mercredi 26 novembre 2014

Iran 2014 # J8 au matin. Ispahan.

Nous revenons place de l’Iman Shah Abbas de jour, vide du monde d’hier soir et encore ensommeillée. 
Nous commençons par visiter la mosquée de l’Imam, c’est un festival de bleu de toutes nuances au dehors comme au-dedans. Curieusement la porte d’entrée en bois doublée d’une deuxième porte en métal, donne sur la place dont elle forme un des côtés, mais se trouve désaxée par rapport à la direction de la Mecque. Nous passons le porche et contournons un énorme « bénitier » de pierre.
La cour est encombrée d’échafaudages chargés de supporter des toiles tendues afin de protéger les fidèles du soleil lors des prières. Les carrelages intègrent le jaune au bleu couleur royale. Les voûtes nécessitent d’utiliser la mosaïque pour épouser les formes arquées. 
Dans la salle de prière (chabestan) est signalé au sol avec des dalles noires, le lieu précis où se placer pour avoir de l’écho qui dit-on reproduit les sons sept fois. Un religieux en civil, chante des textes coraniques avec au début comme à la fin le très compréhensible « Allah Akbar ». Ce chant poignant  exprime le même recueillement que le grégorien, avec plus d'ornements.
Outre la magnifique salle de prières nous visitons les deux iwans ou eivan (salle voûtée ouverte d’un seul côté)  et deux madrasas  symétriques possédant un petit jardin comparable à deux cloitres. Un cadran solaire constitué d’une marche biseautée d’un côté indique midi lorsque le soleil la recouvre entièrement. A gauche de l’entrée à l’endroit  qui servait avant aux ablutions, le décor sans carreaux est tout à fait différent, mais magnifique. Face à l’entrée, l’iwan nord protégé par des vitres est accessible côté cour à la condition de se déchausser pour fouler le carrelage turquoise.
Cette mosquée possède quatre minarets, surmontés par un fin  balcon en moucharabieh. L’ensemble est vraiment impressionnant, un peu caché par la disposition de toiles qui coupent la vision. Nous remarquons, dominant la salle, une cage vitrée destinée à la protection de mollahs importants. La coupole en restauration est splendide.
A la sortie de cette mosquée de l’Imam, nous entrons dans celle de Cheikh Lotfollah  construite juste avant, au début du XVII° siècle. Elle n’a pas de minaret « puisque seule la famille royale y avait accès ». On y entre par quelques marches en contrebas, c’est inhabituel ; là aussi l’entrée est désaxée et il n’y a pas de cour intérieure. Un couloir coudé en carreaux nous mène à la salle de prière circulaire sous un dôme dont la décoration évoque une queue de paon. 
Des versets du Coran sont écrits d’un bleu profond, en écriture coufique la plus ancienne forme calligraphique de  l’arabe toute en … arabesques. Haleh nous raconte que la mosquée avait été construite pour la femme du Shah safavide mais je ne trouve aucune info sur le guide Olizane concernant cela. Nous devons libérer les lieux pour la prière de midi et nous ressortons sur la place si vaste qu’on y pratiquait le polo.
D’après les notes de voyage de Michèle Chassigneux.

mardi 25 novembre 2014

Play back. Ted Benoît François Ayroles

D’après Raymond Chandler, créateur de l’inspecteur Marlowe incarné par Bogard, mais  dont ce scénario là ne fut jamais porté à l'écran. Il est adapté par celui qui a poursuivi les aventures de Blake et Mortimer et dessiné par Ayroles qui joue bien des ombres et des lumières pour un genre qui s’imagine surtout en noir et blanc.
Il s’agit dit-on de polar « hard boiled »: dur à cuire.
Les destins sont noirs sur fond d’hôtel de luxe. Les dialogues sont au couteau et quelques réglements au révolver, les problèmes se résolvent dans les eaux sombres derrière un cruiser Walkyrie. Les passés sont lourds, les innocences difficiles à prouver, les personnages flegmatiques, le destin implacable. Les visages aux joues noircies disparaissent dans leurs ombres,  reste une trajectoire efficace mais froide . 

lundi 24 novembre 2014

L’Oranais. Lyes Salem.

Ce film ambitieux échappe au manichéisme, bien qu’il soit question de la lutte exaltante pour l’indépendance de l’Algérie et des années dégrisées qui s’en suivirent. Il y a certes des lourdeurs, des raccourcis, mais certaines scènes sont très réussies, le scénario bien mené est servi par de bons acteurs.
Le débat lors d’un pique-nique sur l’identité algérienne, arabe, musulmane, africaine,  méditerranéen ou kabyle est excellent, entre rires et sérieux, conclu par celui qui n’a pas participé à la discussion : « voilà un méchoui  bien de chez nous ! »
Le réalisateur à moitié français et algérien aborde avec courage les désillusions post coloniales côté « Ya Mustapha », et fournit à la France, « Chéri je t’aime, chéri je t’adore », un document intéressant pour cette période de guerre, guère traitée.
Les mensonges privés croisent ceux de la société.
Question désillusions, pour ma génération qui ne connut ni les armes ni la torture, mais qui se tourna quelques films, nous pouvons comprendre, étant montés dans les mêmes bateaux, trinquant au soleil, jeunes et beaux.
Si les regards intenses se remarquent dans ce film : « quand on se regardera dans les yeux, on n’aura qu’à faire silence », pas une conversation sans un verre à la main : whisky, champ’, bière, cognac. Mais ce genre est bien ma tasse de thé et rappelle le cinéma italien comme le dit Télérama, voire russe quant à la boisson.

dimanche 23 novembre 2014

Inventaires. Philippe Minyana. Le Théâtre de la Nacelle.

A la maison De Launay à Bourgoin-Jallieu dans le cadre d’un travail concernant l’art contemporain et la mémoire, Gilbert Pot mettait en scène trois femmes racontant leurs vies à partir d’une cuvette, d’un lampadaire, d’une robe.
Barbara, Angèle et Jacqueline alternent leurs récits sous leurs portraits de jeunesse en adoptant la forme que pourrait prendre un jeu télévisé ou radiophonique où il n’y aurait rien à gagner, sinon le plaisir de raconter.
Une de mes copines jouait dans la pièce alors ça joue sur mon appréciation, mais ce théâtre amateur enjoué en vaut bien d’autres, la sincérité en plus.
Passé le moment où chacune d’elle a fait part de ses problèmes de trac ou de sourcils, ces vies juxtaposées sont des récits de solitudes où l’objet prétexte à paroles n’est plus forcément central. Mais les hommes guère plus, même au bout de sept enfants, ils arrivent et repartent en tant que « jules » en route vers d’autres « poules ». 
Ce n’est pas grave, elles passent de la rudesse à la légèreté comme qui rigole, indestructibles.
L’auteur a beau se réclamer de Boltanski, le plasticien aux vêtements  en tas qui évoquent puissamment la shoah, ici se retient la fantaisie.
Certes leurs vies ont été tourmentées, mais la fraîcheur de ces filles demeure malgré leurs rides d’expression.
Les photographies qui illustrent ce texte ont été prises dans une exposition de Chema Madoz  aux rencontres photographiques d'Arles

samedi 22 novembre 2014

Schnock n° 11 et 12. Bardot. Desproges.

Cet article sera consacré à deux numéros de 176 pages (14, 5€) « pour les vieux de 27 à 87 ans » :
Snock de l’été et Snock de l’automne,
celui de « coquillages et crustacés »
et celui  du « misanthrope éminemment social » d’après Philippe Meyer.  
- BB pour qui « le plus beau jour de sa vie était une nuit »  apparait dans toute sa complexité à travers un kaléidoscope de citations : depuis madame de Staël «  la gloire est le deuil éclatant du bonheur » à « Quel cornichon ce lapin ! » dans « Et dieu créa la femme».
Son  couturier attitré témoigne, son parolier, ses amants à la queue leu leu (7 pages), ses rivales : « les nouvelles Bardot » toujours renouvelées. Le dossier est traité dans un style original, enlevé habituel au trimestriel. Le recul sur ces années ensoleillées a de quoi se nourrir avec Béart, les Frères ennemis, les garçons de playboys : ces écrivains qui « glissent leurs textes entre les photos de mannequins dénudées et les publicités de Gauloises blondes » : Berroyer, D’Ormesson, Frank, Roberts, Neuhoff, Ardisson…
Le dossier sur le catch était indispensable pour évoquer ces années ORTF et le récit d’un voyage avec Michel Simon n’est pas triste. La nostalgie en arriverait à vous faire fondre à l’évocation du « Big bisou » de Carlos.
Dans ce numéro le top dix des trucs qu’on oublie tout le temps d’acheter, succède dans le suivant le top 15 des cantines : glace vanille-fraise avec sa cuillère en plastique…
 - Bien au-delà du rappel de la carrière de Desproges, le décorticage de son humour « occurrence, flatulence & élégance » donne à réfléchir en s’amusant:
« Je me suis surpris à m’essouffler bruyamment dans certains escaliers trop raides ou dans certaines femmes trop molles ».
« Les pétasses bitophobes » ont du apprécier ainsi que « les cloportes suintant d’ingratitude aveugle et d’ignorance crasse ».
Il n’y a pas que les personnages des « variétés » qui sont évoqués : René Dumont, candidat écologiste en 74, venu de l’agronomie productiviste force le respect, 40 ans après, pour ses visions prophétiques.
Numa Sadoul dont le nom est lié à la bande dessinée a aussi sa part comme Daisy de Galard créatrice de Dim comme dimanche, Dam comme dame et Dom comme d’homme ou Jean Bertin, le père de l’aérotrain dont le projet fut sacrifié. 
Je ne connais pas suffisamment le groupe  Super Tramp pour apprécier les pages qui leur sont consacrées et encore moins Rotomagus. La rencontre de Gotlib avec les Monty Python promettait trop pour ne pas décevoir.
Mais "s’il n’avait pas de gris comment verrait-on le noir ou le blanc" ?

vendredi 21 novembre 2014

Gratuité.

" Pour encourager à la lecture, certaines écoles du Texas donnent 2 dollars à chaque élève qui lit un livre jusqu’à la dernière page "
Libération présentant le dernier livre de Michaël J. Sandel 
« Ce que l’argent ne saurait acheter »
Où en est-on rendu ? Quand on parcourt les listes des meilleures ventes de livres, on pourrait se réjouir parfois que la lecture (en Valérie T.) devienne une activité en voie de raréfaction, mais c’est pour essayer de sourire avant que d’être atterré. Le remède sonnant, pire que le mal, fait trébucher une dernière fois le livre censé ouvrir sur le silence, la lenteur, la découverte, l’intériorité, la subtilité. La gratuité.
Quant à l’écriture, je continue d’être frappé par la maigreur des expressions personnelles qui s’échangent sur la toile, d’ailleurs j’aurai mieux fait d’ interrompre mes tapotages devant écran pour aller à la rencontre d’une livre nouveau comme il s’en vend à la librairie Arthaud pour qui j’ai signé la pétition sans lui apporter un Euro, les réservant au Square où j’ai mes habitudes.  
Comme il fallait une sucette pour accompagner la prestation télévisée de notre président, à chaque collégien à partir de la classe de cinquième est promise une tablette. Le livre y perdra encore quelques plumes. Et je ne pense pas que la concentration nécessaire à la réflexion et à l’infusion des connaissances progresseront.
Des sous pour les ordis, et les profs passent dessous.
« L’élève se trouve affecté d’un sentiment de toute-puissance qui l’encourage prioritairement à réagir plutôt qu’à intégrer la pleine portée des propos exposés durant un cours. »
Eric Sadin dans Libération
Par ailleurs une qui n’aura pas le prix (de Flore), Fleur Pellerin, joue la comédie de la sincérité en disant ne plus lire de livres depuis deux ans, elle est ministre de la culture.
Taisez vous ! Vous savez  si bien vous taire pendant des jours après qu’un jeune ait perdu la vie, dans la boue, un samedi soir pour être venu défendre une renoncule.
Alors que Jouyet en simplet aurait pu nous divertir, l’incompétence s’ajoute à l’indignité quand le ministre de l’intérieur ignore que la gendarmerie pouvait utiliser des grenades.
Et pauvres cognes à défendre un grillage alors qu’il y avait ce soir là, « jour de foot » sur Canal !
La marchandisation traverse le monde, elle atteint le sommet de l’horreur avec  DAECH qui a fixé le prix des femmes :
« Une chrétienne 50 €, pour celles de 40 à 50 ans : 33 € … Toute personne qui ne respecte pas le barème fixé par l’état islamique sera condamné à mort » Courrier international

«  Où Dieu trouve-t-il tout ce noir qu’il met
Dans les cœurs brisés et les nuits tombées » V. Hugo
……………..
Dans « Le Canard » de cette semaine :

jeudi 20 novembre 2014

Claude Viallat et confrères à Montpellier.

Comme moyen mnémotechnique pour préciser qui j’allais voir au bout de 3h de route, je me rechantais le chant du départ :
« De Bara, de Viala le sort nous fait envie ;
Ils sont morts, mais ils ont vaincu.
Le lâche accablé d'ans n'a point connu la vie »
Nous sommes si loin de ces enfants de la révolution française qui moururent à 13 ans, sous les coups vendéens : « Je meurs, mais c'est pour la Liberté ! ».
Le Viallat d’aujourd’hui avec deux « l », était exposé au musée Fabre de Montpellier.
Un des pères du groupe « Support et surfaces » répète ses formes dans un bel espace Du musée Fabre magnifiant ses recherches qui ont la taille d’un petit chapiteau de cirque ou d’une housse de bateau, de parasols, de stores de magasins, de filets, de sacs, de bâches, de tissus  à paillettes… 
Sa palette sombre des débuts  va s’éclairer en s’appliquant sur d’autres toiles, dont certaines rendront hommage à Matisse. Son signe particulier a l’aspect d’un haricot, d’un osselet, réitéré comme avec un tampon. Au départ il s’agit d’une éponge de hasard trempée d’abord dans la peinture noire puis dans la javel, dont l’empreinte en positif et en négatif dans des combinaisons de couleurs, avec l’accumulation, va s’imprimer sur notre rétine.
Cette recherche  contemporaine  pour aller vers d’autres espaces, voisine avec une célébration de la tauromachie, certes sur des couvercles de bidons, des planchettes, des cartons, mais très figurative, populaire, vibrante.
Ce travail  s’il met en évidence les couleurs nous fait apprécier les matériaux, et plus tard au cours de notre promenade dans la vieille ville, c’est le lieu même de l’exposition qui pouvait être vu d’une façon nouvelle.
Dans l’église Sainte Anne désaffectée, les très grands dessins à l’encre noire d’Abdelkader Benchamma regroupés sous l’intitulé «  le soleil comme une plaque d’argent mat » mettent en valeur les piliers polychromes du XIX°, les vitraux.
 A la Panacée, lieu sympathique d’exposition d’art contemporain, les propositions sont  parfois surprenantes - on vient pour ça - poétiques, énigmatiques. Nous avons vu : « une lettre arrive toujours à destinations », troisième volet de la saison « vous avez un message » après « conversations électriques » et « dernières nouvelles de l’éther » :
« Transformons nous le message à mesure que nous le découvrons ? »
-  Bein oui.

mercredi 19 novembre 2014

Iran 2014 # J7. Des montagnes de Zagros à Ispahan.

Difficile de dormir sur un sol dur et caillouteux malgré le tapis de sol et surtout à cause des aboiements et bagarres de chiens qui nous enlèvent toute velléité de sortie nocturne. Si la nuit a commencé chaude sous la tente envahie par les araignées, elle a fraîchi au fur et à mesure jusqu’à rendre agréable l’utilisation des sacs de couchage. Après le petit déjeuner, une partie de notre troupe nous quitte pour une randonnée d’environ 3h dans les mêmes conditions qu’hier : montées et descentes rudes en terrain instable sans véritable sentier. Nous restons sous la protection de M. Ali notre chauffeur.   
Nous faisons quelques photos de troupeaux en partance pour les pâturages, de leurs bergers, des hommes en moto ou sur des ânes, sans avoir à nous éloigner beaucoup, puis prenons un temps de repos sous l’ombre bienfaisante du saule.
Dans l’air flottent les appels des bergères, les sonnailles de bêtes, le chant intermittent du coq et des oiseaux fragiles.Tout est tranquille.
Au bout d’une heure, nous partons en minibus récupérer les randonneurs à un endroit incertain puisque nous nous arrêtons plusieurs fois pour demander le chemin.
Le lieu de rendez-vous est finalement trouvé grâce au téléphone portable près d’un pont métallique qui enjambe la rivière où nous trempons les pieds. Trois voitures sont  garées à proximité, leurs occupants lavent du linge, d’autres piquent-niquent ou se reposent sous les arbres au sol malheureusement jonché de déchets. Nos randonneurs débouchent du chemin au bout des trois heures annoncées, fatigués et contents de quitter leurs chaussures. Nous passons dans un village pour nous approvisionner en eau fraiche et victuailles que nous dégustons sous un arbre près d’un canal d’irrigation à l’eau toujours aussi fraîche.
Nous avons pensé à l’Afghanistan dont les montagnes assez sauvages doivent ressembler à celles là.
Nous prenons la route d’Ispahan, descendons vers la chaleur et nous atteignons la ville en fin d’après midi. Après cette parenthèse bucolique, elle nous parait bruyante encombrée par une circulation désordonnée où les voitures se frôlent, sans énervement ni animosité de la part des conducteurs. Nous disons au revoir à Hussein à la gare routière où un bus le conduira à Téhéran, puis continuons vers le centre historique de l’ancienne capitale dont un dicton dit que cette ville est « la moitié du monde », tout près de la place du Chah à l’hôtel Partikan. 
Nous prenons possession de nos chambres, où nous pouvons nous laver entre deux coupures d’eau et partons à la découverte de la grandiose place Châ Abbas ( 500 m X 150 m) bordée de mosquées, d’un ancien palais et de boutiques d’artisanat. A l’appel du muezzin marquant la fin du jeûne, de nombreuses familles débarquent avec paniers et pique-nique et réchauds sur les pelouses tandis que des calèches font un tour. 
Pendant cette période du ramadan, un homme sert gratuitement du thé sucré et chaud légèrement safrané, presque devant le restau traditionnel où nous conduit Haleh pour découvrir une spécialité de galettes fourrées de viande de mouton hachée appelées « beryouni ». Les clients se succèdent, d’autres se font servir à l’entrée et consomment dans la rue ou sur la place. Fatigués, nous retournons à l’hôtel. Les plus gourmands font un petit crochet pour acheter des nougats persans : les « gaz », mais tout le monde souhaite tester au plus vite la douceur d’un bon lit.


D’après les notes de Michèle Chassigneux.

mardi 18 novembre 2014

Zoé, sorcières, pleine lune, la bête. Chabouté.

Dans ce recueil de 510 pages  regroupant trois  grosses histoires et une flopées de  brèves, le dessinateur http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/10/fables-ameres-chaboute.html  reconnaissable à ses noirs et blancs n’a pas hésité dans l’épouvante où croissent les corbeaux, les vieilles édentées, les brutaux avinés en milieu rural.
Ses dessins débités en séquences graphiques ont tellement d’attrait que les intrigues chargées prennent moins d’importance que les traits.
Dans « Zoé », la jolie, sortie de prison revient au village de sa grand-mère et se trouve des sympathies avec le fils idiot du maire du village, nous sommes malgré quelques naïvetés dans une ambiance oppressante et c’est beau, de la beauté du malin.
Les titres de chacune des quinze historiettes  rassemblées sous l’étiquette « sorcières » donnent une idée des sujets : divination, malédiction, pacte, philtre, sabbat, poison, sortilèges, maléfices, bûcher…
« Pleine lune », verse dans la caricature qui accompagne souvent le genre destiné à faire peur, les forêts touchent aux immeubles de banlieue et aux aires d’autoroutes, un employé de la sécurité sociale n’échappe pas à son sort.
« La bête » perpétue ses crimes dans les bois près d’un village isolé par la neige pour plusieurs jours, tout le monde y est méchant à souhait et certains finissent en charpie.

lundi 17 novembre 2014

Qui vive. Marianne Tardieu.

Difficile de s’arracher au quartier pour le vigile importuné par une nuée de plus jeunes désœuvrés. D’autant plus que pour avoir la paix, il va mettre le doigt dans un engrenage dangereux. Etouffant, réaliste, sans le romantisme qui imprègne les films qui vont voir au-delà du périphérique http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/10/bande-de-filles-celine-sciamma.html . L’ennui qui sourd est illuminé par les acteurs : Reda Kateb du « Prophète » et des « Garçons et Guillaume à table ! », Adèle Exarchopoulos de chez « Adèle » et un certain Debbouze Rashid.

dimanche 16 novembre 2014

Nous qui n’avons que 25 ans. Compagnie Assid.

Le Petit théâtre du Créarc (Centre de Création de Recherche et des Cultures) accueillait l’adaptation de la pièce « Les cannibales » déjà présentée à la MC2   http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/03/cannibales.html.  
Sous son nouveau titre qui semble s’excuser, la conviction des jeunes acteurs apporte une fraîcheur bienvenue pour traiter des intentions ambitieuses de l’auteur Ronan Chéneau.
Le départ n’est pour tout dire pas très « flamme » pour représenter l’immolation d’un couple qui s’asperge d’un jerrican d’essence, et certaines séquences tiennent plus de la conférence gesticulée que du théâtre, mais la sincérité l’emporte.
Les questions soulevées sont essentielles et s’attaquent de front rien moins qu’au sens de la vie. Ces enfants gâtés, nos enfants, sont si fragiles : ils veulent à la fois être protégés et pas protégés, aspirant au confort mais étouffant dans leurs canapés, ne voulant pas du profit, mais voulant profiter : « On va pas refaire le monde, il se fait tout seul ».
Avoir des envies de New York, abuser des technologies de la communication et gémir d’en être esclave, culpabiliser à cause du Rwanda et manger du radis noir, critiquer Platon et regretter « La Bohème » aznavourienne : la litanie sans hiérarchie pèse un peu sur l’estomac. Mais c’est bien le problème des petits malheurs qui font les grandes détresses, quand la haine de soi s’habille des oripeaux de l’homme araignée. On proclame son amour du monde entier, mais on chie sur ses proches. Par moment j’aurais eu envie de dire « Si Ikea vous pèse tant que ça, essayez Roche Bobois ! » mais cette ironie qui nous a menés jusqu’ici, a participé au désenchantement de ce monde que notre génération accrochée au pouvoir laisse à ses héritiers. Génération qui s’éreinte et qui s’étreint, se ponctuant de « c’est bon ! »  pour couper court à toute discussion.
Quand le RSA, mesure de solidarité, parait humiliant, et que l’accès à des études supérieures devient un motif dépressif, que peut-on face à des telles confusions ?  Je savais des suicides à France Télécoms, chez les policiers, les profs, les paysans mais il y en a chez les médecins :  allo ! à qui se fier ?
Nous, parents choupinous, retombons souvent en adolescence que certains n’ont pas quittée,  et pouvons trouver les petits derniers, passifs, geignards, mais les rides nous fendent à tout âge, nous qui savons oublier nos conditions derrière des nuages, des musiques, des verres et des peaux, des mots. Sublimes et dérisoires.  
A rester dans le domaine de la variété, Chédid nous console :
«  T'as beau pas être beau, oh, oh, oh, oh
Monde cinglé, hé, hé, hé, hé,
J't'ai dans la peau, oh, oh, oh, oh »
Un café au matin vaut  bien un atterrissage sur « cette terre si jolie » comme disait l’enfantin Prévert, même pour ceux qui ont collé maladroitement deux ailes à leurs désirs.

samedi 15 novembre 2014

Joseph. Marie Hélène Lafon.

Dès que parait un de ses livres, j’accours http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/05/liturgie-marie-helene-lafon.html  et cette fois encore je me suis régalé.
Joseph est ouvrier agricole dans le Cantal et s’occuper des bêtes « ça fait devoir »,
pour les jeunes veaux :
« il ne leur faisait pas de manières, on n’avait pas le temps et tout le monde se serait moqué ou l’aurait pris pour un original »
Je sais ces mots et les personnages en voie d'effacement qu’elle décrit, je les connais.
Rien n’est appuyé, mais on partage les dilemmes qui traversent aujourd’hui les campagnes bien loin des  bonheurs marchands qui seraient dans les prés.
Les vieux restés au pays disparaissent et les femmes ne travaillent plus sur l’exploitation, alors adieu poules et lapins.
Le Joseph ne fait pas beaucoup de bruit, il observe sa mère après la mort du père :
« elle n’avait plus peur, peur du verre de trop et de ce qui allait avec, peur qu’il arrive un malheur à une bête, que le foin se mouille, que le tracteur tombe en panne, peur des dépenses imprévues et des factures qui restent sur le bord du buffet en attendant que l’argent des veaux rentre »
Le frère et la mère de cet homme modeste sont partis, il n’a plus de chez lui. Après avoir fait la connaissance d’une femme qui n’est pas restée, il est tombé dans la boisson et a remonté la pente, seul.
Pas de bavardage pour dire l’essentiel, de la pudeur, des mots justes, 144 pages fortes.
Ma préférence à moi.

vendredi 14 novembre 2014

La gauche et le peuple. Jacques Julliard, Jean Claude Michéa.

La question est lancinante, les réponses, sont elles attendues impatiemment?  
En tous cas pour moi, l'échange de lettres entre les deux intellectuels est bienvenu. 
Si je suis plus familier de la prose de l’éditorialiste qui écrit désormais dans Marianne après l’Obs, c’est que j’ai comme lui milité à la CFDT. Par ailleurs la problématique de la distance entre la gauche et le peuple se superpose à d’intimes distances culturelles, au moment où je vois ma petite fille à 3 ans accéder à plus de livres que ma mère en plus de 90 ans.
Lui, l’historien est plutôt rugby alors que le philosophe montpelliérain est footeux, plus âpre, plus radical, mais vif et toujours passionnant, atypique.
Leur constant souci de pédagogie fait que l’échange de haute volée est passionnant.
« Quels enfants allons- nous laisser au monde ? »
En 318 pages, l’entretien au bout de neuf  lettres échangées, remonte aux racines des débats à l’intérieur de la gauche : la question du progrès, du libéralisme, les rapports nature-culture et  de la morale. Le débat n’est pas qu’économique et va chercher dans les passions.
Pour avoir finalement bien ri aux caricatures de beauf de Cabu ou des Deschiens, j’avais aimé oublier que je venais de  chez ces gens  là. Quand  bobo parvenu, j’ai pu croire que j’étais plus familier d’un guide Dogon que d’un chauffeur routier d’Apprieu, je saisis la distance qui s’est installée entre sédentaires et nomades, autochtones et étrangers, alors que la défense de la classe ouvrière s’est dévaluée au détriment de la figure du sans papier. Du social au sociétal.
Julliard  fait le constat de la mort de la deuxième gauche dont il fut un des plus brillants promoteurs, il revient à des fondamentaux tels que la planification démocratique, la nationalisation des banques, la non-reconductibilité des mandats électifs, et rejoint son comparse pour ne pas se  prosterner devant les écrans et le pédagogisme libéral …
« Il y a moins de différence entre deux députés dont l'un est révolutionnaire et l'autre ne l'est pas qu'entre deux révolutionnaires, dont l'un est député et l'autre ne l'est pas.» R. De Jouvenel
La thèse de Michéa faisant remonter à la fin de la colonisation le regard condescendant des intellectuels sur la classe ouvrière remplaçant désormais les indigènes, est originale.
Et dans la ronde des citations je retiens aussi Fredric Jameson :
«Il est beaucoup plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme».
Pour rendre compte de ce livre, je passe par-dessus certaines difficultés de compréhension et recopie une pincée de définitions qui peuvent préciser certains sujets :
« Golem : Dans la mythologie juive, un être artificiel, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre, façonné afin d’assister ou défendre son créateur.
Téléologie: Doctrine qui considère que dans le monde tout être a une fin, qui conçoit le monde comme un système de relations, de rapports entre des moyens et des fins. Syn : Finalisme
Agonistique : Forme de démocratie où le conflit joue un rôle central.
La brigue : Manœuvre secrète et détournée pour obtenir de quelqu'un un avantage, intrigue, magouille.
Le lit de Procuste : Procuste  était un terrifiant brigand de l’Attique qui non seulement détroussait ses victimes, mais les faisait étendre sur un lit de fer avant d’étirer leurs membres au moyen de cordages ou leur coupait les pieds pour les mettre à la mesure du lit. Désigne toute tentative de réduire les hommes à un seul modèle, une seule façon de penser ou d'agir.
Démopédie : opinion publique »
Les formules « les eaux glacées du calcul égoïste » de Marx ou  la « common decency » d’Orwell sont travaillées en commun.
Je regrette qu’un tel dispositif de débat aussi fécond ne soit pas plus fréquent mais on me dit à l’oreillette que Gauchet et Badioux sont depuis peu dans un même livre. Au boulot ! 
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Les dessins ci-dessus viennent du "Point", celui ci-dessous, du "Canard": 

jeudi 13 novembre 2014

Auguste Renoir et les impressionnistes.

Comme les peintures aimables et joyeuses de Renoir sont exposées jusqu’au 23 novembre 2014 à la Fondation Gianadda à Martigny (Suisse), Alain Bonnet a présenté aux amis du musée de Grenoble, et commenté, quelques unes des nombreuses toiles d’un des artistes les plus populaires de par chez nous.
Le peintre de « l’éternel été » a renouvelé ses thèmes parmi 6000 tableaux : scènes de la vie quotidienne, nus, portraits, paysages.
A ses débuts, au sortir de l’atelier de son maître Gleyre, sa « Diane chasseresse » est refusée au salon de 1867. Lise Thérot qui lui  avait servi de modèle fut exposée l’année suivante en « Lise à l’ombrelle ». Le jury finalement n’avait pas que les sujets mythologiques en tête.
Il continue pourtant à faire allégeance au modèle académique bien que ses « Baigneuses au griffon » soient présentées sur un fond esquissé. Nous sommes au bord de l’eau dont les lumières vont impressionner les toiles.
« Le Cabaret de la mère Antony » en forêt de Fontainebleau  reçoit ses amis Monet, Sisley, Bazille ; le journal "L´Evénement"  est sur la table.
Zola écrit là, impressionné par ses amis à la touche cursive, il sait que leurs œuvres sont  « vivantes, parce qu'ils les ont prises dans la vie et qu'ils les ont peintes avec tout l'amour qu'ils éprouvent pour les sujets modernes ».
« Allée cavalière au bois de Boulogne » sera elle aussi refusée.
Quand la corporation organise une association « Société anonyme coopérative et à capital variable des artistes, peintres, sculpteurs, graveurs » avec Monet et Sisley pour montrer leurs œuvres en 1874, boulevard des Capucines, il présente La Loge.
Wolff du Figaro  ne manque pas de verve: « Ces soi-disant artistes s'intitulent les intransigeants, les impressionnistes; ils prennent des toiles, de la couleur et des brosses, jettent au hasard quelques tons et risquent le tout. Mais dans la mutuelle admiration de leur égarement commun, les membres de ce cénacle la haute médiocrité vaniteuse ont élevé la négation de tout ce qui fut l'art à la hauteur d'un principe, ont attaché un vieux pinceau à un manche à balai et s'en sont fait un drapeau... » Il parle de Pissarro, Degas, Cézanne, Monet...
Pissarro par fidélité politique continue à participer aux expositions collectives, Renoir  finit lui par se retrouver dans le salon officiel avec Degas et Fantin Latour.
Après les danses du « Bal du Moulin de la Galette » et les taches claires et sombres de « La balançoire », son « Portrait de madame Charpentier et de ses enfants » avec ses personnages tout en rondeurs dans une ambiance familiale simple et sans apprêt, et ses jeux de tissus, retient l’attention des critiques.
Sa fortune d’alors accompagne une crise artistique : il va en Italie pour se mettre à l’école de Raphaël et en Afrique du nord dans les pas de Delacroix.
Avec ses « Baigneuses » il est allé au bout de l’impressionnisme, revenant aux naïades antiques, et « Le jugement de Pâris » emmène hors du temps.
Si les fractures entre académies paraissent désormais moins tranchées quand l’impressionnisme lui même peut apparaître à certains comme un académisme, c’est bien cette école qui a amené le plein air dans les musées.
Les « Parapluies » dont les personnages massifs émergent parmi les touches légères qui papillonnent pourraient résumer le joli parcours d’une vie.
Perclus de rhumatismes, vers la fin de sa vie, il répond à Matisse lui demandant :
« - Auguste, pourquoi t’obstines-tu à peindre alors que tu souffres le martyre ? 
- La douleur passe, la beauté reste. » 

mercredi 12 novembre 2014

Iran 2014 # J 6. Les montagnes de Zagros.

Départ en minibus vers 9h pour un périple d’environ 3h. Nous sommes déviés plusieurs fois par des barrages de police installés en ville en prévision de la manifestation officielle pour soutenir les palestiniens contre Israël. Nous tournons pour trouver un magasin ouvert et prévoir le ravitaillement des bivouacs pour les deux jours à venir.
Nous prenons la route dans un paysage encore relativement verdoyant sur une route goudronnée à 4 voies, puis bifurquons pour une piste pierreuse qui grimpe dans la montagne où subsistent quelques névés sur les crêtes. Nous croisons un premier campement estival de nomades bakhtiaris près d’une rivière que nous passons à gué. 
Les chèvres et les moutons cherchent l’ombre sous les rochers. Le minibus poursuit cahin-caha ses montées et descentes jusqu’à une cabane sommaire en pierre à l’arrivée d’un petit torrent près d’un généreux saule à côté duquel notre chauffeur Ali se gare. Nous sommes à 3000 m. Nous nous dégourdissons les jambes en remontant le ruisseau au milieu de chardons et des épineux, moins à l’aise que les chèvres.
Au bord du chemin plus large et praticable, une femme qui finit de rhabiller son fils après le bain, nous salue. Nous nous rapprochons, son mari revêt son manteau blanc et noir de berger sur sa chemise et son large pantalon noirs, il est coiffé d’une petite toque en feutre et porte une épaisse moustache. Il nous propose du yaourt que nous sommes obligés de refuser poliment si l’on veut éviter des catastrophes. Le repas nous attend de toute façon sous le saule sur le grand tapis où Ali a profité de notre absence pour fumer son narguilé. Hossein le fils de notre chauffeur et Haleh s’activent pour préparer les pâtes accommodées de purée d’aubergine et de thon. Une salade de tomates concombres et fromage melon et café complètent le repas avant la sieste.
Malheureusement c’est le moment choisi par le coq pour chanter et Ali en voulant le chasser à coup de pierre, loupe sa cible et atteint Dany à l’épaule : confusion ! La sieste est de courte durée, c’est l’heure d’une leçon de français à Hossein qui a sorti son livre d’étude. Le grand père de la maison vient papoter et pose avec son fusil pour la photo. Il porte aussi l’épaisse moustache, la toque noire. Il tient à la main sa petite fille aux yeux extraordinaires d’un bleu opaque jamais vu. Haleh l’interviewe, il raconte la vie nomade, la transhumance vers l’ouest tous les 5 ou 6 mois en camion pour les petits troupeaux ou à pieds avec les plus jeunes de la famille, soit une journée en camion, un mois à pieds.
Hossein nous guide ensuite lors d’une balade qui démarre de l’autre côté de la route par une descente glissante et poussiéreuse jusqu’à une gorge où serpente une rivière verte. Les herbes ondulent et affleurent l’eau. Nous longeons les rives jusqu’à une gorge où se croisent différents cours d’eau puis nous grimpons au dessus des falaises où nous dominons un panorama magnifique sur les montagnes, les campements, les troupeaux environnants.
De retour à notre campement notre premier souci est de remplir les bouteilles plastique au tuyau d’arrosage qui alimente le bassin à lessive de la maison et de les purifier avec du micropur. Puis nous montons les trois tentes autour du saule. Pendant que Haleh et Chantal grillent des aubergines au feu de bois, nous cheminons sur la piste caillouteuse en quête d’images pastorales.
Un campement de toile surplombe la piste, les femmes et des fillettes filent la laine qui servira à la confection des tapis à côté de moutons qui tintinnabulent. Ils sont multicolores avec des têtes pas possibles, tout droit sortis d’un album de F’Murr, le génie des alpages. Nous prenons notre repas sur le sol sous une ampoule électrique à basse consommation, alimentée par un discret groupe électrogène.
Ce soir nous nous couchons sous les tentes, comme les poules.
D’après les notes de voyage de Michèle Chassigneux.