mardi 21 avril 2009

Anantapodoton et anacoluthe s’en vont en bateau.

Préambule: Le « Gradus » est un dictionnaire des procédés littéraires ; auteur, Bernard Dupriez. Mon édition en 10/18, date de 1984.
Gradus ad Parnassum « escalier vers le Parnasse, séjour des muses… »
Les sciences inventent des termes dont le sens nous est inconnu mais qui ne sont pas insignifiants pour notre imaginaire. On se rappellera Colette, enfant, rêvant au mystérieux« presbytère ».
Pour ma part, j’adore le terme « concupiscence » savoureux aux lèvres de certains prêcheurs de la sainte église catholique. Prononcez-le, lentement, syllabe après syllabe. N’est-il pas surprenant que ce mot proclame ce qu’il condamne ?
« Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux »
a écrit René Char. L’écriture automatique des surréalistes exploite cette mine !

Anantapodoton et anacoluthe s’en vont en bateau.
Il y aurait d’une part, ce dialogue entre un théoricien du haïku d'origine européenne mais vivant à Kyoto, à qui l'éditeur du Gradus, aurait commandé un manuel facilitant l'écriture des haïkaï. Je devrais vous l'écrire autrement cette première phrase trop bourrée d'informations (avec anantapodoton intégré) qui n'ont rien de folichon, qui exhalent une tristesse de soirée studieuse peut-être alcoolisée, quand s'emmerdent les futurs candidats à l'agréation de lettres modernes ou pas.
Soit l'auteur du Gradus*, B.D. s’entretenant avec son éditeur que nous nommerons « éditeur »
Editeur - Mon vieux, votre Gradus, il est un peu démodé. Austère, quoi ! Les jeunes et même les moins font une allergie tellement c'est poussiéreux, d'aspect. Mes concurrents éditent des versions light de votre ouvrage. Bien plus digestes.
B.D. - Ils me pillent, ces fainéants. C'est du rapt. …
Editeur - N'exagérons pas… Ils nous font aussi de la pub… Chaque année les universités, les prépas diverses aux divers concours recommandent l'achat du Gradus. A la radio il n’est plus question que de chiasmes, d’oxymores, d’euphémismes dans les jeux télévisés.
B.D. – J'en sais quelque chose ! Ma petite fille Camille prépare l'agrég de lettres modernes. Et bien vous savez ce qu'elle m'a dit ? "Papy je vais abandonner. Je perds le sommeil, ma libido est au plus bas. Ton bouquin, c'est relou grave. J'oublie au fur et à mesure que j'apprends… ça me fèch d’une force !"
Editeur – Vous savez que la poésie japonaise est dans le vent. Tout le monde écrit des haïkaï. C'est devenu une activité incontournable des ateliers d'écriture du premier au quatrième âge. Même les vieillards atteints d’Alzheimer y excellent, ils passent si naturellement du coq à l’âne, les pauvres !
B.D. – Excusez-moi mais je ne vois pas le rapport avec notre problème…
Editeur– J'y viens… Je connais un type qui enseigne le français au Japon ; il parle et écrit le japonais à la perfection. Il a d'ailleurs soutenu une thèse sur Issa. Si je ne me trompe ? Le sujet en était : "De la sublimation poétique chez Issa, éjaculateur précoce. "
B.D. – Attendez, je ne vois pas en quoi les éjaculations précoces ou non d'un moine japonais du XVIII me siècle concernent les compilations de procédés littéraires dont je suis l'auteur !
Editeur – Patientez ! Je lui ai proposé d'écrire une somme sur le haïku. C'est à la mode, ça se vendra. Le titre en serait bénin pour ne pas décourager… Genre : Le haïku sans douleur… Ou le haïku en un quart d'heure !
B.D. – Je ne vois toujours pas le rapport avec notre problème.
Editeur – J'y viens.
B.D. - … ?
Editeur – Voici ma stratégie : insidieusement en quelque sorte, afin de ne point effaroucher les lecteurs, notre distingué niponisant glisserait nommément les procédés littéraires de votre Gradus chaque fois qu'il décortiquerait un haïku. D'abord par des notes en bas de page citant votre ouvrage et puis peu à peu lui donnant toute sa place dans la partie majeure de son ouvrage. Une sorte de montée orgasmique…
B.D. – Je vois… Hum… Ce n'est pas une mauvaise idée, je crois même si je peux risquer cette hyperbole… qu'elle est géniale. En quelque sorte déconditionner tout en reconditionnant.
Editeur – Et voilà… A doses de plus en plus conséquentes. Grâce à des redites habilement programmées, le lecteur imprégné à son insu, n'aura plus peur de l'aposiopèse, de l'anaphore, de l'hypallage… Finis les boutons et les conjonctivites dont souffre ma chère petite Camille.
B.D.- Enfin la poésie de ma somme les ravira et je gage - on peut rêver - qu'ils finiront par lâcher les recueils de haïkaï pour se délecter uniquement de mon bouquin. Ce Gradus qui m’a blanchi le Chef !.
Editeur. – Que nous allons relooker. Couverture en couleur, illustrations érotiques mais esthétiques. Le maquettiste est déjà à l'œuvre…
B.D. – Et pourrai-je rencontrer notre… nouveau collaborateur ? Je veux dire, l'expert en poésie japonaise…
Editeur – Il est à Paris. Je vous invite chez moi demain. Sa femme sera du dîner. Je vous préviens, c'est une bombe textuelle. Hi ! Hi ! Suis-je bête !
***
Je reviens à la première partie de ce récit. Je me cite : " Il y aurait d’une part ce dialogue entre un théoricien du haïku d'origine européenne mais vivant à Kyoto… " Voici un bel exemple d'anantapodoton. J'ai trouvé ce terme reptilien dans le Gradus, comme il se doit, à la rubrique légèrement coquine, d'anacoluthe. Je vous recopie la définition du premier de ces deux mots : "… de deux éléments corrélatifs d'une expression alternative (comme les uns… les autres) un seul est exprimé". Dans le cas qui nous intéresse, c'est à dire celui de l'expert en poésie japonaise, il nous manque le deuxième élément : "il y aurait d’une part ce dialogue entre un théoricien du haïku ».. . Exit le deuxième élément. Vous connaissez la blague de Coluche ? Quelle différence y a-t-il entre (au hasard) une planche à pain ? Cela ressemble aux exercices de méditation zen, genre « applaudir d’une seule main. »
Le deuxième élément, ne peut-être que la femme, l'épouse du docteur es haïkiste, la supposée bombe sexuelle aux dires de l’Editeur.
Donc il y aura un dialogue entre cet homme éminent niponisant et son épouse.
Rejoignons le couple dans son jardin zen agrémenté de coussins. Ecoutons les.
Elle : Miel de ma vie, nectar de mon âme, délices de ma bouche… Viens, je t'appelle, je t'attends, je t'espère. Mon anacoluthe ruisselle.
Lui : (tout bas pour lui-même) Arch ! Saloperie d' anantapodoton qui ne veut se réveiller ! J'ai beau m'activer, il est aussi endormi qu'une litote !
(Tout haut) Bien aimée, azur de mes nuits, sel de mes rêves, poivre de mes muscles, miches de mes réveils… Patiente… en lisant mes derniers haïkus !
Elle : Quoi ! Comment ! Arch ! Tes haïkus ! Tes haïkus… Et ma césure… c'est un cuir !
Je vous comprends, cher lecteur, en supposant qu’un lecteur soit toujours en poste, vous voilà choqué ! Pour ma défense je pourrais invoquer cette brandade de morue trop chargée en ail, pesant sur mon estomac ! La vérité est plus prosaïque. Elle s’adresse à certains Messieurs dépensiers et peu imaginatifs : abandonnez les revues spécialisées, ces revues sur papier glacé, chaudement illustrées que vous croyez bien cachées et que vos héritiers découvrent sans coup férir dans le grenier, au-dessus de l'armoire à pharmacie ou sur la réserve d’eau des toilettes…
Déposez dans les lieux d'aisance un Gradus, régalez-vous ! Votre descendance y prendra goût. Et cet ouvrage fécond, éveillera peut-être des vocations de poètes ou des talents d'humoriste. A moins qu’un sort moins enviable détourne de leur fonction ces pages érudites. Evitez ce geste sacrilège !
Marie Treize
* Le Gradus est ouvrage épatant, planète étrange, riche en termes énigmatiques, d’une poésie totale, d’un comique surprenant. J’aime m’y promener, j’y cueille des mots rares qui se fanent presque aussitôt, ma matière grise n’étant pas un terreau favorable aux fleurs de la rhétorique.

2 commentaires:

  1. Tout d'abord, merci pour votre visite et votre petit mot, ça fait toujours plaisir.
    Ensuite, ce texte, pour l'amoureux du verbe que je suis, c'est du miel ! Même si je me suis auto-éduqué à coups de Desproges et Dard, lire encore des textes bien écrits sur Internet, c'est comme respirer un grand coup après 5 minutes d'apnée.

    Votre blog est bien plus délicat que le mien... Ici, c'est du partage, tandis que chez moi, c'est juste un défouloir (auquel vous pouvez participer si le coeur vous en dit, tout le monde est le bienvenu).
    Bonne continuation !

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  2. eureux de lire ce texte petit moment de loisir merci
    je cherchais un terme et c'est pour finalement boire ce lait. enfin manke d'inspiration pojur finir ma phrase plus décalé

    ojidr@hotmail.fr

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