samedi 20 décembre 2008

« Le niveau baisse »


Pour m’attarder dans le registre des idées simplistes sensées justifier les réformes dans l’éducation nationale, je retourne volontiers cette évaluation sommaire contre Xavier Darcos.
Mais la riposte à la mise à bas de l’école n’est guère plus brillante, pour l’instant.
Entre deux entretiens avec le camelot de l’Elysée, Jack Lang est le seul au P.S. à être promu par les médias au sujet de l’école; c’est qu’il est bien usé.
Les lycéens ont gagné, provisoirement, poussés par des motifs d’inquiétude qui dépassaient le sujet de la classe de seconde, seul thème d’ailleurs où il y avait une amorce de discussion.
Contre l’hécatombe des postes, faut-il sortir les cagoules ? Quelques militants qui n’ont pas fini de pleurer leurs années CRS, humeraient volontiers encore le parfum de quelques lacrymos. Mais depuis qu’ils crient « Au loup ! Au loup ! » à chaque printemps quand ils croisent le moindre caniche, ils ne sont plus entendus, alors que la situation est grave.
Le contexte est délétère, les chefs et petits chefs pesants, les médias aux ordres, mais je ne peux croire que des collègues aient eu peur de se rendre à des réunions ou de distribuer des tracts. Afficher sa couardise serait ainsi moins indigne que d’exprimer son désaccord avec des critiques adressées au gouvernement. Dans leur obéissance, qu’ils relisent alors la lettre de Guy Mocquet pour leur propre compte. Le niveau de courage baisse.
Si c’est le cas, il ne sera même plus utile à l’état de mettre en place des Etablissements Publics d’Enseignement Primaire(EPEP) pour assurer un quadrillage hiérarchique de la profession : elle serait déjà aux ordres.
Dans les mesures prises il y a bien évidemment, comme dans le domaine de la justice, de la sécurité, de l’emploi, des annonces d’un jour.
Mais aussi l’aboutissement de longs processus qui ont leur cohérence funeste.
Les personnels chargés de l’aide aux enfants en difficulté n’ont plus, depuis des années, de postes qui leur sont proposés aux concours : maintenant ça se voit, et il est tard. C’était dans les tuyaux.La régression des taux de scolarisation des tout-petits en maternelle préparait l’arrivée des « jardins d’éveil ».
L’affaire des couches-culottes nous a choquée, mais elle entre avec grossièreté dans une stratégie visant à déprécier les enseignants aux yeux des parents, à diviser les personnels.
Prime pour ceux qui sont en place -logique du paquet fiscal- et personnels précaires pour assurer les remplacements, et vous m’en virez un max !
Dans une école, des maîtres responsables des CE1 et CM2 envisagent d’utiliser la prime qui leur est promise pour acheter des livres aux élèves. Sont-ils ringards à s’opposer au chacun pour soi ! Refuser la division de la profession, ce doit être ça la culture instit’ !
Comme d’hab’ la grosse stratégie de com’ parle d’aide aux enfants quand les postes des personnels spécialisés sont fermés.
Les enseignants sont amenés à poser des pansements sur les blessures générées par un nouveau rythme d’enseignement qui lèse les plus fragiles.
Mais pour le samedi matin supprimé, je n’ai pas vu de tracts pour réclamer son rétablissement : la glissade était amorcée depuis un moment.Sur une scolarité, ce sera l’équivalent de six mois d’apprentissage en moins. L’école, une activité entre deux week end.
La suppression des IUFM ne mobilise guère, leur mépris à l’égard des praticiens de terrain n’a pas été oublié ; ils seront remplacés par l’Université à l’efficience bien connue !
Une révision des programmes était nécessaire, les cycles ne s’étaient pas imposés et une meilleure structuration du français n’était pas inutile pour ceux qui l’auraient abandonnée.
Les programmes sont plus ambitieux avec des horaires amoindris !
Des remèdes pires que le mal, des élèves promis à la fatigue, des personnels découragés ou qui doutent, des parents inquiets.
L’érosion des mots de « solidarité », d’ « émancipation » parmi les agents même de leur promotion a préparé ces désertions, cette atonie. Le moral est à la baisse.
Le pouvoir, ses scribes et ses sbires, ne doit pas se réjouir trop vite d’avoir comme assommé ses enseignants. Ils seront en tous cas un peu plus imperméables aux roucoulades mécaniques concernant leur mission sacrée entre une génuflexion, une perquisition et une intimidation. Le Wall de Street s’effrite après le mur de Berlin qui tomba ; et si le mammouth sortait allègrement de sa glace ?

vendredi 19 décembre 2008

Le petit livre des couleurs


Le drapeau de l’Europe est bleu : sage et consensuel.
Peu importe que le rouge se retrouve dans les flammes de l’esprit saint qui n’évoque plus grand-chose à nos sociétés marchandes mécréantes, par contre Satan, plus connu, est associé à cette couleur qui est la couleur par excellence.
Le blanc est innocent, même si les nuances portaient sur le mat et le brillant attestées par le latin albus et candidus (d’où candidat).
Vert est le numéro gratuit, pourtant le dollar est de cette couleur longtemps instable.
Mais n’atteint pas l’infamie du jaune.
Le noir est plutôt élégant.
L’auteur Michel Pastoureau qui a consacré des ouvrages exhaustifs à chacune des couleurs, résume vivement ses investigations dans ce plaisant recueil de 95 pages à 12€.
Il conteste la hiérarchie entre couleurs primaires et secondaires et nous fait voyager dans le temps et l’espace parmi les symboliques parfois contradictoires et les sens cachés de ces six couleurs auquel il adjoint rose bonbon et gris pluie.

jeudi 18 décembre 2008

Du nouveau à l’ancien musée?


Le « magasin » ou Centre National d’Art Contemporain installe une trentaine d’artiste rhônalpins pour la deuxième année à l’ancien musée place Verdun.
Entre parenthèses : si l’on emploie des termes de l’industrie comme « la chaufferie », la « sucrière », « l’entrepôt » c’est qu’il s’agit d’un lieu culturel. Les usines deviennent des écomusées.
Un cerf empaillé écroulé sous ses bois dorés démesurés est bien à sa place sous ses verrières protégées par des filets.
La juxtaposition des œuvres permet de constater que la thématique de l’incendie est volontiers partagée cette année. Des objets usuels surdimensionnés telle une tapette à souris ou un tricot en tubes au néon, des photographies de bord de trottoir graisseux comme j’en dispense sur ce blog, ne font pas preuve d’une originalité saisissante. Il y a des paysages évitant tout pittoresque, des aquarelles bien réalisées sur l’univers d’Ozu, ou des reprises sur toile de pages de la toile, mais cette fois encore l’art contemporain s’adosse à d’autres pour s’exprimer.
Ces dessins et peintures sont bien au-dessus de quelques vidéos oubliables, ou de vagues gribouillages ne pouvant prétendre être publiés en B.D., qu’ils parodient pourtant frileusement. Et ce n’est pas un baratin prétentieux qui pourra sauver de la fumisterie, les tableaux en traits soufflés comme ceux que je faisais exécuter à des élèves de C.P. dans un autre siècle.

mercredi 17 décembre 2008

Ecrite, l’expression. Faire classe#13


L’oral ne peut se substituer à l’écrit. Pourtant sa légèreté a contaminé l’élaboration laborieuse d’argumentations structurées. Comme les Lacoste devenus apanage d’une certaine jeunesse des banlieues, la tchatche a cessé d’être le monopole des promis à l’oral de l’E.N.A. L’enjeu est de taille pour que subsistent des moyens pour accéder aux nuances, pour sortir du réactif, pour inscrire une pensée.
Je consolais ma mauvaise conscience d’avoir abusé d’exercices à trous vite comblés, par la fastidieuse correction d’au moins un texte par élève, par semaine.
- Ecriture au brouillon, c’était alors chaque samedi : avec sollicitation à raturer, gommer.
J’annonçais le sujet à l’avance. Pour contourner la difficulté d’inventer une nouvelle planète pour le Petit Prince comme ça, au sortir de la récréation, inviter à imaginer à l’avance.
Réfléchir à :
Portrait d’un grand - parent, d’un ami, son auto - portrait.
La façon de mener des dialogues.
Poèmes avec contraintes, à la manière de…
Comptes-rendus de visite, d’expérience.
Une lettre, est que ce serait utile aujourd’hui ?
Beaucoup d’histoires à terminer, pour prolonger la fantaisie d’un auteur, se servir de Calvino, de Pennac, d’un père Noël maboul.
Conte des origines : du type pourquoi le léopard a des taches sur sa robe ?
Des histoires avec des narrateurs différents, changer d’angle de vue.
La critique d’un spectacle vu en commun puis d’une émission préférée, en argumentant. Expression intime : un petit plaisir comme ceux de Delerm distillés chaque jour pendant deux semaines. Une invitation à positiver, à chercher ce qui aiguise l’appétit de vivre : pas forcément un luxe pour des enfants grognons, frustrés, ou désabusés avant d’avoir goûté.
Un reportage, des résumés…
A la fin de l’année : le « chef d’œuvre » individuel parachève ces divers travaux.
« Mon roman » arrivait à être entièrement tapé à l’ordinateur, tiré à quatre épingles, monté sur les présentoirs de la bibliothèque comme les vrais livres avec couvertures cartonnées, illustrations, maison d’édition fantaisiste, quatrième de couverture et biographie amusante.
Les élèves s’engagèrent dans des albums pour les tout petits, jusqu’à des polars déjantés, des romans roses et des destins historiques où Abdel racontait comment Jean-Claude arrivait à guérir un certain Adolf de ses folies guerrières. Nous avons apprécié des épopées footballistiques et des voyages lointains, des histoires où les animaux expriment plus profondément que certains déballages les souffrances, les conflits de l’écrivain.
La confection d’un journal de classe, si féconde à une époque, ne me prouvait plus des vertus initiales qui furent évidentes. Le sujet était libre, contrairement aux autres situations d’écriture de l’année, avec cependant négociation pour éviter d’aligner six textes sur le foot. La motivation des élèves s’érodait ; « il fallait Me fournir un texte pour Mon journal » : tout faux ! L’appât du gain rapporté par la vente du journal au porte à porte aurait pu motiver les libres écrivains. Seuls les « spéciaux classe de mer » inspiraient encore des réussites dans le genre. Nos lointains débats théologiques sur la nature libre des textes s’effacent. Les contraintes rassurent ; les impulsions données par une histoire captivante enrichissent plus que l’injonction de liberté, même épaulée par une boîte à mots déclencheurs.
- Correction individuelle des brouillons en rouge accompagnée de commentaires lors des six évaluations de l’année. J’affichais ma subjectivité de juge : « je ne dois pas m’ennuyer ».
La procédure pour obtenir un produit fini, « nickel » prend une semaine pour recopier, pointer, corriger à nouveau au crayon, effacer, numéroter, archiver.
Je crains que l’usage exclusif du traitement de texte pour les rédactions ne retarde l’instant de s’essayer à un nouveau texte, d’un autre genre, et que la forme prime sur le fond, le « look » sur l’essai. Il faudrait ménager du temps pour un « tremblé », une rature, des tentatives de s’éloigner du premier jet.
A ranger dans la liasse des autres textes reliés en fin d’année.
Il existe aujourd’hui des petits classeurs aux couleurs acidulées pour recueillir dans ce lieu exclusif les essais de l’écrivain en herbe.
- Correction collective. Quelques phrases caractéristiques relevées dans les textes fournissent matière à mise en commun et à élaboration de conseils inscrits
- Au recto d’une page en couleur:
« - Eviter les répétitions, les répétitions, les répétitions ;
- Faire la chasse au verbe faire.
- il y a des moyens d’éviter il y a … »
- Au verso : « la chasse aux canards » :
"engueuler"à remplacer par "gronder"
"plein de" à remplacer par "beaucoup de…"
Ces dispositifs ne sont-ils qu’un barrage dérisoire contre l’océan des présents fébriles ?
Entre deux virgules nous allons fouiller du côté des mystères de l’humain. Les volutes, les suspensions de la plume nous racontent à chaque fois l’originalité de l’homme qui commença ainsi son histoire.
Les jambages s’alignent entre les rayures Seyes ; l’écriture qui fait tirer la langue ne se confondrait-elle pas avec le geste de l’écrivain équipé de son Mont-blanc ? Applique toi.
Ecrire est un grand orgueil, cependant cette expression fait office de sauvegarde. Ecrire c’est raturer. Il me faudrait arpenter encore quelques départements des beaux-arts et des belles lettres pour rendre la lumière d’un mois de novembre. Alors saisir la vérité de ce qui circula quand je fis classe me semblera encore bien insaisissable, longtemps.

« Ecrire c’est traverser une saison qui n’est sur aucun calendrier » F. Lefèvre

mardi 16 décembre 2008

Vieillir


Vieillir c’est perdre l’insouciance.
Ce sont les bobos et les douleurs quotidiennes à ignorer, en attendant le cataclysme final, c’est la mort qui rôde près des parents, à négocier avec plus ou moins d’habileté ou de chance dans le grand virage final et définitif,
Ce sont les amis, sur le visage desquels on découvre ses propres rides et l’insidieux travail du temps qui passe et vous ronge de l’extérieur, en surface .
Ceux qu’on aime, se débattant dans leur marasme personnel, parfois « cernés de près par les enterrements » comme le disait Brassens qui fut lui-même vite vaincu par la camarde,
Et les enfants, dont, privés de la bienheureuse inconscience de nos propres parents, on n'a aucune certitude heureuse quant à leur avenir …
C’est la peur de l’inéluctable solitude finale, arbre bientôt abattu à son tour, dans le no man’s land de nos cimetières perso …
Mais c’est aussi aimer, aimer passionnément la vie, savoir le prix de chaque instant volé au futur désespérant, et se chauffer à l’amitié, au soleil caressant, à la beauté du monde, à chaque occasion suscitée ou volée au hasard, petit soldat anonyme du grand troupeau humain qui court à sa perte programmée…

13 Août 08- Dany Besset

lundi 15 décembre 2008

Caos calmo.


Le monde s’écroule : sa femme vient de mourir en vacances et son entreprise audiovisuelle est en train de fusionner, alors Nani Moretti va s’asseoir sur un banc en attendant toute la journée sa fille qui est à l’école. Bien des personnages défilent dans le square où l’on voit qu’une fermeture centralisée d’une voiture peut être sympathique, où Roman Polanski participe d’un casting qui réserve des surprises. A une époque on s’amusait avec un copain à repérer « le truc » dans un film, tel que casser des noix sans casser la vitre du « Passager de la pluie », ici ce sont les listes qu’il établit en ce moment de bilan qui me semblent une trouvaille poétique : les compagnies aériennes dont il a été client, les endroits où il n’ira plus, ce qu’il n’a pas supporté dans sa vie…J’ai bien aimé ce conte alors que souvent ce genre élude la réalité, là, ce pas de côté révèle les faux-semblants, les trahisons. La position du père protecteur à l’égard de sa fille aurait pu être étouffante, là, c’est l’harmonie, la paix. La petite sera sage sans cesser d’être une enfant. Vive le cinéma italien qui l’air de rien, dit bien l’air du temps, où la désinvolture marque la gravité.

dimanche 14 décembre 2008

Fellag


La sincérité, la fraîcheur de l’humoriste kabyle se sont un peu émoussées dans ce spectacle : « les algériens sont des mécaniciens » où il ne joue plus seul. Le côté légèrement désuet des sketches peut attendrir. La nouveauté des performances antérieures et son courage nous avaient tellement emballés dans ses spectacles antérieurs, qu’il est difficile de rester sur ces sommets même si sa critique est toujours tonique : l’empressement inefficace de tous les mécaniciens proclamés, leur débrouillardise aussi révèlent bien des traits d’une société dans son ensemble. Les chutes sont un peu attendues, mais je retiens la séquence superbe qui clôt le spectacle. Le couple tout excité revient de Bruxelles avec la Mercedes de leur rêve et se fait pulvériser l’objet de leur prestige au premier feu à la sortie du port... alors ils allument la radio qui est restée intacte et ils dansent. La poésie vient élever l’humour et remet des couleurs dans des tableaux qui risquaient d’être un peu fades. Malgré un Jésus de la rue D’Isli qui réussit à guérir les maux les plus graves, sauf celui du fonctionnaire algérien.