samedi 21 juin 2014

Pulp #1. Féminin masculin.

Séduit par une parodie de journal people qui traite du look de Napoléon et de la crise entre Van Gogh et Gauguin comme l’aurait commis Closer ou Voici, j’ai acheté en librairie ce nouveau trimestriel, puisque désormais les nouveautés éditoriales apparaissent à ce rythme.
Le thème du « genre » traité en 120 pages est d’actualité et la mise en page séduisante avec l’ambition de décrypter les images. Mais l’impression dominante révèle un manque de saveur et une allure quelque peu scolaire.
Certes, les Femen, « seins contre saints » actualisent le look de la publication aux colorations essentiellement sixties avec une compilation des pubs machistes comme on n’en fait plus, et encore la femme Tupperware, le prince Renier III, Marlène Dietrich en pantalon, Belmondo et Anna Karina. Et malgré Plonk et Replonk avec un portrait de groupe frappé par « la terrible épidémie de moustache de 1890 » qui apportent une touche d’humour, celui-ci me parait assez parcimonieux.
Si le projet est tourné vers les adolescents, la Joconde(LHOOQ) affublée d’une moustache par Duchamp a toute sa place, mais pour les kroumirs de mon acabit, nourris aux parodies d’Actuel, les surprises sont rares même si je ne connaissais pas le Brancusi « femme se regardant dans le miroir » tellement polie qu’elle figure un god évident. Il est intéressant de savoir qu’en 1907 les garçons de café s’étaient mis en grève en particulier pour obtenir le droit de porter la moustache.  
« Nous voulons notre rang d’hommes comme tous les travailleurs, et ne pas être astreint à singer les femmes par la suppression de la moustache »
Les cafés s’efforçaient alors de ressembler aux maisons bourgeoises dont les serviteurs avaient aussi interdiction de montrer leurs poils. 
Il n’est pas inutile non plus de rappeler « les femmes doivent-elles être nues pour entrer au Métropolitan muséum ? » puisque « 5% des artistes exposées sont des femmes alors que 85% des nus sont des femmes.»
Agréable à feuilleter, la présentation des travaux de l’iranienne Shadi Ghadirian ne manque pas de punch,  mais les textes n’apportent pas grand-chose, par contre l’homme  couché dans un drapeau français en guise de hamac décrivant aussi bien « La France des assistés »  du Figaro magazine, aurait pu exprimer «  La France du bien être », comme une même image peut illustrer « le spectre islamiste » ou « le printemps arabe » …

vendredi 20 juin 2014

Pourquoi les riches ont gagné. J.L. Servan Schreiber.

La citation reprise de partout  d’un Warren Buffet, 200 fois plus riche que Bernard Tapie, quoique bien plus digne, ouvre les 150 pages de ce livre rapide:
« Il y a une lutte des classes aux Etats-Unis, évidemment, mais c'est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner. »
Victoire financière, politique et idéologique.
Même au forum économique mondial de Davos,  ils peuvent se permettre de mettre la montée des inégalités à l’ordre du  jour : « les 85 personnes les plus fortunées du monde possèdent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population. »
Il y a 2 millions de millionnaires sur la planète, et 500 000 en France, mais au delà d’une compilation assez plate de chiffres qui donnent le tournis sur l’accroissement des inégalités dans un monde qui globalement s’enrichit, la mise en évidence par la pyramide de Maslow des besoins humains n’est pas inutile quand le futile gagne :
Nécessités physiologiques : manger
de sécurité : maison
d'appartenance : famille
d'estime de soi : miroir
d’accomplissement de soi : mon œuvre
qui dépassent l’image du gros capitaliste du XIX°.
D’autre part quand le créateur de « L’expansion » et de « Psychologie magazine » met le doigt sur le devenir des enfants de riches exposés à la contamination de l’argent, l’interrogation peut porter sur tous nos enfants de notre société tellement riche en regard du reste du monde.
En concluant sur le beau mot de « fraternité », je ne peux m’empêcher de trouver cette vision à ce point optimiste que je ne peux la croire :
« ce siècle accouchera de nouveaux idéaux civilisateurs et humanistes, sous peine de voir le cynisme financier et matérialiste dominant entraîner, au minimum une amertume sociale, au pire de nouveaux conflits meurtriers. »
Le monde est à eux et le pouvoir d’informer entre leurs mains, les pauvres sont leur bouclier et la Chine championne des inégalités : à partir de ces constats il y avait matière à un essai plus percutant.
………..
Sur  le site de Slate :

jeudi 19 juin 2014

Le corps souffrant. Serge Legat.

Au cours du cycle « le corps dans tous ses états », Serge Legat a apporté devant les amis du musée, toutes les pièces contredisant l’idée reçue qui verrait l’art contemporain se complaire à la représentation de la laideur opposée à une beauté ayant régné jadis sans partage.
Le conférencier commence cette galerie des portraits aux disgrâces infligées par la nature par "  Le Portement de Croix » de  Jérôme Bosch. Celui qui va subir le supplice  est apaisé ainsi que Sainte Véronique au milieu d’une foule féroce dont la violence est assortie à la laideur.
La correspondance des traits du visage liés à un caractère est élevée au rang de science : la physiognomonie connait quelques succès au XVII° siècle, au moment où Charles Lebrun lance les conférences à l’Académie royale de peinture. La tête était au sommet de la hiérarchie d’un corps dont les mystères reliés aux passions sont explorés ; les dérives les plus terrifiantes de cette théorie arriveront jusqu’à notre époque dans les wagons plombés des thèses racistes.
Léonard de Vinci  avait recherché avec ses têtes grotesques, hors normes, la diversité de la création, tout en poursuivant ses études de rapports de proportion harmonieux.
Le visage très marqué de l’homme âgé de Ghirlandaio, au nez  atteint d’une rhinophyma, en face d’un enfant  lumineux est transcendé par la douceur des regards,  pendant que les traits lourds  de Robert de Masmines peint par Robert Campin, né à Valenciennes, le « Maître de Flémalle », annoncent les maîtres flamands.
Les italiens continueront  plus longtemps à idéaliser le corps humain, à l’instant où les écoles du Nord traitent vigoureusement de la vérité du corps humain en allant chercher vers les ténèbres, le désordre, l’étrange.
L’école allemande dépasse le réalisme au moment de la vieillesse: le portrait de la mère de Dürer par son acuité annonce l’expressionisme et Otto Dix n’épargne guère la sèche journaliste Sylvia Von Harden, jusqu’au pli de ses bas. Le maître de la gravure dans sa représentation du péché d’avarice a insisté sur le corps dégradé d’une femme aux seins flétris, 
« L’affreuse duchesse » de Quentin Metsys qui ne se rend pas compte du ridicule de ne pas accepter son âge. Les décolletés chez Goya sont horrifiques et à la question du miroir : « que tal ? »(comment ça va ?) Le spectateur répond « très mal ». Le temps représenté derrière les deux coquettes va déblayer d’un coup de balai « l’âge d’or » en mousseline.
Les hommes ridés, plissés, sont mieux traités: Saint Jérôme du Caravage est un sage investi d’une mission.  Par contre, « la maturité de la femme est la marque de l'inflation de sa folie », bien que la Marie Madeleine de Donatello sanctifiée par les privations, les souffrances, conserve intactes ses mains en prière alors que tout son corps est appelé vers le bas.
Les beautés étaient opulentes avec Rubens, et  le Ganymède enlevé par un aigle de Rembrandt n’a pas sa perfection mythologique habituelle : le bébé braillard est obèse.
« Le corps idéal peut céder la place aux difformités de la nature » tandis que les nains à la cour d’Espagne sont au côté des princes, ils n’ont pas figure grotesque pas plus qu’ils ne tiennent un rôle de bouffon, ils sont dignes d’être représentés seuls, par Vélasquez ou Ribera dont l’enfant au « pied bot » porte sa béquille à l’épaule et accepte son sort dans un sourire.
Au moment de la naissance de la médecine aliéniste, Géricault produit une série de tableaux saisissants avec des monomaniaques des décorations militaires, du jeu, de l’envie, du vol...
Quand vient la mort, même la vierge chez  Le Caravage, est un cadavre qui n’entre ni en dormition, ni en assomption.
Sardanapale, peint par Delacroix, au sommet de son bucher entraine ses femmes dans la mort : une s’abandonne, une se pend, une autre est poignardée. Au premier plan de « La liberté conduisant le peuple », la mort a frappé  à égalité les adversaires des journées révolutionnaires de 1830.
Dans cette vallée de rides, de souffrances, de mort, l’absurde permet de réagir :
« rien n'est plus drôle que le malheur... c'est la chose la plus comique au monde. » dit Beckett.
Comme Michel Ange se représentant dans la peau arrachée de Saint Christophe dans le jugement dernier, Cranach a mis sa tête coupée sur le plateau d’Holopherne ou de Salomé et le Caravage s’est peint en Goliath vaincu ou en Méduse hurlant. Lucien Freud ou Bacon se sont tendu des miroirs impitoyables. L’irlandais  qui déclarait « Je crois que l’homme aujourd’hui réalise qu’il est un accident, que son existence est futile et qu’il a à jouer un jeu insensé. »
fait se télescoper  les représentations du pape Innocent X de Vélasquez et le bœuf écorché de Rembrandt : son cri est terrifiant.



mercredi 18 juin 2014

Turin en trois jours. # J 1.

A trois heures de Grenoble par le tunnel du Fréjus, nous nous rendons dans la capitale du Piémont dont la taille est comparable à Lyon avec ses 1 700 000 habitants. Nous n’aurons pas le temps de vérifier si le slogan « toujours en mouvement, always on the move »» qui est attribué à la quatrième ville d’Italie, n’est valable que dans les guides touristiques.
Depuis l’hôtel à 80 € la chambre, bien situé place Carducci, nous allons prendre notre carte « gold Torino+Piemonte card » à 30 € qui nous ouvrira la porte de tous les musées et nous permettra de nous déplacer en bus ou par le métro inauguré pour les jeux olympiques d’hiver de 2006.
Nous n’irons pas voir le Saint suaire, ni le musée Egizio qui accueille la plus grande collection d’art égyptien après celle du Caire.
Nous nous rendons à notre premier musée d’art contemporain : au GAM. Signalé par un arbre en bronze de Penone, le lieu est depuis 1863 dédié à l’art moderne. Aujourd’hui jusque dans ses expositions temporaires, il juxtapose avec cohérence des œuvres anciennes et des contemporaines, les unes réveillant les autres, les autres validant les unes, toutes se valorisant. «L’Arte povera » est bien représenté avec  Pistoletto, Michelangelo de son prénom, mais on y voit aussi Dix, Picasso, Léger, Modigliani, De Chirico … Il y avait même un Caravage.
Nous déambulons dans le centre ville sous les arcades qui abritent ainsi élégamment les passants sur 24 km, et nous entrons dans l’église San Lorenzo, qui servait à la maison royale sur la Piazza Castello à côté du Palazzo Reale. Si l’extérieur n’a rien de rare, la construction baroque de forme octogonale, sans nef, sous sa coupole lumineuse, est remarquable.
Une exposition itinérante venant de la Tate galerie, consacrée à l’école préraphaélite  s’est arrêtée au Palais Chiablese. Retour aux sources avec Dante Gabriel Rossetti qui possédait la double nationalité italienne et anglaise, membre éminent d’un mouvement qui connut son apogée à l’époque victorienne. Les préraphaélites reviennent sur des thèmes mythologiques ou moyenâgeux parés de couleurs vives, aux lumières vibrantes, aux femmes sensuelles. L’affiche avec Ophélie flottant à la surface de l’eau de John Everett Millais nous y avait conviés.
Après nous être régalés d’un jus de fruits, dit « frullati » de préférence à « smoophie », pourtant issu d’un mixer fatigué, nous allons au restaurant des « Tre galline » où nous goutons à la cuisine piémontaise. Les gressins délicieux ne nous ont pas coupé l’appétit. J’ai opté pour « La finanziera » plat de tripes diverses dont des crêtes de coq avec des champignons. Mes camarades de voyage en  sont restés aux pâtes fondamentales, cette fois des agnolotti au ragoût, après un pré antipasti, une citation de vitel' tonné qui allie viande de veau et thon sous une câpre de bonne taille, et un « bollito misto » où la viande et les légumes se trempent dans une sauce aux anchois. Comme nous renoncions au dessert, on nous servit quelques réduits délicieux.

mardi 17 juin 2014

Où sont passés les grands jours ? Jim&Alex Tefenkgi.

Séduit par le titre et les couleurs, je suis ressorti déçu de ce premier album qui sans le recours à un second volume à venir, reste lacunaire avec un scénario aux personnages immatures  ne ménageant pas beaucoup de surprises.
La fin de l’adolescence est souvent traitée en BD, mais avec plus de profondeur, d’empathie pour les protagonistes de quarante ans. Un de leurs copains, dont la disparition se matérialise dans le carnet d’adresse d’un téléphone portable, vient de se suicider. Ils sont passifs, et les cadeaux qu’ils ont reçus en héritage du défunt ne leur conviennent pas,  de surcroit nous ne saurons que peu de choses de chacun.  
Le vide peut être fort, là il est paresseux alors quand le « héros » menteur et lâche se fait virer : c’est le seul bon moment. 
Assis sur le toit de sa voiture, en fumant une clope, celui-ci a  laissé sa copine désherber la tombe de son père au cimetière. Les situations sont  surlignées ou artificielles, avec par exemple des dessins de footing en décalage avec le tempo de la conversation, ressemblant à ceux d’une poursuite échevelée style manga.
Il y a tant de BD bien que c’est dommage de dépenser pour celle-ci.

lundi 16 juin 2014

The Homesman. Tommy Lee Jones.

Maintenant que les westerns se font rares, dégustons celui là  avec une femme qui tient les rênes et une dimension religieuse forte. La description de la fin des pionniers a déjà été traitée mais l’interrogation sur la perte de sens de nos existences est toujours d’actualité. Le réalisateur  a une gueule et joue le rôle de l’accompagnateur bougon qui réserve des surprises, d’autant plus appréciables qu’il y a une jubilation à réviser les fondamentaux du genre : chariot à barreaux pour les trois folles à conduire des terres arides vers les salons charitables de l’Est, colts et duels, corde au cou, incendies, chevaux, indiens peu conventionnels, ciels magnifiques au dessus des plaines, rivières à franchir, whisky, attrait de l’ailleurs, « Rédemption » en tant que nom de mule, l’argent …

dimanche 15 juin 2014

Kodaly Rachmaninov Poulenc.

Sous la coupole de l’église Saint Jean dont De Gaulle passant sur les grands boulevards en 68 s’était demandé : « Qu’est-ce que c’est que ce machin ?» l’Orchestre Symphonique de Grenoble avec la chorale « A cœur joie » et l’ensemble vocal de Meylan donnaient concert.
L’ampleur des chœurs et de l’orchestre ont donné une force aux œuvres qui dépeignent pour le hongrois, la douleur de David dans le psaume op 13 :
«  Seigneur dieu, je t’implore,
Tourne tes yeux vers moi,
Dans ce grand besoin
Ne m’abandonne pas
Car d’une grande tristesse
Est dévoré mon cœur »
ou dans le Stabat Mater du français :
« Elle vit son enfant bien-aimé
Mourant abandonné
Pendant qu’il rendait l’esprit »
Quand l’éternelle douleur est rendue avec tant d’harmonie, de précision, de conviction, nous pourrions nous consoler des cruautés humaines en croisant ces sublimes cris.
J’avais de Kodaly l’idée d’une méthode prônée par un professeur passionné et caractériel à l’EN de Grenoble, mais je ne connaissais pas sa musique qui m’a parue éclatante et nuancée.
Le chef Patrick Souillot avait mis aux pianos deux enfants de neuf et dix ans pour interpréter Rachmaninov et Poulenc : ce fut un moment de grâce où le sens du phrasé transcende l’apprentissage. Ces petits dont l’un jouait à « chat » à la sortie donnaient toute leur valeur aux notes ténues qu’ils délivraient depuis leurs monumentaux instruments laqués.