samedi 30 novembre 2013

Chronique d’hiver. Paul Auster.





Mon conscrit a dressé sur 250 pages « le catalogue de ses données sensorielles », des pieds nus sur le sol froid depuis ses 6 ans jusqu’à ses 64 ans. Son écriture fluide participe à la perception banale du temps qui s’écoule si rapidement. J’ai aimé retrouver certaines de mes impressions mais un amateur de sagas peut s’agacer de tant de banalités.
J’ai apprécié sa sincérité quand venu à Washington pour vivre le moment historique des funérailles de Kennedy il se rappelle :
« … tu avais pensé que les masses de curieux qui bordaient les avenues au passage du convoi funéraire observeraient un silence respectueux, seraient dans un état de choc muet, mais ce que tu as vu cet après midi là, c’est une foule de badauds bruyants venus au spectacle qui se tordaient le cou pour mater, des gens perchés sur les arbres avec leur appareil photo, des individus qui en poussaient d’autres pour avoir une meilleure vue, et par-dessus tout, ce qui t’a frappé alors, c’est l’ambiance d’exécution publique, le frisson qui accompagne le spectacle d’une mort violente. »  
Il utilise le «  tu » tout au long du livre, familier, nous permettant d’aller plus loin dans notre propre mémoire, apportant un regard complice, ne se la jouant jamais surplombant.
Même ses facilités de construction nous rapprochent quand il dresse des listes : des lieux qu’il a occupé, où il a marché, ce qu’il a fait de ses mains, ses faiblesses, ce qu’il regrette d’autrefois, les stupidités de la vie américaine, ses friandises préférées…
Evident, simple et profond.
« Nous sommes tous étrangers à nous-mêmes, et si nous avons le moindre sens de qui nous sommes, c'est seulement parce que nous vivons à l'intérieur du regard d'autrui. »

vendredi 29 novembre 2013

La guerre, la grande.


Quand un enfant à qui je parlai du moyen-âge m’a demandé si j’avais vécu à cette époque, je me suis dit qu’il y avait encore du boulot.
Remède : fresque historique avec beaux dessins de chevalier et pas forcément la fresque du commerce.
Les commémorations qui lassent les adultes me semblent nécessaires, plus que jamais. Michelet parle de la révolution :
« Le temps n’existait plus. Le temps avait péri ».
Le temps de la guerre n’est pas d’un autre temps mais d’un autre tempo.
Les célébrations qui avaient perdu de leur intensité dans les années 60 ont accompagné récemment plus vivement les derniers survivants avec toute l’émotion qui sied à tant de spectacles contemporains.
La disparition complète des acteurs ne peut servir de  prétexte à ne plus interroger le passé. Comme le soulignait Stéphane Audoin-Rouzeau qui présentait son livre « Quelle histoire » au Square : « les politiques aujourd’hui se font volontiers des médiateurs du passé » tant le futur, le présent sont bourbeux.  
Il a rappelé que le siège de Sarajevo est  le plus long de l'histoire de la guerre moderne (1992-1996) et qu’il y a 20 ans tant de Tutsi étaient massacrés.
Que d’eau et de sang ont coulé depuis 100 ans, quand 10 millions d’individus toutes frontières effacées ont laissé leur vie pour leur patrie d’alors, pendant qu’aujourd’hui toute contribution à l’effort commun fait lever des oppositions irréductibles et que sur la même banderole chacun demande tout à l’état et ne veut rien lui donner, or : « l’état c’est moi ! »
On s’énerve en ces temps électriques mais de la même façon que les mesures généreuses du conseil de la résistance ont été mises en place dans un contexte économique autrement plus difficile que celui d’aujourd’hui, que dire de notre société étourdie quand jadis à l’issue de la  première guerre les 2/3 de la France avaient un deuil à vivre ?
Le cercle de famille écoutait les anecdotes des poilus mais mettait une main sur le bras du combattant qui n’aurait pas été taiseux pour l’apaiser et ne pas entendre  le récit d’une violence sans nom. Les preux étaient du bronze des statues, les survivants en sel, désormais nous n’accueillons  plus aucun héros. Les générations pour qui il y en eu une autre de guerre après la der des der en furent chamboulées, bien autant que lorsque un geek boutonneux apprend à mémé à copier/coller.
Je me souviens du vin chaud que l’on avait arrêté de nous servir enfants après la cérémonie aux monuments aux morts où la formule « morpourlafrance » était énigmatique bien que des noms de familles familiers aient figuré sur la pierre à côté de laquelle était installée une statue de femme éplorée qui a été volée, il y a peu de temps.
J’avais conservé une petite coupure d’article où Mona Ozouf regrettait « lorsqu’on ne se fait plus de l’avenir aucune image nette, les leçons du passé s’embrument d’elles mêmes : on ne sait plus quel appui prendre sur l’histoire, ni sur quel élan. »
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Dans le "Canard" cette semaine:

jeudi 28 novembre 2013

Braque, le patron.



Le titre de la conférence de Brigitte Léal aux amis du musée appartient à Jean Paulhan.
Fauvisme.
 Né en 1882, fils d’un peintre en bâtiment, le grand gars timide débute fauve comme Matisse et Derain, et fait disparaitre ses premiers portraits sombres, lui dont on ne verra aucun autoportrait.

En 1907, à l’Estaque, où il prend son envol, sa palette non mimétique, a la vitalité de Cézanne tout en s’appropriant des touches pointillistes.
Cubisme.
Apollinaire lui fait rencontrer Picasso qui vient de peindre « Les demoiselles d’Avignon » où l’art nègre rencontre l’occident.
Et depuis on se demande encore : qui a inventé le cubisme ?
Braque devant les céramiques de l’Espagnol  trouve: « C’est bien cuit »,
Picasso à une exposition de Braque réplique : «C’est bien accroché »
Les paysages de celui qui a grandi au Havre, épurés, géométriques où les arbres s’imbriquent dans des maisons aux couleurs fluides, donnent l’impression d’être « de petits cubes ». 
Le mot de Matisse repris par le critique Louis Vauxcelles fera fortune comme « le fauvisme », péjoratif au départ, voilà « le cubisme » analytique puis synthétique, électrique.
Les plans miroitent, la palette se restreint, les sujets restent traditionnels, la révolution est dans le traitement des formes qui n’atteignent cependant pas l’abstraction.
Les plans s’émiettent, quelques repères figuratifs subsistent parmi des effets de mouvement ou le pinceau se fait délicat dans ses couleurs minérales.
Les formes ne sont plus homogènes mais il s’agit d’un autre réalisme.
Le visiteur invité hors des manifestations académiques doit apprendre à interpréter, à lire.
« L'art paisible de Braque est admirable. Il exprime une beauté pleine de tendresse, et la nacre de ses tableaux irise notre entendement. » Apollinaire
Collages.
Il se souvient d’avoir été apprenti peintre en lettres en introduisant des mots dans ses toiles, du sable, des papiers collés.
Laissé pour mort en Artois durant la première guerre mondiale, il reprend vie à Sorgues avec Reverdy et multiplie les tableaux sur le thème de la musique dont il a été un praticien.
Après les natures mortes aux mandolines, des musiciennes apparaissent et la couleur est de retour.
 « Il y a plus d’émotions dans un instrument de musique que dans un visage »
Ses paysages étaient vides de toute figure humaine, ses  Canéphores, charmantes porteuses de corbeilles à Athènes, témoignent d’influences antiques.
« Le peintre pense en forme et en couleur. »

Il revient sur son travail dans des séries : des « Ateliers » sans cesse retouchés ou des « Oiseaux » dont une paire étale ses ailes au plafond du Louvre.
Marchands.
Henry Kahnweiler vendait ses  tableaux avant la première guerre, il le recueille en Limousin pendant la seconde. Chez Léonce Rosenberg en 1919 l’accueil est très favorable. Avec Maeght il entretiendra aussi une relation fructueuse
Voisins.
Quand survient la deuxième guerre, il s’installe en Normandie, son voisin s’appelle Miro ; Queneau et Calder n’habitent pas loin.
Salué par Giacometti au soir de sa mort en 1963, celui qui est appelé à être redécouvert cette année par les visiteurs de Grand palais à Paris a produit une œuvre sans cesse renouvelée et  cependant d’une grande cohérence : « la peinture nue ».
Le patron ne fut jamais seul, Nicolas de Staël l’influença encore et s’en inspira.
Il est frappant que son tableau « La sarcleuse », où il cite Van Gogh et ses ultimes corbeaux s’envolant devant un champ de blé, fut son dernier.

mercredi 27 novembre 2013

Ethiopie J 10 l’après midi. Moment rare.



Notre petit guide qui n’a plus qu’un œil a signalé une cérémonie d’initiation Hamar avec le fameux « saut de bœufs » qui doit avoir lieu cet après midi. Annoncé à 20 km, nous en effectuons bien 40. Il faut vraiment connaître le village de Chegala pour le trouver dans la brousse. Les 4X4 nous lâchent au bout du chemin, et nous continuons à pied dans le lit sablonneux de la rivière en compagnie de deux australiens. La marche dans le sable s’éternise  et nos chauffeurs lancés dans le fesch fesch, nous récupèrent pour les derniers mètres et nous déposent sur la rive.
Nous passons dans un autre oued par un petit chemin ombragé envahi par des chèvres, des bœufs et des Hamar en plein préparatifs.
Les femmes abondamment enduites de beurre et d’argile, parfois coiffées de plumes voire de bandes de papier, secouent des grelots attachés à leurs mollets, certaines soufflent dans des trompettes.
Pour prouver leur courage, elles ont déjà commencé à réclamer des coups de badines administrés par des hommes.

Une femme s’est évanouie, et un guide demande s’il y a un docteur dans les parages.
Nous ne sommes pas les seuls touristes.
Un groupe d’italiens très intrusifs se fait remarquer et rappeler à l’ordre par des guides afin qu’ils gardent leurs distances, respectent leurs semblables et les personnes qu’ils sont venus observer.
Alors que des hommes se maquillent en vue de cette cérémonie rare, ils placent leurs objectifs démesurés sous le nez des Hamar. Nous sommes choqués par tant de sans-gêne de nos semblables qui s’estiment respectueux mais font semblant de ne pas connaitre l’anglais.
Nous nous éloignons et observons tous les mouvements surtout ceux des femmes. Ebahis par tous ces dos ensanglantés, surpris par ces rites, nous sommes conscients d’assister à une cérémonie exceptionnelle, malheureusement perturbée par des malotrus.
Je ne peux croire à une telle grossièreté et j’estime qu’il s’agit d’un stratagème de personnes contrariées ne pas avoir bénéficié de l’exclusivité de l’évènement.
Puis touristes et Hamar, nous nous dirigeons pèle mêle vers l’aire de la cérémonie située en surplomb au son « forte » des grelots et de quelques voix chantées.
Là, le troupeau de bœufs est rassemblé, les femmes chantent en l’encerclant en  procession et en tapant des pieds, elles frottent leurs dos sur les flancs des bêtes. Celles-ci sont scarifiées et certaines ont les oreilles découpées.
Juste avant, les femmes provoquaient encore les hommes pour se faire fouetter avec une baguette flexible choisie par elle, arrogantes, sans pousser un cri et sautant.
Les dos lacérés, saignent, les verges claquent et certains semblent raisonner les amies de l’initié pour leur dire que c’est suffisant. Pendant ce temps l’homme au crane rasé à l’avant, encadré par des anciens, reçoit des bénédictions à l’abri des regards.
Il ressort totalement nu et s’immerge dans le troupeau. Puis les villageois séparent les bêtes et les placent avant que le héros du jour passe à plusieurs reprises par dessus une demi-douzaine d’entre elles. L’échec lui aurait valu la flagellation par des femmes et la mise au banc de la société. Demain ce sera la fête puis le départ seul dans la brousse jusqu’à ce que le père lui trouve une épouse.
Le spectacle est  aussi chez nous les blancs : bousculades, entraves  réciproques pour photographier…
Nous quittons les lieux énervés de nous préoccuper davantage de nos voisins que de comprendre mieux ce moment d’autant plus rare que ces bisbilles signent la fin d’une époque. Y aura-t-il  bientôt un cordon à ne pas dépasser pour ne pas perturber les cérémonies, des emplacements pour photographes, l’interdiction de filmer, de photographier, de venir voir ?

mardi 26 novembre 2013

Un peu de Paris. Sempé.



Je croyais tout savoir de celui dont je possède le plus de livres dans ma bibliothèque, alors quel bonheur de découvrir cet album datant de 2001 !
Il n’y a même pas les autobus à plate forme qu’il affectionne et pourtant une douce nostalgie nous envahit et l’on se dit : Paris c’est pour lui,  c’est tout lui … je me garde de dire « magique » puisque « Paris c’est magique » fait partie des mantras des supporters du PSG, si peu poétiques.
Les individus sont toujours aussi petits face à la tour Eiffel, à la pointe du jardin du Vert Galant ou saluant la coupole de l’académie, mais ils sont courageux, optimistes, «  inconsolables et gais ».
Pas un mot plus haut que l’autre, pas un mot en général, mais toute la place pour imaginer. 
Sauf à la dernière page, une jeune fille attablée au café « Les deux magots » écrit :
« Chers parents. Merci pour ce séjour à Paris. Tante Béatrice est très hospitalière bien qu’un peu collet monté. Je suis dans ce café peut être à la table même où Simone de Beauvoir a écrit son brûlot Le deuxième sexe. J’en profite pour vous dire que je ne rentrerai pas jeudi au train de 18h 20 mais vendredi à 22h 20. Ma décision est irrévocable. »
Le boulanger est venu fumer une cigarette dans la rue.
Un monsieur regarde une péniche passer sous un pont.
Une dame va promener son chien.
La ville dort, la ville palpite, la ville grouille, les cafés sont pleins, les feuilles s’envolent dans les squares, les hommes rêvent, une femme est sereine sous la pluie.
Depuis une sculpture de chevaux aériens perchés sur un bâtiment prestigieux, nous sommes indifférents aux embouteillages.
Et quand il y aurait un brin d’agressivité lorsque les occupants de deux bus qui se sont tamponnés prennent fait et cause pour chacun de leurs conducteurs c’est pour de rire.
Un délice.
Je commence chaque jour avec un dessin différent de l’octogénaire en tournant une page de mon calendrier : alors un rayon de soleil se glisse dans la maison.

lundi 25 novembre 2013

Il était une forêt. Luc Jacquet.



Les rythmes effrénés de nos vies nous esquintent-ils à ce point qu’une pause sous quelques feuilles d’une forêt au Gabon avec musique platement planante annihile toute critique ?
Le sujet des forêts primaires est majeur mais son traitement dans ce film décevant.
A de trop rares moments des informations sont apportées.
Poétique : les arbres appellent la pluie en libérant du parfum.
Malin : un arbre produit de faux œufs de fourmis pour attirer ces dernières qui le défendront des chenilles.
Branché : des arbres s’envoient des messages pour se défendre en rendant leurs feuilles plus amères.
Mais le commentaire anthropomorphique est sans surprise, taillé dans la « langue de bois » des films consacrés à la nature. Il n’est pas certain que le film convienne aux enfants, tant il est vague, et nul besoin de détours pour s’émerveiller des capacités de la nature à se régénérer.
Le joli plan d’un Francis Hallé en dessinateur appliqué sur la canopée est trop répétitif, comme les images de synthèse de pousses accélérées, par ailleurs le botaniste ne s’adresse jamais directement aux spectateurs. Nous sommes bien contents pour la voix off, quand nous apprenons que des fruits traversent les océans sans plus de précision et que c’est émouvant une petite graine qui deviendra un grand arbre : ah bon ?
Nous avions compris que les arbres sont l’incarnation du temps, ce film m’a paru long.

dimanche 24 novembre 2013

Eddy Mitchell. Héros.



Sur la pochette de son 35° album, le septuagénaire, cultivant son image nonchalante, est allongé sur un fauteuil Stressless.
Maintenant qu’il vient d’arrêter de se produire sur scène, à l’occasion d’un prêt de sa dernière livraison de 10 titres, je trouve qu’il aurait pu aussi se dispenser d’un nouveau CD et regarder un bon film sur son home cinéma depuis son trône décontract’.
Je n’avais pas pris parti jadis dans la querelle yéyé : es-tu Johnny ou Eddy ?
Ils ont été le fond sonore de notre génération qui eut d’autres dilemmes entre Ferré et Brel ou Beatles contre Stones.
A vrai dire, je ne sais pas non plus prendre de la distance envers des positions publiques adoptées par les artistes et leurs positionnements artistiques. Alors quand j’entends la reprise de « La Complainte du Phoque en Alaska » avec Nolwenn Leroy, l’original de Beau Dommage me touchera toujours plus. C’est que me lasse la complainte du crooner payant trop d’impôts en France comme son pôte Jo, le rebelle délocalisé.
Il partage cependant « Le goût des larmes » avec une famille nombreuse quand « l’argent manque à l’appel des heures creuses ».
Il consacre une plage pour remercier ses musiciens, des pointures parait-il, qui n’ont eu guère à se secouer sur des mélodies agréables et pépères. Jean Dujardin, son semblable en décontraction, les présente, avec « le sourire Gibbs » comme on disait pour rester dans la couleur années soixante qui teinte ces musiques, inoxydables, comme une prothèse de hanche.
Exercice de style avec la compilation de titres d’Hitchcock dans « Final cut » et version convenue des communications sur internet :
« Jeux d’argent piégeant l’amour
Basés sur le profit…l’irrespect »
Si la formule « vieillir est un jeu d’enfants » est heureuse, j’estime qu’il ne renouvelle pas le thème des « Héros » qui prennent le métro.
Et combien ont quêté avant lui : « J’veux qu’on m’aime » ?
Il revendique de ne pas envoyer d’ message, alors qu’une autre chanson est consacrée à « Léo » Ferré avec lequel il « n’est pas d’accord » en concluant qu’ « avec le temps on aime … encore » : ça rimait. Et il a toujours sa belle voix.