vendredi 3 décembre 2010

La gauche en Europe est-elle une planète menacée ?

La brochette à la tribune d’un des forums de Libé était belle : un grec, une belge, un allemand, une française. Parmi eux une majorité d’élus européens qui n’échappent pas à un optimisme qui les tient debout, mais parait parfois surjoué.
Bien des réflexions sont pertinentes : « …mise en place d’une taxe sur les transactions financières et lutte contre les paradis fiscaux… les services publics sont la clé d’une croissance équitable plutôt que la cause de la dette de l’Europe… » Stravos Lambrinis.
Mais le responsable de la fondation Friedrich-Ebert, Ernst Hillebrand n’est pas un élu, il est le plus stimulant: « double déception de l’électorat de la gauche à l’égard de ces partis : une déception socio économique et une déception socioculturelle ». En pointant que « l’opinion publiée est différente de l’opinion publique », rejoint-il les impatiences de Véronique De Keyser qui se lasse des débats interminables et regrette la lenteur des mises en action ?
En tous cas, parmi les domaines à repenser pour inverser la dynamique des défaites qui ont vu la social démocratie suédoise rendue à son étiage de 1914, il met au premier rang « des formes de démocraties plus participatives pour répondre aux demandes d’une population toujours plus éduquée, informée et interconnectée. » La social démocratie est victime de ses succès (en 2003 : 13 état sur 15) et les victoires de la troisième voie n’ont pas été interrogées, « ils avaient raison puisqu’ils avaient gagné »: funeste paresse quand les modèles ne sont plus évidents.
L’homme n’est pas qu’un animal économique comme le soulignera Catherine Trautmann et l’Europe sociale est un processus à ne pas lâcher dans un contexte où les replis identitaires s’enkystent où les inégalités montent. La jeune génération décroche du travail politique et les réponses paraissent décalées face aux incertitudes. Les projets sont en crise et pourtant il faudra passer de la correction au sein de la sphère économique à une répartition repensée, de même que les mécanismes de la solidarité devront être revus avec un état plus actif.
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Le dessin du Canard

jeudi 2 décembre 2010

Art et pouvoir

Sujet bateau, mais bon prétexte pour une déambulation dans le musée de Grenoble sous la conduite de Céline Carrier, charmante guide.
Nous débutons, avec Louis XIV et les dignitaires de l’ordre au cordon bleu par Philippe de Champaigne sous les ailes lumineuses de la colombe du Saint Esprit. Ceux-ci semblent se désintéresser de l’intronisation du duc d'Anjou, c’est qu’il valait mieux faire apparaitre de profil l’un d’eux qui était borgne. Mais leurs regards, tournés en diverses directions, surveillent. L’évènement de 1654 fut peint en 1665.
Van der Meulen, « peintre ordinaire de l’histoire » du même roi : « Sire vous faites le tableau, je le peins », représente 2000 personnes de la vie parisienne autour du pont Neuf. Le service d’ordre est important, quand le roi se rend au parlement pour un lit de justice. Un rayon de lumière vient souligner sa majesté sous le regard du premier statufié de l’histoire de France, Henri IV. Sa présence au centre du colossal tableau le situe à la rencontre du domaine céleste et du terrestre. Louis, « l’état c’est moi », est dans la filiation.
Le titre d’un tableau de Jouvenet, témoin d’un plafond détruit, « Le Triomphe de la Justice » s’intitula d’abord « Le Triomphe de la Religion ». Les symboles des vertus foisonnent : la sagesse qui est placée du bon côté du miroir, la renommée, la paix, la prudence, l’éloquence, l’abondance et la force. Sous la lumière de la vérité, ils triomphent contre les vices : ignorance, meurtre, impudicité, avarice, discorde, dissimulation. Les principes de Cesare Ripa dans Iconologia, encyclopédie des allégories et de leurs attributs, ont été respectés.
Louis Philippe acheta le tableau de Scheffer, « l’arrestation de Charlotte Corday » car celle qui assassina Marat était à la mode en 1830. Son forfait perpétré, elle semble indifférente à ceux qui l’empoignent.
Nous passons de cet assassinat fameux, aux cauchemars de la crise consécutive à la boucherie de 1914 avec une scène de la vie berlinoise de Grosz. Ce pilier de La Nouvelle Objectivité représente des fantômes errants dans un marché. L’holocauste à venir s’annonçait avec la dénonciation de ces artistes « dégénérés » mis à l’index par ceux qui firent la loi, un temps.
Dans sa familiarité le portrait de Jackie Kennedy par Warhol peut paraître apaisant, mais cette image participant à la médiatisation du pouvoir n’est qu’une « vanité » de plus comme ces crânes dans les natures mortes.

mercredi 1 décembre 2010

Edward Hopper

Hopper, le plus américain des peintres, était exposé à l’Hermitage sur les hauteurs de Lausanne. C’est toujours instructif de découvrir des travaux inconnus d’un artiste qui annoncent les œuvres emblématiques, ainsi des gravures aux cadrages originaux, aux contrastes vigoureux. Des croquis préparatoires nous font mieux approcher son travail. Le peintre des solitudes a gardé son quant à soi au moment où Picasso et d’autres secouaient la figuration. Après sa venue à Paris il éclaircira sa palette à la lumière des impressionnistes. Dès 1914, les personnages de son « Soir bleu » nous regardent en face. Il y a bien une section consacrée à l’érotisme mais je trouve ses nudités peu sensuelles sous le soleil. Le silence habite ses toiles qui réconcilient les amateurs de réalisme, les rêveurs surréalistes et les cérébraux qui goûtent l’abstraction. "Si vous pouviez le dire avec des mots, il n'y aurait aucune raison de le peindre" a-t-il laissé échapper. Son seul projet était de « peindre un rayon de soleil sur le pan de mur d'une maison". Ses paysages sont des décors où nous pouvons « faire notre cinéma », leur simplicité permet notre subjectivité. Les extérieurs sont balisés de phares, de pompes à essence ; l’architecture est maîtresse en campagne, et en ville nous plongeons dans les intérieurs. Le mystère des mortels habite ses grandes toiles et alors la mélancolie nous fige.

mardi 30 novembre 2010

La vie d'Augustine#4

La guerre 14-18 était terminée : on arrivait à mieux se nourrir. Mais il a fallu attendre deux ans avant d’avoir un approvisionnement plus varié.
L’été on allait glaner le blé pour nourrir les lapins. Mon père acheta un demi cochon qui fut mis au saloir.
On allait aussi aider les fermiers au moment du ramassage des pommes de terre. On n’était pas les seuls car c’était pendant les vacances. Mais il nous arrivait aussi de manquer l’école pour profiter d’une récole de patates. Les fermiers nous donnaient les plus petites. Ma mère en faisait cuire à l’eau et on les accompagnait avec du hareng saur. C’était un bon repas.
Mon père faisait de gros pâtés quand il y avait le cochon. Il préparait le saindoux avec sel et poivre. On étalait le saindoux sur de grandes tartines tirées de pains de quatre livres. Au retour de l’école, c’était bien bon.
Il nous arrivait aussi d’aller sur les terrils où les mineurs déversaient les déchets et la terre remontés du fond. En triant, nous trouvions des morceaux de charbon. On avait des sacs exprès pour porter ce charbon. Souvent des gens étaient blessés et même tués par le contenu des bennes qui déversaient leur chargement en haut du terril. On s’arrangeait pour travailler de l’autre côté de la benne mais ce n’était pas facile.
Un jour, je suis rentrée avec une blessure au pouce à la main droite. Sans désinfection, cela a tourné au panaris. Ce que j’ai pu souffrir ! On essayait un tas de remèdes, en vain. Une voisine, Félicie et son amie Adèle ont dit à ma mère, en cachette de mon père, qu’il fallait me faire un pansement avec de la bouse de vache !
Finalement mon père m’a envoyé au dispensaire avec ma soeur Marie-Louise. On m’a ouvert le pouce, quel soulagement ! Je ne dormais plus depuis plusieurs nuits.

lundi 29 novembre 2010

Potiche.

Quand un film est trop vanté, je crains la déception.
Par exemple : la danse de Depardieu avec Deneuve, la scène risque d’être éventée.
He bien pas du tout !
Je fais partie de la cohorte qui se dit « pas fan de Deneuve et qui l’a adorée dans ce film » (dans Indochine itou). L’évocation des années 70 permet les caricatures gentilles et une efficacité dans le scénario avec des rapports de classe bien démarqués, des rôles dans les couples bien marqués et des surprises possibles.
C’était du temps des comédies de boulevards, des chansons sentimentales auxquelles on croyait.
Le succès du film d’Ozon n’est pas seulement celui d’un casting en platine : les monstres sont à la hauteur. C’est une comédie vraiment réussie. Je me suis revu comme au temps de Ségolène, quand elle fut tellement moquée avec sa Fraternité, de cette foule sentimentale, comme celle qui est emmenée par Deneuve sur « c’est beau la vie » de Ferrat. Je m’étais trompé d’époque, avec d’autres. La salle s’est rallumée, et nous sommes plongés dans le noir.

dimanche 28 novembre 2010

Out of context for Pina. Platel.

De l’importance du placement au moment où la lumière s’allume sur la scène : en étant dans les premiers rangs à la MC2, j’ai pu apprécier l’investissement des membres de la troupe de Platel qui dansent avec les doigts de pieds, les yeux et avec la langue, ils claquent des dents. Cette intimité est émouvante vers ses corps qui ont enlevé leurs habits de ville pour se revêtir parfois de couvertures. Les danseurs impressionnants jouent de leurs tendons, de leurs articulations dans des postures originales, des mouvements inventifs et réglés admirablement. La salle se lève d’enthousiasme au final. Si j’ai retrouvé des allusions à Pina Bausch avec les frôlements, les pas de peu dont l’intensité nous envahi peu à peu, je n’ai pas saisi la folie dans les gestes primordiaux des acteurs à la maigreur impressionnante pour certains. Nous ne sourions pas forcément aux mêmes choses. Alors que des commentaires évoquent l’humour de cette représentation, mon tempérament me porte à voir surtout de la souffrance, de la solitude, du tragique. Les régressions se dépassent furtivement, et s’il y a bien quelques accents techno, je retiens surtout le dépouillement, un battement intermittent qui ne porte pas à de chaleureuses effusions mais plutôt à une réflexion sur nos pauvres conditions d’humain.

samedi 27 novembre 2010

Le Monde diplomatique en bandes dessinées

Le Monde diplo, c’est pas des rigolos.
Eh bien, quand ils confient leurs préoccupations, leurs analyses à des dessinateurs de BD, c’est intéressant et pas triste, quoique.
Le récit d’une dessinatrice sud coréenne sur son pays d’origine où les évènements dans la durée se lisent à travers ses passions est vraiment pédagogique.
La critique de Christian Vaneste, homophobe militant, ne méritait peut être pas autant de place cependant le ton « rubrique à brac » est adéquat pour ridiculiser les propos du député UMP.
Toutes les facettes de la BD sont représentées :
Le mystère avec l’évocation de mythologies dans le Caucase,
La dialectique pour envisager la fermeture de la bourse,
Une biographie d’un héros de l’insurrection du ghetto de Varsovie, genre histoire de l’Oncle Paul,
Un roman photo pour une fiction où Bernard Arnaud viendrait prendre le café chez des ouvriers qu’il a licenciés,
La ligne claire pour décrire les difficultés de réfugiés à Marseille,
Une fiction pour mieux faire sortir le réel dans un aéroport,
alors que l’évocation de Beyrouth est poétique.
Par contre le retour du mammouth laineux en Sibérie, comme le récit de l’assaut israélien contre la flottille qui se dirigeait vers Gaza, sont trop chargés en textes. La lecture en serait facilitée avec des caractères d’imprimerie. Et je ne dis pas cela seulement parce que ma vue s’affaiblit, je suis comme les adolescents qui ont de plus en plus de mal à lire des écritures manuscrites, celles-ci leurs sont désormais moins familières que Garamond.
Les planches garnies de bulles à partir d’une intervention de Nadine Morano font ressortir le côté burlesque s’il n’était tragique des propos d’une de celles qui tient le crachoir au comptoir de notre république bien esquintée.