vendredi 6 février 2015

Simples.

En vue du  point de vue que j’essaye de mettre en forme chaque vendredi, j’avais noté :
« qu’est ce que la société peut faire pour moi ? » pour m’étonner d’un paradoxe de plus.
Alors que nous sommes immergés dans un bain où l’individu prime et déprime, se fout des autres, le recours à la société devient automatique depuis les conchieurs de l’état qui vivent du RSA jusqu’aux libéraux à la dent dure nourris par la sécu.
Et puis j’ai entendu dans l’excellente émission de Philippe Meyer les mots d’Amin Maalouf :
« Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays ». Facile à dire quand tu es milliardaire, et que tu viens d'être élu, à 43 ans, président des Etats-Unis d'Amérique! Mais lorsque, dans ton pays, tu ne peux ni travailler, ni te soigner, ni te loger, ni t'instruire, ni voter librement, ni exprimer ton opinion, ni même circuler dans les rues à ta guise, que vaut l'adage de John F. Kennedy?»
Rien n’est simple ! La complexité s’impose et les marchands de solutions toutes faites indisposent encore plus depuis la manif historique du 11 janvier que je ne cesse d’invoquer de peur qu’elle ne disparaisse dans les vaguelettes d’une actualité affolante.
Rien n’est simple ! Comme les explications qui se superposent sur les causes économiques, psychologiques, éducatives, religieuses qui ont amenés ces français à tirer sur leurs semblables, sur leurs défenseurs.
Dans les lignes auxquelles se raccrocher, j’avais aimé ces mots de Maggiori dans Libé  à propos de la liberté:
«Je suis libre, je fais ce que je veux !» : que reprochera-t-on alors au voleur qui veut voler et au violeur qui veut violer ? On dira donc que la liberté, c’est plutôt vouloir ce qu’on fait… »
Nous n’en avons pas fini avec la tristesse, mais le sursaut en ce dimanche glacial nous a réchauffé… comme la confiance qu’a accordée Najat Valaud Belkasem au directeur de l’école de Nice dans une affaire qui semblait tellement simple : le scandale d’un enfant au commissariat pour des mots qu’il ne connaissait pas. La ministre a pris le parti des enseignants et non celui des journalistes. Un signe simple qui tranche sur tant de discours gnangnans devenus inaudibles.
« La parole des simples est généreuse, le discours des prophètes dangereux. Les fanatiques gouverneront le monde si la majorité pacifique n'a pas réagi, par des mots violents, avant qu'il ne soit trop tard. La passivité est un crime. L'indifférence entretient le massacre. »
Jacques Chancel
……..
Dans le « Charlie » historique :


jeudi 5 février 2015

A la table des peintres : le vin des hommes.

Au XVI° siècle, sous les lumières caravagesques, la peinture naturaliste fait sortir la réalité de la toile et les hommes trinquent sans même l’ombre d’une allusion religieuse en fond de scène.
Le conférencier Jean Serroy, aux amis du musée, nous accompagne, d’auberges qui commencent à s’enfumer en assommoirs XIX°, de gargotes en bistrots, de guinguettes en tavernes.
Le monde est nouveau, le sang circule, les planètes ont trouvé leurs orbites, les cabinets de curiosité s’enrichissent, les natures mortes répertorient le monde.
 « Bacchus chez les vignerons » de Vélasquez, le dieu à l’épaule nue, est descendu de son nuage, il rayonne, mais les acteurs de la vendange aux têtes rigolardes marquées par le soleil sont bien là.
Et lors d’un « Déjeuner des paysans », le vin versé par la servante constitue l’axe de la toile et scelle la discussion.
«  L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes. » La Bruyère
Trois catégories de paysans sont représentées dans « Repas de paysans » de Louis, un des trois frères Le Nain. Ceux-ci appartenaient à la paroisse Saint Sulpice dirigée par  le père Olier  prêchant  vigoureusement la charité au moment de la reconquête catholique où l’attention se porte tout de même sur les miséreux. Le propriétaire tient un verre éclatant d’une façon distinguée devant son fermier et le va-nu- pied n’a rien.
« Le roi boit » de Jordaens et ce qui est bu ressort, il avait peint aussi «  Comme les vieux chantent, les enfants piaillent », une autre façon de dire, tel père tel fils, 
« ce que chantent les vieux, les enfants le fredonnent » dans « La joyeuse famille » de Yan Steen où la fête est assumée dans un joyeux remue ménage, un chien attend que quelque chose tombe de la table.
Celui-ci est admis à l’intérieur d’un cabaret, contrairement aux femmes, hormis les serveuses, dans une « Partie de cartes» de David Teniers. Une commère jette quand même un coup d’œil.
Par contre tout le monde se presse « chez Ramponneau » qui a installé ses cabarets  au-delà de la barrière de l’octroi où il peut casser les prix. Benjamin Fichel en reconstitue l’ambiance un siècle plus tard.
« Un bar aux Folies Bergère » est le dernier tableau reconstitué en atelier de Manet qui a consacré une dizaine de toiles aux cafés. Comme Degas et son « Absinthe » à la composition décentrée, où une femme songeuse et solitaire au reflet flou, pourrait illustrer « L’assommoir » de Zola qui fit scandale à l’époque.
« Le café de nuit » de Van Gogh semble vide sous la lumière trop crue qui a attiré les « rodeurs nocturnes » comme des papillons.
Dans sa période bleue, « Le repas frugal » de Picasso, inspiré des illustrations des « soliloques du pauvre  » de Jehan Rictus, est sombre, anguleux, ses personnages émaciés, tragiques eux aussi.
Mais il y a un art de boire, celui qui exalte la vie, issu de l’art de savoir élever la vigne.
C’est une femme, « Femme célébrant le vin » peinte par Bartolomeo van Der Helst qui présente un livre clairement calligraphié. C’est plus facile de prendre position que lorsqu’il s’agit de choisir entre jansénistes et jésuites, protestants ou catholiques. 
Les convives de JF De Troy attablés autour d’un « Déjeuner d’huitres » font sauter les bouchons, joyeusement. 
« Le buveur » d’Annibal Carrache coupe avec les grâces maniéristes, il a les yeux qui interrogent le fond du verre,  
et « Le jeune dégustateur » de Mercier a posé les clefs qui mènent aux trésors de la cave, il boit des yeux une promesse de plaisir.
Greuze, apprécié de Diderot condamne « L’ivrogne » qui ne tient pas son rôle de père, même le chien de la maison ne le reconnait pas, il grogne. 
« Sur le zinc », lors d’un de ses rares portraits, Vlaminck pousse la caricature avec une pocharde à la lippe pendante, au mégot tombant, au maquillage expressionniste.
Chagall, lui, reproduit  une coutume juive dans « Double portrait au verre de vin », sur les épaules de Bella, il lève haut le verre.
Le vin va avec l’amour, Magritte peint une femme sur une bouteille, le ciel sur une autre et le feu.

mercredi 4 février 2015

Iran 2014 # J 17. Masouleh / mer Caspienne.

Selon les chambres, les remarques du matin tournent autour des odeurs de poisson ou de pétrole, des discussions tardives des passants s’engouffrant par les fenêtres ouvertes ou du grignotement du bois par une souris, et de façon plus générale de la dureté du matelas. Celle qui a les nuits les plus difficiles d’habitude, pour une fois, a dormi du sommeil du juste. Halleh nous a préparé le petit déjeuner dans la salle de restau qui se contente de fournir l’eau chaude aux clients. Ali est plutôt frais et de bonne humeur après sa nuit dans le mini bus.
Nous descendons vers Fuman, la grande ville avant Masouleh, plus vivante en ce jour de marché qu’hier quand elle était plongée dans la torpeur. Nous nous arrêtons pour acheter des pêches, des gâteaux sans se défaire de nos appareils photos.
Ensuite nous roulons tranquillement, rien ne nous presse, notre chauffeur s’arrête à la demande pour faire un cliché de panneaux annonciateurs de mosquées, nous profitons d’une halte auprès d’estancos de bord de route pour acheter des cuillères-écumoires en bois originales et des petits pots bouchés d’une rondelle de bois qui se transformeront en boîte à sel.
Nous entrons dans la province de Guilan, le paysage ne se modifiant pas vraiment : soit forêts à perte de vue, soit cultures essentiellement de riz mais aussi de tabac et de kiwis dans les jardins. Nous sentons bientôt la proximité de la mer, « mer fermée, la plus grande du monde, elle a résisté aux sécheresses et assure un climat subtropical à un pays aux tendances arides ». L’air se charge d’humidité et en fraîcheur, nous arrivons à Hashte Par.
La maison qui nous est réservée est construite au milieu des champs de riz, toute neuve face à la maison initiale où s’entasse une famille que l’on devine derrière les fenêtres. En voulant contourner cette habitation ancienne pour pénétrer dans la cour, Ali s’embourbe dans les épis blonds qui cachaient une terre humide et bourbeuse. Nous déchargeons le véhicule et découvrons une maison climatisée, meublée à l’iranienne, recouverte de tapis avec d’épais et larges coussins utilisés comme dossiers. L’ensemble du groupe s’active presqu’immédiatement dans la cuisine : l’ail et l’oignon reviennent gentiment, les spaghettis chauffent.
 Halleh nous entraine, dès la vaisselle finie, à la plage au bout de la rue. Il fait encore chaud à 15h 30/16h, les garçons ont revêtu leurs maillots. La plus décidée des filles bénéficie d’une chemise d’un de nos hommes, elle a choisi un pantalon et puis sa casquette : plus prude qu’un maillot 1900.
La plage est accessible par un passage entre des grillages. Deux espaces carrés protégés par des plastiques bleus avançant dans la mer sont séparés par une distance respectable au milieu d’un sable  tristou souillé de  déchets. 
Tout ce tralala pour parquer les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Les gens habillés contemplent la mer depuis leur cabane à divans, face à l’eau à côté de leur voiture. Comme nous ne sommes pas iraniens, les gardiens en uniforme nous autorisent à nous baigner ensemble dans une zone plus éloignée, à condition de respecter quelques règles de sécurité : ne pas s’éloigner, avoir toujours de l’eau en dessous de la taille (présence de « puits » dangereux) et nos gardiens restent présents avec un surveillant de baignade. Le régime de faveur semble faire des envieux qui sortent de derrière les bâches bleues pour nager vers un petit ponton où est construite une cabane en bois et n’obéissent pas très vite aux coups de sifflets appuyés de gestes péremptoires des surveillants. Les baigneurs retournent s’ébattre dans l’eau tiède d’une mer peu salée.
Les autres, rentrent à la maison pour profiter un peu du temps libre et observer la désincarcération du minibus de sa gangue : deux pick up n’ont rien pu faire. Seule solution : démonter la clôture, passer le tracteur et tirer le van par l’avant. Mais ensuite il faut que notre chauffeur émérite vise au millimètre pour passer le portail de la cour et ressortir par le grillage défoncé. Malgré tout ce tracas, l’hôtesse frappe à la porte, nous offre un plat de figues. Elle aide ensuite H. et G. à vider 5 beaux poissons ressemblant à des truites destinés au barbecue du soir. Nous sommes bien dans la pièce commune fraîche. Nous nous régalons, transformons la salle à manger en chambre à coucher en étalant les 7 matelas sous la clim’ comme si on se couchait sur la table débarrassée. 
D'après les notes de voyage de Michèle Chassigneux

mardi 3 février 2015

Là où vont nos pères. Shaun Tan.

Déjà l’objet est gracieux en donnant l’impression de feuilleter un album de photographies qui auraient traversé le temps, à la fois familières et délicatement surprenantes.
J’ai d’abord feuilleté les 130 pages rapidement, tant l’histoire de cet émigré est fluide, et puis je suis revenu pour savourer chaque dessin à la fois très réaliste et onirique avec des êtres imaginaires qui se glissent dans le quotidien et accompagnent la découverte d’un pays énigmatique pour un homme qui a laissé  sa femme et sa fille dans son pays natal.
L’auteur d’origine chinoise travaille en Australie mais beaucoup de ses paysages rappellent Elis Island où débarquaient les migrants à l’entrée de New York, ils évoquent pour chacun la découverte d’un nouveau monde rêvé et qui ne se donne pas facilement.
Rien de dramatique : malgré la violence, la tendresse et la poésie transfigurent une âpre réalité. Le dosage entre récit documentaire et conte est subtilement pesé. Le soin apporté au travail qui a duré 4 ans ajoute à notre plaisir, nous sommes indifférents à sa date de sortie puisqu’il échappe à toute mode fugace et traite de la solitude, de nos apprentissages, de l’étrangeté du monde, de sa beauté.
Roman graphique sans parole où les formats des dessins varient naturellement. Le fantastique devient ordinaire. Cette œuvre a la mobilité d’un film, et sa douce inventivité par le moyen d’un dessin traditionnel, ferait glisser l’ouvrage des rayons BD vers ceux de la littérature dont le prestige suranné s’accorderait très bien au côté un peu désuet de l’ouvrage.

lundi 2 février 2015

Snow Therapy.Ruben Ostlund.

Film vu à Cannes où il a reçu le prix du jury dans la compétition « Un certain regard » sous le  titre « Force majeure (Turist) ».
L’avalanche qui a menacé une famille en vacances dans une station de ski de luxe n’a pas finalement laissé beaucoup de trace, le moment d’effroi passé. Bien que l’insuffisance du papa se soit révélée à ce moment là.  Alors que ma pente naturelle ne me portait guère vers des musiques aux effets appuyés ni aux vues trop belles, j’avais pourtant aimé ce film suédois où la tension montait habilement. Mais je me suis rendu aux raisons de ma compagne des salles obscures qui a trouvé la fin heureuse calamiteuse, tout en me réjouissant d’un accueil critique favorable de la presse qui  a rejoint mon sentiment premier.

dimanche 1 février 2015

My dinner with André. Stan Et de Koe.

En principe à la sortie d’un spectacle de 3h 30, nous devrions admirer les capacités de mémoire des acteurs, eh bien pas cette fois car les rôles des deux compères sont tellement au point que nous avons simplement le sentiment d’avoir assisté à une conversation spontanée, passionnante jusque dans ses anecdotes interminables où il y a à tous coups matière à rire.
Autour d’une table garnie de plats préparés sur scène, que l’un engloutit et l’autre ne touche guère, deux auteurs de théâtre. Le ressort comique constitué par le frottement de deux personnalités contraires est efficace. L’un est massif comme Orson Welles mais n’a pas aussi bien réussi sa carrière que son ami tellement content de lui-même. L’un parle, s’écoute, l’autre ne peut en placer une, mais établit une connivence avec le public durant tout le spectacle qui va mêler ainsi clowneries et réflexions profondes sur la création théâtrale mais aussi rien moins que le sens de nos vies.
Nous sommes très proches de la scène et apprécions la fumée d’un cigare, devenu à présent une provocation d’une audace inouïe. En même temps nous sommes transportés chez les flamands, avec leur folie,  leur poésie, leur sens du tragique et de la vérité, leurs excès et leur délicatesse.
Tous les adjectifs liés à la cuisine vous viennent : savoureux, nourrissant… bon !
Pensant prolonger mon plaisir, je suis allé à la Cinémathèque voir le film de Louis Malle dont la pièce s’est tellement bien inspirée que, l’original bavard de 81, en est vidé de sa substance. La performance théâtrale n’en parait que plus remarquable. En réécoutant  les dialogues, la fâcheuse tendance des années 80 à voir des fachos partout parait avec encore plus d’indécence, maintenant qu’ils ont pignon sur rue.
J’y ai retrouvé aussi  la citation d’ Ingmar Bergman dans Sonate d'automne:
"Dans mon art, j'ai réussi à vivre. Mais pas dans ma vie".

samedi 31 janvier 2015

Que reste-t-il de l’occident ? Régis Debray Renaud Girard

Le titre à plus d’un titre était peu engageant : défaitiste, avec de surcroit ce mot « occident » dont le sigle : un cercle barré d’une croix hanta les murs de la fin du siècle précédent.
L’échange épistolaire est riche et nerveux (140 pages).
Le souffle de l’écrivain qui m’enivre si facilement
« Les dominés ont plus de mémoire que les dominants et on se rappelle mieux les gifles reçues que celles distribuées. »
est tempéré par la précision du reporter :
« L’occident a inventé successivement l’Etat de droit (Rome), la liberté ( Révolution Française ), l’Internet ( Universités américaines) »
Aux atouts du monde occidental listés par le philosophe : sa cohésion, son aptitude à l’universalité, ses écoles, ses films, ses innovations scientifiques et techniques, le journaliste ajoute la liberté, la notion d’état de droit et l’économie participative, le goût du débat.
Sont comptés les handicaps : goût de la puissance, et complexe de supériorité, « déni du sacrifice, éparpillement des sources du désordre ». « Responsabilité de défendre » à géographie variable, désastreuses interventions militaires, manichéisme et angélisme.
En face, la troisième voie dans les pays arabes est difficile, et la définition de l’ennemi vient à temps : «  l’islamisme international ».
Obama n’est pas Bush : « Avec l’argent que nous dépensions pour un seul mois de notre guerre en Irak, nous pourrions former une police et une armée en Libye, maintenir les accords de paix entre Israël et ses voisins, nourrir les affamés du Yémen, construire des écoles  au Pakistan, créer des réservoirs de bonne volonté qui marginalisent les extrémistes »
Malgré les maladresses diplomatiques et l’immobilisme de l’Union européenne, la politique peut être sauvée par la culture. 
« La seule question qui se pose, dans cette union européenne sans européens, est de savoir si l’idée d’une confédération suzeraine, dans l’interdépendance générale des nations, pourra demain survivre au déglinguage d’une machine à désarmer, déresponsabiliser, désindustrialiser, démembrer et décérébrer. »