mercredi 17 décembre 2008

Ecrite, l’expression. Faire classe#13


L’oral ne peut se substituer à l’écrit. Pourtant sa légèreté a contaminé l’élaboration laborieuse d’argumentations structurées. Comme les Lacoste devenus apanage d’une certaine jeunesse des banlieues, la tchatche a cessé d’être le monopole des promis à l’oral de l’E.N.A. L’enjeu est de taille pour que subsistent des moyens pour accéder aux nuances, pour sortir du réactif, pour inscrire une pensée.
Je consolais ma mauvaise conscience d’avoir abusé d’exercices à trous vite comblés, par la fastidieuse correction d’au moins un texte par élève, par semaine.
- Ecriture au brouillon, c’était alors chaque samedi : avec sollicitation à raturer, gommer.
J’annonçais le sujet à l’avance. Pour contourner la difficulté d’inventer une nouvelle planète pour le Petit Prince comme ça, au sortir de la récréation, inviter à imaginer à l’avance.
Réfléchir à :
Portrait d’un grand - parent, d’un ami, son auto - portrait.
La façon de mener des dialogues.
Poèmes avec contraintes, à la manière de…
Comptes-rendus de visite, d’expérience.
Une lettre, est que ce serait utile aujourd’hui ?
Beaucoup d’histoires à terminer, pour prolonger la fantaisie d’un auteur, se servir de Calvino, de Pennac, d’un père Noël maboul.
Conte des origines : du type pourquoi le léopard a des taches sur sa robe ?
Des histoires avec des narrateurs différents, changer d’angle de vue.
La critique d’un spectacle vu en commun puis d’une émission préférée, en argumentant. Expression intime : un petit plaisir comme ceux de Delerm distillés chaque jour pendant deux semaines. Une invitation à positiver, à chercher ce qui aiguise l’appétit de vivre : pas forcément un luxe pour des enfants grognons, frustrés, ou désabusés avant d’avoir goûté.
Un reportage, des résumés…
A la fin de l’année : le « chef d’œuvre » individuel parachève ces divers travaux.
« Mon roman » arrivait à être entièrement tapé à l’ordinateur, tiré à quatre épingles, monté sur les présentoirs de la bibliothèque comme les vrais livres avec couvertures cartonnées, illustrations, maison d’édition fantaisiste, quatrième de couverture et biographie amusante.
Les élèves s’engagèrent dans des albums pour les tout petits, jusqu’à des polars déjantés, des romans roses et des destins historiques où Abdel racontait comment Jean-Claude arrivait à guérir un certain Adolf de ses folies guerrières. Nous avons apprécié des épopées footballistiques et des voyages lointains, des histoires où les animaux expriment plus profondément que certains déballages les souffrances, les conflits de l’écrivain.
La confection d’un journal de classe, si féconde à une époque, ne me prouvait plus des vertus initiales qui furent évidentes. Le sujet était libre, contrairement aux autres situations d’écriture de l’année, avec cependant négociation pour éviter d’aligner six textes sur le foot. La motivation des élèves s’érodait ; « il fallait Me fournir un texte pour Mon journal » : tout faux ! L’appât du gain rapporté par la vente du journal au porte à porte aurait pu motiver les libres écrivains. Seuls les « spéciaux classe de mer » inspiraient encore des réussites dans le genre. Nos lointains débats théologiques sur la nature libre des textes s’effacent. Les contraintes rassurent ; les impulsions données par une histoire captivante enrichissent plus que l’injonction de liberté, même épaulée par une boîte à mots déclencheurs.
- Correction individuelle des brouillons en rouge accompagnée de commentaires lors des six évaluations de l’année. J’affichais ma subjectivité de juge : « je ne dois pas m’ennuyer ».
La procédure pour obtenir un produit fini, « nickel » prend une semaine pour recopier, pointer, corriger à nouveau au crayon, effacer, numéroter, archiver.
Je crains que l’usage exclusif du traitement de texte pour les rédactions ne retarde l’instant de s’essayer à un nouveau texte, d’un autre genre, et que la forme prime sur le fond, le « look » sur l’essai. Il faudrait ménager du temps pour un « tremblé », une rature, des tentatives de s’éloigner du premier jet.
A ranger dans la liasse des autres textes reliés en fin d’année.
Il existe aujourd’hui des petits classeurs aux couleurs acidulées pour recueillir dans ce lieu exclusif les essais de l’écrivain en herbe.
- Correction collective. Quelques phrases caractéristiques relevées dans les textes fournissent matière à mise en commun et à élaboration de conseils inscrits
- Au recto d’une page en couleur:
« - Eviter les répétitions, les répétitions, les répétitions ;
- Faire la chasse au verbe faire.
- il y a des moyens d’éviter il y a … »
- Au verso : « la chasse aux canards » :
"engueuler"à remplacer par "gronder"
"plein de" à remplacer par "beaucoup de…"
Ces dispositifs ne sont-ils qu’un barrage dérisoire contre l’océan des présents fébriles ?
Entre deux virgules nous allons fouiller du côté des mystères de l’humain. Les volutes, les suspensions de la plume nous racontent à chaque fois l’originalité de l’homme qui commença ainsi son histoire.
Les jambages s’alignent entre les rayures Seyes ; l’écriture qui fait tirer la langue ne se confondrait-elle pas avec le geste de l’écrivain équipé de son Mont-blanc ? Applique toi.
Ecrire est un grand orgueil, cependant cette expression fait office de sauvegarde. Ecrire c’est raturer. Il me faudrait arpenter encore quelques départements des beaux-arts et des belles lettres pour rendre la lumière d’un mois de novembre. Alors saisir la vérité de ce qui circula quand je fis classe me semblera encore bien insaisissable, longtemps.

« Ecrire c’est traverser une saison qui n’est sur aucun calendrier » F. Lefèvre

mardi 16 décembre 2008

Vieillir


Vieillir c’est perdre l’insouciance.
Ce sont les bobos et les douleurs quotidiennes à ignorer, en attendant le cataclysme final, c’est la mort qui rôde près des parents, à négocier avec plus ou moins d’habileté ou de chance dans le grand virage final et définitif,
Ce sont les amis, sur le visage desquels on découvre ses propres rides et l’insidieux travail du temps qui passe et vous ronge de l’extérieur, en surface .
Ceux qu’on aime, se débattant dans leur marasme personnel, parfois « cernés de près par les enterrements » comme le disait Brassens qui fut lui-même vite vaincu par la camarde,
Et les enfants, dont, privés de la bienheureuse inconscience de nos propres parents, on n'a aucune certitude heureuse quant à leur avenir …
C’est la peur de l’inéluctable solitude finale, arbre bientôt abattu à son tour, dans le no man’s land de nos cimetières perso …
Mais c’est aussi aimer, aimer passionnément la vie, savoir le prix de chaque instant volé au futur désespérant, et se chauffer à l’amitié, au soleil caressant, à la beauté du monde, à chaque occasion suscitée ou volée au hasard, petit soldat anonyme du grand troupeau humain qui court à sa perte programmée…

13 Août 08- Dany Besset

lundi 15 décembre 2008

Caos calmo.


Le monde s’écroule : sa femme vient de mourir en vacances et son entreprise audiovisuelle est en train de fusionner, alors Nani Moretti va s’asseoir sur un banc en attendant toute la journée sa fille qui est à l’école. Bien des personnages défilent dans le square où l’on voit qu’une fermeture centralisée d’une voiture peut être sympathique, où Roman Polanski participe d’un casting qui réserve des surprises. A une époque on s’amusait avec un copain à repérer « le truc » dans un film, tel que casser des noix sans casser la vitre du « Passager de la pluie », ici ce sont les listes qu’il établit en ce moment de bilan qui me semblent une trouvaille poétique : les compagnies aériennes dont il a été client, les endroits où il n’ira plus, ce qu’il n’a pas supporté dans sa vie…J’ai bien aimé ce conte alors que souvent ce genre élude la réalité, là, ce pas de côté révèle les faux-semblants, les trahisons. La position du père protecteur à l’égard de sa fille aurait pu être étouffante, là, c’est l’harmonie, la paix. La petite sera sage sans cesser d’être une enfant. Vive le cinéma italien qui l’air de rien, dit bien l’air du temps, où la désinvolture marque la gravité.

dimanche 14 décembre 2008

Fellag


La sincérité, la fraîcheur de l’humoriste kabyle se sont un peu émoussées dans ce spectacle : « les algériens sont des mécaniciens » où il ne joue plus seul. Le côté légèrement désuet des sketches peut attendrir. La nouveauté des performances antérieures et son courage nous avaient tellement emballés dans ses spectacles antérieurs, qu’il est difficile de rester sur ces sommets même si sa critique est toujours tonique : l’empressement inefficace de tous les mécaniciens proclamés, leur débrouillardise aussi révèlent bien des traits d’une société dans son ensemble. Les chutes sont un peu attendues, mais je retiens la séquence superbe qui clôt le spectacle. Le couple tout excité revient de Bruxelles avec la Mercedes de leur rêve et se fait pulvériser l’objet de leur prestige au premier feu à la sortie du port... alors ils allument la radio qui est restée intacte et ils dansent. La poésie vient élever l’humour et remet des couleurs dans des tableaux qui risquaient d’être un peu fades. Malgré un Jésus de la rue D’Isli qui réussit à guérir les maux les plus graves, sauf celui du fonctionnaire algérien.

samedi 13 décembre 2008

Décomplexés et timides.


Je m’applique dans le débat politique à me monter respectueux de mes adversaires mais il y a des occasions où il faut se ronger les poings.
Quand une formatrice pour adultes dit à l’une de ses élèves qu’elle ferait bien de retourner au bled, il ne s’agissait pas du manuel d’orthographe, mais de l’affichage d’un racisme à l’égard d’un public qui d’ailleurs la fait vivre ! Et que la situation catastrophique des finances française serait causée par… Mitterrand ! Tant de mauvaise foi peut accabler mais aussi nous revigorer.
Je me réjouis à chaque fois que certains ne se soient toujours pas remis de notre victoire de 81. Cette France de toujours qui considère la gauche comme illégitime : ces réacs me ravissent. Et dire que l’affichage d’une droite décomplexée a paru comme un signe de modernité !
La haine de l’autre ce serait plutôt Cro Magnon.
En face, des camarades se bagarrent pour convaincre des parents de la nocivité des mesures qui accablent l’éducation nationale. Eh bien certains, ne veulent pas se mouiller, pensant que la contestation est politique, comme si les mesures ne l’étaient pas, politiques. « Je ne fais pas de politique » signe de la main droite. Encore un vieux retour aux silences d’antan quand il ne fallait pas afficher ses opinions. Mais pas si passés que ça, les pseudos qui sévissent sur Internet n’assument pas leurs opinions : ils éructent, cachés ! Ils sont plus souvent de droite me semble-t-il.
Ce royaume des silences remonte lui à l’antédiluvien.

vendredi 12 décembre 2008

Sarinagara. P. Forest


Un ami m’a offert ce livre.Mais il y a des jours où le bienheureux oubli vire à cette putain de mémoire défaillante: je ne sais plus qui ?
L’écrivain va à l’autre bout du monde au Japon après la mort de sa fille. Il a oublié le tremblement de terre de Kobé qui a eu lieu le jour de l’annonce du cancer de sa petite.
Il nous conte la vie d’un poète qui a écrit en de pareilles circonstances, celle de l’inventeur japonais du roman moderne et enfin du photographe qui immortalisa -comme on dit - quelques images de survivants de Nagasaki. Le titre vient du dernier mot d’un haïku : « je savais le monde - éphémère comme rosée - et pourtant et pourtant ». La survie après la mort d’un enfant est un scandale et la littérature ne peut rien, pourtant il nous dit la beauté du monde avec des mots de la précision du cristal. Je me suis pardonné mon goût pour cette chose chochotte nommée poésie en approchant les haïkus qui unissent l’absolu et le quotidien, j’ajouterai la nature et la culture. Tout ce livre cherche la réconciliation de l’oubli et de la mémoire, du rêve et de la réalité, en termes limpides parfois un peu trop parfaits. La neige se mélange aux pétales du printemps. Merci.

jeudi 11 décembre 2008

Henriette Deloras


Si elle n’avait marié Jules Flandrin serait-elle accrochée présentement au musée de Grenoble ?
Depuis Camille Claudel, il est de bon ton de ressortir des cartons quelques inconnu(e)s pour faire montre d’originalité, exister à côté du barnum picassien, que je m’empresserai d’ailleurs d’aller admirer à l’occasion.
Les pastels interdissent les repentirs, ceux de la dame sont agréables et porteur de nostalgie lorsqu’ils évoquent les artistes attablés aux bistrots de « la belle époque ». J’ai préféré les personnages de dos car les traits des visages traités à la craie tendent à la caricature. Ses interprétations de tableaux de Bruegel à Picasso sont gentiment originales, quelques natures mortes aux couleurs éclatantes apaisent une humeur qui s’interroge souvent : pourquoi elle plutôt qu’une autre ? Dans l’atelier que je fréquente, il y a quelques amateurs dont les productions ne manquent ni de vigueur, ni de personnalité et qui ne connaîtront pas d’exposition.

mercredi 10 décembre 2008

Français.Faire classe#12


Le cœur battant du métier et il ne faudrait pas s’inquiéter ! Langue hachée menue, lecture en vrille, et l’orthographe: "j’te dis pas". Les ravis du temps moderne de chez moderne qui entrent dans le post moderne trouvent que ceux qui veulent « sauver les lettres » sont des amoureux de crépuscule qui exagèrent ; et pourtant nos négligences, nos lâches accommodements portent leurs fruits amers.
Pour ne pas m’embourber dans la déploration, je vais essayer de faire l’état des équipements que j’embarquais à bord des goélettes C.M. 2.
« Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles. »

José Maria de Heredia
Expression orale
Les sabirs régressifs progressent et nous nageons dans un domaine informel qui échappe aux évaluations incontestables, irréalisables par le seul professeur des établissements scolaires.
Il est une bonne tranche de langue qui nous a ravis : les contes.
Dans cette activité, la prise de parole dépasse les catégories enseignées telles que lecture, expression orale, vocabulaire, conjugaison. Elle développe l’écoute, le respect et l’esprit critique, la connaissance d’un répertoire personnel plus étendu, et la recherche de la précision. Elle conduit à une meilleure entente avec les autres et une image de soi bonifiée.
Citoyenneté et culture.
- Chaque enfant était tenu de conter au moins une fois dans l’année devant ses camarades.
C’est le moment de baisser les stores et d’éteindre les lumières, celui d’honorer le rendez-vous pris la semaine dernière, le moment de se jucher sur le tabouret, d’empoigner le bâton de parole ou simplement de se poser sous les seuls feux de la rampe du tableau. Certains étaient au rendez vous chaque semaine.
- Chacun dispose personnellement d’un livret d’une trentaine de contes et d’un stock conséquent dans le fond de classe et à la « bib » du quartier.
- Ceux qui le souhaitent, en prévenant à l’avance, content au micro dans les cars qui nous conduisent au gymnase, au ski. S’en suivent les critiques, systématiquement.
- Un conteur professionnel assure dans chaque classe des moments de formation (6heures)
Une représentation annuelle pour les plus grands concrétise une démarche qui prend naissance en maternelle : c’est le projet d’école. Fédérateur, il a permis une cohérence dans tout le groupe scolaire, entraîné de belles collaborations avec l’union de quartier, les bibliothèques, les associations telles que celles qui gravitaient autour des « arts du récit ». Quand les enfants conteurs se mêlent aux adultes sous les arbres d’un week-end de printemps, les albums de souvenirs s’enrichissent.
- Le spectacle. Spots de la scène ; papa, maman et petit frère sont venus à la salle de spectacle de la ville : c’est bon pour Narcisse, pour petit frère qui attend son heure. Ce n’est pas qu’une représentation pour quelques lignes dans le journal local, encore qu’il existe un peu d’espace entre le jansénisme au silence butté et le battage creux, à faire valoir les réussites de l’école sans que l’esbroufe ne nous bouffe.
Parfois le conte justifie son image un peu poussiéreuse, compassée, mais la ré appropriation par les mômes leur donne une vie nouvelle. Leur structure immuable permet toutes les libertés, elle constitue l’échafaudage autour duquel tout se bâtit, se colore, se personnalise. Les premiers pas se résument parfois à bien dire une blague : il faut quelques talents pour que cela fonctionne efficacement : évaluation instantanée ! La mémoire est sollicitée mais il faut se défaire de la mécanique, savoir différer la chute, maîtriser le squelette de l’histoire, éviter les passés simples pour mieux entrer dans l’échange avec son public : donner vie, redonner ce qui a été recueilli. Dans les bonheurs de la vie, il y a bien cette place que nous nous gagnons dans les discussions ; se faire entendre, se faire comprendre, se faire aimer. Sans s’en laisser conter.
Tchatche, slam, rap, les « battles » crient, disent, savent que le pouvoir passe bien par ces mises en mots. Politique et équilibre personnel.
Des pédagogues aiment qualifier de philosophiques des débats d’enfants alors que la philo, objet de railleries en terminale, remise en cause pour les plus grands, apparaît comme la panacée… en maternelle. La parole donnée aux élèves : c’est bien ainsi qu’ils construisent efficacement une langue, mais pourquoi la maîtresse doit être silencieuse ?
La parole libre, prioritaire chaque journée où la première demi-heure est consacrée aux présentations (poèmes, contes, expériences, actualité) aux débats (vie scolaire) annonces diverses, se maîtrise derrière le doigt levé. Une drastique obsession impose cette posture caractéristique de l’école, évite le monopole des « grandes gueules » et encourage l’antique précepte qui invite à tourner sept fois sa langue dans sa bouche. Condition de l’apaisement, du débat. Le reste de la journée, il s’en est fallu d’une ancienne élève devenue stagiaire pour me révéler que je passais mon temps à poser des questions. La maïeutique, quoi ! La parole des élèves grossit leur petite pelote, les constitue. Je ne prétendais pas être dans la démarche qui mène à l’autosocioconstruction des savoirs. Pas assez auto, un peu trop téléphoné. Ma monarchie s’est essayée à l’éclairage, elle fut constitutionnelle, absolue parfois, tendant à cette forme supérieure de l’ordre qu’est l’anarchie comme le disait Elisée Reclus.

mardi 9 décembre 2008

Nouvelle du mardi


Désormais les billets publiés sur ce blog s’installent dans une certaine périodicité. Le mardi sera réservé aux lecteurs qui ont envie de publier un poème, un texte. Marie Thérèse Jacquet inaugure la rubrique. Le lundi sera consacré au cinéma, le mercredi à l’école, vendredi aux livres, samedi à la politique. La cuisine, les beaux arts , les spectacles… pour les autres jours

LE CABAS A ROULETTES

« Je suis oublié des cœurs comme un mort, comme un objet de rebut » psaume 31 verset 13

- Tu pars ? Tu pars sans moi ? Adèle !
-…
-Tu as ta crise de sciatique, c’est ça qui t’empêche de me répondre ?
-…
- Ma pauvre vieille Adèle !
- Je ne sais pas si je vais te prendre ce matin. Je n’ai besoin que d’une baguette et d’une plaquette de beurre…
- Ouais, t’oublie le kil de rouge. .. Emmène-moi ; huit jours que tu ne m’as pas sorti…
- Ah, huit jours… Huit jours, tu crois… ?
- Si tu vas faire tes courses toute seule, tu vas te mettre plein de miettes et de farine sur ta veste. Le beurre fondra dans tes mains. Allez, emmène-moi avec toi. Toujours enfermé, moi, dans le placard de la cuisine avec ces merdes que tu gardes par flemme : tes chaussures de ski boucanées, les après-ski qui prennent l’eau, les bougeoirs et les vases gagnés au club de scrabble, tes cinq boîtes de cartes postales (ils sont morts tous ces gens qui t’envoyaient leurs amitiés du bord de lagons bleus ?), tes chaussons de danse, tes fringues jaunes et bleues, (pourquoi ne portes-tu plus que du noir et du marron pisseux ?), ces confitures de mûres concoctées en Normandie ( les souris les ont bouffées). Et je ne parle pas des balais dépoilés. Pourquoi diable tu gardes des balais qui ne sont plus que des manches ?
La planche à repasser sans molleton, les bouteilles vides ou presque qui empestent l’acide acétique. C’est le purgatoire dans ce placard. J’ai l’impression d’être dans un cimetière avec toutes ces guenilles et que tu nous as privés de rites funéraires ! Si ça continue je vais croire aux loups… Sors-moi !
- Tu parles trop ce matin, tu me donnes le tournis. Je t’ai déjà dit que tu n’as rien à craindre des loups. J’ai mis des tapettes dans tous les coins. On n’en a jamais attrapé un…
- C’est pas la preuve qu’il n’y en a pas… Les loups sont très malins pour repérer les pièges.
- Tu exagères : il est très bien ton placard, à l’abri des courants d’air. Tu peux y dormir toute la journée sans soucis…
- Sans soucis, c’est vite dit avec toutes ces saloperies qui puent. Et puis il y a les GROS L…
- Ah ! Y en a marre avec eux !
- T’as raison tant que je suis vide ils ne viendront pas… Mais la vie c’est de sortir et de s’en mettre plein !
- Tu ne comprends pas que les temps ont changé, qu’aujourd’hui ce qui compte, c’est la sécurité. Je veux dire la sé-cu-ri-té des pla-cards. La vie il y a rien de plus dangereux. C’est l’instabilité perpétuelle. La vie c’est très mortel. Il vaut mieux pour toi vivre à petit feu.
Quand je t’ai eu en… en … 2000. Ah ça fait déjà huit ans que je suis à la retraite ! Mes collègues s’étaient cotisés. On t’a arrosé au champagne…
- C’ était pas du champagne d’abord, c’était de la Clairette. Tes collègues avaient caché les bouteilles dans ma poche.
- Huit ans déjà !
- Tu bois trop, laisse donc cette bouteille dans mon placard… Tu vas devenir affreuse.
- Bof ! Y a plus de miroirs chez moi et les gens ne me voient plus alors… Economies de fringues, de coiffeur. Un pif rouge, c’est rigolo, non ? Fun, comme ils disent maintenant, sleurp !
- La déprime te guette. Sors nous… Allons nous asseoir sur le banc, à côté du marchand de miel. Tu me raconteras les Trente Glorieuses.
- T’as raison, c’est jour de marché. Bon, je vais te sortir. Tu sais ton discours de tout à l’heure m’a donné une idée. Je vais promener aussi les cartes postales. Les pauvres, elles reverront un peu de pays. Mais, une condition. Promets-moi de ne pas insulter les caniches de la marchande de fromage.
- Ben dis donc, ils lèvent la patte sur …
- Les chiens n’ont jamais fait ça sur toi, ils préfèrent les arbres à un vieux cabas à roulettes tout pour…
- Répète un peu… tout pour… ?
- Pourvu de tous les accessoires modernes…
- Mouais, je suis certain que c’est pas ça que tu voulais dire, Adèle, mais je m’en fiche si tu me sors.
- Ah ! Te voilà devenu raisonnable. Zut, où est mon porte- monnaie ?
- Tu l’as laissé dans une poche de mon flanc, ton très léger porte-monnaie en faux crocodile plus usé que moi !
- Je n’aime pas quand tu ricanes à propos de mon porte-monnaie. Il m’a rendu autant de services que toi. J’aurai bien du mal à m’en séparer, vois-tu !
- Sentimentale, ma pauvre ! Tu collectionnes les cadavres…
- C’est vrai qu’il est léger ce porte-monnaie. Pardi, je ne pourrai pas acheter le beurre, il ne me reste que deux euros, il me faut du pain. Et ma pension qui n’arrive que dans trois jours !
Me voilà bien, tiens !
-Tu as encore un paquet de lentilles et un reste de nouilles dans le frigo
- Les lentilles, je ne les digère plus.
- On te fera crédit à la supérette… Ou alors, on refait le coup du mois dernier. Tu me remets mon double fond…
- Ton fond est trop percé. On a failli se faire prendre ! Rappelle-toi cette boîte de sardines au citron qu’on a perdue en quittant la caisse… Heureusement, le gérant n’a rien remarqué !
- Tu attaches trop d’importance à la bouffe, tu devrais te mettre à la méditation comme moi… Dans le placard, c’est plus facile. Si tu jettes les godasses, ça te fait juste la place. La méditation c’est extra pour les gens qui ne savent plus où se mettre…
- Excuse-moi, je sais que tu détestes ça mais je vais devoir fouiller dans ton fond… Peut-être que ?
- Fais vite et après on sort. J’aime le soleil d’automne.
- Rien. Pas la moindre piécette, juste des miettes de pain et ce vieux radis tout ratatiné.
- En route ! J’ai entendu un claquement de mâchoires !
- Toujours cette obsession ! Laisse-moi mettre mon foulard sur la tête !
- Pffft ! On dirait une des Vamps ! Ce que t’es moche !
- Tu ne t’es pas regardé ! Là, c’est pas trop lourd les cartes postales ?
- Eh ! Je suis encore costaud ! Dépêche… Y a un loup sous l’évier, j’ai vu sa patte velue. Même le balai a des griffes… L’apiculteur t’aime bien, peut-être qu’il te donnera un petit pot,
un échantillon toutes fleurs.
- Allons, allons courage ! Let’s go. We are the champions my…
- Pourquoi tu m’regardes comme ça ? J’ai la trouille quand tu fais ces yeux là.
- Tu grinces mon pauvre vieux, tes côtes saillent sous ta peau de toile cirée à carreaux…
Cette grande fente que tu as devant, c’est nouveau ?
- …
- C’est irréparable. Point final.
- J’ai la ligne, sûr. De la fermeté… Allez, let’s go Adèle. N’allons pas trop vite. Laisse-moi m’emplir d’air, pousse-moi dans les feuilles de platane. J’adore rouler dans les flaques d’eau et les feuilles mortes.
- Quel gamin tu fais !
- S’il te plait, le fleuriste a abandonné quelques chrysanthèmes dorés même pas fanés. Là, dans le caniveau, bigleuse. Mets en un ou deux dans ma poche. Merci.
- Je n’aime pas cette odeur de Toussaint.
- Tu n’as jamais été courageuse.
- …
- J’ai un peu mal à la roulette gauche, celle qui n’a plus de caoutchouc.
- C’est ton rhumatisme. L’acier n’est plus ce qu’il était.

Le cabas à roulettes chante :
« Le soleil d’automne emplit
Tous mes trous, ouais baby !
Je devine, oh oui
Y a un sens à la vie… »
Il poursuit sans chanter :
- Mais pourquoi quittes-tu le marché ? Je ne connais pas cette rue. Jamais tu ne m’y as emmené. Réponds, pourquoi vas-tu si vite ? Pense à ton cœur ; songe à ma carcasse… Ce grand truc, là-bas… ça ne serait pas une benne ? Des gens y jettent un sommier encore bon, des chaises qu’on pourrait revisser et même un ours en peluche ! Les enfants n’ont plus de cœur ! Adèle, à nos âges nous devrions éviter ce genre de spectacle… Mais que fais-tu ?
Tu ne vas pas jeter les cartes postales de tes amis vivants et disparus ?
Tu pourrais, au moins en relire quelques unes. Tiens, celle-là. Tout ce bleu et ce blanc. Elle est restée des années sur le bahut la carte de Maurice envoyée de Santorin… Adèleueueueu !
Ton insensibilité me blesseueueueu. Maintenant voilà que tu me soulèves, pourquoi me caresses-tu l’encolure ? Pourquoi ce baiser sur mon guidon ? Tu me gênes : nos rapports n’ont jamais été si ten… Tu me chantes une berceuse maintenant ! J’ai le vertige en haut de tes bras raidis… Au secours ! Help ! La benne est pleine de loups !

Marité Jacquet 2008-11-30

lundi 8 décembre 2008

Two lovers


Dans le film de James Gray avec Joaquin Phoenix, qu’est ce qu’elles lui trouvent, ces deux belles femmes la blonde et la brune à cet adolescent attardé ? Certes, il montre une énergie exceptionnelle sur le dance flor, mais le fils à la maman bien compréhensive porte en lui tellement de mystère, de tristesse. C’est m’a-t-on dit parce que les femmes aiment bien consoler, réparer ; là il y a du boulot. Pas plus que je n’ai compris le succès critique, je n’ai été concerné par le dilemme amoureux secouant une indolence plombante par quelque impulsivité à connotation suicidaire.

dimanche 7 décembre 2008

Souchon


Quand Carla fait sa promo, je passe à une autre station, pourtant je m’étais laissé séduire par sa voix douce, mais avec l’autre qui sature tous les hauts parleurs, ça fait beaucoup!
Quand Souchon passe sur toutes les radios : je cours.
L’autre soir je me suis calé devant la télé comme rarement : « le chanteur d’à côté ». Je me suis régalé bien sûr, avec cependant un petit fond de doute depuis que Nadine Morano a dit bien aimer « foule sentimentale ». Il n’y a plus de lieu où ils nous laisseraient en paix. Je ne lui contesterai pas d’aimer par exemple « avec le temps » du Ferré que je révère, ce n’est donc pas par sectarisme, mais est ce que cette chanson peut être ambiguë ? Pourtant elle dénonce les fausses idoles, les apparences trompeuses dont la madame sans gène de l’UMP est un exemple éclatant de jobardise. Comme lorsque mon chouchou Souchon interprète « dans les poulaillers d’acajou » devant Monory. Mais parfois le plaisir ne colle pas avec les convictions. Je m’étais bien donné le droit d’aimer « Le Nabucco » de Verdi qui retentissait pourtant dans les meetings de Le Pen. Au temps de « l’âge d’or », j’ai cru que les chansons changeraient le monde, et je me régale à « parachutes dorés », mais elles ne font que le raconter, et c’est déjà pas mal. Elles sont les témoins les plus vivaces du temps qui passe, et le vieillissement de nos idoles est le nôtre. « J’ai dix ans » encore des fois, et ce n’est pas moi qui lui reprocherait de parler des femmes en disant « les filles ». Les volutes de la nostalgie accompagnées du petit « pouet ! » pour ne pas se liquéfier : la vie rêvée, les trésors au fond des mers, nos faiblesses, nos maladresses, tout est léger, léger.

samedi 6 décembre 2008

On a … qu’on mérite !


Remplacer les pointillés par :
le P.S., la gauche , le président, les syndicats, la directrice, le mari, le fils, voire son propre visage a dit un écrivain quand on tend à s’attarder en ce monde.
Ces jours-ci bien de mes connaissances avaient des paroles compatissantes et des airs navrés à mon égard, moi tracteur socialo. Le chrysanthème pousse volontiers dans le champ des roses. Les débats à la tête du P.S. avaient apporté leurs fruits amers. Il était marrant aussi, le dessin représentant Ségolène sur fond de slogan : « Yes, we conne », marrant.
Comme la France compte 20 000 000 de sélectionneurs en foot, il en est encore plus de commentateurs politiques, davantage nourris des flashs matinaux que de discussions dans les salles sonores des M.J.C. ou dans les cantines refroidies.
Position facile du désoeuvré accédant à la sexagitude qui donnerait des leçons aux donneurs de leçons.
Pourtant le décalage saute aux yeux :
- Comment un personnel politique aussi médiocre représente des électeurs aussi excellents ?
- Comment tous les conseils avisés ne connaissent pas d’application ?
Les invitations qui tournent aux portes des boites mail pour ne pas finir comme la grenouille qu’on a mise à cuire doucement, nous distraient. Les mobilisations d’un jour pour défendre l’école ne sont pas à la hauteur des enjeux ; les pétitions, que nous sommes appelés quotidiennement à signer électroniquement, s’effacent. Pourtant des formes de luttes se cherchent une nouveauté depuis des décennies, sans emporter l’adhésion, malgré les lettres bien tournées qui circulent sur le net, rien ne bronche. En outre, Arlette Chabot a déjà assez de travail avec la dernière campagne gouvernementale ! Alors ?
L’état de faiblesse dans lequel nous nous retrouvons à gauche ne doit pas nous conduire à enfourcher le moindre cheval pourvu qu’il soit rétif, tant sur le plan local, que national, gagnés par l’hébétude devant les feux d’un Guévarisme sur canapé à « Vivement dimanche ».
Il ne s’agit pas de disserter d’engagements qui n’engagent à rien pour des enjeux où nous serions beaux mais impuissants, simplement faire vivre des exigences, à notre portée, dont il est question dans le livre des principes, où la solidarité s’inscrirait au pays du progrès humain entre égalité et liberté.
« Penser en liberté, agir en sincérité » Pierre Mendès France.
P.S. : En Gironde, dimanche dernier, le PS a emporté une élection partielle contre un intime de Sarkozy.

vendredi 5 décembre 2008

Nicolas De Staël


A une époque de vache maigre, il avait brûlé son plancher pour se chauffer. Orphelin très tôt après l’exil, sa première femme est morte d’épuisement, lui s’est jeté du haut de sa terrasse à Antibes en 1955 à 41 ans. Est-ce parce qu’il n’arrivait pas à surmonter le malentendu qui le portait aux nues du succès, lui le chercheur de vérité intense ? La violence gagnait sur la fragilité. Une vie peut elle se tenir dans une biographie ? Une œuvre échappe à son auteur. Et les banalités m’assaillent quand je m’essaie à écrire sur cet éminent artiste dont l’ambivalence me frappe : à la fois accessible, évident et aussi complexe et torturé. Héritier d’une culture picturale bien montrée par Christian Loubet, le conférencier à succès des amis du musée, la patte du géant passionné est reconnaissable entre toutes. Sous les projecteurs du Parc des Princes, les poudroiements solaires de la Sicile ou de l’Espagne, les scintillements des ports de Méditerranée, il nous restitue la lumière éloignant la césure entre abstraction et réalisme. Ses mouettes suivaient elles les corbeaux ultimes de Van Gogh ? Les tentations sont grandes d’interpréter ce parcours d’un millier de toiles où malgré la familiarité avec sa palette rouge et ses couteaux, il nous reste à décrypter encore bien des mystères dans ce portrait de femme couchée comme une montagne bleue, des ses paysages où les chemins mènent à « la ligne du fuite ». Sa toile inachevée, « l’orchestre » est sans musicien.

jeudi 4 décembre 2008

« Les années ». Annie Ernaux


Les années Ernaux sont à nous. Ses premiers livres m’avaient marqué : « La place », « les armoires vides »; ses récents, je les avis dédaignés, les trouvant impudiques. Celui là constitue le livre de sa vie, et par la magie de la littérature, celui de nos vies. Ce n’est pas du Jean Paul Dubois dans « une vie française » qui semblait avoir recopié le Quid pour dérouler ses exploits. Annie Ernaux, la femme, avec délicatesse déroule les années depuis 40 jusqu’à 2006. Je me sens comme elle, immobile au milieu des années qui passent alors qu’à l’adolescence, c’était le monde qui semblait immobile et nous changeants. Ses oublis sont les miens, ses espoirs, ses désenchantements et ses insuffisances : reconnaître ne rien comprendre des rivalités entre chiites et sunnites... Et puis la mémoire vive de petits détails sans importance qui côtoient de grands mouvements de l’histoire : Kiri le clown apparaît au détour d’une phrase où est pointée la perte d’influence de l’église. L’énoncer ainsi peut tromper, tant les macédoines nostalgiques destinées à taper à l’oeil se multiplient dans les rayonnages. Son livre est plutôt un palimpseste. Je suis allé regarder dans le dictionnaire : « Manuscrit sur parchemin dont la première écriture a été lavée ou grattée et sur lequel un nouveau texte a été écrit. » Ces pages correspondent exactement à cette définition où l’épaisseur du temps est palpable. Le parti pris de décrire quelques photographies qui scandent ces années est fécond et l’évolution des langages est bien saisie aussi. De la paysanne en 40 qui lâche un pet dans le train où se trouvent des Allemands et proclame à la cantonade : « si on peut pas leur dire, on va leur faire sentir », jusqu’au repas de famille ou l’auteur qui s’exprime à la troisième personne se sent comme « la cheftaine indulgente et sans âge d’une tribu éternellement adolescente », c’est la vie qui se reconstruit à chaque pas.
Elle n’abuse pas de citations:
« Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains »

c’est de Anna de Noailles.

mercredi 3 décembre 2008

Evaluation. « Faire classe » # 11

Le terme évaluation est devenu omniprésent, les procédures se compliquent à l’excès pour arriver à des avis anodins où la confiance envers les professeurs est évacuée derrière des langages formatés et jargonnants. Les enfants sont souvent vus comme des dangers par une société qui se rassure bien vite quand l’uniforme met le couvercle, ou comme des victimes dans les télés irréalités. Pour le tout-venant : la notation qui pouvait s’exercer sans dramatisation avait le mérite d’être comprise de tous. Elle laisse place, à un baragouin qui accable les plus démunis, à une liasse de compétences en train de s’acquérir tellement épaisse que c’est la bonne volonté des parents qui s’émousse.
La reconnaissance des mérites prendra tout son prix si l’enseignant assume l’évaluation bienveillante des difficultés, des manques.
Nuancées, les appréciations, si elles sont simples, auront du poids.
A côté de la reprise de la quinzaine de notes acquises en évaluation ponctuelle ou continue, avec le récapitulatif du nombre de romans lus, de contes et de poèmes présentés, j’apportais un soin maniaque à l’appréciation que je portais sur chaque élève. J’évitais de paraphraser ce que les notes détaillaient : au brouillon d’abord, je pesais mes mots, ne voulant plus provoquer le désappointement légitime d’un père, en juin, à qui je proposais le redoublement pour son fils alors que je n’avais cessé de l’encourager tout au long de l’année. Plus long que d’apposer des croix dans un tableau standard, mais un lien authentique. Chaque fois que le bulletin était rendu, le descriptif des travaux effectués dans le trimestre était communiqué aux parents.
Le trajet individuel et le bilan collectif : oui, la satisfaction du chemin accompli.
- Pour les élèves les plus en difficulté, la simplicité devra être la règle.
Avancer cette recommandation peut relever de l’ouverture de portes déjà battantes mais situe le fossé creusé entre les praticiens et les experts.
Dans le temps, le maître respecté était du même bord que ceux auxquels il s’adressait. Aujourd’hui ceux qui singent la proximité se dissimulent derrière les mots de la caste pédagogique dans la lignée du dialecte notarial, judiciaire, législatif, cultureux, médical ou financier.
Les évaluations de sixième et de C.E.2 proposées à toute la France introduisaient une innovation intéressante : de nouvelles formes d’exercices, cependant peu renouvelées d’une année sur l’autre, une concrétisation des exigences attendues pour les élèves à ces niveaux, des modalités d'appréciations fines, un protocole commun pour le passage des épreuves.
Elles auraient pu donner lieu à des comparaisons riches; nous nous en étions d’ailleurs servis pour notre école en accordant plus d’attention à la géométrie où pêchaient nos élèves. Il est si rare dans le métier de pouvoir jauger d’une évolution, que notre fierté put se nourrir des progrès constatés. Mais nous ne pouvions avoir connaissance des résultats des écoles voisines. La porte reste grande ouverte aux rumeurs, au dénigrement constitutif de notre identité de français. La place est toute chaude pour les hebdomadaires maniaques des classements qui dégainent leur thermomètre de l’immobilier après l’anémomètre des lycées, le baromètre des hôpitaux et le doigt mouillé du frenchy le plus populaire. Ils auraient pu s’épargner un dossier, tant le prix du mètre carré coïncide avec le nombre de mentions au bac. Ces mentions sont venues discriminer des réussites trop artistiquement floues.
Carte scolaire : le problème se pose au collège, pas à l’école. Pourtant un C.P. raté se révèle autrement plus déterminant qu’un prof de maths défaillant en quatrième. La zone est implacable pour les plus exclus et de l’autre côté les libérales professions renforcent leur ghetto. Qui dira "zone de non droits" pour les nichés fiscaux ? Les parents, les autres, ont, très majoritairement, confiance en l’école. Mais il suffit d’un principal un peu niquedouille pour que la réputation d’un établissement plonge ; il sera plus difficile de remonter la pente pour un(e) déterminé(e) qui travaillera en confiance avec ses profs.
Pour nos cuisines personnelles : habituer les enfants à juger de leurs évolutions sans tomber dans les délires auto-évaluatifs qui furent prisés un temps jusqu’au bord des piscines ou sur les pentes du Vercors : « enlevez vos moufles et sortez vos stylos ! ». Les graphiques gérés par les élèves eux-mêmes s’avèrent parlants même si des tricheries viennent corriger quelques variations saisonnières ( prélude aux lissages diplomatiques dans les jurys de Bac). J’ai été marri un moment de l’aveu enjoué d’une ancienne élève dont le souvenir le plus marquant était de m’avoir bien roulé. « Mais ce n’est pas moi que vous trompez »n’ai-je même pas pathétiquement répliqué. Ma naïveté m’a protégé.
A passer son temps au trébuchet, l'instit qui pèse les résultats et non les âmes a moins de temps pour préparer sa classe. Les pratiques recommandées souhaitent ensevelir les maîtres sous l’abondance des items évaluatifs. L’obsession de la transparence, du contrôle : enlevez-moi ce spot, il m’éblouit. Le « maître » peut très bien souhaiter ne pas tout maîtriser.
J’ai abandonné, à mon tour, l’utopie qui bannissait tout examen. Terrible escroquerie : la sélection s’opère, insidieuse ou brutale quand elle a été repoussée : désastre de l’enseignement supérieur. J’ai gardé après mes années échevelées, l’idée que la vérification notée devait être un prétexte pour valoriser les travaux accomplis. Ceux ci n’ont jamais été l’objet de classement, même si les notes étaient proclamées parfois pour calculer collectivement la moyenne de classe (souvent autour de 14/20). Dextérité autour de l’usage de la calculatrice et réitération de la notion de moyenne. Oui, je faisais souvent calculer les moyennes après un contrôle par les élèves eux-mêmes. Je n’ai pas le souvenir de traumatismes mais d’un exercice rondement mené de mathématiques appliquées.
De toutes les façons, les enfants connaissent assez finement les potentiels de chacun.
Et partout ailleurs : que je te classe les villes fleuries, les hôpitaux, le meilleur passeur du championnat ; les moindres mots sont sondés à longueur de journées ! Mais l’excellence n’est plus valorisée à l’école ; les rites de remise des prix sont réservés aux gagnants du loto. Place aux benêts chez Bern.
J’annonçais chaque contrôle au tableau des projets hebdomadaires entre une exposition sur les illusions d’optique et le rendez-vous avec notre conteur. Le symbole en était la gravure d’une cordée à l’assaut d’une forte pente dont le produit dérivé figurait un montagnard en bois escaladant un baromètre à poser sur le tableau le moment venu. Un de mes malabars m’avait demandé de ne plus installer ce fétiche : il ne le prenait pas comme un jeu, mais comme un signe trop solennel qui lui « portait malheur ». Je lui ai demandé sa permission pour le réintroduire. Les interprétations enfantines nous dépassent, souvent.
Après chaque contrôle j’ouvrais l’institution « bureau des pleurs » : cela motivait des corrections attentives, rétablissait la justice d’un point oublié. Dédramatisation.
Un petit dessin agrémentait chaque feuille de contrôle avec une formule, si possible amusante, pour ne pas oublier de noter son nom.
Exemple picoré ailleurs pour un contrôle de conjugaison :
« Evite le présent lointain, le futur avancé, l'inactif présent, le passé postérieur, le pire - que -passé, le jamais possible, le futur achevé, le passé terminé, le plus-que-perdu. Note ton nom: »
Je m’efforçais à varier les exercices en me refusant de noter les objectifs pédagogiques exhaustifs à destination des bobos-parents dont abusent les néos convertis au jargon Ifumiens. Les consignes sont destinées aux enfants sans alourdir une double page. Je pensais que l’application que je leur avais portée serait suivie par un plus grand zèle du client qui devait « plancher ». Une fois corrigée, la feuille rejoignait les autres dans le classeur spécifique aux contrôles que je n’appelais pas compositions mais cela en avait bien cette solennité destinée à motiver les troupes sans assommer les plus fragiles.
Pour ceux qui ne récoltent que quelques maigres points, trop de notes en dessous de la ligne de flottaison devenues à force, illisibles,des démarches existent pour apaiser des angoisses bloquantes : les comptes retiennent le positif. Quarante cinq mots dans la dictée : on notera les mots réussis : 42 sur 45. On aura dénombré quand même 3 fautes, oh pardon trois erreurs à ne pas corriger en rouge traumatisant ! La bêtise a parfois le sourire angélique, c’est alors une grimace.

mardi 2 décembre 2008

Obludarium


Sous chapiteau, le cabaret des monstres des fils de Milos Forman. « Le cirque du soleil » rencontre un succès planétaire ; à côté de la MC2 sur la pelouse enneigée, c'est l’aquarium des ténèbres qui a dressé ses balcons. Des images du XIX° siècle surgissent avec femme à barbe en collant poilu, hercule de foire, nains en tissus et sirène en son filet. L’invitation aux spectateurs, de donner du leur en actionnant la manivelle à générer de la lumière dans les loges, préfigure peut être notre XXI° à l’énergie problématique. En tous cas une occasion de s’impliquer dans cette entreprise poétique et énergique aux accents slaves universels. Ballets bien réglés, acrobaties méritoires, humour décalé, on sourit et nous nous questionnons, sur notre embarras parfois. Des poissons volent, des chevaux dansent en ombres chinoises sous la robe immense d’une trapéziste ou en pantin géant. La musique anime les masques grotesques et depuis l’intérieur de cette boite à musique nous interrogeons à nouveau notre idée de l’homme et celle de la femme à barbe. Epatant, original, jusqu’au 19 décembre.

lundi 1 décembre 2008

« Les bureaux de Dieu »


Des militantes chevronnées du planning n’étaient pas convaincues par le titre que je trouve, ma foi- si je puis me permettre- poétique et accrocheur. Ne disait-on pas jadis, en parlant d’une famille accueillante : « chez eux, c’est la maison du bon dieu » et pas seulement de la part de négationnistes du Darwinisme ? Dans cet appartement qui reçoit si bien les femmes, au dessus de la ville, où se jouent les naissances, cela n’appelle pas forcément de divinité mais en tous cas, il est question de la gravité de la vie, de la création de soi : « Vous pourrez devenir quelqu’un d’autre pour les autres ».
Induit par le commentaire d’une chroniqueuse d’Inter, j’étais parti avec mon questionnement à priori : « C’est incroyable qu’il y ait encore besoin du Planning avec toutes les informations qui sont diffusées aujourd’hui concernant la reproduction, la contraception ! »
Eh bien, c’est autre chose qui se joue. A part quelques cas rares d’ignorance, des adolescentes rifougniantes, mais c’est normal; les besoins de paroles sont primordiaux, que ce soit pour la jeune en jeans ou pour la stressée au collier de perles. Le film rend palpable la qualité de l’écoute. Les entretiens sont remarquablement menés avec des actrices célèbres, qui ne se montrent pas forcément exemplaires, mais toujours remarquablement authentiques. J’ai encore vérifié dans ce film que ce n’est pas parce que l’on sait que l’on fait.

dimanche 30 novembre 2008

Kliniken


Mise en scène de J.L. Martinelli d’une pièce de Lars Norén. Une douzaine de personnes dans l’espace fumeurs d’un hôpital psychiatrique. Trois heures d’un spectacle qui nous bouleverse par la qualité de la performance des acteurs, secoue nos équilibres, nous déchire par la violence des rapports humains ou plutôt la brutalité des solitudes. Il satisfait notre curiosité en nous permettant de jeter un coup d’oeil par dessus les murs d’établissements loin de nos cités. Et tellement parmi nous. En essayant pourtant de ne pas « romantiser » ; l’expression « passage au-delà du miroir» ne peut s’éloigner. Les chansons, « l’âge d’or » de Ferré et « lettre à France » de Polnareff détonnent dans cet univers où les clopes ne sont même pas un plaisir ; les fous, eux, croient encore aux chansons : « Depuis que je suis loin de toi, je suis comme loin de moi». Ils vivent tout avec intensité, pleurent devant la télé, s’attendrissent aux souvenirs de vaches, mais leurs planètes ont bien du mal à s’approcher. Humains terriblement, enfermés non dans cette pièce mais dans leurs souvenirs, leurs frustrations, et pourtant leurs paroles, leurs cris semblent libres. Je me doutais que le sexe pouvait devenir une hantise, mais j’ai été frappé aussi par la recherche obsessionnelle de la propreté chez beaucoup, alors que leurs pathologies sont distinctes, mais leurs angoisses communes.

samedi 29 novembre 2008

Au troisième temps…


J.C Guillebaud dans un article de Libé :
« on voit ce qui s’effondre, pas ce qui surgit »
décrit trois révolutions :
- la mondialisation qui transforme l’économie en un processus sans sujet
- la révolution informatique où toutes les activités s’installent et se transforment : information, culture, commerce, finance
- la révolution génétique.
Pour lui les trois vertus théologales de la raison sont
- la capacité critique
- la liberté
- la modestie
Dictionnaire : théologal : « qui a Dieu pour objet » : la foi, l’espérance et la charité.

B. Guetta pense que les gauches européennes ne retrouveront une place qu’en
- restaurant la redistribution fiscale
- inventant de nouvelles protections sociales
- bâtissant une puissance publique européenne à même de contrebalancer la puissance du Capital.

vendredi 28 novembre 2008

XXI automne.


Le numéro 4 de ce magazine trimestriel de 200 pages illustrées de dessins et comportant des reportages photographiques mémorables comme celui de familles françaises à table qui révèle des solitudes poignantes, des familles explosives, des originaux. Le dossier principal est consacré à l’Afrique avec quelques reportages complets et bien écrits comme d’habitude : l’assassinat de Dieuleveult au Congo pays de silence, le retour au Zimbabwe d’un exilé, la mort d’une Capverdienne à Fresnes, la vie d’un passeur de diamants. Par ailleurs la statue de Marek Alter perd de sa majesté après le portrait qui lui est consacré et le récit graphique : « un amour de Chine » ajoute à l’originalité, à l’élégance, à l’éclectisme de cette entreprise éditoriale qui me ravit à chaque parution en librairie.
La petite fille de la photographie vend un oeuf

jeudi 27 novembre 2008

La chapelle Sixtine


Conférence stimulante de Damien Capelazzi pour les amis du musée. Nous sommes invités à regarder, sans nous casser le cou, les œuvres de Michel Ange avec un œil neuf. Le peintre qui s’échina des années sur le plafond de la chapelle commandée par le Pape Sixte IV, s’exprime surtout en sculpteur, portant puissamment la spiritualité de l’époque et aussi une régénérescence philosophique où les textes de Platon, dans les valises d’une Byzance finissante, venaient redonner poétiquement une issue aux âmes négligées, paraît-il, par Aristote dominant jusque là. Au-delà de la connaissance des vies trépidantes des personnages bibliques, augmentées de sibylles, accompagnés de putti, nous pouvons nous étonner encore de la cruauté des destins des personnages représentés. C’est un hymne, un film dédié à la création, le christ est athlétique, les corps sont magnifiques dans leur nudité pour ceux qui ont échappé à Braghetonne (surnom du peintre qui en voila plus d’un). L’annonciateur du maniérisme, avait commencé en copiant des sculptures pour les faire passer pour des antiquités grecques et dans la fresque du jugement dernier bien des damnés cornus ont des airs de Moyen-Âge. Traversée du temps, une fois la voûte restaurée, Jean Paul II put dire
« tout l’homme suspendu au dessus de nos têtes ».

mercredi 26 novembre 2008

Ecole sensible. « Faire classe » # 10


Sensibles : se disait des quartiers, autrefois avant que Lagardère et Bouygues ne soient les dispensateurs de nos informations.
Et si l’école qui est au cœur des cités n’avait pas aussi ses délicatesses ?
Je risquerais de manquer de cohérence dans mon propos, si je n’exhumais pas quelques réflexions livrées à chaud, il y a maintenant trois ans, en regard de la situation actuelle, où je ne sais percevoir d’améliorations.
INCENDIES :
Tout n’avait pas commencé par l’acte fou, suicidaire de s’enfermer dans un transformateur à Clichy.
Les classes sociales ne datent pas de l’année dernière, la relégation ne date pas de novembre 2005.
Même si C.N.N. a exagéré à l’époque ; les lueurs des incendies de belles écoles, de gymnases neufs sont parvenues dans le monde entier jusqu’aux établissements d’enseignement sans toit, dans des aires misérables où se mime la francophonie. Que pouvaient-ils comprendre les petits qui font sept kilomètres à pied pour venir à 40 dans un lieu dit école, là-bas au Cameroun ?
Le pays d’Hugo a pris un coup à l’espérance démocratique. Les ascenseurs absents à l’étage disparaissent des métaphores ; qui parle d’ascenseur social en ce moment ? Leurs portes ouvrent sur le vide.
« Tu viens d'incendier la bibliothèque ?
- Oui.
J'ai mis le feu là.
- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage. »

V. Hugo conclut le poème par l’aveu de l’incendiaire : il ne sait pas lire.
AN 3 AVANT SARKO
Est-il fécond encore de pointer quelques paradoxes glanés au cours de débats et d’articles de l’époque ?
Il ne fallait pas donner raison aux casseurs, mais les réflexions se sont accélérées, les subventions n’étaient plus jugées infructueuses, un service civil a été proposé, les dossiers dans la presse s’épaississaient. Le modèle républicain n’était plus en cause mais plutôt sa non - application.
Aujourd’hui les leurres se multiplient : Amara ne fait plus illusion, elle n’a pas de budget et l’effet Obama qui nous met du baume au cœur, ira-t-il contre les désespérances creusées par les désengagements de l’état ?
Les effets de la suppression de la carte scolaire sont d’une portée infiniment plus lourde et inversement proportionnelle aux annonces de visites médiatisées avec GIGN sur les toits et qu’un président du CRAN au perron de l’Elysée.
Vanité des mots, mais aussi cristallisation autour d’une expression.
Ce fut « racaille ».
Selon un bon mot de J.P. Chevènement, « N. Sarkozy n’a pas inventé la poudre ». Mais le parler djeun’, stratégie publicitaire pour faire semblant d’abolir la distance entre les politiques et le peuple en employant des mots chocs est revenu comme un boomerang.
Il y a eu des moments de sourire quand un casseur regrettait la police de proximité. Les mots attendus qu’il fallait dire.
Il y avait doute quand un jeune pensait avoir épuisé ses chances d’obtenir un emploi malgré ses efforts de porter le costard - cravate pendant un mois. Le look.
Il y a eu inquiétude quand un maire avouait sa peur, celle qui annihile bien des réflexions.
Il y a contradiction évidente entre l’attente d’annonces immédiates et l’ardente nécessité du long terme.
Honorable madame Daty, elle pouvait au départ marquer de son sceau des progrès en intégration, mais elle voisinait avec des chaudrons suspects où immigration se touille avec identité nationale. Comment ne pas être méfiant lorsque nous sommes invités à admirer cet exemple photogénique de mérite républicain alors que dans le même temps il faudrait oublier l’arrogance des nantis et de leurs serviteurs à casquette de yachtman ?
L’idée s’installe cependant que le passé, l’origine des habitants de notre pays compte moins que l’avenir que nous tisserons ensemble. Les idées grises n’ont pas disparu mais les mentalités évoluent.
En 98, l’équipe de France colorée a ravi son monde au delà de quelques coups de klaxon, comme la familiarité avec Arsenal équipe de la banlieue de Londres enracine l’idée européenne.
SOLIDARITE RENOUVELLEMENT URBAIN (SRU)
La reprise du chômage touche d’abord les emplois en intérim, ce n’était déjà pas terrible, ça ne va pas aller vers le mieux. Il faut augmenter les impôts si l’on veut que l’état retrouve la capacité d’investir, lui qui a brûlé les meubles du patrimoine national.
Les néos convertis à une régulation du cannibalisme financier ne désespèrent pas de revenir sur la loi SRU : ils n’ont pas changé ! L’offre de logements se réduit. Il est fondamental que des habitats à loyer modéré ne poussent pas seulement là où quelques bonnes volontés, de plus en plus rares, acceptent quelques pauvres. Jusque dans les plus petites communes les anciennes complicités se brisent sur le Plan d’occupation des sols et autre PLU ; les urbains parfois généreux en pétitions charitables voient d’un mauvais œil des lotissements nouveaux sous leurs fenêtres. Quand on surprend des écolos contre les éoliennes ou un nouveau tracé de chemin de fer, il faut revoir un peu de ses candeurs.
DEVOIRS
Et l’école, celle qui est encore debout, qui croit encore à ses valeurs, qui voit son autorité rabotée à longueur d’émission par ceux qui ont réussi « parce qu’ils étaient des cancres » est appelée une fois de plus comme recours universel. Celle-ci aura des chances de répondre aux attentes si on n’empile pas des animations, mais si on laisse aux personnels le temps d’assurer les fondamentaux. La baisse des effectifs n’est pas la solution miracle, mais la casse actuelle de l’école abrase les énergies, et c’est une dégradation des conditions de travail qui est à l’ordre du jour. Les horaires d’enseignement et d’éducation sont réduits.
Les personnels spécialisés dans l’aide aux enfants en détresse étaient déjà en nombre insuffisant : ils luttent en ce moment pour leur survie ! S’il y a des bénéfices pour certains enfants de retrouver leur maîtresse en petit comité, les difficultés des plus démunis ne seront pas résolues. On a parlé de soutien pour mieux remettre en cause le travail des professionnels du soutien. Où en est l’hypocrisie des textes qui bannissaient les devoirs mais dont les thuriféraires pensent qu’une aide… aux devoirs peut être salutaire?
Beaucoup d’enseignants donnent des devoirs malgré les conseilleurs qui les interdisent : tragique démagogie qui veut faire croire que le travail n’est pas nécessaire.
Que soit contrarié le conformisme qui jette l’opprobre contre « l’intello ». Valorisons les élèves « qui en veulent » pour redonner de l’espoir à ceux qui ont cru qu’il faut travailler à l’école pour réussir dans un emploi : bourses, internat d’excellence, une autre orientation pour ceux qui n’ont pas envie à un moment et des possibilités pour reprendre des études plus tard.
SE VOILER LA FACE
La banalité de la dichotomie entre collectif et individuel se retrouve entre l’approche sociologique de la gauche et le recours au psychologique de la droite. Est ce participer à un unanimisme benêt, à un centrisme paresseux que de regretter l’hémiplégie qui exclut une des causes des problèmes ?
Les détresses matérielles alimentent toutes les déraisons, les mises en cause des valeurs accélèrent les désarrois. Voilà pourquoi votre fille se voile. Fastoche.
Ce ne sont plus les mêmes qui s’aveuglent : « circulez, y a rien à voir !»
ou qui proposent : « vous voulez du feu pour la bougie d’anniversaire des émeutes? » derrière la caméra qui s’impatiente.
Quand une grenade éclate près d’une mosquée que de jeunes pour s’indigner ! Quand une école brûle…
Qui expliquera comment certains d’entre eux sans repères vont plutôt vers les cadres contraignants de la religion que vers les valeurs bienveillantes de l’école républicaine ?

mardi 25 novembre 2008

Paysans.


Quand je m’enthousiasme pour le dernier film de Depardon, et sur ses photos de toujours, j’adhère à sa subjectivité, à son trop plein d’égo, à ses points de vues forcément partiels, même si lors de son film « l’Afrique, comment ça va avec la douleur ? » il nous embarquait dans des panoramiques à 360°. Et puis quand on blogue, on sait bien faire clignoter l’expression « se prendre pour sa photo ». Lorsque je cadre avec un appareil photo, je choisis, j’oublie, et plus encore lorsque je pioche, comme on dit d’un cheval qui piétine fébrilement, pour écrire. Je me laisse volontiers bercer par la sonorité des mots qui veulent bien se nommer parfois : poésie. Les amertumes de la vie y corsent leur goût, les lumières d’un instant se prolongent, les plaisirs se donnent à voir.
Novembre, et mes années me portent à me laisser envahir avec délices par d’ultimes images des années soixante. Comment ne pas vouloir fixer un dernier souffle de ces gens là, des hauts plateaux d’Ardèche, au cul des vaches. Je crois savoir mesurer l’indécence à admirer la frugalité de ces vies depuis mon canapé moelleux. Et qui suis-je pour mettre à distance ces pairs ? Mon immense respect d’aujourd’hui est venu après des incompréhensions réciproques. Que mon père fut encore considéré comme étranger au village après des années parce qu’il n’allait pas à la messe, reste une fierté après avoir été une blessure. Ils étaient droits et bien souvent de droite, ces hommes que je connaissais, mais en d’autres lieux parpaillots, les familles sont de toujours à gauche et droits. Cabochards comme mules, muets comme pierres, tirant de ces cailloux le lait de la vie.
Je n’échappe pas à ces nostalgies coupables quand je reprends la recension de mes pratiques pédagogiques, mais je me défends de toute complaisance rétroactive lorsque je m’essaye à la politique.
Porter témoignage sur les paysans ne compromet pas le travail d’un cinéaste qui écouterait avec empathie de jeunes agriculteurs. Lorsque je me laisse aller à contempler les soldats de terre cuite de Xian, je ne m’interdis pas un reportage sur les années Mao. « Et tenant l’autre et l’une, moi je tenais le monde »

lundi 24 novembre 2008

The Duchess


Des robes XVIII °,des paysages, pour se dépayser dans ce film avec Keira Knightley (« Orgueil et préjugés »). S’étonner de la correspondance entre ce destin d’une ancêtre de Lady Di et celui de la populaire princesse. S’amuser aussi des images d’une belle qui apparaît sur les tréteaux d’un parti dont je voulais m’abstraire des difficultés de l’heure. Ce n’est pas Barry Lindon dont le destin m’avais ému ; là je me suis distrait, intéressé par certains sujets : la situation des femmes à l’époque, ce que recèle la volonté de plaire à tous prix… Les parcs des châteaux se prêtent bien au grand écran.

dimanche 23 novembre 2008

Le banquet flamand.


Conférence des amis du musée. Bien sûr qu’ils sont roboratifs les tableaux et conformes à nos fantasmes de victuailles, de ripailles. Ce sont des images de rêves d’abondance à une époque qui venait d’être dévastée par les guerres de religion. Au marché, le vendeur de gibier lutine la marchande des quatre saisons en tournant le dos à des scènes bibliques. Cette vitalité renaissance fait plaisir à voir. Les plumes se déploient, les poils sont soyeux, les lumières sculptent fruits et légumes et il y a toujours un chien dans les parages pour chaparder un morceau de barbaque. Depuis Bosch et le péché de gourmandise jusqu’au patron de l’atelier de Rubens, en passant par Bruegel et d’autres peintres du côté d’Anvers, des banquets, des kermesses, des trognes, les plaisirs de la vie.

vendredi 21 novembre 2008

Moscow Belgium


Film bon qui apporte un plaisir sans mélange ; la langue flamande est savoureuse, les acteurs subtils, transfigurés, passant de l’accablement de vies compliquées à la grâce de l’amour. Le réalisateur Christophe Van Rompaey aime ses personnages et nous aussi. Barbara Sarafian incarne magnifiquement l’héroïne parfois défaite, d’autres fois rayonnante. Familles recomposées, en HLM, sans misérabilisme, sans soleil artificiel, avec un beau courage au quotidien d’une femme qui a bien mérité son petit moment de bonheur, même si elle "s'obstine à tout tartiner de moutarde pour ne goûter à rien", comme lui dira son camionneur.

Soir de vote à la section P.S.


77% pour Ségolène dans notre ville. Au niveau local ce ne sont pas les consignes de Delanoë qui ont eu beaucoup de poids. La présence de Fabius au côté de Martine a fait l’effet de repoussoir parmi un groupe où les militants pour l’Europe sont influents. Nous au village aussi, l’on a eu nos tractations et le secrétaire de la section a changé ; le sortant avait débouché le beaujolais nouveau : une belle preuve de son fair-play. La nouveauté n’était pas seulement dans les gobelets : le beau score de Royal est un gage de dynamisme, de cohérence parmi nous, de volonté de renouvellement des pratiques à confirmer puisqu’il nous faut retourner aux urnes ce soir.

jeudi 20 novembre 2008

Art concret


A Mouans Sartoux, petite ville à proximité de Cannes, le château à trois faces accueille un musée dédié à l’art concret autre nom de l’abstraction géométrique. Il y a des toiles de Morellet que nous avons pu voir au musée de Grenoble. Et une exposition temporaire sur le rythme ne pouvait ignorer Sonia Delaunay. Ces productions conviennent bien aux architectures dépouillées où la lumière est éclatante. Cette esthétique qui se veut proche de l’art appliqué, de la musique s’oppose à tout sentimentalisme ; pourtant les plaques piquées d’allumettes de Bernard Aubertin qui ont laissé une trace de leur éphémère embrasement éveillent une émotion qui n’est pas qu’une construction purement intellectualisée. Il en va pour moi comme la mémoire d’une fulgurance. Le regard fait une pause après avoir balayé bien des surfaces trop lisses, des agencements tellement minimalistes qu’il n’en reste rien.

mercredi 19 novembre 2008

Corps.« Faire classe » #9


« Le meilleur que je sais sur la morale et sur les obligations de l’homme, c’est au football que je le dois » A. Camus. J’ai abusé de la citation envers ceux qui méprisaient le sport. Je ne les convaincs pas quand je compare mes plaisirs d’exégète des délires Ribéryens à leurs pointilleux échanges entre mélomanes. Affaire de classes sociales peut être, de filiation, de glèbe. Quand les souvenirs de rectangles tracés à la sciure au milieu des champs des dimanches après-midi, d’hier, m’émeuvent plus que les toutouyoutous périodiques qui vendent leur peau à la pub, aujourd’hui ; le sport a bien un lien avec la jeunesse. Bref !
J’ai eu des plaisirs jamais éventés et la chance d’exercer dans une commune dotée de gymnases nombreux, de stades soignés. Nous avons travaillé avec des moniteurs compétents, dans le confort, sans avoir le sentiment d’être l’enseignant spectateur / consommateur.
Un luxe qui nous dispensait d’installer les agrès, les plots, les haies, les poinçonneuses dans les buissons d’un parcours d’orientation, d’avoir à préparer des séquences toujours innovantes et efficaces. L’équilibre existait dans notre part prise pour animer un groupe, en arbitrer un autre, parer les débutants, apporter son éclairage, observer mes apprentis, moment rare, sans être obnubilé par mon propre discours.
Dans une programmation cohérente avec toutes les classes de la ville, sur une année, nous foulions les parquets, les sous-bois et le goudron, les tatamis, le tartan, la neige, le sable, la faïence, pour des cycles hand-ball, endurance, sports d’opposition, athlétisme, ski de piste, beach-volley, piscine. Certaines années en catamaran et kayak de mer, nous sommes sortis de l’estuaire pour aller vers l’océan.
- Dis Yacine, tu étais bien, alors, le roi du monde ?
Et Dounia du haut du télésiège redoutant la pente : « jamais je ne descendrai ça ! »
« Si, tu l’as fait : victoire ! » et pour nous le miel parce que ce n’est pas tous les jours que nous pouvons mesurer les acquis d’une façon aussi éclatante, en plein soleil, au-dessus des nuages.
Les rencontres de sports collectifs, des journées d’athlétisme, de course longue, permettaient des retrouvailles avec d’autres groupes scolaires.
Les horaires d’E.P.S. structuraient notre année. Quelques photographies, posters renouvelés au fil des cycles sur un panneau aux alentours de la classe pour faire joli, pour entourer emploi du temps et résultats, affirmer- il n’en était pas besoin - le lien entre tous les aspects de la formation. Les évaluations variées que nous avons essayé de mettre au point en concertation participaient aussi de cette légitimation du travail mené tous terrains.
Du soin était apporté pour anticiper les rendez-vous, être muni des équipements nécessaires : avoir survêt’ et des chaussures de sport pour le sport : s’appliquer. « Etre à ce que l’on fait », simplement, sans singer les égarements médiatiques concernant la concentration des athlètes gonflés à l’image, où l’impudeur les poursuit jusque sous les douches. La classe médiatique pipeautante s’est moqué longtemps de J.P. Papin de modeste origine, ce sont les mêmes qui auront des paroles bienveillantes pour les assignés faibles de l’heure : le même mépris.
Les clameurs du troisième pouvoir retentissent beaucoup dans ce champ, dictature consentie aux labels marchands. Vive les chasubles masquant les griffes des marques pour que l’équipe existe dans sa nouveauté, sa mobilité, sa diversité : les gaîtés de l’uniforme.
Les aristocrates ont des héritiers admirateurs de l’amateurisme et méprisant un peu les pue-la-sueur monnayant leurs inlassables cannes kenyanes. Cette distinction se décalque dans le monde intellectuel où les biens pourvus peuvent dédaigner l’argent, l’effort. Le vocabulaire agressif, dépréciateur, « chambreur », est celui des vestiaires, alors que dehors sur les panneaux lumineux s’affichent des idéaux. Double langue.
La métaphore sportive se vend bien, car pas mal d’évidences se révèlent en ces lieux. Il faut reprendre sans cesse les mots, les éponger, redonner du sens à « équipe », à « agressivité ». Vérité du corps, vocabulaire des postures : « adresser une passe ».
La fortune du mot « passeur » désignant le moindre sous - titreur signerait- elle l’épuisement prochain de sa réalité ?

mardi 18 novembre 2008

Le Bernin


Il faut bien du professionnalisme aux conférenciers qui officient pour les amis du Musée de Grenoble, car leurs diapositives désuètes ne sont pas à la hauteur des chefs d’œuvre qu’ils doivent nous faire découvrir. Pourtant les extravagances, les contorsions des statues du Bernin se prêteraient bien à un exposé expressif. Nous avons revu des Fiat 500 garées au bord de la Barcaccia sur la place d’Espagne à Rome… mais pas seulement. L’exposé clair mettait en lumière le passage de la sagesse aux incertitudes après le concile de Trente qui dura 18 ans : l’homme a quitté le centre de l’Univers et ses vérités intangibles. L’architecte adoptera l’ellipse et l’ovale. Les sculptures sont moins sages, moins statiques, les visages plus expressifs. La vérité de la représentation est dans le mouvement. C’est le baroque et sa théâtralité, ses volutes, sa sensualité. L’exemple développé de la statue de Saint Thérèse D’avilla visitée par un ange sardonique laisse place à des interprétations pas forcément mystiques. Son superbe David s’apprêtant à un coup décisif n’a plus la sérénité de la renaissance, mais son énergie est séduisante. Au service de sept papes, on doit à Bernini le baldaquin tortillé et le dessin de la colonnade de la place Saint-Pierre.
Père de onze enfants, il s’essaya au théâtre et fut un peintre aux autoportraits remarquables.

lundi 17 novembre 2008

Stella


Film autobiographique de Sylvie Verheyde. L’école finalement peut avoir du bon : je ne peux que souscrire à cette morale édifiante. La reconstitution des années 70 connaît quelques anachronismes particulièrement dans le langage. Le juke-box fonctionne beaucoup dans un café plein de vie, mais ce procédé qui abuse des musiques populaires est un peu facile. La voix off de l’enfant qui s’efface heureusement en cours de route, n’est pas authentique à mes oreilles. C’est toujours ce travers irritant de vouloir faire porter à l’enfant un regard distancié sur la société adulte avec une parole qui dirait la vérité alors que cette petite fille est fragile et bien peu extravertie. Le merchandising du RC Lens n’avait pas atteint les cours de récréation de l’époque, mais les épisodes en terre Chti sont émouvants, comme beaucoup de scènes entre enfants ; leur amitié, les premiers baisers maladroits sont finement saisis. Les adultes bien interprétés sont tous tragiques. Il est heureux que le législateur ait tenu éloigné les débits de boisson des lieux d’enseignement.

dimanche 16 novembre 2008

La terre des paysans


Pourquoi ces banalités recopiées dans le livre de photos accompagnées de textes de Depardon me touchent au plus profond ?
« - Vous vous êtes mariés à quel âge ?
Marcel Chalaye : - Oh ! M’en rappelle plus !!
Germaine Chalaye : - Il s’en rappelle plus !
Marcel Chalaye : - M’en rappelle pas…
Germaine Chalaye :- Il s’en rappelle plus… »

J’en ris, et je m’arrête, ce pauvre dialogue dans un livre de plus du bourlingueur bourguignon, résonne dans ma mémoire plus que de raison. Quand je lis ces autres mots précieux, car je sais aussi leur rareté : « rien me faisait un souci ; il fallait faire les foins, bon… pourvu qu’il pleuve pas, pourvu que si, pourvu que ça, et ça ronge », je sens que mes racines paysannes ne sont pas qu’une métaphore. Ces fibres me tiennent et vibrent. J’en ai eu honte comme Depardon et je suis tranquille aujourd’hui. Les photos des paysages des collines de hauts plateaux rendent tangibles la rudesse des conditions, cinq hommes s’abritent de la neige dans une bétaillère ; ces portraits toujours beaux et pas seulement graphiques, la chaleur du poêle, la folie du chien à sa chaîne, les biscuits sur la toile cirée, les solitudes et des solidités de rocs. Et comme dans son film « la vie moderne » le chant désespéré, sublime, de la fin d’un monde. Une vie se résume : « j’ai fait un peu de tout et un peu beaucoup de choses ».

samedi 15 novembre 2008

Masocialiste.


Florilège de quelques avis d’intellectuels recueillis dans un seul article du « Monde ».
"Le PS est en panne d'idées parce qu'il est en panne d'une compréhension du monde", estime Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France et animateur de La République des idées. "Ce n'est pas la société qui est indifférente, au contraire. En revanche le lien s'est rompu entre le monde des idées et la gauche. A droite, Nicolas Sarkozy a su redonner un langage et une culture politique à son camp, il a métabolisé vingt ans de réflexions sur le nouveau capitalisme et ses effets sur la société. La gauche n'a pas fait la traduction progressiste de cette évolution."
Marcel Gauchet, historien, philosophe et rédacteur en chef de la revue Le Débat : "Nous sommes dans un moment de creux historique très grave. Le gauche conserve des positions très fortes sur le plan des valeurs de notre société, mais elle a perdu la main sur la perspective de l'avenir ; elle est devenue un parti complètement défensif contre les méfaits d'un monde dont elle a perdu le secret. Elle est donc le parti des perdants"
Yann Moullier-Boutang, économiste et directeur de la revue de gauche critique et culturelle Multitudes: "Il n'y a pas de politique intellectuelle au PS, pas de débat créatif. Le contenu même du mot socialisme est d'un flou total. La conséquence est évidente : faute d'un affrontement sur les idées, on assiste à un affrontement hystérique sur les personnes."
Gilles Finchelstein, un proche de Dominique Strauss-Kahn, est directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, dont la mission est d'être le lieu de la rénovation de la pensée socialiste. "Traditionnellement, quand le PS perdait une élection, il en tirait la conclusion qu'il n'avait pas été assez à gauche. Après la défaite de 2007, il a lui-même considéré qu'il avait perdu parce qu'il s'était éloigné du réel. Et parce sa vision du monde, ses mots et ses concepts parlaient davantage aux socialistes qu'au pays."
Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques et rédacteur en chef de la Revue socialiste à la fin des années 1990, estime pour sa part que le PS "a perdu ce qui faisait sa force dans les années 1970 : une efficacité électorale construite sur une compréhension de la société française. Il ne s'en sortira pas sans un réinvestissement du champ doctrinal".
A la recherche d’un sigle tel que CARESSES (Convergence des Alternatives et Résistances Ecologistes et Socialistes pour des Sociétés Equitables et Solidaires) celui-ci est préempté par les partisans de Besancenot (Le Nouvel Observateur)

vendredi 14 novembre 2008

Yvonne Besset


Elle apparaîtra sous ce nom gravé sur une pierre tombale.
Pour nous, elle reste « Mamiche » parce que sa fille l’a mêlée à son cercle d’amis. Son mari instituteur-secrétaire de mairie était un de ces « hussards noirs de la République ». Elle qui aimait tellement les mots et en jouait avec tant de précision, elle aurait pu me suggérer une féminisation de l’expression, aujourd’hui désuète et pourtant… Je viens de retrouver dans un de ses cahiers à l’écriture si bien formée,les paroles d’une chanson qu’elle fit sûrement chanter à ses garçons de la laïque - les filles étaient promises aux religieuses de l’école privée :
« Noël vient de passer
Que vous a- t-il laissé ?
Un beau pantin agitant ses sonnettes
Et un Pierrot chantant pour sa Pierrette
La la la…
Juste une auto que l’on roulait en rêve
Une auto vraie avec des pneus qui crèvent.
Rro Rro Rro »

Pour dire les années de bonheur où ces instituteurs trouvaient le soleil après des mois de« Burle » dans les faubourgs de Cannes. Tous ceux qui ont profité de leur balcon donnant sur la Côte d’Azur doivent aux parents de Dany et grands-parents de Laurence, une part de lumière et de sourire.

jeudi 13 novembre 2008

Moineau dans le brouillard


« Le brouillard a tout mis
Dans son sac de coton ;
Le brouillard a tout pris
Autour de ma maison.
Plus de fleurs au jardin,
Plus d'arbres dans l'allée ;
La serre du voisin
Semble s'être envolée.
Et je ne sais vraiment
Où peut s'être posé
Le moineau que j’entends
Si tristement crier. »

Maurice Carème
Et dire que le moineau lui-même a quasiment disparu en Angleterre et en Belgique,
sa population en France est en déclin, faute d’insectes semble-t-il. A Paris il boude les quartiers chics car il y a moins de trous pour nicher, et moins de déchets pour se nourrir.

mercredi 12 novembre 2008

Education civique - Faire classe # 8


Education civique - nous évite de dire éducation tout court - avec ses airs de chez madame De Rothschild. Au carrefour affectif de l’éducatif et de l’instructif, la civique recueille bien des demandes de la société. Pourtant, notre école victime en ce moment d’attaques sans précédent est bien mollement défendue. Le service public est déconstruit mais l’appel mécanique à la résolution de trop de problèmes est quand même dirigé vers lui. Les enfants, nos clients comme disait Illitch : entre trente sept sollicitations médiatiques ils forment un auditoire au bord de la cellule psychologique où se côtoient les abandonnés de 16h 30 à une extrémité avec les autres branchés sur GPS en mode couveuse ; de cette diversité il faut bien essayer de soigner les uns par les autres. Bien sûr, nombreux sont les enfants qui montent dans des trains à l’heure et qui sont élevés avec justesse mais ils sont ignorés. Ceux qui ne se font pas oublier se débattent parfois sous un amour maladroit et collant ou sont victimes des démissions d’adultes jamais devenus tels ; ils sont à convaincre, comme ceux qui sont corsetés dans des rigidités d’un autre age.
Nous sommes dans le cataplasme transversal, dans le credo bavard du « vivre ensemble ». Jadis l’air d’un temps excluait toute réprimande, et se montrait tellement compassionnel, que nous pouvions imaginer ce type d’appréciation à vous faire tomber les bras : « utilise le cutter exclusivement pour couper du carton, a su dire « merci » et « bonjour » : sera admis au brevet ». Maintenant on rase les RASED ; les cutters, jeunots, servent pour abréger le temps des pénitenciers.
Au temps où j’exerçais, sous la rubrique civique, j’ai accueilli l’infirmière autour de la maltraitance et j’ai pu vérifier le syndrome du livre de médecine qui donne toutes les maladies à ses lecteurs. A la suite de son intervention, des enfants avaient dénoncé des parents indignes qui n’autorisaient pas leur fille de 9 ans à aller toute seule à Carrefour !
Et la nouvelle psychologue qui venait faire la pub pour son bureau des complaisances du lundi se dispensait du suivi des cas nécessiteux.
Difficultés d’animer une matière austère qui a tout à gagner avec des voix diverses : une avocate, monsieur le maire... Jusqu’aux C.R.S. de la prévention routière qui étaient les bienvenus avec leur circuit avec petits vélos. Sinon au gré des échéances électorales : la fonction présidentielle, les régionales voire les cantonales apportaient de l’air du dehors à un enseignement qui abordait le racisme, les droits de l’homme et de l’enfant, à quoi sert l’argent ? Et la « Sécu » ? Bruno Heitz et ses planches humoristiques peuvent servir d’appui pour maintes leçons. C’était un temps où l’inspecteur nous accordait sa confiance et pensait que nos petites entreprises valaient mieux que de grands discours.
Dans la plage horaire dévolue à cette matière je casais les rendez-vous avec les élèves du C.M. 2 qui venaient d’entrer en sixième : discussions riches, joviales où les anciens primaires venaient montrer qu’ils avaient grandi. L’occasion jamais déçue de mesurer aussi leur attachement à l’école ; le suivi, la liaison C.M.2/ sixième à hauteur d’enfants. Des moments de convivialité qui dispensaient de dispositifs lourds et disproportionnés afin de dédramatiser le collège. Les chercheurs n’auront pas à gloser sur la nécessité des rites de passage. Un peu de stress mobilise.
Pendant ce temps il faut préparer les conseils d’élèves de l’école et du conseil municipal d’enfants pour aborder la notion de mandat et du retour vers les mandants. La démocratie quoi !
« Il a été décidé qu'on reparlerait, dès les petites classes, d'éducation civique, d'honnêteté, de courage, de refus du racisme et d'amour de la République. Il est dommage que l'école ne soit fréquentée que par les enfants. » A. Frossard