jeudi 1 mars 2018

Charles Le Brun. Fabrice Conan.

Après Simon Vouet inspiré par l’Italie
et Philippe de Champaigne par les peintres du Nord,
le conférencier devant les amis du musée de Grenoble présentait la figure tutélaire des peintres du grand siècle qui ambitionnait d’assurer la synthèse dans le domaine de la peinture et aussi de la décoration.
Le portrait de Lebrun en majesté par Nicolas de Largillierre le présente parmi des sculptures antiques, objets alors de crêpage de perruques : auraient-elles été dépassées par les modernes d’après Perrault ou étaient-elles indépassables comme le pensait Boileau ?
Une première version présentait le professeur, peintre du roi, en possession d’une Boîte à portrait, joyau offert par Louis XIV composé de 92 diamants.
Né en 1619 d’une mère issue d’une famille d’écrivains et d’un père sculpteur dont il a effectué le Portrait, sa vocation précoce ne fut nullement contrariée.
Sûr de son talent, il s’ennuie à broyer des couleurs chez ses maîtres successifs et réalise bien vite des modèles pour des estampes illustrant des thèses : Jésus amabilis.
Les différents âges de L’enfance sont charmants, lumineux.
En 1640, déjà reconnu, il reçoit commande de grands décors représentant des cycles allégoriques comme ce vigoureux Hercule terrassant Diomède pour le palais-cardinal de Armand Jean du Plessis dit Richelieu.
Son Horatius défendant le pont Sublicius, exemple de sacrifice pour le bien commun, passe pour un Poussin avec lequel il a fait le voyage en Italie.
A la fin de son séjour romain, il peint La mort de Caton qui ne voulait pas survivre à la profanation de la République par César. Désormais les commandes affluent.
Il livre La crucifixion de saint André où les anges arrivent au milieu d’un chaos lumineux contrastant avec l’immobilité du gouverneur qui l’a condamné. Ce retable avait été commandé par la corporation des orfèvres pour la cathédrale Notre-Dame de Paris à l’occasion du « grand may », en offrande à la vierge Marie.
Le sommeil de l’enfant Jésus,au cadrage serré, ouvert sur le lointain, est éloquent dans l’expression des passions, le chat ajoute à l’intimité de la scène où l’enfant est en confiance, Jean Baptiste a un mouvement de tendresse : chut !
Le chancelier Séguier fut son protecteur, rival de Fouquet, il a dit au moment de l’arrestation du surintendant : « Fouquet voulait les sceaux, il les a. » Dans les tons mordorés, le faste et la solennité sont intemporels.
L’architecte Le Vau lui confia la décoration de la galerie d’Hercule de l’hôtel Lambert appartenant désormais au Qatar et ravagé en partie par un incendie en 2013.
A Vaux-le-Vicomte, s’il n’eut pas le temps de réaliser le « Palais du Soleil » pour Fouquet, Le triomphe de la fidélité, dans le salon des muses annonce les splendeurs du palais du « Roi Soleil » à Versailles. Il travailla pour Colbert à Sceaux à la décoration du Pavillon de l'Aurore, devint directeur des Gobelins et chancelier de l’Académie.
La tente de Darius est un manifeste pictural. Les femmes implorantes ou admiratives pourront témoigner de la magnanimité d’Alexandre auprès duquel la famille de Darius implore le pardon. Leurs expressions marquées s’inscrivent dans une recherche qui sous le nom de « physiognomonie » se voulut un système.  
Le ravissement où de la bouche entrouverte s’échappent quelques « vapeurs de l’âme » est plus subtil que les planches qui rapprochent figures humaines et animales.
Pour la Galerie des glaces démultipliant les images sur 73 m de longueur, il n’est plus question de filtre mythologique ni de métaphore avec Apollon ou Hercule : Louis XIV est le héros. 
 Le roi donne ses ordres pour attaquer en même temps quatre places fortes de Hollande.
Le Repas chez Simon le Pharisien avec Marie-Madeleine aux pieds du Christ  désormais à Venise a été échangé contre un Véronèse 
alors que Marie-Madeleine à la grotte de la Sainte-Baume est à Grenoble.
Ce tableau était le pendant de Marie Madeleine renonçant aux vanités du monde dans l’exposition de 2016 au Louvre Lens comme dans leur première accroche dans le Carmel de l'Incarnation du faubourg Saint-Jacques.
Après avoir consacré trente ans de sa vie à Versailles, il mourut en 1690.
Il est inhumé en l’église Saint Nicolas du Chardonnet où figure son puissant
Martyre de saint Jean l'Évangéliste à la porte Latine.

mercredi 28 février 2018

Arc-et-Senans.

Les bâtiments dont l’édification, sous Louis XV, a duré dix ans, sont situés dans le département du Doubs. L’eau salée destinée à l’évaporation  provenait de puits situés à une vingtaine de kilomètres, elle était acheminée par des tuyaux d’abord en bois puis en fonte.
Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, l’ancienne saline royale est située en plaine, au sein d’une forêt importante – l’évaporation de l’eau pour obtenir « l’or blanc »  nécessitait beaucoup de bois - à proximité de la Suisse et de la ligne de partage des eaux entre Méditerranée et Mer du Nord.
Le projet de l’architecte Ledoux, jugé trop grandiose avec ses colonnes réservées jusque là aux édifices religieux et autre lieux de pouvoir, a du être modifié. L’intégration trop grande de l’ensemble des constructions a été revue, leur séparation devant empêcher la propagation des incendies, alors fréquents.
Pendant 48 h, la saumure était chauffée dans des poêles installées dans de gigantesques halls nommés « bernes ». La production cessa en 1895.
La présence prévue de logements destinés aux ouvriers, « les berniers », sur les lieux de production s’inscrivait dans une démarche progressiste, utopique dit-on. Si les commis, comme les tonneliers, ne travaillaient certes pas dans du préfabriqué, la maison du directeur porte toute la solennité du pouvoir.
Le sel n’est pas qu’un assaisonnement, il permettait à l’époque la conservation des aliments et  constituait une ressource pour les finances de l’état (la gabelle).
Un musée du sel rappelle l’importance stratégique des routes du sel et les différentes techniques de son extraction, sa puissance symbolique lorsqu’il représente l’alliance avec Dieu. Judas a renversé la salière. Pour les Hindous : «  Dieu est comme un morceau de sel dissous dans l’eau », alors il ne faut pas s’étonner que lors de repas sataniques les mets ne sont pas salés. Le salaire des soldats romains était littéralement versé en sel.
Nous avons eu la chance d’assister à une répétition du « Don Juan » de Mozart avec saxo et accordéon et belles voix au cours de notre déambulation d’un jardin à l’autre organisée autour de la thématique des personnages d’Hergé : 
bouteilles enterrées dans un espace riche en couleurs variées pour Haddock ou ambiance asiatique pour évoquer l’ami Tchang…
La richesse pédagogique pour les élèves du lycée horticole qui ont réalisé les mises en place peut concerner aussi de jeunes visiteurs pas forcément sensibles aux intentions de « l’architecte des lumières » visant au « bien-être de l’homme dans une organisation saine du travail ».   
Les vastes lieux offrent de nombreuses possibilités : quatre musée permanents pas seulement consacrés au sel, espaces pour colloques, hôtel et restauration rapide, cosy derrière ses claustras élégantes.
Prévoir quelques heures.

mardi 27 février 2018

Les cahiers d’Esther. Riad Sattouf.

J’ai emprunté l’album qui raconte la vie d’une petite parisienne de 10 ans pour voir si j’avais manqué une de ces aventures parues dans l’Obs, et j’ai relu la cinquantaine de planches avec délectation.
Si Titeuf, Le Petit Nicolas, sont toujours de tendres références en matière de récits d’enfance, ils viennent d’une autre époque.
Bien que ses parents essayent de lui épargner les informations, un drame tel que les assassinats de Charlie déboule dans la jungle de la cour de récréation.
Les rapports versatiles avec ses amies sont impitoyables et les garçons de son école privée sont vraiment idiots ; de surcroît son grand frère est en 4°, c’est dire le problème !
Ses passions musicales sont plus anodines et son obsession de posséder un Iphone plus classique, mais son innocence combinée à une véloce lucidité est craquante.
Le récit de la propre enfance du dessinateur avait déjà reçu un accueil public très favorable http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/10/larabe-du-futur-riad-sattouf.html.
Ici avec des conditions de vie confortables, un papa adoré ne peut empêcher ni les chagrins ni les peurs. Nous sourions tout de même car les vraies anecdotes contées par la petite ingénue sont transcrites avec la finesse de l’humour.

lundi 26 février 2018

Phantom Thread. Paul Thomas Anderson.

Le milieu de la mode dans une Angleterre so chic en mode pervers : sous l’élégance la violence. Les histoires d’amour peuvent être cousues d’un fil vénéneux.
Alors que « balance ton hastag» n’était pas né, dans les années 50, les jeux de séduction ne se terminaient pas forcément à poil: quand un couturier ravissait une serveuse et l’amenait dans son cottage, il l’habillait.
Quel beau travail quand est magnifiée une jeune femme qui ne répond pas tant que cela aux canons des beautés éclatantes dans ce milieu, mais rougit facilement. Loin des poses hiératiques et glacées, la couture peut être comme la littérature qui avec les mots bien taillés transfigure un crapaud en légende. Une scène est très forte, lorsqu'une cliente fortunée aurait pu se mettre en valeur mais n’est pas dupe de sa laideur.
Ce film classique tout en tensions est traversé de lumières magnifiques, avec des cadrages délicats de matières où les tissus paraissent plus sensuels que la peau et des acteurs au plus haut. Le scénario parfaitement taillé explore les labyrinthes des sentiments habilement : la jeune femme sous la coupe du grand maître gagne une part de liberté que le dandy insupportable n’atteindra jamais.

dimanche 25 février 2018

J’ai rêvé la Révolution. Catherine Anne.

A la sortie du spectacle, je suis retourné consulter la biographie d’Olympe de Gouges : c’était bien une femme incroyablement forte et visionnaire telle que l’auteur et actrice principale l’avait incarnée.
Tellement sûre de son bon droit, et de sa puissance de conviction, elle n’envisagera pas jusqu’au verdict, qu’elle puisse être guillotinée. A 45 ans, elle mourut sur l’échafaud.
Première féministe et militante contre l’esclavage, elle a accordé ses écrits à sa vie libre.
 « La femme naît libre et demeure égale en droits à l’homme »
Les éléments apportés dans cette pièce nous rangent du côté de ceux qui plaident pour son entrée au Panthéon, elle à qui nous devons la phrase irréfutable :
« La femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune.» http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/12/olympe-de-gouges-catel-bocquet.html
Il est peu question des affrontements circonstanciés  de 1793 entre montagnards et girondins, pas plus que de déguisements contemporains: la lutte des femmes n’est bornée ni dans l’espace ni dans le temps.
La forme théâtrale n’est très originale, bien que le décor composé de chemises, genre accumulation à la manière d'un Boltanski propret posé sur des cintres, évoque bien tous les fantômes des innocents qui ont enduré les prisons révolutionnaires.  
Que l’auteure soit une prof ne m’étonnerait guère, tant le souci didactique peut transparaître parfois. La représentation d’1h 50 était tout à fait adaptée à des lycéens travaillant un projet éducation civique et histoire, quant à l’option théâtre, malgré d’excellents acteurs, se présenter à la porte d’autres salles pour découvrir des formes nouvelles.

samedi 24 février 2018

Carnet de bord carnet de route. André Favier.

Je viens de retrouver dans la pile des livres qui attendent leur tour, ces 110 pages dont je ne sais plus la provenance. Celui là est sans éditeur et sans trace Net. Les aquarelles en illustrations proviennent  d'autres carnets de voyage offerts au hasard d'Internet.
Un piolet et un sextant, en couverture résument bien le contenu qui fait partager des expériences d’un gars de par chez nous depuis les îles du pacifique en voilier aux cols du Zanskar en Inde, en passant par les Alpes et La Grande Motte, du cercle polaire au Tassili N’ajjer.
Le récit comporte des surprises, des changements de ton bienvenus, qui pimentent des descriptions manquant parfois d’une nervosité que nous goûtons volontiers en ces temps excités. Une autosatisfaction compréhensible peut poindre, tant la diversité et la richesse des expériences sont manifestes, mais il n’était pas tant besoin de l’exposer.
Pour me désoler de laisser traîner des erreurs dans mes textes, je suis sensible à celles qui persistent dans ces écrits dont je me sens proche jusque dans leur maladresse.
En une vingtaine de  courts chapitres ces points de vues participent à la célébration des beautés du monde et à ses dangers qui éloignent toute mièvrerie.
Avec sa femme, ils viennent d’assister à des danses dans une île de Vannatu :
« Ils nous ont donné leurs chants, leurs danses. Pour rétablir l’équilibre (j’ai compris : une sorte d’ordre cosmique…) il faut donner en retour quelque chose d’égale importance pour respecter la couronne sacrée.
Comme ils savent la valeur que nous accordons à l’argent, l’argent fera l’affaire.
Qu’en feront-ils ?
«  Rien, le chef va l’enterrer dans le sol, c’est là qu’il doit être. »

vendredi 23 février 2018

Papier.

Lors d’une partie de Mémory avec nos petits enfants, une amie me faisait remarquer qu’en prenant de l’âge nous avions plus de difficultés à oublier les emplacements d’une première manche lorsque nous attaquions une nouvelle partie. Les enfants réinitialisent plus facilement.
Ainsi en va-t-il de la permanence de nos schémas mentaux comme de la rigidité de nos grilles politiques, quand ce n’est pas l’oubli qui nous aveugle.
Peut être que l’assoupissante habitude de lire des gazettes papier est de cet ordre, quand j’ai comme un sentiment d’accomplissement en venant à bout de la pile de mes journaux.
Alors que j’épongeais ceux qui avaient été laissés pour une semaine passée ailleurs, Facebook me sonnait avec un post reprenant la liste des publications subventionnées pour dénoncer que ce sont encore les milliardaires qui sont assistés.
Mais je ne pouvais laisser la complaisance se déployer contre une presse qui a encore perdu 10% de son lectorat dans les trois dernières années. Par ailleurs j’aime trop apporter la contradiction jusqu’à me laisser aller aux phrases sommaires fleuries d’émoticônes ; j’ai donc interrompu mon feuilletage pour une polémique simpliste.
Bien que d’après Bernard Tapie :
«  A quoi bon acheter un journal quand on peut acheter un journaliste »,
Pierre Bergé n’écrivait pas dans « Le Monde » et  Drahi possède certes « Libération » mais il n’est pas Libé. C’était amusant d’échanger grâce à FB, la pompe à pub d’un des hommes les plus riches de la planète et se voir vanter le modèle du Canard Enchaîné que je fréquente depuis toujours mais qui ne peut constituer une source unique d’information.
Je ne suis décidément pas exempt des addictions aux écrans désapprouvées évidemment sur ces mêmes écrans, où je préfère être apologue des blogs qui commencent à dater, donc à péricliter.
Comme tant de productions culturelles, l’état tient à flot ce qui est malgré tout une expression de nos libertés fondamentales. Je peux choisir mes titres dans leur diversité alors que les algorithmes me tiendraient dans mon sillon.  
J’aime la hiérarchisation en 47 X 30 de mon quotidien qui se laisse parfois attendre et dont on pouvait regretter la parution tardive quand l’instantanéité n’était pas la règle, ce qui présentement serait devenu un atout.  Rien que dans un numéro, Pitbullshit Wauquiez disparaît derrière la une consacrée aux pénuries d’eau dans le monde, alors que nous sommes rincés en ce moment. Je n’évite pas la pub pour le film «  Corps étranger » avec des hanches photogéniques désormais absentes d’une ville sans « Aubade ». J’apprécie la réflexion autour de la mode des excuses en litanie depuis le PDG de la SNCF jusqu’à Filoche. Et bien sûr je prends, « en même temps », les articles finalement pas si contradictoires :  
« Ecrans : l’enfant surexposé peut présenter de graves retards » et
« Ne parlons pas trop vite d’autisme et d’addiction ».
Ouf !
…………….
Le dessin dans le texte vient du « Point » et le dessin du « Canard » de cette semaine est ici :