastle et partageons leur combat quotidien pour survivre.
Au-delà de la dénonciation de lourdeurs administratives outre Manche, ce sont les conséquences implacables de la privatisation qui sont démontrées intelligemment.
Et finalement peu importe que certaines scènes soient trop appuyées quand il s’agit de défendre la dignité des hommes.
Contre l’exclusion par Internet, la culpabilisation et la déshumanisation, les call center, les vigiles à l’accueil, la fraternité est là. Tous les employés  du « job center » ne sont pas des machines et les enfants sont des boosters à résilience.
Cannes l’a récompensé et les « Indignés » vont aimer, bien qu’il n’y ait pas de quoi en faire un programme. Face à la misère qui vide de ses meubles les intérieurs miteux, sont attaquées jusqu’à nos espérances. Les machines ont gagné pas seulement par leurs algorithmes mais dans ce que nous avons perdu en estime des autres et donc de soi.
Dans la filmographie de l’octogénaire, cette heure et demie est plus proche du sombre « Jimmy’s hall »
que de l’enjoué « La part des anges »
On a beau répéter que « L’humour est la politesse du désespoir », le tag final, affirmation désespérée de l’individu, apposé à la surface d’un « monument en airain », souligne une solitude que des bouffées de solidarité n’ont pu résoudre.
…………….
Suite à quelques faiblesses dans ma boîte vitale (live box) je n’ai pu poster tous les articles dans les temps que je m’étais donné, les fidèles voudront bien me pardonner. Cette semaine à venir, je vais m’occuper de mes petits enfants et mettre de côté la machine ; retour sur écran jeudi 17 novembre.

samedi 5 novembre 2016

L’inhabitable. Joy Sorman.

Petit livre (77pages) et grande auteure. 
La fille de Guy Sorman visite quelques adresses parisiennes déclarées insalubres et retourne quelques années après voir les constructions neuves qui ont poussé à la place ou sont encore en projet.
Belle couverture surréaliste pour un contenu hyperréaliste.
« La télé est allumée sur LCI, un débat entre Jacques Julliard et Luc Ferry sur une question finalement non tranchée : faut-il suivre la nature ?
Des bassines sont disposées un peu partout dans la pièce pour prévenir les fuites d’eau. Il n’y a plus de fenêtres juste des planches et du carton scotchés… »
Des situations se situent  au-delà du mal logement, elles sont décrites avec précision et sobriété.
Sont évoqués également les processus bienveillants pour reloger des chibanis, des familles nombreuses, des fous, des faux papiers…
« Le détour par la maladie permet une forme de reconnaissance des sans papiers. Annie se satisfait mal de ce système : il y a des effets pervers. Sachant ça des familles n’améliorent pas leur condition pour rester prioritaires au titre du relogement. Elles veulent rester concurrentielles sur le marché du pire. »
Des injustices crues, sont mises en lumière mais les situations sont complexes et les solutions demandent du temps et de la persuasion envers des individus qui  parfois fuient les aides. L’inhabitable n’est pas forcément que le taudis invivable mais peut être le nouveau logement.
« A l’excessive misère d’année de vie dans l’insalubrité répond aujourd’hui un usage excessif, démesuré d’un confort aussi déroutant qu’inespéré. »

vendredi 4 novembre 2016

Camember(t).

Fromage emblématique sous l’étiquette « Président »,
c’était le nom d’un personnage au début de la bande dessinée, un sapeur (soldat) simplet à la fin du XIX° siècle,
une expression enfantine signifiant « tais toi » depuis la version initiale :
« Ferme ta boite à camembert, tu l'ouvriras pour le dessert. »
A ces trois titres, le locataire coulé de l’Elysée pourrait mériter le label made in Normandie.
Quand la sympathie elle-même devient suspecte.
« De Gaulle parlait à la France, Mitterrand et Chirac aux Français, Hollande lui parle aux journalistes » Le Monde.
« Un président ne devrait pas dire ça », et il le dit !
Je voulais lire l’ouvrage et me faire une idée personnelle et puis je n’ai pas poussé plus loin le masochisme. De toutes façons le mal est fait, hâtant un désastre annoncé quand il y a tant de livres à lire et à relire.
Cette béance narcissique au plus haut niveau constitue une source d’analyses féroces concernant François H., mais elle ne fait que parachever une faillite collective, fragilisant un peu plus notre socle démocratique. De ce déluge verbal, de tant d’impudeur tellement contemporaine, de si peu de retenue, nous avons honte.
Oui, « honte » comme dit Valls qui l’a mis dans la bouche de militants socialistes, soi disant. Celui qui avait communiqué un moment sur « les deux gauches irréconciliables » regrette les divisions qu’il a lui même exacerbées : paroles de vallsiste déçu. Peut-on même se dire « déçu » voire « vallsiste », quand les excuses et tous les mots ne veulent plus rien dire ?
« Les magistrats sont des lâches » et pis non : «  c’était pour rire ». Perte sur les deux tableaux.
Dans ce gloubi-boulga où plus une phrase n’est assumée, que peuvent relever les éducateurs ?
Certes j’ai bien entendu qu’il ne faut pas prétendre s’éclairer à des lumières verticales, la mode est à l’horizontalité, mais en bout de ligne je ne vois que noirs nuages et pénurie d’exemples.
Dans le même mouvement qui m’a conduit à ne considérer que quelques « bonnes feuilles » toxiques parmi les 672 pages de Davet et Lhomme, je persiste à suivre ma pente naturelle en revenant à l’école sempiternellement.
Je replonge ma plume dans la même bouteille à l’encre que maints chroniqueurs affidés au ministère de l’éducation qui semaines après semaines affaiblissent la stature des profs.
Non, eux ne parlent pas de moralité publique, ça ferait ringard, on a le vélo citoyen pour ça et le tri des ordures éthique, rustines et déchèterie. Mais depuis des décennies alors que les mêmes estimaient que le niveau ne cessait de monter, pour ces incompétents qui ne jurent que par les compétences, l’instruction serait la cause des inégalités. Le feu sur le quartier général est depuis longtemps ajusté : « non » à la grammaire, au calcul (« patates » années 70)… « non » aux devoirs, aux notes, et stéthoscope pour tous !
La fracture générationnelle en surcroît de la sociale, fin de la transmission.
Je verrai plutôt la source de quelques uns de nos maux dans la décroissance de la culture, quand toute dignité est massicotée, et que tant de légèreté nous plombe.
Sous les rires perpétuels, ne subsistent que des rictus d’un carnaval permanent.
Montessori serait tendance, non celle qui pensait que le silence est d’or, mais un label cool qui permettrait à la gentry de s’épargner des promiscuités d’une école publique dont le qualificatif risque d’être aussi dépréciatif qu’au pays de Trump.
Qui a fabriqué ces bouffons et fait qu’ils arrivent là ? 
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Dans le "Canard" de cette semaine: 


jeudi 3 novembre 2016

Ernest Pignon-Ernest. MAMAC Nice.

L’exposition dure jusqu’à début janvier 2017, et les foules s’y pressent.
Alors que les centres d’art contemporain sonnent souvent le vide, ici l’histoire et l’actualité se rejoignent, l’artisan s’appuie sur les artistes, la rue se retrouve au musée, et le ravissement devant de belles images rend les réflexions fécondes.
J’éviterai de me répéter ayant consacré d’autres articles au septuagénaire
mais mon plaisir fut renouvelé avec cette présentation d’un parcours où se révisent tous les combats :
contre l’apartheid, pour l’avortement, contre les expulsions, d'autres conditions de travail, en soutien aux immigrés…
Il nous conduit à Soweto, en Palestine, à Naples, Alger…
Avec lui, les poètes deviennent des icônes: Rimbaud, Maïakovski, Artaud, Desnos, Nerval, Genet… Neruda.
La veuve de celui-ci, à laquelle il présentait son travail, le trouva dans une expression plus sérieuse que lorsqu’il était vivant, cependant cette gravité lui convenait bien. 
Des influences de peintres sont manifestes : Le Caravage, Ribera…
« Sans Tapiés et sans Léonard nous ne regarderions pas les murs de la même façon » EP-E
Je ne me souvenais pas avoir vu sur place les solitudes nocturnes derrière les vitres des cabines téléphoniques lyonnaises
et regrettais de n’avoir pas fait un tour avant démolition, à la prison Saint Paul où il avait collé de magnifiques portraits d’hommes
et quelques « yoyos », des bouteilles plastiques, qui se balançaient de cellules en cellules.
Une  photographie devenue une icône des révoltes sud africaines de 1976  se souvient des piétas et sa réinterprétation vise à mobiliser contre le SIDA en 2002.
En 2015 Pasolini porte son propre cadavre.
Nous pouvons mesurer les évolutions de l’artiste pouvant se dispenser de toute arrogance tant son œuvre est limpide, évidente et forte.
« Dans l’image il y a toujours enfouis, des signes qui ont déjà servi, je travaille le dessin – puis sa mise en situation- de manière à les exhumer, les réactiver, leur donner un sens nouveau, provoquer des rencontres improbables entre le passé et aujourd’hui, des allers-retours dans l’histoire, des anachronismes révélateurs. Je vise à troubler l’appréhension des lieux en mélangeant aux sensations qu’ils procurent aujourd’hui quelque chose du contexte du passé. »
Son trait, à travers la présentation d’une multitude de travaux préparatoires, devient plus ondoyant : les plis des tissus soulignent la sinuosité des gestes. Il aime le corps des hommes et l’âme des femmes.
Encres, pierre noire, sérigraphies et photographies témoignent d’un travail exigeant pour s’insérer dans les villes ou provoquer des chocs qui régénèrent tant de lieux.
Comme l’empreinte de l’échelle d’Hiroshima ou celle du suaire de Turin, les traces magnifiques de E P-E perdurent au delà d’éphémères collages sur les murs écorchés de nos villes.