jeudi 30 janvier 2014

Cornell et les surréalistes. Musée des beaux arts Lyon.

Parce que les surréalistes étaient la modernité en nos années lycée, leurs collages à l’heure de Photoshop ont certes le goût familier du passé déposé sur un  coin de trottoir un dimanche matin de brocante, mais font dépassés, leur audace éventée, leur originalité dévaluée par une profusion d’images qu’ils ont influencées.
Jusqu’au 10 février à côté de l’Hôtel de ville, nous pouvons découvrir après le MOMA, les productions de Joseph Cornell qui rencontra Dali, Duchamp, Ernst, Man Ray… entre 1930 et 1940 quand l’Amérique recevait des bannis de l’Europe et que le surréalisme vivait à New York, son âge d’or.
Les assemblages peuvent être insolites, détournés, le merveilleux tient dans une poche.
Rêves, trompe l’œil et poésie de l’ordinaire.
Le quotidien s’enchante, les objets s’animent, le plus ténu des ressorts, le plus fin des fils, le plus banal des écrins prennent toute la place que nos imaginations appâtées leur inventent.
Mis en boites, derrière leur vitre, les sables, les verres, les boules nous invitent à  les regarder et à voir le monde différemment.
De Chirico, Eluard, Breton jouent leur partition.
Cornell rencontre aussi des néo-romantiques qui officiaient beaucoup dans les décors de théâtre ou de danse. Il constitue une collection de remontages de séquences au cinéma qui fait référence : films collage.
Et plus ça va, plus l’influence de Duchamp me parait déterminante, celui-ci embaucha Cornell pour construire de petits musées portatifs.
Il travaille aussi le mouvement,  les effets d’optique, confectionne des jouets ; un moment proche de l’expressionnisme abstrait, il aborde aux rives du minimal art et du pop art.
En 1972, il meurt à 69 ans

mercredi 29 janvier 2014

Ethiopie. J 18. Harar Diré Dawa.


Nous prenons le petit déj’ dans un  hôtel qui possède un cyber café que nous investissons d’emblée.
A 9h, notre guide d’hier au soir est ponctuel. Il a perdu un peu de son côté vénérable depuis qu’il a troqué son calot pour une casquette américaine et qu’il a abandonné sa canne et son foulard drapé élégamment au profit d’un blouson en cuir.
Nous partons à pied depuis la place où se trouve la statue de Ras Mekonnen le père d’ Haïlé Sélassié et commençons par la cour de justice, construction d’origine italienne, dont on aperçoit les vitraux de la salle des jugements à travers les carreaux au dessus de portes malheureusement fermées le matin.
Nous nous rapprochons des murailles (XVI° siècle) et nous nous engouffrons dans le souk. La foule colorée est dense, un ballet incessant de "toctoc" et 404 bleues déversent leur lot de clients à l’entrée du marché couvert.
Nous traversons le quartier des tissus made in Indonésia, le quartier des épices toujours aussi photogéniques, le quartier de la récupération (plastique, métal). Le guide nous amène sur des promontoires qui surplombent d’énormes bidons bleus et des monceaux de bidons jaunes, indispensables réservoirs d’eau utilisés dans toute l’Ethiopie, ils contenaient à l’origine de l’huile importée de Malaisie.
Il nous introduit dans la demeure d’un cheikh où nous retrouvons la même pièce entrevue hier dans une maison avec des divans rouges recouverts de tapis sur plusieurs niveaux, un escalier extrêmement raide conduit aux chambres cachées derrière un moucharabié. Les murs sont décorés de vanneries et de plats émaillés. Jouxtant l’escalier une minuscule pièce est destinée aux jeunes mariés qui y logent une semaine et communiquent par une petite fenêtre. Après notre passage une jeune servante interrompt sa lessive dans un bassin et ferme la pièce. Nous accédons près de la mosquée du Cheick à une pièce de discussion et de prières gardé par un homme qui en notre honneur fait résonner les tambours. Avant de pénétrer dans la vieille ville, depuis le haut d’un immeuble commercial nous dominons une partie des marchés et apprécions une vue panoramique jusqu’aux montagnes. Nous plongeons sur une activité de fourmilière dans un bruit de circulation de klaxons et d’odeurs de moteur dignes de Cotonou, notre référence en matière de pollution.
Nous nous laissons diriger dans les ruelles de la vieille ville. Partout les marchands occupent les rues ne laissant qu’un passage étroit à la foule et aux ânes. En passant par des cours intérieures, nous parvenons jusqu’au marché de la viande de dromadaire à côté du parking des ânes et du marché au bois.
Nous entrons dans la maison dite de Rimbaud où le poète n’a jamais habité. Cette bâtisse construite par un marchand indien ne manque pas de charme avec sa structure en bois et son balcon rond à l’intérieur, ses peintures au plafond, ses vitraux colorés. Les quelques documents exposés sont émouvants. Rimbaud fit là commerce de café et d’armes et ce fut sa dernière étape avant de revenir à Marseille pour y mourir.
La maison du père d’Haïlé Sélassié est construite sur le même  modèle avec un Ganesh sculpté au dessus de la porte. Elle abrite actuellement un petit musée. En passant par une cour intérieure,  nous discutons avec des jeunes filles en français, elles profitent des vacances scolaires pour fuir la chaleur de Djibouti (45°).
« Farenji ! » Transformation du mot « français ». Ce mot nous accompagne tout au long de la balade. Nous déjeunons après  presque 5h de visite dans un restau fraichement repeint en noir dont le menu est réduit mais honnête.
Sur la proposition de Girmay nous ne séjournons pas à Harar comme le prévoyait le programme nous partons pour la ville de Diré Dawa. Nous prenons  la direction d’Addis puis tournons à droite sur une jolie route qui nous fait descendre de 1800 à 1200 m d’altitude. Nous entrons dans la deuxième agglomération du pays, une ville propre avec trottoirs et route goudronnée ou pavée très arborées. Nous sommes surpris par la chaleur de l’été qui nous a fait défaut jusqu’ici. Nous logeons à l’African Village, un ravissant hôtel de bungalows .Tout fonctionne ! Les prises tiennent au mur, les ampoules éclairent, il y a même un variateur de lumière, le lavabo ne branle pas et les ventilos brassent efficacement, le nouveau testament est à disposition sur une étagère, le bar ne vend pas de bière sans doute pour des raisons religieuses; dehors une volière emprisonne un perroquet du Gabon et deux autres oiseaux du même genre.
 Nous profitons du lieu et nous nous posons un moment autour d’une table à l’extérieur, mais je ne résiste pas à une petite sortie photos dans les environs avec mon complice en images. Nous nous apercevons de la connotation française de la ville, étape majeure de la ligne de chemin de fer construite jadis par la France, dont le personnel parlait notre langue et joue encore aux boules pour certains.
Girmay a retrouvé un copain d’enfance qu’il n’a pas revu depuis 15 ans et s’accorde un petit moment avec lui. Nous dinons dans un restaurant classieux.

mardi 28 janvier 2014

Chroniques de la vigne. Fred Bernard.


« Conversations avec mon grand père ».
Nous partageons les anecdotes et le bon sens fortifiant d’un  pittoresque vigneron bourguignon sans le vernissé habituel des hommages au terroir.
Le nonagénaire a commencé à consommer du vin en pension à 10 ans, il y avait alors un quart de litre pour 4 garçons et un litre à 14 ans, il reconnait les terroirs au hameau près, même si pour les millésimes c’est plus délicat sauf pour les cuvées exceptionnelles.
Il a consommé 40 000 bouteilles, l’apéro ne comptant pas.
Il nous distille quelques vérités sur les tricheries, les snobismes du milieu. Son petit fils dans ses aquarelles restitue avec tendresse ces années de plaisir marquées pendant longtemps par la guerre. Ses dessins sont moins à mon goût.
Sur le linteau d’une cave: 
«  Les vins de Savigny sont vins nourrissants, théologiques et morbifuges ».
Cette BD peut reprendre la formule à son compte en célèbrant avec humour, une tradition, tout en nous éclairant sur les évolutions, et en nous faisant part de textes de Edmondo de Amicis qui décrit d’une façon savoureuse les effets du vin suivant les personnalités. 
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Dans Libé du week end. Cliquez sur l'image pour aggrandir.

lundi 27 janvier 2014

Mère et fils. Calin Peter Netze.


Mère protectrice, police corrompue : ces sujets ont été déjà été abordés. Mais la tension entre mère et fils est racontée ici dans une forme renouvelée servie par une actrice omniprésente : Luminita Georghiu. Les rapports violents et les différences de classe évidentes sont traités subtilement. J’ai retenu quelques scènes remarquables entre la bourgeoise et sa femme de ménage, sa belle fille,  avec un plan final qui emporte le morceau.
Le mensonge à soi même est un poison et les mots, des leurres qui disent une bonne volonté mais demeurent impuissants devant les actes commandés ou interdits par des liens noués tellement forts depuis tellement longtemps.
En choisissant d’aller voir un film roumain (http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/12/mardi-apres-noel-radu-montean.html) le risque existe de passer pour un snob, surtout si le dernier parisien ne vous a pas convaincu, mais pour ce que j’en connais, les dialogues sont efficaces, les sujets puissants et habilement troussés, la caméra prenante, les acteurs excellents, l’émotion au rendez-vous, avec un arrière plan social intéressant.

dimanche 26 janvier 2014

Stéphane Grappelli. Antoine Hervé.


Pour sa leçon de Jazz de cette saison 2014, Hervé, le pédagogue pianiste virtuose est venu avec Sébastien Guillaume au violon, car il s’agissait d’honorer le père des violonistes de jazz.
Un moment agréable même si l’ardeur du maître de cérémonie le conduit parfois à tirer un peu la couverture à lui, mais c’est vraiment du travail de pro alliant une didactique joviale pleine d’humour, aux jubilations du jazz, « à consommer sur place » comme disait Sartre.
Stéphane Grappelli fils de marquis italien a gardé toute sa vie une certaine élégance.
Ayant perdu sa mère très tôt, il vécut six mois décisifs à l’école de danse d’Isadora Duncan où il s’enthousiasma pour le langage impressionniste de Debussy et Ravel. Mais très tôt comme Piaf il doit se produire dans les cours d’immeubles avec son violon, puis au piano pour accompagner des films muets. Aux alentours des années 30, il rencontre Django Reinhard (http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/02/jeangot-1-renard-manouche-joann-sfar.html)dans l’orchestre du club la Croix du Sud, puis fonde avec lui le Quintette du Hot Club de France.
Il reste pendant la seconde guerre en Angleterre où il est apprécié, et quand les deux complices aux relations orageuses se retrouvent, ils enregistrent « Echoes of France » cette Marseillaise qui swingue qu’Hervé a mentionnée mais pas jouée.
Par contre il a ont ouvert le concert avec son complice en interprétant « Les feuilles mortes » de Kosma puis « Belleville », « Evelyne » , « Piccadilly stomp » et « Nuages »… au rappel comme je l’attendais, la musique du film Lacombe Lucien dont le titre est « Minor swing ».
Sur les musiques noires qui venaient d’un nouveau monde « speedé », les compères  apportèrent des tonalités manouches avec leurs cordes qui suppléent la batterie à s’en péter les crins. L’accentuation sur les temps 1 et 3 des européens nous fait repérer facilement aux states où les mains claquent sur 2 et 4.
Sa collaboration n’a pas été exclusive avec le guitariste gitan, il a travaillé avec Oscar Peterson, Petrucciani, Menuhin et même les Pink Floyd, toujours « classe ».  
C’est lui qui a composé la musique du film les « Valseuses »http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/06/schnock-n7-ete-13.html où Depardieu disait :
« On n'est pas bien là ? Paisible ? À la fraîche ? Décontracté du gland… »
Il est mort en 1997 à 89 ans

samedi 25 janvier 2014

Trois poèmes en patois grenoblois du XVI° siècle. Laurent de Briançon.


Je ne m’attendais pas à trouver autant d’échos à l’actualité dans cette brochure éditée par le centre alpin et rhodanien d’ethnologie dont la moitié des pages est en franco-provençal, le patois que je ne sais prononcer, mais qui m’a valu le prêt de cet ouvrage pour avoir évoqué lors de lecture en maison de retraite, quelques expressions locales tirées de l’Almanach du vieux dauphinois.  
Ces poèmes bien troussés sont traduits par Gaston Thuaillon.
Ils célèbrent la liberté des femmes, tout en ne manquant pas d’être paillards :
« …  dans la nature, il serait plus facile
De retenir le vent de tempête ou l’eau dans une grille
Que de pouvoir retenir les gens
De goûter un si bon et si grand plaisir
D’elle-même la nature exige toujours accouplement
Et ne peut supporter qu’une ouverture
Reste vide et privée de bouchon. »
Briançon, consul de Grenoble, auteur de ces alexandrins n’a rien à voir avec le chef lieu des Hautes Alpes, il n’a pas sa langue dans la poche même quand il va à Blois pour de états généraux et qu’il dresse un vert portrait de la cour :
« Monsieur » est, pendant ce temps, renversé sur un siège
Plus fier que n’est un porc dans un champ de raves, »
Avec verve, il dénonce les rigueurs calvinistes dans Lo Batifel de la Gisen « le bavardage chez l’accouchée », et dans Lo Banquet de le Faye « le banquet des fées » il met en scène au col de Vence, bien avant « La Vence scène », cent petites fées-ministes dont la Fleurie arrivée en retard  
« était si aguichante, si vive
Qu’un roi se flatterait d’avoir fait une très bonne affaire,
S’il pouvait  l’avoir tout à son aise, un soir, dans ses bras. »
Elles imaginent mille tourments pour un mari violent :
« aux poils hérissés comme les poils du cul d’un verrat en colère »
Avec ce qu’il convient de notes pour situer et préciser ces mots qui ont traversé le temps, nous passons un bon moment.
« Adonque et fut iour, & lo polet chantit.
Alors ce fut le jour et le coq chanta. »

vendredi 24 janvier 2014

Islam, phobie, culpabilité. Daniel Sibony.


« Ne tuez pas l’homme que Dieu a sacré » ainsi dit le Coran, donc ceux qui tuent au nom d’Allah n’auraient rien à voir avec la parole divine, quoique il est précisé : sauf « pour une cause juste », alors ?
Il y a place pour le débat. La parole vient enrichir l’écrit, depuis Moïse qui entendait ce qui se disait dans une école où s’étudiait la Torah et ne reconnaissait pas ses  propres paroles. L’humour est vital.
 A la villa Gillet, Daniel Sibony présentait son 37° livre « Islam, phobie, culpabilité » à l’invitation du cercle de la pensée juive libérale de Lyon. Le philosophe généraliste complète agréablement le psychanalyste, qu’il est par ailleurs, apportant des témoignages vécus, ainsi  avec ce patient : « maintenant que vous m’avez débarrassé de mes peurs, j’ai drôlement peur ».
 A la fois poète et mathématicien, parlant plusieurs langues,  il me charme quand il rapproche « texture » de « texte », ainsi j’ai aimé le tricotage de paradoxes, de contradictions qui font la richesse de nos démocraties.
La concurrence entre religions existe depuis toujours mais il se trouve à présent que même l’ordre de leur apparition chronologique est contesté. 
« M’dame, Jésus est musulman ». Des professeurs ont du mal à faire comprendre la différence entre vérité historique et croyance. Et combien culpabilisent ? Dans la relation sado/maso, c’est le maso qui a le pouvoir, comment sortir de la perversité ?
Sommes-nous condamnés à l’enfermement narcissique qui nous installe en surplomb ? « L’autre peut-il être détenteur de ma vérité ? »
Quelques éléments ont  été apportés lors de l’entretien, une lecture attentive du livre de Sibony sera nécessaire.
Le silence finit par crier, mais les non-dits ont fait du mal.
Les premiers de la classe (juifs) que « Dieu aime tellement qu’il leur donne des coups », se retrouvent face à ceux qui ne peuvent admettre de contradictions puisque la parole est celle d’un Dieu, incontestable. La religion musulmane globalisante, sans ambivalence, dénonce les mécréants avec fureur. Les convertis les plus récents qui ont trouvé un cadre identitaire solide sont les plus virulents. Cette force née de l’indiscutable est aussi sa faiblesse parce qu’elle exclut tout débat.
Même si les fidèles ne sont pas responsables du texte originaire, pourquoi faut-il remonter trop souvent à Averroès et Avicenne au moyen âge pour citer des paroles libérées, comme elles ont pu se manifester lors des printemps arabes ?
L’occident, où  vivent seulement 5% du milliard et demi de musulmans, est gêné. Il n'y a pas de quoi  se sentir menacé, assiégé, ni d'un côté ni de l'autre.
Un Marocain sur son chemin pourra dire à son âne : « avance espèce de juif », sur Seine cela devient problématique.
La violence est dans toutes les religions, et les colonisations se sont succédées dans ces régions où tant d’huile est versée sur le feu depuis si longtemps.
La charité est inopérante pour ces enfants aux ambitions  de martyrs, dont tous ne sont pas des cas sociaux, mais payent pour le silence des parents.
Le mot censure est censuré, le déni devient facteur de violence et alimente des identités qui rencontrent « leur manque à être ». 
Le récit de trajectoires individuelles et celui de nos sociétés est fécond : un malade bardé de symptômes ne les effacera pas simplement par la parole, mais il peut arriver à s’identifier différemment que par son traumatisme. Un homme avec des scarifications mentales peut au moins changer son rapport à ses blessures.
Reconnaissant qu’on ne peut rien changer aux textes, on peut se dégager de leur emprise en parlant. La parole déborde avec le désir de vivre.
Nabuchodonosor avait oublié  son rêve. Daniel le lui retrouva, qui parlait de colosse aux pieds de fer et d’argile : « ainsi en va-t-il des royaumes des hommes ».
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 « Le Canard » est en forme de cette semaine avec le pape qui demande à Hollande : 
« mon fils es-tu social libéral ou social libertin ? » et ces deux dessins :