vendredi 27 mars 2015

Eclipse.

Sous l’image envoyée par un ancien pédagogue qui s’est bricolé son observation de l’éclipse de soleil de vendredi dernier, je livre mon humeur de l’heure : sombre.
Des inspecteurs d’académie, et autres sous fifres, avaient interdit aux maitresses des écoles d'observer l’éclipse ; des enfants ont été confinés le temps que la lune passe devant le soleil. Des syndicats ont dû intervenir auprès de la ministre pour qu'elle permette l'observation aux classes qui le souhaitaient.
« Quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt »
Lorsque j’ai reçu un courrier d’un autre de mes collègues encore en activité, concernant  les consternantes palinodies autour de cette éclipse, je pensais que ce serait un témoignage parmi tant d’autres, d’un phénomène qui a révélé, à mes yeux, l’ambiance d’une époque s’enfonçant dans le noir.
« Non mais on est dans quel monde là? C'est pas au programme? Les collègues ne sont pas professionnels et au courant des précautions à prendre? »
Mon pote, parti en classe de découverte ( !) a du convaincre des parents qu’il n’allait pas « laisser leurs enfants se brûler les yeux. Sinon les familles les gardaient (dans le noir ?) »
Je n’ai guère trouvé de commentaires sur cette affaire, alors que les réseaux dit sociaux se sont déchainés autour de Goldman. Pourtant je trouve que cet épisode révèle les ravages du principe de précaution, la perte de confiance en l’école, les préjugés parentaux, la pusillanimité de l’éducation nationale, l’effacement des maîtres, le conformisme de certains médias, leur médiocrité. Alors qu’avec ce phénomène céleste à la portée de tous, il est question rien moins que de notre place dans l’univers, d’éducation, y compris aux dangers, mais pas que.
En  d’autres lieux, l’autorisation écrite des parents était requise, accompagnée d’une circulaire où figurent encore les soulignages mettant en évidence  les mots « graves et irréversibles » et un texte où nul ne pourra ignorer que « les lunettes sont conformes aux dispositions prévues par la directive européenne 89/686/CEE relative aux équipements de protection individuels et porter le marquage CE de conformité. La partie filtrante est constituée soit de films en polyester recouverts d’une fine couche d’aluminium, soit de films en polymère noir teinté dans la masse… » 
La première proposition du moteur de recherche avec le mot « éclipse » concerne… les animaux :
« Les  animaux n'ont pas l'habitude de lever le nez vers le ciel pour regarder le Soleil. Et ils n'ont pas non plus la même fascination que nous pour les phénomènes astronomiques. De fait, "aucune étude clinique n’a révélé une telle altération de la vision suite à une éclipse, note le vétérinaire. Soit parce qu'elle passe inaperçue dans le comportement de l’animal, soit, plus probablement, parce que les chiens et les chats ne sont pas 'intéressés' par l’observation du Soleil et des éclipses. En effet, en temps normal, regarder directement le Soleil, dont l’intensité lumineuse est très forte, est responsable de photophobie. Leurs yeux 'piquent' et nos carnivores domestiques n’ont ainsi pas tendance à le faire. Heureusement pour eux !"
Tous toutous !
L’éducation nationale, à la dernière minute, a encouragé l’observation, aggravant son cas déjà lourd et le mot « projet » usé jusqu’à la corde peut être mis au milieu du feu où se trouve déjà la maîtresse, comme si cette éclipse était fortuite !
Tous les hymnes à la science pourront bien être entonnés, le souvenir de ce moment portera pour certains sur la qualité des lunettes, voire la couleur des rideaux occultants.
 « Un Astrologue un jour se laissa choir
Au fond d'un puits. On lui dit : Pauvre bête,
Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête? »
 La Fontaine
Nous sommes dans le trou.
…..
Pour ceux qui ont suivi quelques questionnements antérieurs où j’ai frisé l’abstention : finalement je suis allé voter. Les socialistes étaient les plus concrets.
…………
Sur le site « Slate » cette semaine :



jeudi 26 mars 2015

Le mois du graphisme d’Echirolles 2015.

Legendre que je vois chaque samedi dans Libé, au musée Géo Charles, est en majesté avec son trait ondulé, très gravure sur bois, beau mais tellement graphique qu’il en est refroidi.
Aux Moulins de Villancourt, les intitulés ont beau titrer « arrache toi un œil », les graphistes du « print » ou du « digital » dans le « packaging », m’ont semblé participer à une ronde aux couleurs attendues, s’éteignant les unes les autres.
Au Musée de la Viscose, des affiches sont posées au sein de l’exposition permanente, reprenant les icones de Grapus, mais ne gagnant guère en lisibilité à se superposer sur les portraits des ouvrières et leur machines noires désormais sous verre.
A La Rampe, des travaux d’étudiants présentent des villes mais pour certains le stéréotype submerge la poésie, la virtuosité ou l’efficacité d’un trait. Quand Toulouse est noyée sous le Cassoulet, Nice s’en tire mieux.

mercredi 25 mars 2015

Agneau à l’Iranienne.

Pour prolonger le souvenir d’un voyage en Iran et ajouter un article concernant les plaisirs de la table, après « Les délices en BD » évoqués hier sur ce blog, ci-dessous: une recette qui se doit de comporter des aubergines puisqu’il s’agit d’un plat perse.
Il y a en a bien une qui semble encore plus savoureuse mais je ne l’ai pas testée, bien qu’elle semble accessible avec pistaches, orange et abricots, "menthe à déchirer":
Pour l’élémentaire : une épaule d'agneau  qu’il est toujours spectaculaire de voir désosser, à détailler en morceaux.
Faire dégorger les aubergines dans le sel un bon moment.  
« Pendant ce temps faites dorer les morceaux de viande dans la cocotte avec un peu d'huile très chaude ».
Ajouter oignons, tomates, concentré de tomate, sel, poivre, curcuma, poivre et bouquet garni.
« Mélangez et laissez cuire quelques minutes à feu vif, sans couvrir. »
Faire rissoler à l’huile d’olive, les aubergines égouttées, épongées et ajouter les dans la cocotte.
Si c’est à la cocotte minute : 20 mn à feu doux, le double de temps avec la cocotte à l’ancienne. Ne pas oublier le citron.
C’est du fondant.

mardi 24 mars 2015

Délices. Lucy Knisley.

Autobiographie, gourmande, craquante, d’une jeune américaine autour de bonnes odeurs de cuisine.
Simple et riche : depuis les crèmes brûlées de sa maman, les barbecues américains, les découvertes mexicaines ou japonaises et les insurpassables croissants fourrés à la confiture d’abricots de Venise jusqu’à la cuisine moléculaire.
Une bonne tranche de mœurs passant par New York, sa campagne proche, Chicago et les années étudiantes où les bobos croisent les amateurs de MacDo et des végétariens.
L’auteure qui aime tant la cuisine ne dédaigne pas quelques sucreries, ni autres fétiches de la « junkfood ».
Elle ponctue son récit, où ne sont pas absentes les crises adolescentes, de recettes pédagogiquement  explicitées telles que la carbonara, le thé aux épices,  les sushis, les fromages, les cornichons et les champignons pour lesquels elle livre des tours de main de sa maman.
Pour ce qui est du « Shepard pie », quelques ingrédients  peuvent nous paraitre exotiques mais nous font sortir du poncif qui dit que les américains ne mangent que pour vivre, alors que certains là bas aussi, vivent pour manger.
Un éloge aux couleurs vives des traditions familiales, de la cuisine avec les produits du jardin, de la nourriture de camions ou de marchés, aussi bien que la cuisine raffinée : le rôle social des repas dans la diversité et l’humour léger.
L’auteure mérite le succès, quand les chefs remplissent les écrans alors que de plus en plus souvent les tables de cuisine n’accueillent que furtivement de dispersés picoreurs de réfrigérateurs.

lundi 23 mars 2015

La chambre bleue. Mathieu Amalric.

la chambre bleue cannes mathieu amalric
Le film dont le réalisateur s’est donné le rôle principal donne envie de lire ou relire Simenon dont il modernise quelques aspects, tout en conservant l’atmosphère d’une province immuable et une riche ambigüité des personnages.
Il nous importe plus de retrouver les circonvolutions d’une passion à travers l’enquête des gendarmes que de savoir qui est coupable :
« La vie est différente quand on la vit et quand on l’épluche. »
Bien sûr le fils du journaliste du Monde est plus crédible en prof de fac qu’en marchand de machines agricoles, mais ses choix de réalisateur m’ont bien plu quand son regard se perd  sur une tapisserie, quand un peu de confiture tombe de la cuillère, quand il nous rejoue celui qui a tout pour réussir et qui ne réussit même pas sa fuite. 

dimanche 22 mars 2015

Médéaland. Sara Stridsberg, Jacques Osinski.

Le retour d’Osinski http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/03/orage-strindberg-osinski.html à Grenoble mettant en scène une suédoise, à ne pas confondre avec Strindberg August, n’a guère emballé le public.
Pour ma part, cette pièce, parmi les plus courtes des propositions théâtrales récentes  qui durent en général plus de 3h, m’a paru la plus longue avec ses 2h, bien que la fin rachète un peu de quelques longueurs et lourdeurs précédentes.
Le mythe terrible, rappelé sur le net à propos de la tragédie de Corneille, est modernisé:
«Médée est répudiée par Jason, après lui avoir donné deux enfants. Elle accomplit sa vengeance dans un premier temps en brûlant la nouvelle épouse de Jason, puis en égorgeant ses propres enfants. »
Mais l’approche psychiatrique de l’excentrique ne suscite guère de compassion et peu de réflexion dans la mesure où l’universalité de la légende disparait derrière un destin individuel à l’amour démesuré.
 « L’amour c’est le gaz carbonique du sang. L’amour c’est une punition. Dans le futur, personne n’aimera. L’amour sera supprimé. Une barbarie révolue, incompréhensible et antidémocratique. Tout le monde rira de nous, pauvres fous aimants. »
Les Rita Mitsouko étaient plus divertissants
« Les histoires d'A
Les histoires d'amour
Les histoires d'amour finissent mal
Les histoires d'amour finissent mal en général »
.
La liberté de cette femme ne peut se justifier derrière les  horreurs commises.
« Mais tu dois apprendre à t’incliner devant le monde quand il te regarde. Personne n’y échappe. Aucune femme. Pas même toi, Médée. »
Je venais de lire un portrait d’une mère infanticide dans le Libé du jour et il y avait bien plus de complexité, d’interrogations, que dans cette construction froide.
Bien que la belle Maud Le Grevellec soit une excellente comédienne, face à Jason, oison tombé du lit, l’émotion ne passe pas. Qu’elle n’ait pas de papiers m’a paru sans importance au cours de ce drame absolu n’éveillant aucun écho dans une actualité qui pourtant déborde entre les moindres virgules de textes, de musiques, de danses, pansements à nos pensées meurtries.
Si ! Médée attendait les dieux ; et ils n’ont pas fait signe !

samedi 21 mars 2015

Un candide à sa fenêtre. Régis Debray.

Lui qui a si bien le sens de la formule n’a pas trouvé, à mon avis, le titre adéquat, car le renard argenté n’est guère ingénu. Et s’il cultive une fraicheur revigorante en un regard embrassant la philo, la politique, les arts, la littérature depuis la France jusqu’au monde, c’est d’expérience qu’il parle.
Tout est bon dans le ronchon, avec ses 395 pages délicieuses où  la tentation est forte de se contenter de citations tant le lecteur toujours admiratif http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/09/reverie-de-gauche-regis-debray.html  se sent illégitime pour  juger celui qui tel Cyrano se sert lui -même, avec assez de verve, lui qui aime « assimiler d’innombrables lectures, leur donner une forme ramassée et alerte, les contreforter de souvenirs ou d’aperçus personnels… »
Je le suis dans sa critique de l’art contemporain ou de «la littérature sans écriture», dans les paradoxes soulignés d’un Sartre appelant à bouffer du capitaliste après une guerre passée à occuper essentiellement Saint Germain des Prés, quand il verrait bien Joséphine Baker au Panthéon, et ses fidélités à Santiago Carillo, Semprun, Grach, lui qui avait pressenti la remontée du religieux, « le leurre européen » , la révolution numérique…
Et je me mire dans le miroir d’une « France enfance » qui a sa place à côté de « France élégance », « souffrance » et « romance » :
« Elle a la plume sergent major chère aux gavroches amoureux des cartes et d’estampes, fleuves verts et départements saumon. Elle musarde  à cheval sur la Sologne et Ménilmontant. Le Grand Meaulne et Robert Doisneau. Entre les comptoirs de comptine (« Pondichéry, Chandernagor, Mahé… ») et ceux en zinc de la rue Villain. Elle est rêveuse humaniste, centre gauche, gouailleuse, doucement anarchisante. La France de Laforgue, de Perec, de Brassens et de Truffaut. Elle aime le calembour. Couleur : du gris tourterelle (les toits de Paris) au bleu –noir (l’encre Waterman). Le ton : à la confidence avec un grain de mélancolie. »
« Un pays qui n’a plus assez de musique en lui peut il réussir sa composition ?»
Léger, inattendu, pourtant le passage du temps se fait sentir, quand la mort n’est pas un départ mais un retour vers les familles et que la lutte contre l’oubli devient pathétique :
«  bienvenue la saumure doctrinale qui nous permet, à nous randonneurs sans biscuit, de puiser dans les stocks pour poursuivre notre route ».
Que fait-on quand les anorexiques sont pourvus de GPS ?
Pourtant le bon sens est bien dit : « Quand le jour se lève sur le tapis vert, le chimérique double la mise et joue banco » pour parler des surenchères de ceux qui s’aperçoivent de l’échec de leurs rêves, ils n’en ont pas fait assez !
 Allez, pour la route, quelques gourmandises :
« Il n’y a plus lieu de croire qu’on va fermer les mosquées en favorisant les mathématiques, ni faire fuir les ayatollahs à coup de Coca-Cola, ni ramener les hommes à une bonne gouvernance avec des ordinateurs. »
Parlant en bien des tweets qui comme « l’art vit de contrainte et meurt de liberté » :
« peut être manque-t-il à nos haïkus numériques et drolatiques cette goutte d’amertume qui aide à bien vieillir ».
Nous ne manquerons pas d’amaretti et vieillirons bien ensemble, tant qu’il y aura de si belles pages.