lundi 27 mai 2024

Cannes cinéphile 2024.

Pas besoin de tapis rouge pour apprécier le cinéma aux alentours du festival de Cannes où nous avons embarqué pour des voyages imaginaires dans quelques salles obscures du quartier de La Bocca.
Nous avons vu 19 films des diverses sélections, sauf l’officielle dont quelques propositions seront visibles plus tard, à domicile, et critiquables ici chaque lundi.
Cette année, avec un film sur deux comportant comme évènement notable un décès, les personnages décalés, atypiques, voire "frapadingues" ne manquaient pas… 
« Poppy » jeune australienne trisomique enjouée assiste efficacement ses proches dans une version ensoleillée de la vie.
Un jeune homme dépressif rencontre une jeune marginale atteinte d’une infection grave dans « Every thing in between ».
Agnès Jaoui en excentrique trouve sur son chemin le baroque Philippe Katherine avec la dernière livraison de Sophie Fillière : « Ma vie ma gueule ».
Qui mieux qu’Isabelle Huppert en bourgeoise hurluberlue « Prisonnière de Bordeaux » ? 
« La nouvelle femme », le combat singulier de Maria Montessori pour l’émancipation des enfants est cohérent avec son destin extraordinaire de pionnière féministe.
Dans la sélection « Vision sociale » reprenant des films déjà projetés, le palpitant « Border line »  avec un pareil titre participe à la thématique non conformiste : un couple venant d’Espagne interrogé à la frontière américaine se situe dans un indécis entre-deux.
« Le déserteur » israélien, lui aussi, ô combien, en marge, soulève des tas de questions ne se résolvant pas dans une formule vaine telle que « la guerre c’est pas bien ». 
« Frères », vus en prologue des festivités festivalières, conte la vie de deux enfants qui ont vécu seuls sept ans en forêt charentaise dans les années cinquante. Insolite mais vrai.
« Tazio », choisissant de poursuivre une activité de charbonnier, dans les années 1980 en Espagne, échappe au destin commun.
Les bookmakers argentins de «  Something old, something new, something borrowed » sont clandestins comme les magrébins à la recherche d’une « Miss Visa » faisant la connaissance d’un policier hors normes alors que « La mer est loin ». 
« Les filles du Nil » se battent pour leur émancipation en présentant leurs spectacles dans la rue et affrontent l’indifférence, l’hostilité de la plupart des hommes.
Les élèves de « Château rouge » peuvent sembler étranges, hermétiques, bien que les acteurs de l’éducation nationale déploient des trésors de patience.
Julie, championne de tennis en devenir, garde le silence, alors que son entraineur est licencié, « Julie keeps quiet ». 
« Most people die on Sunday » et «  In retrait » présentent un personnage éberlué pour l’un en Argentine et un autre, hébété, étranger à sa propre ville, au Ladakh.
Les masseuses chinoises dans « Le Blue sun palace »  à New York vivent en vase clos.
Elles ne sont pas aussi malheureuses que les migrants surexploités à Taïwan de « Mongrel » au plus bas de l’inhumanité.
Après un mariage arrangé, l’indienne « Sister midnight » dérange bien du monde, fait rire quelques spectateurs, mais pas tous.
Ce serait violenter cette recherche de fil conducteur si «  Chrismas eve in Millers’ point » 
n’était pas mis à part, puisqu’il s’agit d’un moment destiné à réunir une grande famille ordinaire, enfin presque, italienne et américaine.
Sinon en 2024, presqu' autant de cigarettes sont fumées que dans les années 50, et à part Tazio en pays basque ou avec Maria en 1900, il y a toujours une petite bière à s’envoyer. 
De cette cuvée, située en quantité entre le minimum de l’an dernier et notre record d’il y a près de 10 ans, ne se retiennent ni d’inoubliables chefs d’œuvre ni des indignes, dans ce que nous avons vus, encore que notre mémoire se montre parfois plus vive pour des œuvres énervantes que pour des coups de cœur. 

vendredi 3 mai 2024

Ecrans.

Amateur de paradoxes, je ne vais pas rechigner à reconnaître l’absurdité d’entamer une critique de l’abus d’écrans par écran interposé. La fugacité de leur clignotement et ma courte vue ne permettent pas de prendre le temps de s’appesantir pour aller au delà de l’image de foules regardant  le creux de leur main.
De petites observations peuvent cependant émerger à propos des mutations progressives de nos configurations mentales.
- Lors d’un match de ligue 2, vu en vrai, je n’ai pas été emballé par le spectacle, trop gavé de séquences répétitives des fulgurances de Ronaldinho ou Messi  qui permettent de patienter dans les salles d’attente. Le réel est décevant. La vélocité de Mbappé demeure aussi lointaine qu’un destin de princesse promis à tout enfant. 
- Je persiste à expliquer en vain à ma petite fille que le requin en baudruche au plafond du magasin est inoffensif, mais combien de vessies ai-je pris pour des lanternes? Tellement de feuilles de papier, de pigments et de pixels m’ont rongé les sangs. 
- Pédagogiquement parlant, la virtuosité des artistes sur Instagram décourage-t-elle les spectateurs ou fait-elle naître des vocations ?
Le développement des innovations technologiques (IA) est tellement fulgurant que la lenteur à se réformer de nos démocraties, accompagnant nos aveuglements, n’en est que plus flagrante.
Les querelles virtuelles ne restent pas forcément dans le fictif, elles plantent leur tente au coin des rues et des amphis. Des informations traumatisantes parfois gonflées à l’infox désinhibent les violences qui croissent de leurs croisements.
Les débats se déportent spécialement quand il s’agit de l’Europe : poule woke et coq nationaliste crachotent ou s’égosillent, les ergots plantés dans le fumier, ignorant toutes les décisions qui ont permis de traverser de sérieuses crises (Covid) et d’en affronter d’autres tant bien que mal (Ukraine).
Parmi les expressions qui me ravissent le « Tout à l’égo » a une place de choix. Et s’il en est de la traditionnelle querelle de générations, le boomeur, bavard par définition, ne peut fermer sa gueule, quand les abords de nos villes sont tatoués de signatures débordant des entrepôts désaffectés et des arrières cours ferroviaires, pour constituer de nouvelles arches à nos portes, sous nos ponts.
La gravité se leste de légèreté. Des faits anodins prennent une importance démesurée depuis un exemple déjà mentionné, quand avait été vu comme un Weinstein des bacs à sable, un garçonnet qui avait soulevé la jupe d’une fillette au bas d’un toboggan. Cette fois un élève privé de voyage scolaire apparaissant sur le fil de nos infos aurait dû voir son cas réglé sur place et qu’on n’en parle plus.
Il y avait de quoi s’esclaffer quand les médias qui avaient campé devant la porte d’une caravane pendant des heures s’indignaient que la vie privée d’un chanteur soit trop exposée. 
« C'est du vent le cinéma, de l'illusion, des bulles, du bidon. » Jean Gabin
.…….
J’interromps mes publications pendant 3 semaines … je vais m'étourdir de films au festival de Cannes où désormais Truffaut serait mis impitoyablement à l’index  par quelques indulgentes avec tant de malfaisants, lorsqu’il disait : 
«  Le cinéma c’est l’art de faire faire de joies choses à de jolies femmes ».

jeudi 2 mai 2024

Joan Miró. Sophie Bernard.

Depuis 4 ans la « conservateure en chef » du Musée de Grenoble prépare l’exposition « Un brasier de signes » consacrée à  l’iconoclaste Miró. Devant les Amis du Musée, elle a présenté un large panorama choisi parmi les 130 œuvres qui seront Place Lavalette jusqu’au 21 juillet 2024, dont « Bleu II » parmi trois « bleus » en prêt du Centre Pompidou pendant un an. Dès les années 30, le conservateur André Farcy avait acquis un dessin d’un des piliers de la modernité né en 1893.
Après le tableau « La ferme » de la période « détailliste » acheté par Hemingway,
« Intérieur »
au « réalisme magique » annonce
un vocabulaire nouveau par ses simplifications, ses grossissements, ses schématisations. Assiette et torchon sont abstraits, la paysanne monumentale s’ancre comme lui en Catalogne à Montroig.
Miró se dégage de toute convention picturale lorsqu’il s’installe à Paris au milieu des années 20, années effervescentes. Au contact d’Eluard, Tzara, Leiris, Char… il se découvre :  
« tout ce que je suis, tout ce que je deviendrai ». « La sieste », dada et surréaliste, vient après plusieurs études préparatoires où le réel s’est décanté : la baigneuse fusionne avec une maison, la Sardane se réduit à un cercle en pointillés sur fond propice au rêve.
En contrepoint, « L’addition », aux têtes de fèves, s'inspire d’Ubu de Jarry, mystérieuse, limoneuse, parmi ses immenses toiles «moins peintes que salies, troubles comme des bâtiments détruits, aguichantes comme des murs délabrés» Leiris. 
Son « Mirómonde » au langage onirique peuplé d’étoiles et de points, s’épure.
Du «  Catalan » ne reste que le béret en apesanteur,
Il réduit « Le toréador » à une tête d’épingle .
« Peinture »
(1927) témoigne de son goût pour le cirque partagé avec Calder.
Il ambitionne « d’assassiner la peinture »
au moyen de la peinture et expérimente avec le laconique « 
Portrait d'une danseuse » 
des sculptures matiéristes
et des collages de papier de verre, papier goudron, fil de fer, chiffons, 
pour un « Sans titre » de 1929.
Dans les années de guerre civile espagnole, le « Personnage » au pastel, mi-homme mi-oiseau fait partie d’une cohorte inquiétante
comme la « Tête d’homme » spectrale, grotesque.
«  L’objet du couchant » présente une féminité menaçante . 
Après avoir quitté la Catalogne, sa sensualité palpite dans un « dessin poème » de 1937.
Réfugié en Normandie, il produit « Constellations », une série de peintures en petit format sur des supports de fortune. 
« Je ressentais un profond désir d’évasion. Je me renfermais en moi-même, à dessein. La nuit, la musique et les étoiles commencèrent à jouer un rôle majeur, dans la suggestion de mes tableaux ».
En 1947, il retrouve Pierre Matisse qui a contribué à sa notoriété en Amérique où il quitte la peinture de chevalet pour des formats très grands : « Grande bande »  de 5 m du musée de Grenoble parsemée
de « Miróglyphes en liberté » selon le mot de Jacques Dupin, son biographe. En 1956, il s’installe à Palma de Majorque.
Son « Personnage devant le soleil » ébahi au cœur de l’espace, enfantin et cosmique, attendrit Prévert :« Gentil spectre, intimidant de beauté solaire ».
« Bleu I »
est l’aboutissement d'une ascèse propre à un archer japonais, 
le temps de la méditation est plus long que celui de la réalisation épurée.
Avec le minimum de moyen, le maximum d’intensité : «  Sans titre 26 »
Dans une période exubérante il lacère ses toiles, les brûle. 
« Silence »  libre et violent, contre Franco, serait « la négation de la négativité ».
Grâce à Maeght, il s’essaye à la sculpture en bronze :  
« Femme »  1969, rejoint d’antiques représentations.
Le noir envahit « Personnages et oiseaux dans la nuit » de 1974. Il avait rencontré la calligraphie orientale et la peinture japonaise, il a suivi un parcours parallèle à l’éphémère groupe Cobra qui voulait fusionner expressionnisme, surréalisme et abstraction.
« Femme »
(1978) aux touches violentes, exprime une émotion violente, entre l’orgasme et la mort. Tout en contraste, le peintre du silence crie, l’aérien éclabousse, gribouille.
L’azur côtoyant toujours les ténèbres, il expérimente jusqu’à sa mort en 1983. 
« Ce qui compte, ce n’est pas une œuvre, c’est la trajectoire de l’esprit ».

mercredi 1 mai 2024

Nous ne sommes plus… Tatiana Frolova / théâtre KnAM.

Cette fois la représentation est à la hauteur de notes d’intentions pourtant ambitieuses : 
«…  la terre… c’est elle dont la Russie a besoin. Pas des gens : eux on peut simplement les tuer ou les expulser du pays. Le territoire est une chose très importante pour mon pays, il n’en a jamais assez. Les gens veulent remplir leur vide intérieur au moins avec des terres… » 
La troupe de théâtre de Komsomolsk-sur-Amour exilée en France sait de quoi elle parle avec humour et désespoir sous des lumières magnifiques pas du tout artificielles.
Nous révisons et apprenons : 20 millions de victimes d’un stalinisme qui irradie encore, et cet enfant si curieux engagé volontaire dans l’armée quand il a eu 18 ans,  et puis le marteau collé à la faucille dans le logo P.C., remplacé par une masse comme celle qui a fracassé le crâne d’un déserteur. 
Les acteur de la troupe ont mis, dans une petite valise, quelques  objets:
un cahier de chansons, « Grand-père Gel », un mignon petit ours …
Tout est limpide et profond, sans chichi, sentimental et puissant. Mireille Mathieu est de la partie, la vie et la mort, l’absurde et la résistance, le courage et la modestie.
Pour ne cesser de regretter qu’on nous serve sur les plateaux essentiellement des déclamations et si peu de dialogues, je me suis senti cette fois destinataire des interpellations, peut-être aussi que le sujet de la guerre suggéré lors d’autres spectacles est très directement développé avec inventivité pendant une heure vingt. 
Ce théâtre documentaire nous empoigne sans nous étouffer quand le dévoiement des mots nous concerne comme la définition de la liberté à remettre sans cesse en question.
Dans le désert critique du Net en matière de théâtre, Jean Pierre Thibaudat tranche avec son blog de Médiapart : 
il a bien vu les trois points de suspension du titre permettant une pointe d’espoir,
se montre très juste lorsqu’il souligne que la troupe est partie de la partie orientale de la Russie, «  la mort dans l’âme »,
et instructif quand il précise que KnAM est le sigle de la ville de Komsomolsk-sur-Amour à 8700 km de Moscou. 
Les Komsomol étaient l’organisation des jeunesses communistes, mais les bâtisseurs furent surtout des prisonniers.

mardi 30 avril 2024

Chroquettes. JC Menu.

Bien que  nourri dès le berceau de « Roudoudou », « Vaillant », « Pilote », 
je ne connaissais pas l’auteur, « Pionnier de l'autobiographie en bande dessinée, fondateur et directeur de la maison d'édition L'Association de 1990 à 2011 »
Dans cet album de 54 pages reprises de planches parues dans « Libération », « Art Press » (les plus drôles), « Fluide Glacial »… consacré au rock’n’roll et à la bande dessinée, se retrouvent les tics du genre journal personnel : subjectivité exacerbée, références des plus pointues pour initiés. 
Cependant, le goût de l’underground pour musiques et fanzines se montre parfois consensuel dans la nostalgie de Spirou et une admiration pour Gotlib.   
Ce type de production ne concernera pas ceux de ma génération dont le désintérêt vis-à-vis de la BD m’étonne toujours, mais alors qui?
Pourtant les brocantes à vinyles et BD rares, lieu par excellence des nostalgies, évoquées dans ces pages bavardes constituent un lieu commun, rendant agréable cette rétrospective.   
Les habitués du Bon coin et les lecteurs de manga passeront leur chemin.

lundi 29 avril 2024

Sidonie au Japon. Élise Girard.

L’inoxydable Isabelle Huppert dédicace son livre lors d’un séjour au pays des cerisiers en fleurs organisé par un éditeur impénétrable lui aussi.
Bien qu’elle doive son succès d’écrivaine à la description de la disparition de sa famille, elle a du mal à faire le deuil de son mari ; elle n’écrit plus.
Pour ce film langoureux, fantomatique, légèrement loufoque qui vaut plus par ses silences que par ses dialogues engourdis, nous avons savouré la douce musique.
Comme les albums de « Martine à la plage », nous suivons « Sidonie au Japon » trottinant d’hôtels déserts et confortables en hôtels zen au pays des courbettes et des clichés.
Pourtant le Japon vu par un occidental peut avoir bien des charmes 
 et les réalisateurs japonais ne déçoivent jamais,
cette fois il faut être bien fatigué des violences alentours pour trouver quelque apaisement pendant cette heure trente au scénario minimaliste.

samedi 27 avril 2024

Les soldes chez But. Pascal Fioretto.

Ce pastiche du prix Nobel de littératchure, Annie Ernox, est réjouissant. 
« Depuis sa rencontre avec Bourdieu derrière le pilier de l’amphi Richelieu de Paris I, elle n’a jamais dérogé à la mission qu’IL lui a confiée ; écrire la Vie des pauvres pour les faire plaindre par des bourgeois lettrés. » 
Hésitant sur le pronom à employer, « je » ou « elle » pour un récit intime à vocation collectiviste, l’auteur de « L’élégance du maigrichon », de « Mélatonine », connaisseur en littérature, empaquette, en moins de cent pages, l’égérie qui fit pleurer de bonheur l’émotif Mélenchon. 
« Je veux être celle qui envoie valser les étiquettes et se contrefout comme de sa première épilation maillot du titre de ses livres. Celle qui ne sa lassera jamais de rappeler que Kundera, Roth, Pessoa, Proust, Borges, Kafka, Vila Mata… et tant d’autres tricheurs et truqueurs n’ont jamais eu SON prix. » 
Cette fois l’esthète des supermarchés 
que j’avais tant aimée et critiquée
réside - rançon de la gloire - en pays inconnu, celui de l’humour.
Après quelques certifiés ATSEM, responsables de CDI, et un seul conseiller d’éducation, une nouvelle aventure amoureuse, prétexte à écrire, nous permet de partager la misère des ultra riches et d’assister, loin de Cergy-Pontoise à un cours sur l'écriture plate dans une université américaine. 
«…  de l’écriture plate, je crois être parvenue à l’écriture creuse, celle qui ne se contente pas de mettre les choses à plat mais les évide de l’intérieur »