samedi 30 novembre 2019

La maison au bord de la nuit. Catherine Banner.

Les histoires de la famille Esposito (enfant trouvé, exposé) traversent le siècle depuis Castellamare une île au large de la Sicile. La lecture est aisée jusqu’à une conclusion que j’ai trouvée flamboyante après tant de destins variés traités sobrement, de personnages forts où l’immuable se frotte aux bouleversements apportés par la modernité.
«  Le petit avait perdu sa mère tout bébé et, sitôt qu’il avait su marcher, il s’était mis en devoir de sillonner Castellamare en long, en large en travers, pour y chasser le lézard, y distribuer des coups de bâton et dévaler les pentes les plus caillouteuses et les plus escarpées à califourchon sur son âne en plastique bleu à roulettes rouges. »  
Cet échantillon d’humanité affleure au dessus des forces telluriques, cerné par la mer qui à la fois isole et réunit ceux qui tiennent à l’essentiel d’une nature rêche et à ses habitants présents aux autres autant par les ragots que par la solidarité.
« Il suffit que le monde ait des ennuis pour que les gens s'intéressent de nouveau aux miracles. »   
La protection de San’Agata est indispensable à ces vies courageuses dont les capacités d’adaptation sont aussi remarquables que l’intégrité de ceux qui perpétuent les traditions.
Des contes introduisent chaque épisode et rappellent la puissance de la parole, de la littérature.
« Dans la poche intérieure de son uniforme, il conservait son carnet de cuir rouge. La fleur de lys dorée qui en ornait la couverture s'effaçait et le cuir s'élimait, mais les histoires lui prouvaient qu'il existait encore, ailleurs, une autre réalité que celle des tranchées. » 
Amedeo d’abord médecin va tenir un café «  Au bord de la nuit » au nom improbable, soulignant pourtant sa position centrale dans un récit ouvrant sur des réflexions existentielles toujours incarnées jamais surplombantes tout au long de 575 pages qui se dégustent comme un limoncello, avec délice.

vendredi 29 novembre 2019

Liberté.

Prendre le maître mot, essayer de le sortir de toutes les sauces auxquelles il a été mis, et le poser sur la paillasse du quotidien. Lui et ses acolytes sont des mots gros, ils sont en gras dans le texte.
« Les Français ne sont pas faits pour la liberté : ils en abuseraient. » Voltaire
D’abord essayer d’éloigner ses déclinaisons économiques où sous le libéralisme même éclairé au « néo » c’est bien l’éternel capitalisme qui sévit, allant jusqu’à son versant libéral en ses mœurs, sans tout de même en être réduit à rentrer dans la fabrication d’un cocktail Molotov libertaire.  
Prendre plutôt le mot  « liberté » quand il est brandi pour faire choisir bébé entre un petit pot de patate douce ou une pomme de terre nouvelle.
Dans ce cas domestique, toutes les options ne sont jamais présentées dans leur intégralité et les préférences sont induites. Cette façon de poser des questions dont on connaît la réponse créé des illusions et des désillusions qui annoncent une société de frustrés, d’enfants gâtés jamais rassasiés, jamais contents.
Le terme d’ « autonomie » quoique plus modeste se tient dans ce champ de la réalisation d’un individu léger et court vêtu. Mis à chaque ligne des intentions pédagogiques dès la maternelle, il a été tellement galvaudé qu’il est oublié au moment de l’entrée dans les études dites « supérieures » quand tant de « Tanguy » squattent chez maman. Et les revendications très précoces d’indépendance avec l’affiche sctochée à la porte de la chambre : « interdit à toute personne étrangère » tournent carrément au ridicule quand approche la trentaine. L’argent de poche est accepté ainsi que celui de l’état, mais l’ingratitude pourrait-elle avoir quelque pudeur de temps en temps ?
Le mot « autonome » m’était familier dans mes appréciations portées à propos de bambins en phase de grandir, il a migré vers les degrés qui mènent à la dépendance au moment où les souvenirs se ramassent comme ils peuvent.
« L'autonomie consiste à se donner à soi-même envers l'autre une loi, plutôt que de la recevoir de la nature ou d'une autorité extérieure. » Antoine Spire
Sa rencontre avec le troisième terme de la triade républicaine était fatale quand s’éloigne l’indifférence et que la bonne distance est maintenue entre le « moi » et le « nous ».
 « Autonomie » se conjugue avec « mobilité » qui fut bien un des sujets qui tourna en rond autour des ronds points. Elle monte dans l’automobile. Sous la fumée de son pot d’échappement qui promettait des échappées belles dans les années soixante, la voiture qui rencontre bien des obstacles dans la ville n’est plus nécessaire aux trottineurs; ils ont l’avion.
Pris de tournis, les mots circulent comme ils veulent, en tempête sur les réseaux, ils appellent à la censure des autres. Les enfants de la toute puissance devenus grands s’érigent en juges impitoyables  tout en se maquillant de bienveillance dans d’autres circonstances. Les atteintes à la liberté de parole dans les Universités françaises n’a pas soulevé les foules à l’indignation pourtant toujours disponible. Ainsi le terme «  présumé » qui accompagnait un inculpé avec d’ailleurs des prudences ridicules qui faisait ainsi qualifier un meurtrier pris le couteau à la main, est tombé en désuétude, quand  le tribunal médiatique a pré-jugé avant les magistrats.
« Pour être libre, il fallait d'abord présumer qu'on l'était ». Salman Rushdie
……………..
Le dessin de garde provient d’un journal Iranien Kianoush pour illustrer un article de « Courrier International » consacré à Hong Kong.

jeudi 28 novembre 2019

Artemisia. Jean Seroy.

Pour le cycle de conférence « Les peintres au cinéma » débutant ce lundi, le film présenté devant les amis du musée a précédé l’analyse.
Il s’agissait du film d’Agnès Merlet de 1997 consacré à Artemisia Gentileschi, intitulé  simplement « Artemisia », la première femme à avoir signé ainsi ses toiles au temps du Caravage.
La réalisatrice avait suivi l’école des beaux arts à Orléans, elle était bien placée pour faire s’exprimer un art au moyen d’un autre art.  Mais la tâche n’est pas toujours aisée, ainsi entre peinture et littérature, à voir les précautions prises par les peintres pour évoquer le seul livre, la Bible, pouvant vite classer l’auteur dans une confrérie selon qu’était choisi le nouveau ou l’ancien testament.
Cette coproduction internationale avec Michel Serrault dans le rôle d’Orazio Gentileschi,Valentina Cervi petite fille de celui qui fut Peppone auprès de Don Camillo et le serbe Miki Manoljovik dans le rôle d’ Agostino Tassi, son maître, avait coûté cher comme tous les films d’époque, mais ne rencontra pas son public.
Pourtant ce moment intense d’une vie, loin d’un biopic, où la liberté se cherche, a des résonances bougrement contemporaines : le peintre Agostino Tassi est accusé de viol sur la jeune Artémisia. Au début du XVII° siècle, la notion de viol était surtout liée à la défloration qui mettait en jeu l’honneur de la famille, mais les ambigüités autour de cet acte perdurent, quand d’autres intérêts entrent également dans les appréciations d’une justice qui avait alors les moyens de vous faire parler. 
Tassi qui travaillait avec Orazio Gentileschi va parfaire la formation de la jeune fille dans le domaine de la perspective, mais le libertin l’entrainera dans une liaison passionnée. Elle se mariera avec un autre le lendemain du procès intenté par son père qui fut un évènement bien documenté mais dont le verdict reste flou.
De Florence, la patrie de son mari, elle revient à Rome et passe à Naples l’essentiel de sa carrière après être allée à la cour de Londres où elle retrouve son père dix ans après.  
« Suzanne et les vieillards »
Ce récit de l’apprentissage d’une femme, devenue un symbole féministe, face aux hommes, constitue aussi une réflexion sur le regard dès le générique où une bougie se reflète dans un œil.  
En cette époque baroque, Artemisia regarde son corps dans un miroir, « Danaé » et le corps des hommes qu’on lui cache, Tassi peint dehors derrière des cadres qui découpent les paysages  comme les barreaux d’un pensionnat religieux dont le père l’a exfiltrée ou ceux de la prison de son amant .
« Judith et Holopherne » est un autoportrait et le portrait de son violeur. La jeune juive qui mettait fin à la vie d’un prince Assyrien n’accomplit pas une mission comme chez Le Caravage, c’est un évènement générateur pour elle. Le sang de la décapitation coule comme celui de la défloration ou celui de la torture qu’elle a subi et que Tassi fait cesser en avouant sa faute, préservant les mains de son amante.
 
De Cranach à Klimt, le sujet qui ne figure que dans les livres deutérocanoniques (apocryphes pour les protestants et les juifs) fut très traité.
Orazio Gentileschi. "Judith sa servante et le  tête d'Olopherne"
La symbolique de la chasteté triomphant de la luxure a pu apparaître aussi comme
« l’Église catholique romaine qui décapite l’hérésie luthérienne représentée par Holopherne ».
L’icône féministe a peint des princes d’Italie et d’Europe et d’autres figures féminines fortes, « Cléopâtre » ou « Betsabée ».

mercredi 27 novembre 2019

Lacs italiens 2019. # 2. Bergame ville haute

Le ciel bleu d’hier a disparu : grisaille mais temps doux. Réveil et petit déjeuner en douceur. Nous partons à pied le long de la viale Giovanni XXIII  qui devient viale Roma puis viale Vittorio Emmanuele II, grande artère fréquentée même ce dimanche matin. Belles demeures, banques cossues installées dans des immeubles historiques. Une course autour de la ville basse se prépare ; des tentes blanches de l’autre côté de la Place de la liberté illustrée par une statue avec un pendu par les pieds, abrite des stands dont un pour nourrir et abreuver les chiens, l’autre pour promouvoir le rotary club ...
Nous trouvons facilement la stazione  du funiculare et nous nous mettons dans la file d’attente bien fournie.
Nous commençons par nous promener dans le parc près du musée de la Rocca, parc du souvenir  recueillant des monuments à la gloire  des soldats italiens  morts dans l’aéronautique, dans la marine ou  à la gloire  des  déportés ou encore de la Croix Rouge. A l’entrée un panneau alerte sur la présence du moustique tigre. 
Première belle vue sur les toits avec des cheminées originales qui ravissent D. et une belle unité de tuiles.
Nous arpentons ensuite les rues, de préférence désertes, étroites, pleines de jolies surprises  et débouchons sur la piazza Vecchia, investie en ce moment par un festival Landscape avec  des groupes de  pots de fleurs d’herbes pourtant courantes mais prenant un autre aspect dans ce contexte et des arbustes sans pots dont les racines cachées dans la terre recouverte de copeaux forment une boule maintenue par un grillage.
Sous les arcades, une installation de fauteuils, transats et relax posés sur un faux gazon invite le passant à un temps de pause agréable.
La place est magnifique, car  elle camouffle  aussi la piazza del Duomo que nous découvrons mieux en grimpant sur une loggia accessible par un escalier dont chacune des  marches reçoit un grand globe lumineux sur le côté gauche. Outre la vue sur les 2 places (Vecchia et Duomo), la loggia propose un accès à une exposition sur le bois  et son travail : artisanat d’objets en bois comme des sacs à main, marionnettes, bicyclette, œufs ….
Nous approchons de Santa Maria Maggiore. Nous  admirons la  superbe façade, où les couleurs rose/ blanc ou noirs/blancs alternent.  Deux lions en pierre rouge sous le porche supportent 2 colonnes. A l’intérieur, l’office, bien qu’il soit plus de midi comme l’ont annoncé les cloches à toute volée, n’est pas terminé et nous  empêche de déambuler dans le splendide décor que nous entrapercevons. 
Pause repas en attendant en terrasse sous les parasols blancs en compagnie de moineaux effrontés : bruschetta ou pizza, tiramisu ou tarte au chocolat, bière et déca.

mardi 26 novembre 2019

Le chalet bleu. Servais.

La petite fille s’appelle Alice, elle se réfugie dans la vallée des loups après avoir lu un livre caché par les parents. Les références ne manquent pas, à moins que ce soient des stéréotypes. C’est une maison bleue, sans empreinte carbone.
Les dessins sont agréables pour magnifier la nature, mais pourquoi user d’une mystique de pacotille comme dans le texte qui suit les 72 pages quand est invoqué le « Grand Tout »? La « walking therapie » ne s’appellerait-elle pas la marche ?
Les contes invoqués, l’atmosphère onirique et pourtant lumineuse suffisent pourtant à rendre la lecture plaisante. Et à travers les saisons de la vie ce récit d’initiation ne manque pas de profondeur.
Le dessinateur est devenu grand-père, et son intention de transmettre se heurte à mon sens à la profusion de son apport : utopie d’un monde où bêtes et gens vivent en harmonie, critique de notre civilisation ou la lenteur et le silence ont fui, les petits garçons sont des balourds et les légendes nécessaires livrées avec explication de leur sens profond. Licornes et lutins sont chez eux … l’amour est fort et pur, la mort inévitable.
« L’homme est la nature prenant conscience d’elle-même ». Elisée Reclus

lundi 25 novembre 2019

J’ai perdu mon corps. Jérémy Clapin.

Ne pas trop dire des péripéties du scénario, ne pas « divulgacher », tant un des charmes de ce film d’animation vient des surprises qu’il nous réserve.
Une main à la recherche de son corps : je craignais le « gore » pas du tout ! La poésie, la fantaisie sont au rendez-vous.
Si loin d’une fable intemporelle, le parcours périlleux de la main ouvre des perspectives originales. Les rapports entre un jeune homme et une jeune fille sont très contemporains, entre désinvolture et exigence.
Le propos qui tourne autour de l’accession à l’âge adulte passe par une douce recherche qui vise à échapper à son destin. Les rappeuses musiques additionnelles mettent un peu de peps à un tapis musical quelque peu sirupeux. Le graphisme est original proche des japonais avec de surcroit une patine du passé et de la buée, sans aller vers le tape à l’œil Pixar qui émerveille mais retient plus par l’éblouissement de la forme que par l’émotion naissant par exemple dans un hall d'immeuble impersonnel au seul son d’une voix à l’interphone, un soir de pluie, quand le livreur de pizza est en retard. 

dimanche 24 novembre 2019

Un instant. D’après Marcel Proust. Jean Bellorini.

J’ai le souvenir dans le Off d’Avignon de la mention « d’après… un auteur prestigieux » qui  avait le don d’attirer l’attention parmi des sollicitations nombreuses mais s’avérait parfois décevante.
Cette fois à la MC 2, dans la grande salle qui se prête plutôt aux mises en scènes spectaculaires, j’ai été ému et trouvé pleinement réussie cette approche d’un géant de la littérature dont la précision va au cœur de notre intimité.
Les souvenirs d’une grand-mère vietnamienne prennent une dimension universelle quand ils s’entrecroisent avec les mots attentifs de Marcel P. Le morceau qui aurait pu être de « bravoure » concernant la madeleine est habilement contourné : après avoir englouti « un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint- Jacques » l’acteur se sent des envies d’écrire.
Mais il sera plutôt question d’un porc au caramel  dont les saveurs permettent de se rappeler : 
« … quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »
Pendant une heure trois quarts nous pouvons déguster les mots qui expriment l’intensité de vivre, et une ardente « présence au monde » à travers le rappel de la vibration d’un instant passé. Nous prenons le droit d’aller faire un tour vers les territoires de nos mémoires et de cet amour absolu, tyrannique accompagnant souvent l’enfance, qui avec la mort omniprésente pourraient se mettre en triptyque pour composer un titre Lelouchien : la mémoire, l’amour, la mort.
Ce serait to mutch, mais ces absolus vont bien à l’essentiel de nos vies, non ?
Des chaises encombrent la scène, grenier de la mémoire, surplombée par une pièce silencieuse d’où les mots proviennent. A défaut de faire revivre la grand-mère et la mère tant aimées, la subtilité des longues phrases nous aide cent ans après à mieux vivre avec nos fantômes, avec nous mêmes.
« … depuis peu de temps, je recommence à très bien percevoir si je prête l’oreille, les sanglots que j’eus la force de contenir devant mon père et qui n’éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En réalité ils n’ont jamais cessé ; et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir. »