lundi 10 juin 2024

Frères. Olivier Cassas.

Les derniers documents apparaissant au bout d’une heure et demie de film sont très utiles pour arriver à croire à cette histoire d’enfants disparus comme des milliers d’autres dans l’Europe de l’après guerre.
Deux garçons de cinq et sept ans vont vivre dans la forêt pendant sept ans, oubliés de tous. Cette épreuve incroyable va les marquer « à mort » même devenus architecte pour l’un et l’autre médecin.
Leur bel attachement vital forgé dans le froid et la faim exclut les autres malgré une réussite sociale peu explicitée.
Le récit de ces destins vertigineux a enthousiasmé de nombreux spectateurs sur « Allo ciné » alors que la presse est beaucoup plus réservée qui relève des redondances et quelques ellipses alimentant une incrédulité se rappelant à nous à plusieurs reprises.  

samedi 8 juin 2024

Faites vos jeux. Philippe Djian.

Nous sommes pris dans une tempête sur une île bretonne alors qu’une famille finit par se réparer. 
« … le réseau fonctionnait lui aussi-Seigneur Dieu, difficile de croiser quelqu’un qui ne lâchait plus son truc collé à l’oreille après tout ce temps, toutes ces interminables, ces atroces journées blanches, insupportables, en apnée, coupées du monde, sans la moindre nouvelle à se mettre sous la dent. » 
Les éléments se déchaînent  alors que  fils et  fille sont revenus auprès d’un père comptant bien offrir à sa vie de nouvelles perspectives. 
« Quand le courant t’emporte, tu peux rentrer les rames, je ne sais plus qui a dit ça. »
 La vigueur du style de l’auteur, qui vieillit avec nous, est toujours là, avec tensions entre les personnages blasés et atmosphère singulière installée vivement.  
« Ce qui est bon pour le commerce l’est rarement pour l’environnement,on va finir par le savoir, non. » 
Entre submersion océanique et incendie, cet aperçu de chaos planétaire atteint aussi Jonas, Edith, Victor et Magalie. Lassés par les rancœurs, ils ne s’empêchent pas de se laisser aller à leurs pulsions désabusées.
L’expression « Les jeux sont faits, rien ne va plus » ne figure pas dans les 230 pages, mais  peut répondre au titre après un récit où se perdent les illusions.

vendredi 7 juin 2024

L’Europe à 38.

Quand un individu se met en avant lors d'un selfie, le monument prestigieux, devant lequel il pose, passe à l'arrière. Quant au personnage vu à la télé qui sourit à côté du photographe, il donne l’illusion de se mettre au service de celui qui l’a mis dans la boite.
Tout le monde clique claque et tique tocque, y compris les collectivistes véhéments.
Tous encouragent cette forme de privatisation de la vie politique constituée par la prolifération d'égo portraits, aggravée par la progression d’une fragmentation en communautés de genres et de races.
Ce bain démago peut rapporter gros au loto électoral mais détériore un peu plus « le vivre ensemble » au point que le terme devient aussi obsolète que « fraternité ».
Les émoticônes ont pris le dessus, l’émotion prime sur la raison, les violences se permettent tout, quand chacun s’estime victime dans un environnement où les civilisations se distinguent de plus en plus, alors qu’on aurait pu espérer des rapprochements avec la mondialisation.
« Quand l'Europe ouvre la bouche, c'est pour bâiller. » François Mitterrand  
Pour des élections européennes revenant tous les cinq ans, le débat me semble bien étouffé, même si le Président de la République a besoin de rappeler que :
« Si le RN et ses alliés avaient gouverné ces cinq dernières années en Europe,  
nous n’aurions pas eu le vaccin, pas eu de plan de relance européen, pas de capacité à répondre aux défis migratoires en Européens, on n’aurait pas eu de Green Deal européen et une capacité à gérer la décarbonation » […]  
« On aurait lâché l'Ukraine pour soutenir la Russie, que soutiennent tous les nationalistes dans nos pays. Et, donc, l’histoire ne serait pas la même »
Pour l’avenir dans notre continent vieillissant:
Comment préserver notre modèle social ? 
Comment nous défendre ? 
Comment assumer la transition énergétique, investir dans les nouvelles technologies ? 
« Pour que l'Union européenne fonctionne, il faut la compétition qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce. » Jacques Delors
38 listes se présentent : en faut-il encore d’autres pour satisfaire abstentionnistes ou blanc votants ?
Estimant jadis que Strasbourg était trop loin du citoyen, je pense aujourd’hui, que nonobstant les lobbies, il est bon que les instances délibératives échappent quelque peu aux intérêts particuliers qui ne manquent pas de brailler.
« Je me sens plus européen que les idéologues qui veulent construire une Europe dans les nuées au lieu de partir des réalités qui sont d’abord nationales. » Jean-Pierre Chevènement
Pour être passé de René Dumont à Emmanuel Macron, je garde au cœur l’internationalisme, pourtant j'avais fréquenté un moment quelques souverainistes bien peu universalistes
« Nous aurons ces grands États-Unis d'Europe, 
qui couronneront le vieux monde comme les États-Unis d'Amérique couronnent le nouveau.
Nous aurons l'esprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ;
nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; 
nous aurons la patrie sans la frontière, le budget sans le parasitisme, le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière, l'éducation sans l'abrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans l'échafaud, la vie sans le meurtre, la forêt sans le tigre, la charrue sans le glaive, la parole sans le bâillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme, Dieu sans le prêtre, le ciel sans l'enfer, l'amour sans la haine. » 
Victor Hugo.

jeudi 6 juin 2024

Samarra, capitale Oubliée. Daniel Soulié.

Après les présentations de Berlin, Athènes, Pétra, Tenochtitlan … les villes et l’art flamands
le conférencier, devant les amis du musée de Grenoble, nous entretient d’un des plus grands chantiers de fouilles archéologiques au monde sous la protection de l’UNESCO.
S’étendant sur 50 km le long du Tigre, la cité irakienne de 200 000 habitants à 100 km de Bagdad a conservé l’empreinte de la ville, sanctuaire chiite, érigée à partir de 833.
Pour protéger ses mamelouks ou ghilmâns, esclaves-soldats turcs, des émeutes qu’ils avaient suscitées dans la population de Bagdad, le calife abasside Al-Mutasim déplace sa capitale 100 km au Nord, à Samarra.
La ville de garnison construite très rapidement dont le nom signifie « celui qui l'aperçoit est heureux » va connaître le déclin dès que le califat revint à Bagdad en 861, alors  la plus grande métropole du monde avec un million d’habitants, quand Paris en comptait 10 000.
La mosquée du vendredi une des plus importantes du monde islamique est signalée par un minaret de 54 m de hauteur.
Sa forme hélicoïdale a inspiré Bruegel l’ancien : «  La tour de Babel »
De plan rectangulaire, derrière un mur d'enceinte bastionné de 444 mètres sur 376, en briques cuites, 16 portes conduisaient à une grande cour intérieure, entourée d'arcades couvertes.
La mosquée Abou Doulaf voisine est construite sur le même vaste modèle.
Le palais califal Qasr al-Khalifa
bâti autour d'un grand bassin circulaire est le plus remarquable parmi sept autres palais abbassides. 
« Fragments de verre millefiori » 
Le Musée d’Art islamique de Berlin rassemble des œuvres provenant des régions s’étendant  de l’Espagne jusqu’à l’Inde, autour de la façade omeyade du château de Mchatta offerte par le sultan ottoman Abdülhamid II à l'empereur Guillaume II.
Pour ce qui concerne Samarra, sont exposées des décorations de stucs, des céramiques pour la vaisselle ou les carreaux destinés aux revêtements muraux, des décors polychromes
Au Louvre : « Deux danseuses avec des jarres de vin » témoignent de représentations humaines dans l’art palatial.
La « 
coupe à la chamelle allaitant son petit » du X° siècle a traversé le temps. 
Les raffinements en particulier des arts du feu s’oublient en ces lieux d’affrontements entre sunnites et chiites où l’écho des attentats et des combats surchargent nos bulletins d’informations.
«
Mahomet recevant le Coran de Gabriel »  Tabriz 1307.
Depuis la mort de Mahomet en 632, ses successeurs pourtant nommés les califes « bien guidés » se déchirent.

mercredi 5 juin 2024

Les quatre saisons. Le concert de la loge.

Entendu à la sortie : « c’est une bonne idée de mettre de la danse avec de la musique ». Certes, le hip hop et Vivaldi pouvaient former un couple original, mais je ressors de cette heure de spectacle plus mitigé que la salle qui a applaudi vivement les performances des danseurs.
Sur la scène étroite de l’auditorium destinée aux orchestres, les danseurs de Mourad Merzouki se sont glissés parmi les violonistes aux pieds nus de l’ensemble dirigé depuis son violon quelque peu ostensible par Julien Chauvin.
J’ai apprécié quand le groupe inventif et coordonné accompagne les élans de la musique baroque, mais bien qu’en concerto, m‘a-t-on expliqué, le soliste se confronte à l’orchestre, j’ai trouvé souvent agressifs les solos chorégraphiés. Lorsqu’ils retombent de leurs sauts spectaculaires et que claquent les planches, la subtilité des harmonies en est perturbée.
Dans le journal de salle, les biographies des interprètes sont complètes mais rien sur le « prêtre roux », Vivaldi, qui depuis trois siècles a mis de la légèreté à nos printemps, de la joie aux fêtes d’automne. 

mardi 4 juin 2024

La forêt des renards pendus. Nicolas Dumontheuil.

Les dessins convenant à la comédie rendent avec efficacité le côté cocasse de la vie en Laponie d’un fainéant possesseur d’un bon magot, d’une vieille décidée à ne pas aller en maison de retraite, d’un militaire en congé de son travail et de sa femme. 
Un renard surnommé «  Cinq cents balles », qui ne sera pas pendu, représente bien le lien entre une nature sauvage et les valeurs d’un échantillon de civilisés qui s’installent en pleine forêt, confortablement. 
« Je peux voler n'importe quoi à n'importe qui sans aucun remords. Bien sûr, je ne volerais pas une petite vieille ou un clochard, mais c'est surtout parce qu'il n'y a rien à prendre. » 
La comparaison entre cet album de 140 pages et le roman à succès du Finlandais Arto Paasilinna, dont c’est une adaptation, s’impose : 
Les personnages sont aussi pittoresques, l’intrigue loufoque est toujours surprenante, tel que le rappelle un extrait pris sur « Babelio »  
« ll essaya de se rappeler s'il pouvait être contraire à la loi de traîner des baignoires, en plein hiver, sur des terres dépendant de l'administration des forêts. Apparemment, les législateurs n'avaient pas envisagé pareille éventualité. » 
Mais l’ironie perd de sa subtilité une fois que les traits, fussent-ils agréables, en font le contour :
« Fatigué, le gangster alluma une cigarette et constata qu'il était perdu. Mais tant mieux.
S'il ne savait pas où il était, personne d'autre ne le saurait. »

lundi 3 juin 2024

Les Vieux. Claus Drexel.

L’excellent documentaire recueillant la parole d’une trentaine de vieux, se montre fidèle à son titre franc trop souvent masqué par les litotes.
Le film d'une heure trente aborde d'une façon honnête et en couleurs le sujet que la tragique et sublime chanson de Brel, où nous attend « La pendule d'argent qui dit oui qui dit non », avait exprimé avec force.
La diversité des conditions sociales, familiales, géographiques, culturelles, des états de santé, de nos ancêtres, ponctuée de paysages magnifiques, va à l’universel.  
Ainsi, un noble, propriétaire d’un château dont l’ainé ne veut pas assurer les charges, pose le problème de la succession pour chacun de nous. 
Une centenaire ne veut pas être un boulet pour sa famille, alors qu’un sage trouve une place de témoin qui lui convient dans cette étape de la vie. 
Rien n’est masqué : le vieillard perdu derrière ses papiers, et les interrogations sur la mort, la perte du conjoint, les nuances entre solitude et isolement. 
Et nous nous rassurons avec la sereine énergie d’un montagnard ou celle de la maîtresse de conférence, qui porta l’étoile jaune et mourra en hurlant, d’autres en souriant.