vendredi 9 décembre 2016

Vieux.

Ah qu’il faisait bon autour de la cinquantaine, de se dire vieux pour faire protester l’entourage ! Maintenant que ça se sait, il convient de manier l’adjectif avec prudence en de désuètes déclinaisons : hein vieille branche !
En sortant du livre d’Olivier Roy « Le Djihad et la mort » où l’auteur souligne le côté générationnel de l’engagement des candidats au port de la kalachnikov et de la ceinture d’explosifs, je me demande si les caractérisations depuis la date de naissance ne vaudraient pas celles de l’adresse de la maternité : Ouah ! La Tronche du mec né dans le 3-8  avant 83 !
Quand le parti socialiste a proposé de rétablir le service militaire le mouvement des jeunes socialistes (MJS) s’est exprimé :
« Je trouve curieuse cette propension de vieux messieurs qui ne souffrent ni des inégalités, ni des discriminations, à expliquer aux jeunes comment ils doivent « aimer la République », « faire corps avec la nation », « s'engager au service du pays »
Il ne manquera pas de vieux messieurs pour trouver cela plaisant, alors que ce type de réponse vise à ridiculiser toute exigence morale, et bien sûr toute leçon.
« Aimer la République » voilà  une phrase de vieux ! Maintenant que le concept de classe sociale ne s’exprime plus guère, y compris dans les succursales du socialiste parti, voilà la jeune garde à l’avant-garde : pépé prends garde à toi !
Ceux qui ont eu vingt ans pendant les trente glorieuses, avons à payer la situation insouciante et confortable de ces années patchouli et les dettes parfumées à la particule fine que nous laissons à nos enfants concernant l’épuisement de la planète. Les leçons que nous avons dispensées à foison ont lassé, alors que s’inversait le sens des apprentissages avec l’arrivée massives des technologies de l’information : aphones devant l’ Iphone ! Mais  je préfèrerai toujours  Rocard en vieillard indigne au Philippot de tout acabit.
Au-delà de ces facilités, retour dans mes terres familières : l’école.
Comment ne pas avoir des élèves à histoires lorsque des géniteurs qui n’ont jamais accédé à la position de parents ont négligé toute histoire familiale. Ils ont rencontré une société qui ne sait plus entrevoir dans le passé que des évènements propres à assoupir toute envie d’envisager un monde raisonnable : horreurs et repentance. Il faut parler du commerce triangulaire au temps de  Louis XIV mais pas que…
Une jeune prof de musique n’avait jamais entendu parler de Jacques Brel !
«Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s´appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grands-parents
Entre l´absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d´être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendres
Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître 
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?»
On pourrait lui proposer aussi Brassens:
« Quand ils sont tout neufs,
Qu'ils sortent de l'œuf,
Du cocon,
Tous les jeun's blancs-becs
Prennent les vieux mecs
Pour des cons.
Quand ils sont d'venus
Des têtes chenu’s,
Des grisons,
Tous les vieux fourneaux
Prennent les jeunots
Pour des cons.
Moi, qui balance entre deux âges,
J' leur adresse à tous un message :
Le temps ne fait rien à l'affaire,
Quand on est con, on est con.
Qu'on ait vingt ans, qu'on soit grand-père,
Quand on est con, on est con…»
………………….
Le dessin du « Canard » de cette semaine :

jeudi 8 décembre 2016

Kandinsky : les années parisiennes # 2.

Sophie Bernard, commissaire de l’exposition qui se tient jusqu’au 29 janvier 2017 a présenté devant une salle comble des amis du musée de Grenoble, la prolifique dernière décennie de Kandinsky, né en Russie, ayant travaillé en Allemagne et mort en 1944 à Paris à l’âge de 78 ans.
Cet article abordera les éléments non mentionnés dans le compte rendu de la visite archivé sur ce blog, consacré à ce parcours tellement couru présentant une centaine d’œuvres venues de New York, Stockholm, Madrid, Paris, Vézelay...
Né dans la haute bourgeoisie moscovite, Kandinsky commence sa vie d’artiste autour de sa trentième année, après avoir suivi des études d’économie et de droit.
Dès 1911, il  peint « Tableau avec cercle », première toile abstraite, en même temps que ses premiers écrits théoriques « Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier » avant « Point et ligne sur plan ».
Au bout de ses exils russes et allemands, il choisit, avec Nina son épouse, un ancrage à Paris où la critique est pourtant réfractaire à l’abstraction. La capitale des arts est alors un label. Il parvient à dépasser la qualification qui lui est attribuée de peintre « oriental », tant chacun de ses tableaux est unique, vif, vibrionnant, vivifiant. Les galeristes Christian Zervos et Jeanne Bucher vont l’aider.
Il « raconte ses rêves », invente sans cesse, ne s’interdit rien. 
L’incontournable « Développement en brun » ouvre l’exposition, mais « Trübe Lage, Situation morose » peint en 33 est encore plus sombre et mélancolique.
Après le collectif du Bauhaus, c’est  « Chacun pour soi », embryon, nuage, cellule, signe d’un renouveau ; les titres sont désormais en français.
Devenu rapidement « un vrai parisien », dans ces périodes douloureuses, il s’exprime très peu en politique, et se trouve en porte à faux entre l’abstraction géométrique orthogonale et les surréalistes dont les jeux avec le hasard lui sont étrangers.
Ainsi parmi d’autres dilemmes, « Le nœud rouge » sépare deux formes architecturées, loufoques, enfantines entre statique et mouvement.
Et l’identité trouble de la « figure verte » aurait pu éclaircir son ambiguïté entre abstraction et figuration en regard de «  L’acrobate bleu » de Picasso.
Il adopte l’expression « art concret » qu’Hans Arp avait exprimé : 
 « Je trouve qu'un tableau ou une sculpture qui n'ont pas eu d'objet pour modèle sont tout aussi concrets et sensuels qu'une feuille ou une pierre. »
Le polyphonique « Rayé » énergique et bariolé comme un feu d’artifice est dans le prolongement de ses différentes compositions, sans  toutefois constituer une série.
Dans le genre de « Trente » où le multiple se présente sous forme d’inventaire,
«  Bagatelles douces » rappelle les cartouches de l’art égyptien, les arts extra-européens,
les « Morphologies » de Brauner ou la « Composition universelle » de Torrès-Garcia.
Après son « âge d’or » en 39-40, bien qu’il refuse de voir la guerre, il met ses œuvres  à l’abri. Dans ce contexte, le « Bleu de ciel », « pur conte pictural » parait encore plus émouvant.
Il manque de matériel, mais son fantaisiste « Sans titre » de 1940 sait jouer sur les équilibres.
Comme « Une fête intime », solaire, qui  peut évoquer les mobiles de Calder ou les machines de Tinguely.
La ligne est reine dans « Le filet » labyrinthique.
Exposé avec De Staël, le tableau « Communauté » au titre idéaliste présente des tableaux à l’intérieur du tableau.
Le cavalier bleu de ses débuts apparaît dans «  Elan tempéré » pirouette humoristique de sa dernière œuvre achevée. Faut-il aller jusqu’à y voir un autoportrait palette en main ?
Alors qu’une courbe domine une aquarelle et encre de chine encore sur son support, « Sans titre » de 44, résume les tendances fortes de ces années parisiennes où l’infiniment petit rencontre l’infiniment grand, la musique et l’enfance, « … La synthèse de nombreuses expériences des sens » Will Grohmann.
Ses toiles « Mouvement I » et « Accord réciproque », vivants jalons, veillent sur le corps exposé dans son atelier de celui qui « a voulu exprimer le mystérieux par le mystérieux ».
La vie présente a retrouvé, dans la mort, la vie future.
André Breton lui avait écrit en 36 :
« Je n’ai pas eu le temps de vous dire vendredi à quel point je restais sous le charme des œuvres exposées chez Madame Bucher et qui sont faites de la poussière des temps où l’on a été ou où l’on sera encore heureux. »

mardi 6 décembre 2016

Equateur J 6. Peguche El Chaupi.

Nous prenons le petit déjeuner en compagnie des filles de Dina Maria que nous avons seulement croisée ce matin, Karen et Huaïta qui commence à l’université plus tard que prévu.
Elles se tressent mutuellement les cheveux en une belle natte, et la plus jeune  attend avec nous, le bus qui arrive au petit pont à 8h 30. Après les adieux, nous prenons la route, pour Peguche, le village des artisans tisserands et de la cascade.
La ville se révèle intéressante. Dans une maison /magasin, nous avons droit à des explications sur les différentes opérations avant tissage.
Il fallait d’abord carder les fibres avec des chardons montés sur un manche en bois, puis avec deux planches cloutées telles qu’il en existait chez nous.
Nous tâtons la laine de mouton, la toison de l’alpaga, un camélidé, et le summum de la douceur : le petit alpaga. Après filage au fuseau, pour la couleur, uniquement végétale, notre démonstratrice juxtapose matériaux et résultat de la coloration.
La teinture provient de noix, d’une plante qu’on a pu observer, dont on a oublié le nom, qui produit un vert anis surprenant et la cochenille qui envahit les raquettes des figuiers de Barbarie. Ce parasite écrasé donne le rouge. Quand on lui rajoute du citron, le rouge devient orange et si l’on mélange du bicarbonate, la couleur vire au violet.
Un jeune homme à chapeau met en marche un métier à tisser tandis que la démonstratrice s’installe à un métier ancestral. Assise par terre, les pieds butés contre une pierre, les reins ceints d’une ceinture brodée reliée au métier, elle trie les fils, passe la navette, tasse avec énergie et choisit à nouveau ses fils : un sacré travail que seules deux personnes perpétuent encore.
Nous traînons dans le magasin sur plusieurs étages et farfouillons parmi les foulards, les pulls, les sacs, les marionnettes à doigts…
Un des fils de la maison, Alexis, nous guide vers la cascade de Peguche. Elle se trouve dans une forêt d’eucalyptus et se termine en piscine pour bains rituels.
Nous suivons le sentier balisé qui accède à la cascade, l’endroit est bien aménagé avec petit pont pour observer à partir des deux rives et cabane pour bien profiter du panorama.
Il commence à pleuvoir,  nous prenons la direction du Sud, plus ou moins somnolents sur une portion que nous connaissons déjà.
Nous mangeons en bord de route, dans un restau à grillades, où nous commençons par un bouillon de poulet. Les assiettes de steaks, riz, lentilles sont bien pleines et les prix vraiment modérés (5, 50$+2$ la bière).
Nous continuons sur la route Panaméricaine qui traverse le continent de l’Alaska à la Terre de feu, que nous traversons à pieds quelque peu imprudemment pour admirer l’étendue de Quito depuis un belvédère.
La route se poursuit en direction de Latacunga et Lasso. Puis nous bifurquons pour joindre une ancienne hacienda du XVIII° siècle : l’hacienda La Ciénaga. Juste avant d’atteindre la grille d’entrée, un immense eucalyptus s’abat sur la route devant nous. Mais ce n’est pas un accident : nous assistons à son débitage à la tronçonneuse et à l’ébarbage des branches par les cantonniers qui dégagent rapidement un passage pour les motos et les autos.
Une forte odeur flotte dans l’air, les fruits, les fleurs, des feuilles, des branches, des écorces jonchent le sol, nous faisons une petite récolte pour parfumer le bus. Nous remontons dans le véhicule et franchissons la grille.
Nous longeons la majestueuse allée qui nous conduit à l’hacienda, vieille demeure d’une vieille famille transformée en hôtel. Nous sommes autorisés à nous y promener.
Une chapelle  a été érigée dans ce bel ensemble au charme un peu désuet : deux portes en bois sculpté datant de 1580 s’ouvrent vers l’intérieur. On peut voir un très joli retable avec sculptures naïves, dans une tribune une vitrine contient des chasubles brodées.
Nous déambulons d’abord près des communs où nous achetons des cartes dans un magasin de souvenirs puis dans les galeries aménagées en salon de lecture où une douce chaleur nous accueille. Ces galeries couvertes encadrent un jardin intérieur doté d’une fontaine centrale, fleuri de géraniums et d’arums.
De vieilles photos révèlent le côté colonial du lieu. Nous nous offrons un chocolat chaud ou un thé au bar avec nappes blanches serviettes en tissu bleu et serveur en blanc et noir, sans nous ruiner.
Après cette halte dans l’histoire et dans le confort nous roulons vers El Chaupi, village montagnard où nous allons coucher dans une auberge sommaire. Les chambres à peine investies, nous fonçons profiter de la fin du jour.
Bien nous en a pris, le coucher de soleil est somptueux, les lumières jouent dans les nuages.  Comme le fond de l’air est frais, El Chaupi by night est vite fait. Avant le repas, la douche réserve des surprises, brûlante pour certains, glaciale pour d’autres. Nous nous réchauffons dans la salle à manger près du poêle dans une ambiance de chalet savoyard. La nourriture est là aussi abondante : soupe, poulet, riz légumes al dente et surprise : crêpes. Un salon nous accueille pour lire et écrire avant de se chercher un peu de chaleur dans nos lits. Nous sommes essoufflés, normal, nous créchons à 3400m !

Olympia. Vivès/Rupert &Mulot

Ça baigne, depuis le dessin de couverture, pour les trois jeunes femmes aussi désinvoltes qu’efficaces pour dérober des objets d’arts aux Invalides puis au Petit Palais en passant par le Grand Palais :  « La Vénus endormie » de Giorgione, « La Vénus d’Urbino » du Titien et «  Olympia » de Manet, d’où le titre.
Le trio de dessinateurs campe avec légèreté trois filles qui s’aiment, se passent des hommes et passent les murailles les plus impénétrables.
Les dialogues sont vifs :
- Je sais comment on va l'appeler! Attends déjà c'est une fille ou un garçon?
- Une fille.
- Raoul. On va l'appeler Raoul. J'adore trop les prénoms masculins pour les filles.
- Raoul? C'est trop moche? Pourquoi pas "gros Jacky" pendant que tu y es? Raoul, on dirait un nom d'acteur porno portugais.
Les invraisemblances dans l’action haletante passent bien dans une atmosphère rêveuse aux couleurs acides comme les caractères décrits dans des relations qui me paraissent très contemporaines : authenticité et brutalité, plaisir direct et inconscience.
Le seul garçon qui apparaît dans plus de trois cases est un tueur :
« Et tueur c'est intéressant comme boulot ? C'est payé au poids, comment ça marche ? »
Drogue et milieu de l’art, mafia et élégance, quelques bouffées d’adrénaline pour des vies traquées : la recherche effrénée de la liberté mène à des impasses mais produit des bandes dessinées qui se laissent bien lire : celle là est limpide. 

lundi 5 décembre 2016

Tour de France. Rachid Djaïdani

La présence du réalisateur dans une petite salle du quartier de La Bocca après la projection du film au moment du festival de Cannes nous avait donné encore plus envie de croire aux bons sentiments.
Il nous avait parlé avec chaleur de sa reconnaissance envers son grand homme : Depardieu, alias « Tonton »qui s’est révélé d’une  belle générosité et d’une énergie irradiante, renouant avec ses origines prolétaires.
L’issue du voyage de deux personnages que tout éloigne est prévisible, avec réconciliation père/fils, maçon blond et ronchon minoritaire dans son quartier et arabe victime de tous les clichés. 
Mais l’opposition n’est pas celle de Serge Lama contre le rap; les notes de Reggiani sont posées à côté du slam.
Depardieu et Sadek passent d’un port à l’autre sur les traces du peintre Horace Vernet,
Horace Vernet (!) qui représenta sous Louis XV les places fortes de la France, pour l’un,
alors que l’autre conduit le « beauf » -qui mérite-d’être-connu pour échapper à des embrouilles de quartier.

dimanche 4 décembre 2016

Les contes d’Hoffmann. Compagnie L'Envolée Lyrique.

Avant de passer une heure et demie à La Vence Scène à Saint Egrève devant la dernière création d’Offenbach nous avons été bien avisés de nous documenter pour mieux voir quelque profondeur sous les gais emballages d’une intrigue labyrinthique.
Les  allusions à plusieurs types d’opéra : le bouffe et le romantique, le bourgeois, dépassent le novice que je suis, comme j’ai pu me perdre dans certains dédoublements de personnages.
Les allusions à Goldmann Sachs ou à « libérée, délivrée », dans leur brièveté, n’encrassent pas un joyeux questionnement, habillement mené, qui traverse les époques.
Hoffmann, le poète aux allures de Johnnie Walker se perd dans l’alcool qui inspire ses confidences : la légèreté éloigne-t-elle de la mort ?
Il a aimé trois femmes qui n’en étaient qu’une seule.
L’amour de jeunesse enflammée, l’amour adulte profond et partagé, l’amour vénal et fugace,  sont voués à l’échec, par crainte d’être dévorés par l’absolu ou trompés par les apparences.
Nous sommes dans un royaume plein  « d’inquiétante étrangeté » où les reflets et les ombres se volent, les automates mentent, les fantômes chantent. L’amoureux chausse des lunettes spéciales sans parvenir à éloigner son inquiétude.
Il aurait été plus confortable de lire des sur titrages pour rendre intelligible toutes les paroles chantées. Mais les dispositifs scéniques astucieux de la compagnie dans leur modestie mettent ainsi mieux en valeur la virtuosité des artistes à la fois chanteurs, musiciens, danseurs de claquettes, acteurs à la gestuelle dynamisante.
L’air de la Barcarolle me transperce à tous coups :
« Belle nuit
Oh nuit d'amour
Souris à nos ivresses
Nuit plus douce que le jour
Oh belle nuit d'amour
Le temps fuit et sans retour
Emporte nos tendresses
Loin de cet heureux séjour
Le temps fuit sans retour »
Et me ravissent :
 « Les oiseaux dans la charmille,
Dans les cieux l'astre du jour
Tout parle à la jeune fille,
Tout parle à la jeune fille d'amour!
Ah! Tout parle d'amour,
Ah! Voilà la chanson gentille,
La chanson d'Olympia, d'Olympia!
Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! »

samedi 3 décembre 2016

Crue. Philippe Forest.

Son livre «Tous les enfants sauf un »
a été tellement important pour moi que j’ai couru quand cette nouvelle livraison est arrivée.
Mais j’ai eu du mal à le lire : certes le fantastique n’est pas trop mon genre, mais ce narrateur en retrait de sa narration m’a rendu impatient : quand ses annonces vont-elles enfin se réaliser ?
Hors du monde, un homme sans nom croise un chat, une femme, un homme qui disparaissent.
Le chat  repasse le voir alors qu’il pleure devant la beauté du déluge depuis les toits de la ville.
Revient souvent la formule « Est enim magnum chaos » ( En vérité, il est un grand vide.)
Le fin connaisseur de littérature tourne autour du vide : les paysages sont arides et les personnages fantomatiques, les mouvements incertains.
Pour essayer de surmonter mes difficultés, je n’ai pas manqué la venue de l’auteur à la librairie du Square et j’ai mieux compris sa fidélité à ses romans antérieurs, dont je suis moins familiers que des lectrices qui mettent cet écrivain au plus haut : son énergie accompagnant sa mélancolie donne de belles lignes.
Son écriture blanche et cette construction m’ont tourmenté ; point de plaisir mais le sentiment d’accompagner la recherche forcément confuse de mieux dire le réel, de décrypter la vérité quand la perte vous ronge.   
Hors du temps, les anecdotes ayant été tenues à distance, il nous parle d’un monde arraisonné par la technique qui vit un désastre social, économique, écologique.
Et parmi les 260 pages au moment de la crue centennale :
« La terre avait été étouffée par le béton et le bitume. Elle avait perdu la propriété salutaire qui lui permettait d’absorber les eaux tombant du ciel. Dans le même temps, la civilisation- ou bien ce qui en usurpait le nom - avait énervé la planète, puisant inconsidérément dans ses ressources, brûlant à sa surface un feu continuel qui réchauffait l’atmosphère, faisait fondre les pôles, décimait les espèces vivantes, détraquait le climat et libérait dans l’air d’incontrôlables forces qui ruinaient le monde et lui interdisaient de se régénérer comme, par le passé, il en avait eu la faculté. »