jeudi 9 mai 2013

Desports. Numéro 1.



Il parait que « desport » est un vieux mot français qui signifie: « divertissement, plaisir physique ou de l'esprit ».
Dans le genre « mook », nouveau mot  alliant books et magazines qui poussent à la suite de XXI comme champignons sur le terreau d’une presse en décomposition, ce livre de 290 pages est cartonné ainsi qu’un manuel de sciences naturelles des années 50.  
Le titre aurait pu être plus original  pour qui se met dans la roue de Blondin et d’Albert Londres, ravivé d’un zeste de « So Foot », alors que les têtes de chapitre : « à domicile », « balle au centre » « prolongations » sont prometteuses.
L’unanimité dans les éloges de Jean Jacques Bourdin à Médiapart me conduirait à « marquer à la culotte » celui qui se veut « le premier magazine de sport à lire avec un marque page ».
Les plumes sont prestigieuses : Maylis de Kerangal, Sépulveda, Pierre Louis Basse,
et les invités fameux : Pasolini, Moretti, Deleuze, Podalydès.
Le football, lieu de la nostalgie et de la politique, est privilégié, le cyclisme pas moins, dans un petit abécédaire belge excellent pour ceux qui savent que De Vlaminck n’est pas qu’un peintre ; il y aussi du saut de chameau au Yémen qui vaut son pesant de quat.
Si je n’ai pas accroché aux stratégies d’un entraineur de football américain, l’article sur l’importance  du hockey au Canada, est éclairant.
Des sujets tels que l'amitié entre Jesse Owens et son  blond rival allemand Luz Long ou le destin du premier boxeur noir champion du monde, Jack Johnson, rencontrant sur un ring Arthur Cravan, neveu d’Oscar Wilde sont intéressants. Le portrait de Jean-Marie Balestre qui régna sur le sport automobile et au-delà, nous renseigne sur de noirs réseaux qui furent influents dans  notre pays.

mercredi 8 mai 2013

Ron Mueck. Fondation Cartier.



L’originalité immédiatement familière de cet artiste australien installé à Londres a revigoré mon regard pour d’autres œuvres vues plus tard à Paris.
Quand je me suis arrêté devant les blessures du christ de Giotto, je me suis souvenu de la plaie que découvrait innocemment un jeune noir de 60 cm de haut présenté au 261 Boulevard Raspail.
Le traitement hyper réaliste d’une vieille dame sous son parasol de plage aurait pu être mis en scène dans l’exposition des arts premiers consacrée aux cheveux.
Nous avons tout le temps d’observer les sculptures en résine, elles ne sont que  neuf, pour nous accorder à la minutie du travail de l’artiste dont un film donne un aperçu.
C’est devenu si rare d’entrer d’emblée en empathie avec des productions contemporaines sans passer par des explications alambiquées  que les personnages traités en des tailles variées s’accrochent à notre mémoire.
La précision qui va jusqu’aux nuances de carnation nées d’une émotion pose la question de l’humain, de la création artistique, de la création de l’homme, du souffle de la vie.
L’artiste nous arrête devant des situations quotidiennes et rajoute du mystère à la banalité.
Deux adolescents sont côte à côte, dans leur dos, la main du garçon est impérieuse, un bébé recherche le regard de sa maman encombrée de sacs en plastique,
un touriste à lunettes noires se prélasse sur un matelas pneumatique posé à la verticale, comme un crucifié moderne.
Une femme porte du bois mort sur son dos, sa peau nue est marquée par les branches.
Un poulet déplumé a taille humaine, humain forcément humain, nous donne la chair de poule.
Un masque gigantesque dont la bouche s’affaisse sous l’effet du sommeil ressemble à l’artiste. Rêve-t-il ?
Un homme nu est assis dans une barque, seul, il n’y a pas de rame, ni de gouvernail.
L’exposition se tient jusqu’à fin septembre 2013.

mardi 7 mai 2013

Rides. Paco Roca.



Le quotidien dans une maison de retraite.
Je suis reconnaissant à l’auteur  bien documenté d’éviter les clichés qui associent les maisons de vieux à des lieux indignes. Des personnes y travaillent, et méritent pour beaucoup le plus grand respect.
Le récit  est limpide, agrémenté de douce poésie, les portraits sont typés sans être caricaturaux : pittoresque, pathétique, drôle, tragique.
Déambulateurs et télévision.
Une s'imagine dans l'Orient-express, une autre cherche sans cesse un téléphone, des couples s’épaulent, des solitudes s'alourdissent.
La ligne claire gomme les aspérités existantes comme la mémoire qui s’efface chez les personnes en bout de course qui s’arrangent avec un réel qu’il vaut mieux arranger, en se mettant à croire à leurs rêves.
Nous suivons le parcours d’Ernest placé là par ses enfants qui ne pouvaient plus assumer.
Un résident qui a toute sa tête va se montrer bienveillant avec lui, sans mièvrerie, faisant preuve de débrouillardise et d’un humour partagé par d’autres interlocuteurs.
Un sujet rare, appelé à se multiplier, surtout qu’avec Alzheimer, nous aurons l’impression de découvrir  un BD nouvelle à tous les coups.

lundi 6 mai 2013

The Grandmaster. Wong Kar-wai.



Je suis allé voir ce film pour le réalisateur d’ « In the mood for love » qui filme les femmes magnifiquement sur fond de musiques mélancoliques.
Mais le destin de Ip Man me laisse à distance, le maître de Bruce Lee ne fait pas partie de mon panthéon et je suis resté imperméable aux nuances entre les différentes écoles de kung fu qu’il s’agirait d’unifier.
Il y a déjà tellement à faire pour saisir les nuances du rose à l’intérieur de la gauche par chez nous.
Restent des moments de rêve : un enterrement  sous la neige, des intérieurs chaleureux mais fragiles, de beaux visages, un grand sujet : la transmission sur fond nostalgique.
Même en cette période où l’eau détrempe notre moral, WKW pourrait arriver à nous faire aimer la pluie tant les chorégraphies des combats éclaboussent de beauté dynamique. Les moments de calme alternent avec des déchainements explosifs, mais je n’ai pas su percevoir clairement l’arrière plan historique sous le papier cadeau chatoyant.

dimanche 5 mai 2013

Le retour. Pinter. Bondy.



Bruno Ganz, mais oui,  jouait dans « Les ailes du désir », Pascal Gréggory dans « Ceux qui m’aiment prendront le train », Emmanuelle Seigner, femme de Polanski et Louis Garrel font aussi partie des familles qui tiennent le haut des affiches.
Ils étaient à la MC2 dans une pièce de Pinter traduite par Philippe Djian et montée par Luc Bondy : tout ce beau monde pour pas grand-chose, voire pour certains spectateurs la révélation d’un malaise car une femme glissant vers la prostitution peut difficilement apparaître comme un accomplissement féministe comme le présente le metteur en scène.  
Un pâle philosophe laisse sans état d’âme sa femme, corps étranger, à ses frères et à un père brutal qui pensent en tirer profit. La distance culturelle entre le fils parti aux Etats Unis et ces paumés n’est pas traitée non plus.
On attend un dévoilement, une révélation mais rien ne vient  pendant  ces 2h 20 sans chaleur. Les personnages passent de la violence à l’indifférence, sans mystère, sans cohérence et si nous  arrivons parfois à suivre  dans les romans, des pervers, des tordus ambigus, nous restons étrangers à cette pièce bien plus datée que le Cyrano qui nous enchanta il y a peu de temps.

samedi 4 mai 2013

Liturgie. Marie Hélène Lafon.



Quelques grands lecteurs que j’écoute volontiers n’hésitent pas à dévorer tout ce que publient leurs auteurs favoris; trop soumis aux plaisirs des nouveautés, je me gardais de tomber dans la passion exclusive jusqu’à la rencontre avec cette auteure qui me touche au plus profond.
Et il a fallu de la persévérance : le livre découvert chez Finkielkrault n’était pas disponible à la FNAC, ils me l’ont commandé et à l’issue de procédures automatiques, remboursé quelques jours après sans que je l’obtienne ; la librairie du Square m’a sauvé et l’a déniché.
 Pour se régaler de mots aussi évidents que l’été:
« C’était le mois de juin, capiteux, riche, fourré d’herbes longues. L’ombre et la lumière crépitaient dans la cour. »
Mais ce sont surtout des fleurs de Novembre qui sont présentes dans cette série de portraits, de destins, de maisons dont tant de pièces sont vides.
Roland, le grand menuisier s’est pendu, la vie des habitants de ces pays « au plus serré des hivers » est tellement rude.
Le lien intime du lecteur et de l’auteur avec ceux qui comme moi ont commencé à lire surtout « Vaillant » au bord d’un champ tout en gardant les vaches, se tricote avec le portrait cette fois de l’institutrice partie en ville :
« Elle n'était plus de ceux qui gagnent leur vie avec les bêtes, leur viande, leur lait, avec la terre ouverte, charruée, ensemencée, avec ce que la terre donne et ce qu'elle refuse, avec les saisons, leurs attentes longues, leurs coups de colère et leurs soudaines embellies »
 Pourtant : « Quelque chose de la pâleur des livres, peut-être, avait coulé dans la chair de Jeanne, qui parlait d'ailleurs et d'autrement. »
130 pages pudiques et  charnelles, violentes, telluriques et d’une minutie qui rejoint mon goût maniaque des gros plans en photographie.
Tellement fort, que même un parisien peut découvrir et comprendre ces « territoires » d’outre temps, avant que les technocrates n’aient vidé ce mot de toute sa densité, à force de le répéter.

vendredi 3 mai 2013

« De quoi Cahuzac est-il le nom ? »



Je n’avais pas vu dans mes journaux habituels, la formule dont Badiou est le père avec le patronyme du maire de Villeneuve-sur Lot à la place du « Sautillant Monarque » de jadis, mais sur Google je constate que le Front de Gauche a repris la phrase, ainsi que le site « Le grand soir », Médiapart,  et même l’Obs qui venait pourtant au secours du si brillant ministre du budget, il n’y a pas si longtemps.
L’expression interrogative appellerait à sortir des anecdotes qui nous accablent une fois la politique envolée, cependant à la lecture de la liste des protagonistes des réseaux du chirurgien esthétique, il y a de quoi faire dresser bien des cheveux ou tout au moins l’oreille.
Ce qui me chagrine, au-delà du scandale du compte en Suisse, c’est que l’ancien député ait été tant loué auparavant !
La faillite est collective et l'inventaire improbable: un Guéant chasse l’autre, si bien que l’on s’acclimate aux embrouilles comme au froid en mai.
Je n’ai pas les compétences pour juger du positionnement économique de Cahuzac mais il est clair qu’il a affaibli le camp des TINA (There Is No Alternative) et associés « Il n'y a pas d'autre choix », la déflagration va au-delà des éditos d’un jour.
Au PS :
J’ai beau n’avoir pas repris ma carte, je défends parfois la politique de mes élus et je garde une cuirasse qui me donne l’illusion de tenir debout, quand au dedans ma foi en la gauche vacille.
 La seule évocation  du « Teigneux monarque »  ne durera pas autant que le marché de Voiron  pour nous rassurer dans nos convictions,
Cahuzac était un des hérauts de notre camp, s’il a pris cette place c’est que le fonctionnement  de l’organisation l’a permis.
J’ai constaté aux échelons les plus basiques du socialiste parti où règne l’entre-soi, les mêmes comportements de courtisans et obligés tournant autour des plus hautes éminences; l'esprit critique n'est pas de mise.
En guise d’argumentaire : « C’est la faute des autres », se porte très bien. Comme quoi les conseillers des princes et des barons peuvent délivrer des éléments de langage accessibles même aux cours de récréation.
La tactique prend le pas sur une vision à long terme et cela ne vaut pas que pour des considérations écologiques.
Le sens de la manœuvre forgé dans les congrès où l’habileté, la rouerie sont les qualités requises, alimente essentiellement une machinerie électorale qui n’a surtout pas besoin de débat d’idées. Les promesses tiendront en dix lignes et de toute façon les promesses, hein ! Cumulons les mandats… vous avez dit mandats !
Autour du pognon l’indulgence est une valeur en hausse, au pays où il est devenu tellement banal de minimiser le plus possible sa participation à l’effort commun quand même sur une radio du service public on entend encore : « comment payer moins d’impôts ? »
A l’école.
J’en suis à ne plus m’étonner des compromissions, des renoncements, des fautes contre nos valeurs ! Contre la morale tout simplement, alors qu’elle devient  une matière de plus à enseigner à l’école (à la place de quel autre enseignement ?) où de surcroit la dernière arrivée, l’entreprise, viendra contraindre encore des emplois du temps …
L’école, l’école vous dis-je, comme Toinette disait « le poumon » imitant  quelque Diafoirus.
Tout ça !
Pour ne pas me laisser aller à une conclusion anecdotique, je recopie Libé dans l’article de  Robert Maggiori consacré au livre de Bernard Stiegler, « Pharmacologie du Front national », car c’est bien de ce poison, déjà à l’œuvre, dont il s’agit.
Telle une belle lumière sur un champ de ruines, la fulgurance de ce noir constat peut appeler à la réflexion.
« Il s’agit de lutter en effet contre « le désapprentissage, c'est-à-dire la destruction des savoirs remplacés par des compétences adaptatives et jetables, la dégradation du travail par l’emploi, l’impossibilité d’exercer ses responsabilités, le défaut de reconnaissance, la perte du sentiment d’exister qui en résulte, l’infantilisation de tous et de toutes tâches, la misère symbolique, économique, politique, intellectuelle, affective, spirituelle… »
Quel communiquant - charismatique comme il se doit - viendra nous secourir ?
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Dessin du Canard  de ce mardi :