mercredi 28 novembre 2018

Gravelotte.

"Le musée de la guerre de 1870 et de l’annexion", récemment installé dans ce petit village à proximité de Metz, remet à jour nos savoirs sur la guerre de 70 dont nous connaissions surtout l’issue avec la Commune de Paris. Nous réévaluons l’importance du conflit en dehors de la revanche de 1914.
L’unité allemande s’y est concrétisée et la grande guerre n’a pas eu le monopole des massacres de masse : 20 000 allemands et 10 000 français sont tombés là.
« Ça tombe comme à Gravelotte » : l’expression est devenue obsolète mais elle avait aiguisé notre curiosité quand les sites informés ne savent « si c’est la densité du tir des armes à feu et des canons ou le nombre de soldats tombés sur le champ de bataille qui a donné naissance à l’expression ».
Parmi les  moyens bien conçus proposés dans tous les musées récents, la toile gigantesque d’Edouard Detaille et Alphonse Deneuville, "Le panorama de Rezonville", mesurait 100 m, et fut partagée en 65 morceaux quand ce ne fut plus la mode de cette façon de présenter l'histoire. 6 toiles figurent ici avec des dessins préparatoires.
Le Kaiser Guillaume Ier ayant vu sa garde décimée, demanda l’annexion des champs de bataille, en échange de la place de Belfort lors du traité d’annexion de l’Alsace et de la Moselle en 1871.
Il érigea un mémorial. Des traces de balles sur les tombes montrent la durée des ressentiments.
Le musée présente dans la même vitrine casques, uniformes français et allemands par corps d’armée.
Des vidéos efficacement montées exploitent les photographies qui en étaient à leur début.
Des tableaux expressifs au point que l’un d’eux fut acheté par la gouvernement français dans l’intention de le détruire, côtoient des objets émouvants : une cuirasse criblée d’impacts de balles dont une a traversé. 
Un soldat allemand tend sa gourde à un « turco » blessé.
Pas loin de la ligne Maginot et de Verdun dont les noms sont associés à des tactiques militaires et au souvenir de tant de jeunes massacrés, nous abordons un peu le caractère particulier de cette région qui  a cessé d'être vue essentiellement comme un rempart pour devenir un lieu économique stratégique au voisinage de l’Allemagne et du Luxembourg.   

mardi 27 novembre 2018

Sacha Guitry. François Dimberton Alexis Chabert.

Biographie en 120 pages de l’homme disparu depuis 50 ans dont quelques répliques bien troussées n’ont rien à envier aux punch line d’aujourd’hui. 15 000 personnes étaient venues lui rendre hommage au moment de son décès.
Il n’est plus guère joué dans les théâtres que je fréquente, quand par ailleurs subsistent quelques suspicions à propos de son attitude pendant la seconde guerre. On peut continuer à l’ignorer, ou bien cette histoire en bandes dessinées permettra de lever quelques ombres sans prétendre dévoiler tous les mystères de l’homme dont la vie est un roman.
« - Je t'aime. Et toi ?
- Mais moi aussi, je m'aime ! »
Les mariages sont fréquents, les bons mots abondent. Depuis l’époque du tzar Alexandre III, les célébrités avec Lucien Guitry, le père de Sacha et amant de Sarah Bernhardt se croisent, s’aiment, se jalousent, jusqu’à la période Cocteau, Arletty, Tristan Bernard.
Ayant pris pour femme une maîtresse de son père, ils resteront fâchés pendant des années puis se réconcilieront. L’émeraude laissée en héritage par l’acteur à l’auteur, finira sur l’épée de l’académicien Alain Decaux, ami de la famille.
« Les hommes seraient plus heureux si on leur parlait moins de bonheur. »
Bien des gens du spectacle se vantent d’avoir été des cancres, mais là il semble le meilleur: renvoyé douze fois de pensionnat, il a redoublé huit fois sa 6ème.    
C’est alors qu’il écrit une première pièce de théâtre prometteuse. Son succès sera également éclatant  au cinéma avec sa fameuse voix off.
Les traits et les couleurs, le découpage limpide de la BD sont en accord avec l’élégance des propos qui permettent de tourner les tragédies en comédies, sans que l’amère réalité se dérobe.

lundi 26 novembre 2018

Heureux comme Lazzaro. Alice Rohrwacher.

A Cannes cette année, les retrouvailles avec le cinéma italien, que nous avons « tant aimé » se fêtent d’entrée en fanfare, au moment où en ouverture du film d' Alice Rohrwacher
http://blog-de-guy.blogspot.com/2015/03/les-merveilles-alice-rohrwacher.html
un prétendant fait son aubade sous les fenêtres sombres de son amoureuse.
Il se trouve que la ferme où elle habite est plus pouilleuse que celle de « 1900 », peuplée «  d’affreux sales et méchants » qui nous feraient remonter au moyen âge quant à la rudesse de la servitude et aux manières choquantes d’une marquise.
La farce tourne à la fable avec loup et vieillissement accéléré, sauf pour l’innocent qui porte le nom de celui que le Christ ressuscita. Les paysans surexploités, s’exploitant entre eux, vont finir par arriver à la ville, quittant leurs coteaux ensoleillés pour les abords des voies ferrées.
Les digressions s’accumulent, brouillant un propos initialement original qui finit par paraître longuet et contre productif. 
Finalement il ne fait pas si bon d’être trop bon. Le héros principal imperméable à toutes les violences, fantôme sans affect, peut prétendre devenir un saint, mais alors en plâtre.

dimanche 25 novembre 2018

La belle Nivernaise. Jean Epstein. François Raulin. Ila Mihaylov.

Ciné-concert. Un film de 1929 d’un peu plus d’une heure est proposé en toile de fond pour voix bulgares et trio de jazz.
Nous ouvrons ainsi une saison 18/19 où le béton de l’anti chambre de la grande salle baptisée du nom de Georges Lavaudant est décoré désormais de toiles et autres installations « courbes et incurvées ».
Si la musique vivante apporte souvent une densité aux spectacles, je me serai volontiers passé des images d’Epstein pour apprécier en particulier l’originalité et la puissance des voix bulgares.
Certes il ne faut pas attendre quelque subtilité de films muets qui obligent les acteurs aux yeux exorbités à se montrer d’une expressivité excessive. Mais au moins aurions nous pu être renseignés sur les mœurs de l’époque sous des façons de voir inattendues.  
Le rythme décousu du scénario dont les personnages en noir et blanc n’ont aucune densité ni cohérence derrière leurs grimaces, ne rencontre que trop rarement le chœur aux beaux habits colorés. Les variations d’un saxophone par trop descriptif font plutôt moins bien encore.
Les péripéties qui amènent un enfant à être recueilli par le patron de la péniche « La belle Nivernaise », les cartons explicatifs, et quelques scènes violentes, détournent de la musique.
En général  celle-ci est amenée à accompagner plutôt qu’à apparaître au premier rang. Faute d’intrigue ou de personnages plausibles, elle prend toute la place face aux images kitches.
Les silences du coup sont éloquents et il faut attendre les rappels pour que les voix enfin seules prennent toute leur ampleur facétieuse. 

samedi 24 novembre 2018

6 mois. Automne hiver 2018.

Je me suis détaché de XXI, prototype d’une presse plus exigeante dont le groupe est tombé à son tour dans le sensationnel, mais je suis resté fidèle à leur semestriel consacré aux photographies.
En 300 pages, il y a de quoi s’étonner dans un parc d’attraction de la « Bible belt » avec crucifixion à heure fixe ou dans le quartier gitan de Perpignan, quand à l’école un enfant a pu bénéficier d’un certificat délivré par un médecin :
«  Ne peut se lever le matin entre septembre et juin.»
Dommage que la rubrique « Les instantanés » n’offre pas des formats plus grands car les hasards sont souvent drôles, nous reposant des frissons devant les seins repassés à la pierre chaude pour que les filles n’excitent pas les garçons, au Cameroun, ou cette histoire de femme battue aux Etats-Unis.
Le dossier principal est consacré aux femmes avec aussi un reportage en Argentine parmi des militantes mobilisées contre les violences machistes.
Au milieu de tant d’images fortes, l’écrit prend du relief et l’interview du photographe Jean Caumy, qui sort des entiers rebattus, est intéressant:
«  Jean tu es avec nous, mais en même temps, tu es comme double, on te sent loin. »
Le photographe se considère comme un comédien qui se coltine avec l’empathie, avec le réel, il utilise son smartphone et trouve le mot « artiste » fatigué.
Le reportage en Corée du Sud où sont clonés des chiens est « clinique » avec une documentation habituelle après chaque chapitre qui situe bien les enjeux, impressionnants.
Celui sur les migrants devient habituel, mais sa durée sur sept ans suivant un retour de l’exilé chez lui en Afghanistan pose bien le dilemme du jeune homme, entre deux univers.
Le titre : « La mise en songe » convient parfaitement pour les photographies de Nicolas Henry, ses décors éphémères et poétiques, mettant en scène des groupes et leurs histoires, leurs défis.
La photobiographie d’Elon Musk à 50 ans est déjà chargée : il envoie des fusées dans l’espace, met au point des voitures électriques, tout en misant sur le solaire.
Les américains d'origine japonaise après Pearl Harbour étaient présumés traitres et enfermés dans des camps aux Etats-Unis, Dorothéa Lange y avait  réalisé des reportages portés à la connaissance du public 64 ans après.
L’album d’une famille d’amoureux de la nature au Montana est apaisant et plaisant.

vendredi 23 novembre 2018

Ici gilets jaunes, là gisent les verts.

Je ne prends pas le temps de laisser reposer les mots pour mon article du vendredi et m’insère dans l’embouteillage créé par les éruptifs aux couleurs fluo.
Pépé tremblote, chevrote : pourquoi la France ne connaitrait-elle pas l’ivresse du populisme ?
J’ai bien lâché quelques phrases sur les réseaux sociaux en faisant suivre un article du journal Le Monde qui prévoyait : «  la transition écologique va nécessiter un courage politique considérable. » Un commentaire à ce propos proposait « de taxer la bidoche », auquel j’ai répondu  après avoir signalé une autre tribune : « Nous sommes tous climato sceptiques ».
« J’aime le pot au feu et les sardines, et m’agacent les donneurs de leçons, si bien que je comprends les manants mais je persiste à approuver les bons élèves qui nous gouvernent. »  
Ce formidable outil qu’est Internet et sa promesse d’ouverture sur le monde se révèle être celui du repli sur soi avec des réseaux qui s’auto-allument. Maintenant que bien des religions pourvoyeuses depuis si longtemps de fake-news ne fournissent plus leur lot de croyance, ce sont les traqueurs de fausses nouvelles et autres décrypteurs qui loin d’être entendus se prennent dans la tronche des tombereaux d’insultes permises par l’anonymat. Intermittence des lumières.
Bien pensants contre irresponsables, bobos/ beaufs, ville/campagne, voiture/ vélo, startup/ CDD, papa poule/ maman toute seule, consentants à l’impôt/ réfractaires aux taxes dispensés de l’impôt sur le revenu, statistiques générales/ressenti particulier, démocrates/abstentionnistes : la fracture est sociale, culturelle, géographique, de classe.
On a beau savoir la nécessité d’envisager le temps long, nous sommes affolés par les éclats de l’immédiat, cliqueurs et vibrant à tous les gazouillis. Notre trace est furtive, les vérités intermittentes. Des proclamations gravées dans le marbre s’oublient aussitôt proférées mais les ressentiments demeurent.
Face à ce mouvement qui a le mérite de remettre la question des inégalités au centre du débat, je peux me permettre une recension de quelques morceaux épars alors que tant d’éminents commentateurs n’ont rien vu venir.
- Florence Aubenas s’étonnait qu’un bénéficiaire du RSA estimant qu’il n’a pas sa place dans les manifs, se place ainsi en citoyen de seconde zone. J’admire justement son sens civique et sa reconnaissance envers l’état. On ne peut pas en dire autant de ceux qui ont occasionné des dégâts après que le projet de Notre Dame des Landes fut abandonné.
- Un étudiant de Grenoble avait noté sur son dos «  Faut que je sois vener pour me lever à 7h un samedi » : ce n’est plus « Nuit debout » mais « La France qui se lève tôt ».
- Les adversaires des taxes mettent en avant leurs enfants auxquels ils ont fourni la pancarte : «  J’ai peur de l’avenir », qui pourrait servir à leurs adversaires avec une précision : « j’ai peur du présent aussi».
La planète brûle, les populistes triomphent, les nuances passent pour ratiocination surplombante. Alors allons-y, il est tard : est ce que l’écologie si elle n’est pas punitive est encore de l’écologie ? Piolle, qui n’est pas dans d’autres domaines ma tasse de gnôle, avance avec courage.
Si j’emploie trop le terme « pathétique », comment nommer les politicards sans propositions qui courent après les souffrances et finissent de déconsidérer la politique ?
Je reste persuadé que le plus grand respect à prodiguer  à ceux qui sont dans la détresse est d'affirmer des désaccords avec tant d'affirmations contradictoires et estimer que certaines formes prises par leur colère ne sont pas efficaces à moyen terme, même si le buzz présent est tonitruant.
« Ce n'est pas la misère qui provoque le besoin d'égalité, mais la richesse. »
Frédéric Dard qui n’a pas connu Carlos Ghosn
……
La photographie date de 2008.           

jeudi 22 novembre 2018

André Derain. Claire Grebille.

La conférencière devant les amis du musée de Grenoble nous parle d’un temps où Paris était la capitale des arts quand les avant-gardes se bousculaient à la suite des impressionnistes : « La belle époque ». Les fauves en premier, et parmi eux  le « fauve incandescent » à la peinture « iridescente » (qui a des reflets irisés).
Né à Chatou en 1880 à proximité des paysages peints par Renoir ou Monet, l’ancien cancre aidé par sa famille de commerçants, après des études à l’Académie Camillo, deviendra vite une référence.
Avec l’ « Autoportrait dans l’atelier » le peintre affronte le tableau : la touche est épaisse, les volumes simplifiés, les couleurs assourdies, les plans géométriquement décomposés.
Un gant blanc ressort dans son « Bal à Suresnes » et insiste sur la maladresse du troufion de façon ironique.
Avant la guerre, autos, vélos, photos se multiplient, les rayons X permettent de voir au-delà des apparences. Les peintres que les photographes ont imités dans un premier temps sont libérés de la représentation « illusionniste », ils utilisent les nouvelles technologies.
Le grand gaillard rencontre Vlaminck dans un train de banlieue. Le musicien coureur cycliste d’origine flamande a «dessalé l'ami Derain, l'initiant à la couleur sortie du tube comme aux plaisirs populaires...». « Portrait de Vlaminck ». Ils feront atelier commun.
Le « Portrait de Matisse » avec lequel il va travailler à Collioure, est d’une grande liberté.
Celui-ci brosse un « Portrait de Derain » exotique, aux touches vibrantes.
Les impressionnistes ont exposé pour la dernière fois en 1886, les divisionnistes ont pris la suite dans la célébration de la nature. Ils théorisent en juxtaposant les couleurs que les lignes suivent, systématisent une technique qui peut apparaître comme fastidieuse. 
« Le Cap Layet » d’Henri-Edmond Cross, est au musée de Grenoble.
A leur tour, les couleurs complémentaires dans  « Le Pecq, hiver »  se mettent en valeur avec courbes et ombres bleues. Le paysage expressionniste est réinterprété et le sentiment prend le pas sur la sensation. «L'artiste s'observant en train de sentir ne sent plus rien...»
Si Le Caravage peignait autour du noir, les « Toits de Collioure » vigoureusement simplifiés sont peints autour d’un blanc en réserve qui synthétise toutes les couleurs.
«  Le port de Collioure »  revient au divisionnisme
alors que « Le phare » est exécuté en grands aplats.
« Cette couleur m'a foutu dedans. Je me suis laissé aller à la couleur pour la couleur. »
 Au salon de 1905, tous les fauves sont lâchés.
«J'avais fait chaud, très, très chaud. Le fauvisme a été pour nous l'épreuve du feu. Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite. Elles devaient décharger de la lumière...»
Ils font scandale, c’est bon pour les affaires. Vollard, son marchand, l'envoie à Londres où Monet avait brillé dans les brumes, lui trouve qu’il y a trop de soleil.
« Effet de soleil sur la Tamise »  fait disparaître tout élément architectural, 
contrairement au « Pont de Westminster » avec cernes proches de Gauguin et cadrage japonisant.
« Je ne vois d'avenir que dans la composition ... Je crois que le problème est de grouper les formes dans la lumière et de les harmoniser concurremment à la matière dont on dispose »
Il cherche, mais ne va pas au bout de ses intuitions.
A « l'Estaque », comment ne pas être sous l’influence de Cézanne.
Et ses « Baigneuses » renonçant aux couleurs ont des volumes qui annoncent les demoiselles d’Avignon d’un autre contemporain célèbre. Dont il dira pourtant :
«On retrouvera bientôt, Picasso pendu derrière son tableau
 «  La danse »  est une quête de l’enfance de l’art, un rêve primitif,
« Le grand tort de tous les peintres, c'est d'avoir voulu rendre l'effet du moment de la nature et de ne pas avoir pensé qu'un simple assemblage lumineux met l'esprit dans un même état qu'un paysage vu »
Il change de manières, de marchands : après Kahnweiler, Paul Guillaume, il renie ses anciennes pratiques : « le fauvisme: «une histoire de teinturiers», le cubisme, «une chose vraiment idiote »… « Portrait de Lucie Kahnweiler »
Il réalise des décors pour le théâtre, sculpte, revient au classicisme, on a parlé de « byzantinisme » pour «  Samedi ».
Le Centre Pompidou vient de présenter les productions de l’artiste pendant « la décennie radicale », entre 1904 et 1914, ainsi la conférencière n’a guère développé la période après la seconde guerre où il a été accusé de collaboration.
Son « Age d’or»  prévu pour une tapisserie a des tonalités proches de paysages
qu’il a lui-même titrés « Sinistres »
Il meurt en 1954.