mercredi 5 juin 2019

6 mois. Printemps été 2019.

Au revers de la première page est mise en évidence une phrase du photographe japonais Nouyoshi Araki qui aime jouer des cordes :
«  La photographie est l’obscénité par excellence, un acte d’amour furtif, une histoire, un roman à la première personne »
Les 300 pages qui suivent sont à la hauteur de l’ambitieuse déclaration,
quand depuis l’Orient extrême, sont abordés
le business de la solitude avec des stars du web en Corée,
la mutation des paysans chinois en citadins,
des hommes qui deviennent des femmes en Thaïlande.
Toutes ces photographies nous épargnent les filtres jaunes de nos derniers mois
et si la photobiographie de Chirac comme les années Solidarnosc cultivent nos nostalgies,
un tour en Irlande où s’affrontaient pro et anti IVG,
un reportage à Bab el Oued
ou la démarche d’un photographe américain qui nous fait voir de près la guerre que mène Trump à la frontière mexicaine,
les pages consacrées à ce village de Calabre qui recevait bien les migrants,
comme le courage d’une jeune fille et des ses parents après une greffe du visage,
sont passionnants, bouleversants, beaux.
Le Liban doré contraste avec les commandos qui expulsent les squatteurs en Afrique du sud.
Des portraits  d’habitants dans les quartiers Nord de Marseille sont proches des poses de Kenyans  à la sortie de la messe.  
Les photos prises le long du cortège funéraire de Castro sont semblables à celles qui furent prises lors de l’ultime voyage du corps de Robert Kennedy
La touche d’humour réside souvent dans les pages destinées aux instantanés qui ont gagné à être agrandis, mais cette fois c’est l’ « album de famille » mettant en scène une magnifique centenaire qui apporte sa dose massive de joie de vivre : la mamie de Sacha Goldeberger, mariée quatre fois, chevauche les motos à l’envers, se déguise en super héroïne, téléphone avec un godemichet…

mardi 4 juin 2019

Baudelaire ou le roman rêvé d’E.A. Poe. Tarek & Morinière.

Plate bande dessinée où en première page la taille des caractères des noms du scénariste et du dessinateur dépasse celle des prestigieux écrivains pour qui on a ouvert cet album de 48 pages.
Le poète du spleen se rend dans le fog londonien à la rencontre de l’américain maître du fantastique qu’il a traduit.
Mais l’absinthe a beau couler à flot, et celui qui a supporté « le ciel bas et lourd comme un couvercle » se réveiller dans une pièce inconnue, aucune ivresse, aucun mystère.
Les péripéties ont beau se présenter en plongée ou contre-plongée, aucun vertige.
Le brouillard est bien rendu mais c’est l’ennui qui nous accompagne parmi des personnages sans épaisseur dont on est amené à se méfier pour on ne sait quelle raison.
C’est vrai que la barre était très haute :
« Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! »

lundi 3 juin 2019

Nous finirons ensemble. Guillaume Canet.

Intrigué par la violence de certains avis concernant ce film à succès, je suis allé y voir.
Leur embarras vis-à-vis du milieu aisé décrit aurait du les éloigner de tant de films comme l’aristocratique « Guépard » et de lointains « Parrains » : nous sommes- quelle affaire!- dans le milieu habituel du cinéma français, picolant, avide de bons mots et de baise.
Le cadre est agréable et l’on peut prendre du plaisir au jeu des acteurs même si la légèreté attendue n’est pas au rendez-vous. A mon avis, l’amitié parmi ce groupe difficile à loger, car trop nombreux, manque de profondeur et même si les enfants relégués pendant longtemps au second plan reviennent en force à la fin, le manque de maturité des adultes est confondant.  Certes cela constitue une source comique mais ce reflet de l’époque est plutôt gris.

dimanche 2 juin 2019

Summerspace & Exchange. Ballet de l’Opéra de Lyon.

Les stéréotypes permettent des raccourcis confortables : par exemple qui dit danse classique voit rappliquer « Le lac des cygnes ».
Cette image s’est imposée une nouvelle fois avec cette troupe où décidément les danseurs m’ont paru d’un autre genre que nous pauvres arthritiques. D’une beauté inhumaine, ils marchent, saluent, courent, se tiennent, sautent, se soulèvent comme des cygnes.
Mais le spectacle qui clôt notre saison à la MC 2, ne nous laissera pas un souvenir impérissable contrairement à l’an dernier : http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/09/william-forsythe-ballet-de-lopera-lyon.html
Les recherches de  Merce Cunningham datant de 1958 qui gardent bien des éléments de la grammaire classique, s’inscrivent dans les déstructurations d’alors concernant la peinture qui retournait à ses pots, le roman à ses mots, la musique au silence, les gestes à l’interruption.
Lors de la première partie, les danseurs sont plus proches des couleurs pointillistes d’un Signac que d’un tableau annoncé de Rauschenberg que j’ai connu plus dynamique et déstructuré.
Le bruit des pas sur le parquet contrarie les notes ténues de la partition de Feldman, minimaliste, comme le plaisir minimum que nous avons à l’écouter. Les apparitions, disparitions sont bien réglées, les postures sont magnifiques mais l’émotion est absente.
La deuxième partie sur fond de bruitage est plus cohérente mais reste froide avec costumes et décor de Jasper Johns qui ont pu étonner jadis mais ne se remarquent plus guère. 

samedi 1 juin 2019

Schnock. N°30.

La revue des vieux de 27 à 87 ans en est à sa huitième année de parution : ça ne nous rajeunit pas !
Depardieu apparaît pour la deuxième fois en couverture après que « Les valseuses » y furent en majesté http://blog-de-guy.blogspot.com/2013/06/schnock-n7-ete-13.html .
Pas d’interview toute fraîche de  notre Gégé, mais reprise d’un entretien avec Hervé Guibert dans les années 70, et développement autour du couple qu’il forme avec Bertrand Blier ou a formé avec Jean Carmet, narration du tournage de Cyrano.
Il épate Joe Starr : «  Ah ! Nounours ! Va me chercher du Viagra ! »
Le petit abécédaire de ses déclarations et de celle des autres ne manque pas de sel :
 « Gérard Depardieu est certainement l’un des acteurs les plus riches et les plus intéressants de ces dix dernières années. Avec cet aspect massif, ce côté puissant tonitruant et, d’un autre côté, c’est un grand lys coupé. » Jean Pierre Marielle.
Bien entendu un top 5 de ses nanars peut être dressé,
comme il convient dans chaque numéro  entre nostalgie à l’évocation du jardin d’acclimatation
et kitsch attendrissant des pubs des années 80 : «  le Banyuls templers : encore un que les sarrasins n’auront pas ! ».
L’importance d’Armand Jamot dans la télévision mérite d'être rappellée, mais un des deux articles consacré à des seconds rôles, François Perrot et Roger Trapp, aurait pu être réservé pour plus tard, bien que d’apercevoir les coulisses, les opportunités d’une carrière ou ses impasses réservent des surprises.
Charles Dumont, compositeur de « Je ne regrette rien », n’a pas connu d’autres succès aussi éclatants mais il a contribué à la notoriété d’autres et a fréquenté du beau monde. Il peut satisfaire notre goût des potins prêté jadis aux concierges qu’on dirait attirées aujourd’hui par les « people ». 
Et le souvenir des « Trois Jeanne » revient à point nommé :
« Dis Jeanne, il est où le robinet d’eau chaude ? »
quand il était recommandé aux mecs d’être présents aux spectacles féministes.

vendredi 31 mai 2019

La faute à Macron.

Le président a tellement bien organisé le tête à tête LRM/RN que Wauquiez et Mélenchon  ramassant leurs miettes, ont avancé les mêmes éléments de langage : c’est de la faute à Jupiter. En plus d’être un rempart contre les populistes, il a tenu la main à  23 731 252 électeurs.Trop fort!
Les présumés gaullistes qui sortirent jadis de l’ordinaire et les estampillés « Insoumis » accusent leurs faiblesses en reportant leurs insuffisances sur les autres, comme d’habitude.
Les gilets jaunes savaient, eux, pourquoi ils ne voulaient pas se présenter devant les électeurs. Leur intransigeance a redonné vigueur au vote légitimiste et affaibli ceux qui leur ont couru après, bien que ce mouvement né de la critique des taxes relevait d’un poujadisme ancestral boosté par les réseaux sociaux.
Pour l’instant, la remise en cause de la coupure droite / gauche s’impose dans les commentaires , mais les réflexes paresseux demeurent avec sondages sur les prochaines présidentielles dans la foulée et interprétation des intentions … des abstentionnistes sur les réseaux sociaux. Rien qu’une semaine, une semaine au moins, l’échelle européenne aurait pu être pertinente, en évitant d’extrapoler déjà à propos des municipales.
La présence d’un Bernard Tapie aphone à la télévision n’a même pas été relevée par les observateurs des médias tellement accrochés eux aussi à leurs anciens clients qu’on en fut même à ressortir Copé !
Alors que le FN s’était adouci dans le langage, la FI se radicalisait : les urnes ont parlé.
Il est commun de dire que les électeurs préfèrent l’original à la copie concernant par exemple le rejet des étrangers entre LR et le RN, mais cela a joué également comme je l’ai entendu entre Jadot et Canfin en matière d’écologie.
 «  C’est la faute à l’Europe » a baissé d’un ton, plus personne ne veut abandonner l’€uro et l’ensemble des partis les plus ouvertement européens passent devant les souverainistes.
Des liens s’étaient tricotés entre fâchés autour des ronds points, des rapprochements théorisés, les graines de la haine n'ont pas été toujours triées. Des voix ont glissé de Fillon à Macron mais des Insoumis ont migré chez Marine. Des stratégies se sont avérées délétères, quand était pendu par « les jaunes » un président, fut-il en carton. Les symboles sont à manier avec précautions depuis que les clefs de la connaissance de l’histoire ont été jetées avec le respect des institutions et des personnes.  
Camus a beau avoir été appelé à la rescousse :
« Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n'est pas pour prendre de ses nouvelles. »
La banalisation de l’extrême droite saute aux yeux: n’avait-on pas a oublié qu’elle avait été déjà le premier parti de France aux européennes précédentes ?
Une autre phrase de l’auteur de « La peste » me semble plus opérante : « toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. »
A Grenoble, nous savons depuis la victoire de Carignon que la croyance aveugle en une supériorité morale, intellectuelle peut être le plus court chemin vers la défaite.
Déprécier les électeurs des listes concurrentes, ne pas reconnaître certains arguments des opposants sont des preuves de faiblesse.
« On a tous quelque chose en nous de Tennessee
Cette volonté de prolonger la nuit
Ce désir fou de vivre une autre vie
Ce rêve en nous avec ses mots à lui »
Habitants d’un vieux continent où le courage se fait rare, nous magnifions la parole de nos rares mômes (démographie déclinante) auxquels nous avons renoncé de transmettre (disparition de la notion de travail). Par contre pour les dettes, ils se débrouilleront.
.... 
Les dessins sont du Canard et du Point .

jeudi 30 mai 2019

Paul V. Serge Legat.

Après les papes de la Renaissance, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble
commence un cycle : « Les fastes de Rome et de la papauté à l’époque baroque » dont Le Bernin, qui a connu huit pontificats, sera le fil d’Ariane.
Camille Borghèse, issu d’une grande famille d’origine siennoise devient pape en 1605 sous le nom de Paul V à la suite de Léon XI de la famille Médicis qui exerça son pouvoir pendant 27 jours. Il applique strictement le droit canonique en héritier du concile de Trente qui avait relancé les grands principes du catholicisme. Il avait fait appel aux nations européennes pour faire cesser les persécutions envers les chrétiens d’extrême Orient.
Le pape conservera sur son bureau son buste par Gian Lorenzo Bernini jusqu’à sa fin, en 1621.
L’art baroque va mettre en scène « la réforme catholique », qu’il convient désormais de nommer ainsi, plutôt que « contre-réforme ». Les jésuites seront efficaces au service de la catholicité, mais l’appellation « art jésuite » n’est plus usitée comme synonyme d’art baroque.
Le vaste palais Borghèse, dit « Le clavecin » pour sa forme inhabituelle est plus remarquable par sa cour entourée de 96 colonnes que pour sa façade portant le souvenir de la Renaissance. 
Maderno après Bramante et Michel Ange achève la construction de la Basilique Saint Pierre commencée plus de 100 ans auparavant. Il a conçu une façade rythmée de colonnes colossales sur 144 m de long et une hauteur de 45 m, celle-ci cache malheureusement la majestueuse coupole.
Pour améliorer la perspective, une commande avait été passée,
dont un dessin du Bernin donne un aperçu, mais il a renoncé : un des campaniles menaçant de s’écrouler avant d’être terminé.
La frise surplombant la loge des bénédictions de la basilique construite à la place de celle de l’empereur Constantin (326) porte l'inscription suivante :
« Paul V Borghese, pontife romain, a fait faire ceci en l'an 1612, la septième année de son pontificat, en l'honneur du premier des apôtres. »
Dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, ornée de jaspe, agate et améthyste, la chapelle Pauline, comme on dit Sixtine pour celle de Sixte IV, accueille le tombeau de Paul V.
Son neveu, le cardinal Scipione Caffarelli-Borghese fut le principal bénéficiaire du népotisme papal : nommé, parmi tant d’autres titres, archevêque de Bologne, il n’y mit jamais les pieds.
Il fit construire à la campagne, la villa, dite galerie ou villa Borghèse qui réunit de nombreuses collections achetées avec une fortune qui confondit l’argent de l’église et celui de la famille.
L'hermaphrodite endormi est une œuvre romaine d’après un original grec, couché sur un matelas du Bernin. Le fils d’Hermès et d’Aphrodite prit cette forme suite au vœu d’une naïade amoureuse qui voulut être unie à lui pour toujours. L’original acheté par Napoléon est au Louvre. Sa sœur, la belle Pauline, avait épousé Camille Borghèse. L'ambassade de France près du Saint-Siège occupe aujourd’hui la villa qui porte son nom, Paolina.
Le Bernin, symbole du baroque romain, connut une carrière exceptionnelle. Devenu très religieux, ses nombreux sujets mythologiques datent de son début de carrière. Ce père de 11 enfants, à l’humour dévastateur, très conscient de son talent, pratiquait des prix élevés.
Le buste de Scipion Borghèse met en pratique ce qu’il cherchait à saisir lorsque son personnage s’apprête à parler ou à se taire.
Son art de la surprise, du mouvement, de la chorégraphie, de la sensualité suscite toujours le même enchantement
Sous la lumière essentielle, le marbre de L’enlèvement de Proserpine semble ductile,
Apollon et Daphnée : lui est amoureux, il a reçu la flèche d’or de Cupidon, elle, la flèche de bronze, elle ne l’aime pas du tout. Sa métamorphose en laurier permet un gracieux mouvement  à la limite de la rupture. Cette création inspirera un motif charmant de Jean-Étienne Liotard.
« Pourtant, le dieu, porté dans sa poursuite sur les ailes de l'amour, est le plus prompt; infatigable, il frôle déjà le dos de la fugitive, sur la nuque de laquelle, les cheveux épars se soulèvent à son souffle ». Ovide
Des trois David celui de Donatello par sa jeunesse est le plus fidèle à la légende (à gauche). A côté de celui de Michel Ange (au centre), le plus décidé  est celui du Bernin (à droite), issu de la  collection du chevalier d’Arpin qui s’était vu confisquer 107 tableaux.
C’était le professeur du Caravage; celui-ci, avec son jeune garçon à la corbeille de fruits, montre sa virtuosité, laissant apparaître la vanité du monde dans une scène de genre où à cause d’une épaule nue, certains voient de l’homo érotisme.
Le portrait du pape Paul V en tête d'article n’est probablement pas du Caravage comme l’aurait souhaité son propriétaire, par contre sa statue fondue par Sebastiano Sebastiani  sur une la place de Rimini, affirme la puissance de l’église au moment où le baroque est en plein essor.
.....
Une lectrice attentive précise: 
"Tu as dit qu’Apollon avait reçu la flèche d’or de l’arc de Cupidon, et Daphné, la flèche de bronze.
Je suis allée consulter mon Ovide, en regardant du côté latin et ai trouvé que la flèche était associée avec le plomb, et pas le bronze, me semble-t-il.
Ovide insiste sur l’opposition or/plomb, et cette opposition convoque l’autre identité d’Apollon/Phoebus, et avec cette autre identité, le soleil, dont l’or a la couleur.
Le plomb, donc, est associé à la lune, dans cette logique. (Ovide dit « pâle »). La lune est associée à Diana, qui est associée à… Artémis, qui est la déesse des chasseresses éternellement vierges, comme Daphné voudrait le rester.
On peut interroger… l’opposition ? qu’il y a entre le soleil et la lune, et comment nous pouvons comprendre cette opposition, en y voyant un des lieux où l’opposition « masculin/féminin » est la plus intense."