mardi 12 novembre 2019

Les Rigoles. Brecht Evens.

Ce pavé coloré de 300 pages à l’inventivité débordante décrit l’univers nocturne des fêtards.
Il y a bien une rue des Rigoles à Paris mais la nuit transfigure tout et le talent du peintre ajoutant quelques arabesques, emmène le lecteur au pays des vapeurs et des couleurs.
Des individus s’agitent, dépriment, causent, n’écoutent qu’eux-mêmes, saoulés de vodka et de bruit pour conjurer le silence et le noir.
Le travail à l’aquarelle est impressionnant, les dialogues bien saisis, mais cette virtuosité ne rend pas la lecture plus facile.
J’ai été fasciné par les formes du récit  très « arty » dans un monde déglingué où la tisane ne guérit pas des drogues mais je suis resté indifférent  au sort d’un noctambule qui va bientôt déménager pour Berlin et d’une allumée suivie par une sœur protectrice.
Dans le fond - d’un  verre - rien de neuf au pays de l’ennui et des vanités même rebaptisé :
« Dans la plus belle ville du plus beau pays, princes et princesses d'Europe sont en quête d'émerveillement, de salut et de gloire. »

lundi 11 novembre 2019

Le Traître. Marco Bellochio.

Des critiques ont parlé de Shakespeare pour une dramaturgie qui va chercher vers la mythologie et de la Commedia del arte pour le barouf pathétique des mafieux inculpés grâce à  Tommaso Buscetta qui avait parlé. Le mafieux avait récusé le terme de « repenti » préférant celui d’ « homme d’honneur » rejouant de valeurs oubliées de Cosa Nostra.
Le trafiquant, assassin, n’est pas un enfant de chœur mais sa connaissance du Milieu au cours de conversations avec le juge Falcone lui ont demandé un courage exceptionnel et à l’état italien des moyens colossaux pour inculper 350 mafiosi et assurer la protection de sa famille. C’est bien de famille dont il s’agit après le meurtre de ses fils et que la fidélité, les silences sont remis en question. C’est la fin d’un monde rural, mais pas la fin du mal. L’omerta est une loi qui s’étend bien au-delà de la Sicile, ainsi que la haine qui voit des hommes fêter la mort de Falcone ou lorsqu’elle s’exprime dans des insultes qui accompagnent les interventions de Buscetta au Maxi-procès de Palerme en 1986.
Bien que la séance dure plus de deux heures, les suites de ce procès ne sont pas traitées. Elles pourraient également faire l’objet d’un autre film qui ne manquerait pas d’être ahurissant.
Cette histoire d’un individu confronté à un groupe ô combien nocif n’est pas exotique, elle offre un film palpitant tant la remarquable interprétation de Pierfrancesco Favino nous laisse à méditer sur l’âme humaine. Depuis l’œuvre précédente de l’octogénaire à la modernité épatante http://blog-de-guy.blogspot.com/2017/01/fais-de-beaux-reves-marco-bellochio.html ses lunettes noires ont varié leurs nuances.  

dimanche 10 novembre 2019

Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner. C. Citti. J.L. Martinelli.

Il y a plus de 10 ans Jean Louis Martinelli nous avait emmenés dans un hôpital psychiatrique. http://blog-de-guy.blogspot.com/2008/11/kliniken.html
Dans la pièce de cette année, ce n’est pas moins de déraison, de violence qui sont mises en scène pour représenter la vie dans un foyer qui reçoit en urgence des mineurs. Les acteurs sont crédibles et la représentation ponctuée de brèves chorégraphies boxées est intéressante.   
Mais après cette heure et demie, je goûte au retour les silences de Christian Bobin choisissant ses mots sur France Culture, pour souligner le complet décalage avec ces jeunes de banlieue exacerbant une violence reçue et restituée.
«Les gens comme toi, des blancs, ils viennent jamais dans ce coin»
Je suis à côté de la plaque comme les éducateurs présentés pourtant d’une façon quelque peu appuyée :
« Quel est ton projet de vie ? » demandent-ils entre une provocation et une bouffée de violence douloureuse.
La hargne se déchainant contre ceux qui sont là pour les aider, donne certes du rythme à la pièce, mais elle est intimidante et laisse peu d’espoir quant à l’avenir de ces ados.
«T’as pas de travail, c’est pour ça que tu viens ici».
La comédienne venue avec un projet de théâtre ne le mènera pas à bout, elle est notre représentante sur le plateau et ne peut qu’observer.
« Tu es venue avec un gâteau pour nous acheter »
Le propos est vraiment sans angélisme mais si la tirade finale autour du verbe « être » m’a parue quelque peu déclamatoire, je me suis dit que bien des mots du rap, qui plaisent tant, étaient souvent démesurés, comme ceux repris dans le titre qui doivent signifier le contraire de ce qu’ils disent. C’est pas gagné ! 

samedi 9 novembre 2019

Fair-play. Tove Jansson.

Le début est prometteur :
« Joanna avait un tempérament heureux. Tous les matins, elle voyait  se dévoiler devant elle une nouvelle vie immaculée, rarement assombrie par les soucis et les erreurs de la veille »
Et la conclusion pudique et révélatrice :
« Marie l’écouta à peine. Une idée audacieuse était en train de prendre forme dans son esprit : celle d'une solitude, rien qu'à elle, paisible et pleine de possibilités. Une fantaisie qu'on peut se permettre quand on a le bonheur d'être aimé. »
Entre les deux, 160 pages pour évoquer la cohabitation bavarde mais peu palpitante de deux artistes sur une île au large d'Helsinki: la fantaisie est légère, la lecture pas désagréable repose des tonitruantes sagas ou des tortueuses chroniques mais s’évaporera vite.

vendredi 8 novembre 2019

Prudences.

L’écriture devient hors du coup en ces temps succincts, elle prend du temps, s’expose aux jugements différés. Mais comme elle est jolie la citation de Robert Sabatier :
« Lorsque la mémoire était la seule écriture, l'homme chantait.
Lorsque l'écriture naquit, il baissa la voix.
Lorsque tout fut mis en chiffres, il se tut. »
Ce grimoire électronique personnel que vous croisez, me fournit un refuge pour douter à loisir, et me permet d'essayer de moins intervenir dans les discussions de vive voix. A l’oral, terrain des certitudes, je continue cependant à marquer mes désaccords avec les abstentionnistes par exemple.
Même si c’est le ressentiment qui peut faire gagner une élection, il n’y a pas d’autre issue démocratique que la légitimation par le vote. 
Pourtant avec tous ceux qui contestent sans cesse le verdict des urnes ça commence à faire du monde, un monde à l’horizon bouché comme le ciel de New Delhi, quand les inquiets à propos du devenir de la planète rencontrent dans les cortèges les frénétiques du « toujours plus », les opposants au nucléaire et ceux qui sont contre les éoliennes, les adversaires de la mondialisation qui vivent de l’exportation et les réformateurs qui ne veulent pas de réforme…
Les porteurs de couteaux, incendiaires et autres profanateurs prennent la suite sur nos écrans qui masquent, au creux de nos mains, nos lignes de vie.
Pour avoir trop tendance à aimer tirer des considérations générales à allure politique, nimbant de grands mots quelques anecdotes, j’aime mettre en avant mes incertitudes.
Je ne me sens guère la capacité de disserter à propos de la Catalogne quand je ne savais que penser de celui qui me coinçait à un rond-point. Même sur le terrain de l’école qui me fut familier, je ne m’avance plus trop face aux attaques contre la laïcité, hésitant quant à mes fondamentaux.
La mère d’une victime de Mohamed Mehra  qui milite dans les écoles contre les fanatiques religieux a la tête couverte, mais qui peut dire «  le voile est souhaitable » juste pour contredire Blanquer lorsqu’il avait  avancé : «  le voile n’est pas souhaitable dans notre société » ?
Sylviane Agacinski ne peut s’exprimer dans une université : la maigreur des indignations est préoccupante.
Les Lumières combattaient les superstitions, lesquelles ont gagné ?
Dieu est mort pour certains, mais le diable a de belles nuits devant lui, au moment où les mensonges se nomment vérités alternatives et que la distinction du bien et du mal ayant déserté les préaux va se chercher dans quelque désert syrien.
« Le Gorafi » est devenu une référence plus familière que « Le Monde » et le « n’importe quoi » plus sympathique que la complexité.
Le roi  nu, n’est pas ragoutant et rappeler le montant de la dette publique bien peu agréable à entendre. 
« Un mensonge qui fait l'affaire vaut mieux qu'une vérité qui l'embrouille. »
Le proverbe est persan, si Trump le savait ! Mais ses « fake » n’ont même pas besoin de faire l’affaire.
Depuis que Capet a perdu la tête, beaucoup se sentent roi, confondant les faits avec leur opinion. Libres disent-ils, tout en ne sachant pas se confronter avec ceux qui ne seraient pas de leur avis : d’où les niches, les ghettos. 
Le sentiment d’insécurité se confondait avec l’insécurité, mais le sentiment d’être une victime devient tellement massif que l’on ne sait plus voir les vraies victimes.
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Dessin de "Courrier international"  de Cau Gomez Brésil 

jeudi 7 novembre 2019

Cortès et la chute de l’empire aztèque.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a développé les circonstances de la rencontre du conquistador  Hernán Cortès et du chef de l’empire aztèque Moctezuma II, le 8 novembre 1519. Il y a tout juste 500 ans, des civilisations allaient basculer.
Les témoignages sont ceux des vainqueurs, ne manquant pas cependant de se contredire. Les dénominations telles que le titre d’ « empereur » sont européennes, comme la chronologie qui avait moins de sens pour les mésoaméricains que leur mythologie.
Après une migration depuis le nord du Mexique, leur empire n’aura duré que 200 ans, jusqu’en 1525. Chasseurs cueilleurs, ignorant la roue, dépourvus de bêtes de somme, leur brillante civilisation concernera 20 millions de personnes. 
Dans un territoire inhospitalier, au climat très humide sur les côtes, très sec sur l’altiplano, fuyant d’autres tribus hostiles, ils développent leur capitale Mexico-Tenochtitlan sur une île au milieu du lac Texcoco ils cultivent le maïs sur des jardins flottants. 
L’agglomération de 200 000 habitants, à l’architecture sophistiquée aux temples de pierre, animée par des marchés immenses, est alors bien plus importante que les villes européennes.
Hernán Cortès né en Estrémadure en 1485, est un « grand d’Espagne », cousin de Pizarro qui aura affaire avec les Incas. Destiné à devenir notaire, nourri de lectures chevaleresques, il choisit la carrière militaire qui aurait pu l’amener en Italie mais il arrive à Hispaniola (Saint-Domingue) à sa première traversée, plus de vingt ans après les quatre voyages de Christophe Colomb qui peuvent illustrer le terme « sérendipité », puisqu’il avait cherché une chose, les Indes, et  en avait trouvé une autre : le nouveau monde.
A l’Université de Salamanque, il avait eu accès à des cartes marines, apanage des portugais, appelées portulan (de l'italien portolano, livre d'instructions nautiques).
Devenu maire de Santiago de Cuba pour avoir accompagné dans sa conquête de l’île le représentant de Charles Quint Diego Velázquez de Cuéllar, Cortès repart vers le Mexique et depuis Veracruz (la vraie croix) qu’il a fondée, à la tête de 200 hommes,remonte vers Mexico après avoir détruit ses vaisseaux.
Ces bateaux vus par les autochtones comme « des tours, des montagnes flottant sur l’eau » avec leurs voiles comme « des aigles volant dans le lit du vent ».
Sa traductrice, La Malinche, ancienne esclave, sera la mère d’un de ses enfants, elle lui apportera de précieuses connaissances qui lui permettront de se présenter sous sa brillante armure comme un descendant du Quetzalcóatl, le serpent à plumes.
En chemin, par le fer et le feu, il va vaincre les Tlaxcaltèques, impressionnés par les chevaux de leurs agresseurs. Il s’en fera des alliés précieux.
Un peu plus tard, accueilli aimablement par les Aztèques, mais pensant à une ruse, Cortès attaque avant d’être attaqué: 20 000 habitants de Cholula sont massacrés.
Beaucoup d’illustrations de ce texte sont tirées de Codex dont celui dit de Mendoza du nom du commanditaire, vice roi de la Nouvelle Espagne et réalisé par un scribe indigène. Sur la première page figure la représentation de la fondation mythique de Tenochtitlan qui se retrouve au centre du drapeau mexicain.
Un aigle indique où s’installer en se posant sur un figuier de Barbarie dont les fruits rappellent le cœur des humains sacrifiés.
« Pour Soustelle, la mission du peuple du Soleil consistait à repousser inlassablement l’assaut du néant. À cette fin, il fallait fournir au Soleil « l’eau précieuse » (le sang), sans quoi la machinerie du monde cesserait de fonctionner. » Wikipédia
La pierre du soleil, connue sous le nom de « calendrier aztèque » représente la cosmogonie d’alors et mentionne 360 jours plus 5, elle servait de réceptacle aux sacrifices.
En buste à l’extérieur du temple de Teotihuacan
ou en bijou de jade à double tête, le serpent est omniprésent.
Moctezuma comble de cadeaux Cortès de cet or qui avait motivé tant d’aventuriers en quête de l’Eldorado, mais au bout de quelques mois il se retrouve prisonnier en son palais. Il est pris en otage pour protéger le retrait des espagnols après le massacre du Templo Mayor.
Fut-il lapidé par ses compatriotes ou tué par les colonisateurs ? Il n’était pas parvenu à calmer son peuple.
Bernal Díaz del Castillo participa à tous ces évènements et ses écrits constituent de précieux témoignages.
Lors de l’épisode connu sous le nom de La Noche Triste (la triste nuit) les espagnols fuient la lagune après avoir subi des pertes considérables. 
Ils frôlent l’élimination complète lors de la bataille  d’Otumba qu’ils remportent miraculeusement, puis reviennent avec des renforts, assiéger Mexico pendant 75 jours. Les habitants privés d’eau, mangent les cadavres et les murs de leurs huttes, décimés par une épidémie de variole, ils doivent se soumettre.
L’or des aztèques a contribué à la suprématie de l’empire de Charles Quint  « sur lequel le soleil ne se couche jamais ».   
Quand le président du Mexique Obrador a demandé récemment des excuses à Madrid, la réponse n’a pas tardé : «Le gouvernement d'Espagne regrette que la lettre envoyée par le président mexicain à sa majesté le roi, dont elle rejette fermement le contenu, ait été rendue publique… L'arrivée, il y a 500 ans, des Espagnols sur le territoire mexicain actuel ne peut pas être jugée à l'aune de considérations contemporaines».

mercredi 6 novembre 2019

Au Chambon-sur-Lignon et à Saint-Martin-de-Valamas.

Le « lieu de mémoire » du Chambon-sur- Lignon résume ce qui a fait la réputation de ce bourg du Vivarais de 2500 habitants avec une muséographie récente rendant accessible une histoire familière à beaucoup d’anciens mais déjà éloignée pour quelques jeunes.
Nos opinions sur nos semblables dont nous avons tendance parfois à ne voir que les petitesses en sont réévaluées. Nous pouvons aussi mesurer l’importance de la dimension religieuse que nous aurions eu tendance à sous estimer en d’autres temps.
Des témoignages constamment passionnants de sauveteurs, de résistants, de réfugiés varient les points de vue. Il est question des « Justes » qui ne se posent pas en héros surplombants et l’une d'entre eux se demande même pourquoi faire tant de bruits pour des actes de solidarité qui lui semblent naturels.     
Dans ces villages ardéchois à la limite de la Haute Loire, les habitants essentiellement protestants, savaient ce qu’étaient les persécutions : ils ont mis à l’abri de nombreux juifs, sauvé des centaines d’enfants.
Dans la simplicité et l’évidence, un verger complète ce musée dynamique situé à côté de l’école.
Pas loin de là, surplombant la vallée de l’Eyrieux, le château en ruines de Rochebonne donne aussi une occasion d’apprécier la générosité de nos concitoyens en mesurant l’immensité de la tâche entreprise pour consolider ce qui reste de cette bâtisse détruite lors des guerres de religions qui furent furieuses par ici.
Une table d’orientation située au dessus d’un paysage grandiose précise les sommets des Cévennes voisines qui permettent des révisions de vocabulaire et des apprentissages :
Le Mont Gerbier des Joncs où la Loire prend sa source est un « suc » : relief volcanique en forme de cône, et un « chasal » est une maison.
L’association précise:
« Le donjon et la ceinture qui l'entoure sont érigés sur un piton rocheux d'une trentaine de mètres. Au XIIIe siècle trois logis appuyés contre la paroi rocheuse ont été construits en contrebas. »
https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/les-ruines-du-chateau-de-rochebonne