Notre petit guide qui n’a plus qu’un œil a signalé une
cérémonie d’initiation Hamar avec le fameux « saut de bœufs » qui
doit avoir lieu cet après midi.
Annoncé à 20 km, nous en effectuons bien 40. Il faut vraiment connaître le
village de Chegala pour le trouver dans la brousse. Les 4X4 nous lâchent au
bout du chemin, et nous continuons à pied dans le lit sablonneux de la rivière
en compagnie de deux australiens. La marche dans le sable s’éternise et nos chauffeurs lancés dans le fesch fesch,
nous récupèrent pour les derniers mètres et nous déposent sur la rive.
Nous passons dans un autre oued par un petit chemin ombragé
envahi par des chèvres, des bœufs et des Hamar en plein préparatifs.
Les femmes abondamment enduites de beurre et d’argile,
parfois coiffées de plumes voire de bandes de papier, secouent des grelots
attachés à leurs mollets, certaines soufflent dans des trompettes.
Pour prouver leur courage, elles ont déjà commencé à
réclamer des coups de badines administrés par des hommes.
Une femme s’est évanouie, et un guide demande s’il y a un
docteur dans les parages.
Nous ne sommes pas les seuls touristes.
Un groupe d’italiens très intrusifs se fait remarquer et
rappeler à l’ordre par des guides afin qu’ils gardent leurs distances,
respectent leurs semblables et les personnes qu’ils sont venus observer.
Alors que des hommes se maquillent en vue de cette cérémonie
rare, ils placent leurs objectifs démesurés sous le nez des Hamar. Nous sommes
choqués par tant de sans-gêne de nos semblables qui s’estiment respectueux mais
font semblant de ne pas connaitre l’anglais.
Nous nous éloignons et observons tous les mouvements surtout
ceux des femmes. Ebahis par tous ces dos ensanglantés, surpris par ces rites,
nous sommes conscients d’assister à une cérémonie exceptionnelle,
malheureusement perturbée par des malotrus.
Je ne peux croire à une telle grossièreté et j’estime qu’il
s’agit d’un stratagème de personnes contrariées ne pas avoir bénéficié de
l’exclusivité de l’évènement.
Puis touristes et Hamar, nous nous dirigeons pèle mêle vers
l’aire de la cérémonie située en surplomb au son « forte » des
grelots et de quelques voix chantées.
Là, le troupeau de bœufs est rassemblé, les femmes chantent
en l’encerclant en procession et en
tapant des pieds, elles frottent leurs dos sur les flancs des bêtes. Celles-ci
sont scarifiées et certaines ont les oreilles découpées.
Juste avant, les femmes provoquaient encore les hommes pour
se faire fouetter avec une baguette flexible choisie par elle, arrogantes, sans
pousser un cri et sautant.
Les dos lacérés, saignent, les verges claquent et certains
semblent raisonner les amies de l’initié pour leur dire que c’est suffisant.
Pendant ce temps l’homme au crane rasé à l’avant, encadré par des anciens,
reçoit des bénédictions à l’abri des regards.
Il ressort totalement nu et s’immerge dans le troupeau. Puis
les villageois séparent les bêtes et les placent avant que le héros du jour passe
à plusieurs reprises par dessus une demi-douzaine d’entre elles. L’échec lui
aurait valu la flagellation par des femmes et la mise au banc de la société. Demain
ce sera la fête puis le départ seul dans la brousse jusqu’à ce que le père lui
trouve une épouse.
Le spectacle est aussi chez nous les blancs : bousculades,
entraves réciproques pour photographier…
Nous quittons les lieux énervés de nous préoccuper davantage
de nos voisins que de comprendre mieux ce moment d’autant plus rare que ces
bisbilles signent la fin d’une époque. Y aura-t-il bientôt un cordon à ne pas dépasser pour ne
pas perturber les cérémonies, des emplacements pour photographes,
l’interdiction de filmer, de photographier, de venir voir ?