J’aimais à penser que les lumières de l’école allumées l’hiver avant le réveil des enfants s’inscriraient prioritairement dans mes souvenirs; et puis les témoignages des anciens élèves qui ressassaient leur classe de mer m’ont amené à me confondre avec eux dans la célébration de ces hautes heures.
« Ce n’est pas en sortant du port, mais en y entrant qu’on détermine la réussite d’un voyage. » H.W Beecher
Nous avions choisi la Bretagne exotique pour les montagnards que nous sommes.
Voyage en train, traversée de la France : La Roche Migène sous la clarté de la lune.
Nous avons pratiqué les activités spécifiques à l’océan: pêche à pied, catamaran, kayak, étude d'une faune et d'une flore particulières, sorties à Concarneau, au Guilvinec. C’était grand !
Deux classes de la commune bénéficiaient du séjour. Des enseignantes en retraite apportaient leur expérience pour aider à l’encadrement de la vie collective. Nous avons partagé avec ces amis, travail, fatigue et plaisirs. Nous avons vécu intensément, à évoquer dans tous les rapports « le projet de l'école centré sur le développement de l'écoute et du langage », cette formule sent le procès-verbal administratif qui aime entendre : « nos préoccupations quotidiennes portent sur le civisme ».
L'océan et la Bretagne constituent des milieux propices à une ambiance de légendes, de contes. Comme chez les korrigans, en soirée, nous nous sommes regroupés au coin du feu d’une vraie cheminée et nous avons été enchantés.
La vie en groupe avec ses contraintes, ses découvertes a été une chance pour s'ouvrir aux autres. Les exigences des éducateurs du centre de Beg Porz à Kerfany s’inscrivaient tout à fait dans nos démarches. L'emploi du temps particulier pour cette classe « bleue »a incité à faire son lit, à s’asseoir pour déjeuner tranquillement, à bien dormir, à bien manger, à dire « bonjour ».
Nous n’avons pas dérogé non plus à nos fondamentaux :
La lecture s’imposait pour découvrir des écrits concernant le milieu maritime, les documentaires, pour identifier les prises recueillies dans l'aquarium et développer des informations sur celles-ci, et les romans pour perpétuer la vieille lubie de l’instit’ qui prie pour le livre quotidien.
L'activité poésie se maintenait sous la forme d'engagements nourris par un recueil consacré au thème de la mer. Les élèves ont présenté leur travail aux parents lors d’une soirée avec une projection de séquences tournées au caméscope.
Les apprentissages systématiques en grammaire, conjugaison, orthographe ont été mis entre parenthèses. Mais des opportunités nombreuses favorisaient la production d’écrits dont les rectifications ont alimenté un lexique personnalisé (correspondances, comptes-rendus, carnet de bord personnel, journal de classe de mer commun).
Nous avons également communiqué par Internet des informations hors de tout artifice, avec l’apprentissage d’une solitude inédite et collectivement en direction des parents et de l’école.
A la frontière entre mathématiques et lecture nous avons pris connaissance des horaires de trains et l'étude des nombres sexagésimaux a pu s'appuyer sur des préoccupations naturelles ; utilisation d'unités nouvelles ; étude des coûts ; notion de budget ; la réalisation de plans du centre en vue de la présentation aux parents entrait pleinement dans le domaine géométrique (échelles).
Quotidiennement, nous avons relevé des données météorologiques directement liées à nos emplois du temps. « Ouest France » y a pourvu. La lecture de plans s'est élargie aux cartes marines.
Et la situation de plain-pied des classes a favorisé des activités difficiles à mettre en place dans l'école habituelle : tels que des travaux manuels bruyants ou salissants, et le ping-pong et le football enfin possibles!
Le sort de chaque crevette des aquariums ne laissait personne indifférent. Les algues livraient quelques secrets après des expériences originales. Au chapitre unité du monde vivant, la matière ne manquait pas pour appliquer une approche écologique de l'environnement. Elle a activé sans doute une prise de conscience de problèmes tellement abstraits vus de notre quartier. Nous sommes entrés un peu dans la complexité de la compréhension du phénomène des marées. Nous avons mis en œuvre des notions d'orientation. En technologie des instructions et des conseils ont été prodigués pour les appareils photographiques de chacun et aussi pour le numérique de la classe.
La nouveauté des paysages a rendu plus marquantes des observations concernant des repères historiques. Les sorties diverses à travers cette partie de la Bretagne (habitat, activités des hommes...) ont apporté des éléments de comparaison pour une géographie vivante tout au long de l'année. Nous avons eu l’occasion rare d’étudier le travail des hommes : ostréiculteur, pêcheurs.
Une plage à marée haute puis basse nous a procuré l’occasion de deux séances de dessin sur le champ; nous avons essayé de saisir la multitude d'occasions offertes pour lire ces paysages. La proximité de Pont Aven célèbre pour son école de peinture a fourni une opportunité d'enrichir nos cultures artistiques.
La pratique du kayak avec des déplacements inédits et le catamaran ont développé des solidarités indispensables en milieu instable. L’utilité de l’équipier n’est pas une construction de l’esprit.
Quelques vigoureux chants de marins ont rythmé le séjour.
Un livret avec des lectures, des documents, des cartes a constitué un outil pour les recherches,ainsi qu'un carnet de bord constitué au fil des jours sollicitant des compétences en expression écrite et artistique.
Nous avions installé en 2003 un site Internet pourtant réactualisé qui avait connu 80 000 visites jusqu’au jour où un fonctionnaire CRDpesque l’a fermé sans daigner m’en avertir. Il est vrai, je suis hors circuit.
Se sont donc empilés dans nos bagages (de « Lann Bihoué ») :
1. Documents Bretagne 20 pages : histoire, géographie, sciences.
2. Livret de lectures de 15 morceaux choisis : d’Hemingway à un documentaire sur les phares.
3. Un cahier bleu : réponses de lecture et vocabulaire.
4. 20 poésies.
5. 10 chansons en livret.
Nous avions bourré nos coffres à trésor, de romans, de documentaires, de pinceaux, de vernis, de grandes feuilles comme pour des aventures Caraïbes.
Les domaines civiques, géographiques, technologiques, de l'éducation physique, de l’expression orale et écrite ressortent clairement pour les éducateurs. La découverte de nouvelles saveurs, de nouvelles camaraderies, de nouveaux rythmes, de nouvelles émotions, de nouvelles compétences, une autonomie plus affirmée, une paix plus grande, s’inscrivent dans l’expérience des élèves. Les journées étaient tellement pleines que le sevrage de télévision et de play station fut indolore, et pourquoi le masquer un part de mon plaisir. Séjour 12 étoiles. Allez, je l’accepte : « c’était trop bien ! »
Nous avons vécu 24 heures sur 24 des moments de prédilection et d’empreintes, témoins de l’évolution des relations du précepteur avec ses ouailles. Finis les petits bonsoirs affectueux comme il y a dix ans : une cohorte de pédophiles à forte teneur médiatique était passée par-là. Accompagner des enfants à la douche devenait un objet de gène alors que les joyeuses ribambelles sous leurs serviettes respiraient la santé. L’homophonie approximative et cruelle atteint le pédagogue. Finalement après la séquence nostalgie d’un paradis perdu, je savais mieux voir les abus d'une institutrice envahissante sous ses câlineries interdites aux hommes. « Ma puce », quand l'émotionnel ficelle la liberté du petit.
mercredi 28 janvier 2009
mardi 27 janvier 2009
La brioche
Une nouvelle recueillie dans le livre « Paroles d’enfance » édité par radio France chez Librio (3€) qui assemble des extraits de lettres, de journaux intimes épatants, émouvants.
« Nous étions extrêmement pauvres. J'allais avoir cinq ans. Mon père était parti travailler en France. Ma mère faisait du mieux qu'elle pouvait pour nous élever, mon frère et moi. Le mandat qu'elle recevait de France suffisait à peine à couvrir les dettes du mois. Sa principale préoccupation était de nous nourrir. Ma mère m'envoyait souvent chez ma tante Rosine qui n'était pas mariée et n'avait donc pas d'enfants. Pour lui tenir compagnie, me disait-elle.
L'heure du goûter n'évoque pas pour moi le moment délicieux entre la sortie des classes et la partie de billes, la bouche pleine de chocolat et de friandises, ça je l'ai connu un peu plus tard en France.
Non, le goûter était l'un des trois repas que l'on ne faisait souvent pas. En tout cas à la maison. Mais chez ma tante, j'avais toujours droit à une tranche de pain. Pain que ma tante pétrissait elle-même et cuisait une fois par mois au four communal. Le pain était frais et tendre la première semaine, ensuite il durcissait. A la fin du mois, je me souviens qu'il fallait le mettre à tremper pour pouvoir le manger. Nous étions tous les gosses à jouer dans la rue.
Vers 5 heures, une mère, du pas de la porte, appelait : « Tonino, Giuseppe, a mangiare ». C'était comme un signal. Alors de chaque porte ou fenêtre, apparaissait une tête pour appeler son petit. Nous nous précipitions. Chacun chez soi. Il n'était pas de coutume en ce temps-là de s'inviter aux goûters. Même pour son anniversaire. Les jours fastes, ma tante étalait sur le pain un filet d'huile d'olive et la saupoudrait parcimonieusement de sucre. Et je replongeais dans la rue rejoindre mes camarades de jeux.
Un jour, en train de croquer ma tranche de pain, je vois ma petite voisine, sur le pas de sa porte, qui mangeait quelque chose que je n’avais encore jamais vu.
Intrigué, je m'approche et je lui demande ce qu'elle mange.
« Tu vois bien, c'est de la brioche, tu connais pas ? » « Ben non. » « Alors goûte. » Et elle me tend cette brioche prise entre le pouce et l'index qu’elle dépose dans ma bouche. Je n'avais jamais goûté quelque chose d'aussi mou, d'aussi tendre, d'aussi sucré.
« Tu vois, me dit-elle, pour goûter on a toujours de la brioche, maman me donne dix lires pour aller l'acheter à la boulangerie. » « Tu manges jamais de pain ? » « Ah non ! ». Je retourne chez ma tante et lui dis : « Je ne veux plus manger de pain au goûter, pourquoi tu m'achètes pas de la brioche comme le fait la mère d'Angela ? » « Mais malheureux, que dis-tu là? Jésus s’il t'entend te punira si tu ne lui demandes pas pardon ! Tu sais pourquoi elle mange de la brioche ? » « Non. »« Parce que ses parents sont tellement pauvres qu'ils ne peuvent pas se payer du pain ! Voilà pourquoi elle est obligée de manger de la brioche. Tu devrais remercier le Seigneur d'être dans une famille qui ne manque pas de pain »
Je me suis retrouvé tout penaud, malheureux d'avoir envié quelqu'un de plus pauvre que moi.
Je me voyais déjà condamné à manger de la brioche par la colère de Dieu qui ne manquerait pas de me priver de pain si je ne me rachetais pas. Je me suis alors précipité à l'église et je suis allé m'agenouiller au pied de l'immense crucifix. Tout en demandant à Jésus de ne jamais me faire manquer de pain, j'ai eu une pensée pour ma petite voisine et je l'ai remercié d'avoir donné quand même un si bon goût à la brioche, pour l'aider à mieux supporter son malheur. »
« Nous étions extrêmement pauvres. J'allais avoir cinq ans. Mon père était parti travailler en France. Ma mère faisait du mieux qu'elle pouvait pour nous élever, mon frère et moi. Le mandat qu'elle recevait de France suffisait à peine à couvrir les dettes du mois. Sa principale préoccupation était de nous nourrir. Ma mère m'envoyait souvent chez ma tante Rosine qui n'était pas mariée et n'avait donc pas d'enfants. Pour lui tenir compagnie, me disait-elle.
L'heure du goûter n'évoque pas pour moi le moment délicieux entre la sortie des classes et la partie de billes, la bouche pleine de chocolat et de friandises, ça je l'ai connu un peu plus tard en France.
Non, le goûter était l'un des trois repas que l'on ne faisait souvent pas. En tout cas à la maison. Mais chez ma tante, j'avais toujours droit à une tranche de pain. Pain que ma tante pétrissait elle-même et cuisait une fois par mois au four communal. Le pain était frais et tendre la première semaine, ensuite il durcissait. A la fin du mois, je me souviens qu'il fallait le mettre à tremper pour pouvoir le manger. Nous étions tous les gosses à jouer dans la rue.
Vers 5 heures, une mère, du pas de la porte, appelait : « Tonino, Giuseppe, a mangiare ». C'était comme un signal. Alors de chaque porte ou fenêtre, apparaissait une tête pour appeler son petit. Nous nous précipitions. Chacun chez soi. Il n'était pas de coutume en ce temps-là de s'inviter aux goûters. Même pour son anniversaire. Les jours fastes, ma tante étalait sur le pain un filet d'huile d'olive et la saupoudrait parcimonieusement de sucre. Et je replongeais dans la rue rejoindre mes camarades de jeux.
Un jour, en train de croquer ma tranche de pain, je vois ma petite voisine, sur le pas de sa porte, qui mangeait quelque chose que je n’avais encore jamais vu.
Intrigué, je m'approche et je lui demande ce qu'elle mange.
« Tu vois bien, c'est de la brioche, tu connais pas ? » « Ben non. » « Alors goûte. » Et elle me tend cette brioche prise entre le pouce et l'index qu’elle dépose dans ma bouche. Je n'avais jamais goûté quelque chose d'aussi mou, d'aussi tendre, d'aussi sucré.
« Tu vois, me dit-elle, pour goûter on a toujours de la brioche, maman me donne dix lires pour aller l'acheter à la boulangerie. » « Tu manges jamais de pain ? » « Ah non ! ». Je retourne chez ma tante et lui dis : « Je ne veux plus manger de pain au goûter, pourquoi tu m'achètes pas de la brioche comme le fait la mère d'Angela ? » « Mais malheureux, que dis-tu là? Jésus s’il t'entend te punira si tu ne lui demandes pas pardon ! Tu sais pourquoi elle mange de la brioche ? » « Non. »« Parce que ses parents sont tellement pauvres qu'ils ne peuvent pas se payer du pain ! Voilà pourquoi elle est obligée de manger de la brioche. Tu devrais remercier le Seigneur d'être dans une famille qui ne manque pas de pain »
Je me suis retrouvé tout penaud, malheureux d'avoir envié quelqu'un de plus pauvre que moi.
Je me voyais déjà condamné à manger de la brioche par la colère de Dieu qui ne manquerait pas de me priver de pain si je ne me rachetais pas. Je me suis alors précipité à l'église et je suis allé m'agenouiller au pied de l'immense crucifix. Tout en demandant à Jésus de ne jamais me faire manquer de pain, j'ai eu une pensée pour ma petite voisine et je l'ai remercié d'avoir donné quand même un si bon goût à la brioche, pour l'aider à mieux supporter son malheur. »
lundi 26 janvier 2009
Frozen River
Pour le lieu parmi les glaces, viennent les références à « Fargo », pour les frontières problématiques voir « Trois enterrements », mais ce premier film a sa propre identité au charme rafraîchissant, si l’on peut se permettre. Je l’ai lu ailleurs, mais c’est vraiment ça : un film de femme, plus qu’un « thriller » tel que Tarantino l’a qualifié dans la publicité. Dans un milieu pauvre, où les cabanes en bois ne sont pas vraiment romantiques, où la réserve indienne recèle plus d’opportunités pour survivre que de richesses folkloriques, deux femmes arrivent à s’entendre pour garder la tête un peu hors de l’eau. La vision est documentaire, les actrices excellentes, l’histoire prenante et malgré tout, venant du diable vauvert : l’espoir. La dignité de ces femmes dégèle toutes les glaces du pessimisme. Et le jeune gars qui anime son manège de bric et de broc en clôture du film vaut toutes les ribambelles d’animateurs masqués de tous les Disneylands.
dimanche 25 janvier 2009
L’école des femmes
Jean Pierre Vincent regrette la pente de notre époque qui va au tragique, il veut réhabiliter le rire. Cette tendance est sûrement vraie dans les propositions théâtrales, mais ailleurs les rires enregistrés constituent un bruit de fond sinistre. Il est vrai que souvent, je préfère le sourire au rire, tandis que la « vis comica » de Molière m’a peu atteint contrairement à la salle qui a visiblement apprécié Auteuil en particulier qui me faisait penser trop souvent à De Funès. Il paraît que Michel Bouquet avait joué Arnolphe en personnage tragique. Je serais curieux de voir cette interprétation, car malgré ses maladresses, le tyran domestique est assez pathétique avec son amour. Son obsession de ne pas être cocu m’a semblée datée et malgré son charme la langue du XVIII° m’apparaît de plus en plus étrangère. Pourtant les vers coulent de source et les situations, les sentiments sont finement décrits. En ce moment, je mettrais volontiers un La Bruyère plus haut que, l’omniprésent Molière et ses barbons. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à toutes ces femmes qui sont recluses au XXI°, elles ne peuvent s’échapper par des pirouettes galantes avec des hommes qui eux ne quittent pas la scène, vaincus; et pour l’heure ce n’est pas rigolo.
samedi 24 janvier 2009
Les profs
BD aux éditions Bamboo qui ont aussi commis des albums sur les gendarmes, les pompiers, les rugbymen, les maîtres nageurs… mais le succès de cette série consacrée aux profs, comportant 11 volumes, prouve qu’il y avait un marché pour cet humour de bon aloi à déguster entre professionnels. Si un assureur est aussi adepte de la pétanque, voilà deux bonnes raisons de vendre des albums pour cette maison d’édition. Ce n’est pas d’une innovation folle, mais parfois Pica et Erroc tapent juste. J’en avais feuilleté quelques exemplaires vite oubliés dans les rayonnages de super marché, un double cadeau me permet de réviser ces portraits rigolards et sympathiques. La série tient plus « des bronzés en salle des profs » que d’ « entre les murs » mais les auteurs sont documentés et leurs traits valent ceux des responsables des rubriques éducation de bien des publications dont je m’abreuve. Dans la comédie humaine, une dose d’humour est salutaire comme le café en gobelet issu de la mythique machine à café. Les échantillons allant de la prof séductrice, au pleurnichard, au froussard sont vraiment fidèles à la réalité, de même que leur volonté de réduire l’ignorance d’une bande d’élèves qui cherchent à en faire le moins possible. Gentillet.
jeudi 22 janvier 2009
« Eduquer, c’est mourir »
Soit le silence qui suit cette sentence est porteur de pensée, soit la consternation vous gagne et vous n’entendez plus le ronron qui se rattrape aux branches des paradoxes « parce qu’il faut vivre pour mourir ». « Cause toujours ma poule, j’tembrouille »
J’aime parfois les psychanalystes, ils vous bousculent grave, ils sont tellement joueurs de mots, bienvenus au club des poètes ! J’ai eu, récemment, l’occasion d’en écouter une, au milieu d’éducateurs, autour de la question d’éduquer, action qui m’a occupé jusque là pas mal d’heures. Depuis longtemps je n’avais pas brandi mon appartenance à l’éducation nationale, mais quand j’ai jugé que trop de torts étaient attribués aux travailleurs de l’école, j’ai eu un retour de refoulé corporatiste.
Puisqu’il semble qu’éduquer soit une façon de parler, bien que son institution soit construite sur le vide (la parole), les mots, gros, n’ont pas manqué : "béance", "impossibilité", voire "éduquer, c’est mourir". Mais je suis mithridatisé.
La forte connotation psy autorise les jeux de mots (expert=ex-père), les images symboliques (« l’éducation, c’est une façon de disposer les fleurs dans le vase narcissique ») et l’autodérision : « en psychanalyse si vous prenez un voyou, à la sortie vous obtiendrez un voyou psychanalysé ».
Mais sur ce constat, on ne peut plus vide, il semble qu’à l’impossible soient tenus les éducateurs, non pas pour réduire les symptômes, bien que la demande politique avec ses grilles évaluatives penche de ce côté, mais pour aider à affronter la douleur d’exister, sacrifier ses pulsions. Il s’agit de surmonter la jouissance qui vous laisse au lit tout le temps pour entrer dans le désir qui vous fait gagner le lit, de temps en temps. J’ai bien voulu être frappé par le nombre important de cas dont les souffrances sont liées aux troubles du sommeil. Cela rejoint une de mes perceptions concernant les décalages sociaux entre le monde de la nuit peuplé de solitaires engloutis par leurs machines informatiques et le temps ensoleillé où peuvent s’apercevoir les autres, en vrai. Au fait quel temps fait-il, aujourd’hui ?
En ces temps de souffrance économique, j’ai mis du temps à comprendre qu’ « inscrire les gens dans la dette » (devoir) pouvait être positif, pour que ceux-ci sortent de la demande qui empêche le désir. Renoncer à être un objet dévoré par les images, mais s’inscrire dans une histoire en évitant de s’en raconter, des histoires, se réordonner. Même si remettre ses affaires en place peut faire du bruit.
La tache des travailleurs sociaux est des plus difficiles, envahis par les comptages administratifs, les formations là aussi tendent à devenir technocratiques.
La question d’Hölderlin « Pourquoi des poètes, en ces temps de détresse ? » risque de rencontrer le silence, même si c’est bien dit.
ACDA
Je fréquente cette année les Ateliers de Création et de Développement Artistique (ACDA) sur la zone industrielle de Saint Egrève.
J’ai choisi « modèles vivants » avec « maître » Blanc Brude qui dirige avec énergie cet atelier. Mais pour 270€, je peux avoir accès à d’autres cours de gravure, de modelage, d’aquarelle… (30h par semaine). Je réapprends à dessiner en essayant de saisir le mouvement d’une danseuse, ou la grâce d’une jeune femme prenant la pose un instant.
Je redécouvre le plaisir enfantin de m’amuser avec des crayons neufs, des papiers nouveaux quitte à gâcher pas mal de feuilles. Un travail, un plaisir.
Le premier jour au bout de trois heures j’étais épuisé pour avoir manié mon seul crayon 8B, alors que la jeune femme, qui en gestes déliés, avait évolué tout ce temps, restait tout à fait fraîche.
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