vendredi 28 février 2014

Etrangère politique.

Appartenant à la race en voie d’extinction des lecteurs assidus de journaux, qui plus est, de Libération, je ne cesse de ressasser : « Je sais que je ne sais rien, mais je le sais! » datant de Socrate et poserais en sage tout en me désolant de me faire balader par les médias, passant d’un meilleur économiste à un économiste meilleur, de DSK en Cahuzac.  Et je m’étonne encore d’aspects que j’ignorais des politiques de mon pays, alors pour ce qui est de la Cyrénaïque : va savoir !
« A l’insu de notre plein gré » et ce qui nous advient ici, à portée de mains, les bras m’en tombent bien souvent d’ébahissement et d’impuissance.
Pourtant au-delà des frontières il y a de quoi  apporter des nuances à nos paysages.
Comme le chante sur des rythmes enjoués Sanseverino :
 « Israël, Palestine, les Hutus, les Tusti, Désiré Kabila
Guantanamo, Kadhafi, Kaboul, Sarajevo
Ben Laden, George Bush, Mobutu et Tito
On connait tout ce qui est bon
C'est la médiathèque de la baston »
Ces noms ne se démodent pas même si des nouveaux sont venus clignoter sur nos écrans.
Par exemple en Ukraine où tout se rebat, leur langue est le support de leur identité, leur fierté, tandis que nos négligences ont précédé l'affaiblissement du français. Certains demandent l’Europe, qui à l'intérieur de nos frontières ?
Je trouve ridicules tous ces planqués qui enverraient bien nos trouffions tous azimuts et dans le même temps je m’agace de la culpabilité qui s’attacherait à toute action  de la France.
Si le Mali fut une opération utile, celle en Centre Afrique est plus hasardeuse. Nos lâches soulagements face à Kadhafi  ont été de courte durée : les effets pervers devenant majeurs.
Le refus d’engager La France en Irak avait rencontré un consensus, alors que les palinodies en Syrie n’étaient pas si dérisoires quand le remède risquait d’être pire que le mal.
Il est de bon ton chez les atones de dauber sur l’Europe, un peu plus, mais qui l’a rendue impuissante l’Europe, comme si nous n’étions pas partie prenante ? Qui a mis la boule à zéro à l’Euro ? L’OTAN est passée, la défense européenne est sans dessein, on a déjà du mal avec notre province: que faire ?
 Alors quand la lassitude gagne, pour retrouver les fondamentaux, un petit coup de camarade vitamine, Régis Debray :
« La priorité du siècle à venir sera éminemment paradoxale. Il lui faudra réconcilier les causes de l’Un et du Multiple. Vivre l’histoire comme l’aventure d’un peuple unique, l’humanité ; tout en préservant contre l’unification technique la diversité des langues et des peuples. Il y a le droit naturel des êtres humains à se nourrir, à croître en paix, à se rendre là où la vie est possible ; et il y a le droit politique des États à contrôler les flux de population, à maintenir leurs frontières et leurs usages, selon les codes immémoriaux de l’hospitalité (je t’accueille chez moi, tu respectes mes lois). Combiner les deux ne sera pas facile - pas plus qu’il n’est aisé d’allier la générosité à l’intelligence (les cœurs palpitants sont souvent un peu simples et l’intelligence a souvent le cœur sec). Ordre et progrès se diront : identité et solidarité, internationalisme et patriotisme. Scott Fitzgerald disait que la finesse d’un individu se mesure à sa capacité de vivre selon deux idées contradictoires. La formule vaut pour les civilisations. »
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Dans le Canard de cette semaine: A propos du positionnement des verts.

jeudi 27 février 2014

L'ultime croisade des hidalgos*. Christian Loubet

Au 15e et 16e siècles, l'Espagne est unifiée, la « Reconquista », croisade chrétienne est terminée, les juifs et musulmans sont convertis ou chassés ; « le soleil ne se couche jamais » sur l'immense empire de Philippe II. L'or des Amériques n’est pas encore épuisé …
El Greco (Le Grec) (1541- 1614),  formé comme peintre des icônes après un séjour à Venise, s'installe à Tolède. D'abord maniériste, « vénitien », c'est le peintre de la couleur, il devient l'interprète des mystiques, exaltant l'idéal de la Réforme catholique, apprécié de l'aristocratie et de l'Eglise. En 1578, marié, intégré, il a de nombreuses commandes ; son premier succès – une crucifixion - date de 1577. Son premier grand travail pour le roi sera « La bataille de Lépante »(1571) peinte en 1579 à la gloire de Don Juan d'Autriche, instrument de la victoire de la chrétienté contre les Turcs. Le roi n'appréciera pas la toile qu'il juge trop originale.
L'enterrement du Comte d’Orgaz (1586) : Le chef d'œuvre du Gréco s'admire à Tolède à l'église Saint Tomé, exposé aujourd'hui sous le porche pour ne pas perturber les offices. De 3m 50 de haut, il oppose monde terrestre (en bas) et ciel avec le Christ, la Vierge, St Jean Baptiste et les élus. Un ange tient dans ses bras, sous forme d'ectoplasme, l'âme du Comte.
Le peintre est aussi un grand portraitiste.
A partir de 1600, la déformation verticale s'accentue (problèmes de vision ?) mais les couleurs sont toujours très vives et le mouvement, le nombre des personnages achemine l'œuvre vers le baroque.
Il osera quelques nus sous couvert de mythologie malgré l'interdiction de l’Inquisition.
Le père de l'Ecole espagnole, « visionnaire » très original et très moderne parfois influencera des peintres comme Picasso ou J. Pollock.
Velasquez (1540-1614) : le grand témoin du siècle d'or sous Philippe IV.
Le peintre sévillan, très influencé par l'Italie (Le Caravage surtout), s’illustre d'abord dans la peinture de genre, joue sur la lumière et le clair obscur et décrit la réalité, même la plus prosaïque, ce qui est complètement nouveau (ex : « la vieille femme faisant frire des œufs »).
A Madrid, à 24 ans, il devient d'abord « peintre du Roi » puis « peintre de Chambre », charge la plus importante à la Cour et « surintendant des travaux royaux ».
Dans ses peintures religieuses comme dans ses nombreux portraits de cour il n'hésite pas à montrer la réalité même brutale (le portait de la mère supérieure des Clarisses, missionnaire déterminée) ou la laideur du Roi à la bouche déformée.
Envoyé par Philipe IV comme diplomate en Italie, il  est un des premiers à s'intéresser au paysage, il peint des toiles caravagesques ou mythologiques. Le portrait du pape est lui aussi peu flatteur. Il osera même peindre son propre domestique noir.
Portraits de la Reine, de bouffons, de nains … Mais, comme il a de nombreuses activités, particulièrement comme installateur des résidences royales, son œuvre est réduite : 162 tableaux dont il n'en reste que 111.
En 1639, il peint « La Reddition de Bréda » (de 1625), tableau politique rappelant la victoire sur les hollandais insurgés et destiné au palais du Buon Retiro.
" La Venus au miroir" vers 1545, "Mars" et autres tableaux mythologiques. Et toujours cette dualité caractéristique de nombre de ses tableaux. Ici la beauté du corps nu vu de dos et le reflet d'un visage laid dans le miroir (rajouté ?).
1656 ; "Les Ménines " et toujours le jeu des miroirs : c'est le peintre qui est important dans le tableau !
"Les fileuses" ou "Légende d'Arachné", son dernier tableau de 1657 sans doute, est très impressionniste. On y retrouve le dialogue entre réalité et évocation des Dieux à l'arrière-plan et tout le savoir-faire artistique accumulé en quarante ans de carrière
« Ce dernier Vélasquez, dont l'univers poétique, un peu mystérieux, a pour notre temps une séduction majeure, anticipe sur l'art impressionniste de Claude Monet et de Whistler, alors que les peintres précédents y voyaient un réalisme épique et lumineux. »
Après l'apogée d'une société pleine d'illusions (El Gréco), puis la prise de conscience de l'ambigüité du monde (Vélasquez), les artistes de la fin du siècle montreront sa décadence. 
* Hidalgo : gentilhomme.                                         Compte-rendu de Dany Besset.  
                                                                                    


mercredi 26 février 2014

Contes des sages d’Afrique. Amadou Hampâté Bâ.

Joli livre broché à glisser dans un sac de voyage, avec des histoires variées où l’on apprend enfin pourquoi «  l’homme de bien est souvent l’époux d’une femme sans mérite et la femme vaillante l’épouse d’un bon à rien ». Lorsque hyène père entre en scène, l’issue ne sera pas forcément gentillette, pas plus que le début du récit du « roi qui voulait tuer tous les vieux », où un jeune inconscient apprendra que « nul ne peut voir tout seul le sommet de son crâne ».
L’écrivain ethnologue malien, à qui l’on doit la formule «  chaque fois qu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui  brûle », a recueilli ces contes essentiellement peuls. Il est mort en 1991.
Pour parler du conflit israélo palestinien, il s’était servi, depuis une tribune internationale, de l’histoire de deux lézards qui en se querellant ont mis le feu à la case et entrainé bien des malheurs; les protagonistes qui n’ont pas voulu intervenir à temps sont tellement emblématiques des renoncements diplomatiques.
On peut être indifférent à la généalogie de Njeddo Dewal mais apprécier les dialogues quand Satan s’en mêle :
« Espèce de mégère aux fesses disproportionnées et puantes, ferme la mangeoire qui te sert de bouche ou je vais avec ce bracelet qui vaut plus que ton prix, réduire tes dents en grumeaux de couscous »
S’il est  assez habituel que les fous instruisent les rois, il est moins fréquent qu’une baffe les remette dans le droit chemin, mais tout au long de ces 130 pages illustrées de beaux objets chargés de magie, nous aurons pu apprendre le prix d’une poignée de poussière. La sagesse  se mêle à la folie : les secrets de l’humilité se révèlent au bout de longues quêtes et  parfois au pied du coteau rouge dans la plaine des « fous lucides » peut se tenir une « foire catastrophe ».
Nous savons aussi que le mensonge peut devenir vérité, quand une autre hyène nous le rappelle dans une brève à la construction originale comme dans d’autres fables où la morale n’est pas forcément assénée.

mardi 25 février 2014

Le pire a de l’avenir. Georges Wolinski.

Cavanna vient de mourir et c’est toute une génération qui a chopé Parkinson.
Wolinski,  son pote de Charlie, le dessinateur de presse qui a maintenant 78 ans a commencé avec Siné dans « l’Enragé », il est passé à l’Huma, à Libé, à Paris-Match : 68 et ce qui en suivit.
Je le connais mieux que Proust ou Musil et sais peu de meilleurs moments que lire une BD en bouffant du chocolat.
Membre historique de la bande à Hara Kiri, il vient encore de publier un livre de 1000 pages après 80 albums dont on peut retenir quelques citations :
«On a fait Mai 68 pour ne pas devenir ce qu’on est devenus
« À quoi ça sert d'être connecté à la terre entière si on n'a rien à se dire ? »
« Heureusement que le monde va mal ; je n'aurais pas supporté d'aller mal dans un monde qui va bien ! »
Ses dessins sont la joie de vivre, la liberté : sous leurs robes légères ses femmes sont toujours en pleine forme. Quant à deux de ses personnages poursuivant leur dialogue de sourds, ils portent toutes les contradictions de la société, « ses personnages bavards s'embourbent dans des pensées pleines de bon sens ou de non-sens ».
Il promène un miroir à la surface duquel la politique peut être jubilatoire, et nos reniements s’excuser, quand les paradoxes brillent et que les logiques acharnées finissent en un sourire, en coin.

lundi 24 février 2014

L’image manquante. Rithy Panh.

Deux millions de personnes sont mortes au Cambodge au milieu des années 70, soit un habitant sur cinq massacré ou mort de faim.
Rithy Panh qui consacre sa vie à témoigner de ces horreurs : « S21, la machine de mort Khmère rouge », « Duch, le maître des forges de l’enfer »… mêle ses souvenirs personnels à un nouveau documentaire.
Le réalisateur, alors enfant, ayant été contraint de quitter la capitale Phnom Penh vidée de tous ses habitants, sera le seul survivant de sa famille, subissant à la campagne, dans la jungle, des privations terribles. Alors que la faim est une préoccupation éliminant toute humanité, une « machine à manger » est présentée par le pouvoir, sa ressemblance avec la machine de Chaplin dans "Les temps modernes", ajoute de l’ironie au tragique.
L’association Cinéduc qui avait invité à la cinémathèque celui qui assure la voix off dans le film, illustrait parfaitement ce soir là, le thème de sa biennale : « Réinventer au cinéma ».
Face à une révolution qui n’a existé que dans les images, paradoxalement, la rareté des archives a contraint le cinéaste à reconstituer ces évènements avec des personnages d’argile non en animation, mais comme des santons qui ne donnent cependant jamais l’impression d’être statiques. Il ne s’agissait certainement pas pour l’auteur d’une recherche formelle mais d’une nécessité,
L’image d’une vague rythmant le film m’a impressionné dans sa simplicité pour exprimer la difficulté de mettre des images sur l’innommable comme il en fut question pour les mots face à la shoah. On voit la vague arriver et la caméra est submergée.

dimanche 23 février 2014

PARCS. Bertrand Belin.

Pour aller chercher au-delà de mon Souchon de base, je m’en suis remis à Libé qui avait repéré « le chanteur de l’année ». Même si je dois m’accrocher aux rameaux de la branchitude parisienne, j’aime les découvertes. Et je fus surpris de trouver un chanteur sage, à la voix grave aux musiques agréables alors que j’attendais plus de bruit, de fureur. Mais je ne fus pas attrapé, me laissant bercer par une ambiance chaleureuse, il faut que je compulse la page de textes pour en saisir le sel trop laissé en suspension lors des auditions, mis à part quelques images fortes :
«Laisse le
Au bord du champ
Cet oiseau sans bec »
Il est question d’absence, d’hiver, d’eau et de feu, de moments élémentaires, intimes.
En ces temps agressifs, il dit bien :
« Animal
Viscéral
Vicinal
Communal
National
International
Pourquoi se battent-ils
Au bord d’un chemin »
Musique d’ambiance rêveuse, où les mots vont leur chemin :
« Partout le silence a pris comme on dit du galon
Des congères de silence sous des lits de liserons »
A écouter devant un feu de bois quand la pluie bat à la fenêtre, avec un whisky tourbé, comme dirait André Manoukian..

samedi 22 février 2014

Mémé. Philippe Torreton.

 
140 pages pour ceux qui ont pu être agacés comme moi par l’expression : « T’es plus chez ta mémé ! » invitant à se prendre en charge, sonner la fin de l’enfance,  comme s’il n’était plus le temps de se faire chouchouter.
Ce n’est pas que la grand-mère du comédien qui écrit bien, l’ait dorloté particulièrement, mais de la même façon qu’elle était écolo avant la mode, elle a donné de l’amour sans le crier.
Une enfance à la campagne, simple, où rien ne se perd :
Les bruits : « Les flèches de lait tombant dans le fer blanc, les basses continues des mâchoires pleines de foin, le cliquetis de chaînes râpant le bois de la mangeoire, un sabot piaffant, une dégringolade de bouse, un long soupir de vache soulagée, les jets d’urine, le gazouillis d’une hirondelle allant et venant dans l’étable, les claques de tes mains sur les croupes récalcitrantes… »
Les saveurs, les odeurs, les mots rares donc importants : « ils ne savent plus quoi inventer », « on va pas gâcher ça » ou l’on boit le café « s’il y en a de fait » et il y en a toujours.
Torreton s’était payé Depardieu lors de son exil fiscal, les lecteurs du Figaro ne lui ont pas pardonné en commentaire d’un article sympa sur Internet à propos de ce livre.
De la même façon qu’il consacre quelques pages à la façon d’autrefois de donner plusieurs vies à un sac plastique, il retient les sensations d’une autre époque, nous les redonne sans couleurs trafiquées. Le labeur, la vie qui va, s’en va, les étourderies et ce joli recueil.
Même si la Normandie n’est pas le Dauphiné et nos histoires différentes, j’ai retrouvé l’odeur des ficelles de lieuse et le souvenir d’un amour éperdu, qu’enfant, j’ai porté à la mienne de mémé.