lundi 3 juin 2013

La grande belezza. Paolo Sorrentino.


A la vue d’un film italien, mon esprit critique part en vacances (romaines), même si je comprends les avis sévères parfois portés sur le dernier film du réalisateur de « This Must Be The Place » avec Sean Penn en semelles compensées et du remarquable « Il divo » contant la vie d’ Andreotti.
Toni Servillo qui joue un mondain à la paupière tombante débite des vacheries avec élégance.
Nous sommes avec lui à regretter le cynisme de la période, à jouer les sucrés, mais à goûter  aussi les bons mots acidulés. Toujours à cheval sur cette frontière fragile entre drame et indifférence, sérieux plombant ou humour destructeur.
Même si le début est déroutant, la beauté des images tournées dans Rome désertée permet de passer agréablement les 2h20. Et le côté foutraque du film est cohérent avec le propos où la vacuité et l’ennui constituent la trame.
Le snob futile se promène au milieu des fêtes, sur des terrasses sublimes, blasé.  Son pouvoir est dérisoire :
 « Je ne voulais pas seulement participer aux soirées, je voulais avoir le pouvoir de les gâcher »
Quelques tableaux savoureux sur une société décadente subsistent : un chirurgien vend à la chaine des mots et du botox, une sainte en voie d’homologation gravit des marches sur les genoux, les tentatives artistiques sont pathétiques.
Dans cet océan d’hypocrisie, lui qui a renoncé à la littérature, délivre quelques conseils réparateurs :
« Tu as 53 ans et une vie dévastée, comme nous tous. Alors, au lieu de nous faire la morale et de nous regarder avec mépris, tu devrais le faire avec affection. Nous sommes tous au bord du gouffre. Notre seul remède est de nous tenir compagnie et de rire un peu de nous. Non ? »
Les musiques sacrées et électro de 2013 éloignent les fantômes démodés de Fellini invoqués dès que des nichons se pointent. Les mélancoliques ritournelles des matins de fête de Rota se sont évanouies et il ne reste que de grinçants accords d’une civilisation au crépuscule où la littérature est un truc parmi d’autres artifices comme la prestidigitation… et le cinéma donc !  

dimanche 2 juin 2013

En piste. Boivin, Larieu, Houbin.


Deux hommes et une femme dansent sur des chansons  françaises des années 70.
« Avec le temps… » : nous l’avons mesuré, le temps, ce soir à la MC2 depuis  les pistes griffées de 33 tours que nous écoutions fiévreusement :
que reste-t-il après « il n’y a plus rien » de Ferré ?
Plus facile de chorégraphier  «Mirza» de Ferrer ou « il patinait merveilleusement » de Verlaine que l’immarcescible « Petit bal perdu » ou d’autres morceaux  monumentaux et si intimes que les gestes proposés par les trois danseurs semblent relever parfois d’un langage à destination des sourds.
Le choix alternant les frères Jacques, Barbara, Gainsbourg, Boby Lapointe, Brel, Reggiani, Christophe
« Bandit un peu maudit, un peu vieilli,
Les musiciens sont ridés »,
est tellement incontestable  que les textes et les musiques pourraient se suffire à eux mêmes.
Dans une succession de tableaux bien dosés et non de clips, avec ou sans fraises autour du cou, les corps des danseurs irréprochables en piste pour la danse signent le temps qui a passé.
Et les Poppyes chantaient :
« C'est l'histoire d'une trêve
Que j'avais demandée
C'est l'histoire d'un soleil
Que j'avais espéré
C'est l'histoire d'un amour
Que je croyais vivant
C'est l'histoire d'un beau jour
Que moi petit enfant
Je voulais très heureux
Pour toute la planète
Je voulais, j'espérais
Que la paix règne en maître
En ce soir de Noël
Mais tout a continué
Mais tout a continué
Mais tout a continué
Non, non, rien n’a changé
Tout, tout a continué
Non, non, rien n’a changé
Tout, tout a continué
Hey ! Hey ! Hey ! Hey !
Et pourtant bien des gens
Ont chanté avec nous
Et pourtant bien des gens
Se sont mis à genoux
Pour prier, oui pour prier
Pour prier, oui pour prier »

samedi 1 juin 2013

Les gauches françaises. Jacques Julliard.




#1. Le Cadeau.
Mon libéral préféré, tellement libéral qu’il en fait profession, m’a offert le dernier livre de Julliard. Alors que j’aurais été plutôt du genre à lui offrir le dernier Morano, il fait la preuve que tous les riches de droite ne sont pas forcément sans générosité (le livre coûte 25 €) et en outre il n’hésite pas à me flatter, car les 945 pages passionnantes sont roboratives.
Il ne craint pas non plus de redonner vigueur à des fibres progressistes qui m’ont tenu debout dans ma vie professionnelle et syndicale.
Je n’hésiterai pas à rendre hommage à sa munificence en glissant des formules définitives puisées dans le livre que je lui dois, telles que « le passage d’un capitalisme de managers à un capitalisme d’actionnaires » pour caractériser les évolutions récentes.
Mais mon sparring partenair, n’est pas Tocqueville non plus, « capable de considérer la différence entre les recommandations de son intelligence et celles de son intérêt. ».
Nourri à coup de « Le Point », ce camarade généreux quoique Barriste peut sortir dans un moment de faiblesse que la revendication égalitaire est le fait de jaloux, d’envieux.
Avec d’autres contradicteurs de droite, il n’a pas insisté sur Cahuzac qui a fait plus de tort à la gauche que Guéant, Hortefeux et Guaino réunis.
Mais pendant tous ces jours où j’en revenais au passé de la gauche, j’ai ressenti une grosse fatigue. De Jaurès à Guérini.
« Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie[…] c'est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et tous les ridicules de la monarchie. »Robespierre
Face aux droites distinguée entre légitimistes, orléanistes et bonapartistes décrites par René Rémond, l’éditorialiste de Marianne place quatre gauches : la libérale, la jacobine, la collectiviste, la libertaire, dans notre pays où on prête à un vieux paysan ces paroles :
« la république je veux bien, pourvu que ce soit Napoléon  qui soit le roi ! »
Même si des précisions sur les impuissances du cartel des gauches m’ont échappé, cet ouvrage est un  beau cadeau, nous éloignant des réflexes qui ont pris le pas sur la réflexion. Prouvant que « la société pouvait bien être dominée par la droite, les idées continuaient à l’être par la gauche ».
Ponctuant un récit charpenté commencé en 1792, l’historien laisse la place au journaliste. Il oppose agréablement et efficacement :
Voltaire/Rousseau, Robespierre/Danton, Hugo/Lamartine, Gambetta/Ferry, Clemenceau/Jaurès, Thorez/Blum,  Camus/ Sartre, Mendès/Mitterrand…
Chaque mot est une mine. J’ai retenu « chasse patate », mot de Cohn Bendit à propos du PC. C’est un terme de cycliste : celui qui a quitté le peloton mais qui ne réussira pas à rejoindre les échappés.
Le grand soir est dans le passé, il n’est guère flamboyant pour demain  surtout que le mouvement social en ce moment n’accompagne guère les victoires récentes de la gauche.
Après avoir décrit le contexte, je reprendrai la semaine prochaine quelques idées qui m’ont semblé éclairer un tableau qui en présentement bien besoin. 

vendredi 31 mai 2013

Une autre économie est-elle possible ?



Oui l’oppression réside dans la tête de l’opprimé, quant à se sentir responsable de la dette il y a un pas…
Une heure et demie pour finir en beauté le forum Libé de cette année 2013 ne pourra résoudre mes blocages autour de l’économie mais il y a de quoi nourrir des réflexions avec un retour à la racine du sens des mots et des exemples où les alternatifs passent à l’acte.
Patrick Viveret est un pédagogue qui combat les coups de force sémantiques :
« l’utilité économique » quand les accidents de la route génèrent du PIB,  et que « le poison recherché par l’assassin est plus utile que le remède », la nature des activités humaines n’est pas prise en compte.
Le mot « valeur » apparaît au moment de la destruction, comme le mot « bénéfice » qui signifie bienfait dont le contraire est maléfice.
L’usure était un péché dont la nature a changé avec l’invention du purgatoire et la possibilité de rachat. La réforme protestante, elle, condamnait la jouissance.
La notion d’ « inactif » est aussi à revisiter :  par exemple 1/3 des élus sont des retraités pas vraiment improductifs comme tous les bénévoles.
Anne-Cécile Ragot dirige l’association « Alternatives&Alliances » avec le web comme moyen collaboratif déterminant.  Elle travaille à une banque du temps InfoJobs à Barcelone pour permettre à des demandeurs d’emploi d’échanger leur savoir-faire afin d’améliorer leur employabilité.
Elle nous décrit des expériences de monnaies locales complémentaires à but social à Toulouse, à Fortaleza quand la monnaie facilite les échanges et n’est pas un instrument de captation, de domination.
Elle réalise ce qu’elle a conçu : « Dans une société où prolifèrent les phénomènes de misère et d’exclusion et où le lien social se distend, l’économie collaborative et les monnaies sociales montrent la voie pour dessiner une autre économie aux couleurs des valeurs que nous voulons voir portées dans ce monde. »
Ces expériences ont une forte vertu pédagogique, en luttant contre un système qui prospère sur son obscurité.
70% des transactions financières  s’effectuent à la nano seconde  par  d’algorithmiques traders.
3% des échanges boursiers concernent l’économie réelle,
97% traitent de l’économie spéculative.
La fortune des 3 personnes les plus riches du monde équivaut au revenu annuel des 150 millions de personnes les plus pauvres
Peut-on sortir de la sidération comme vient de le faire un des pères de l’ €uro, Bernard Lietaer ?
 « Le changement climatique, le chômage et le vieillissement de la population ne peuvent être résolus avec le système monétaire en place. C'est au centre de notre tabou monétaire que nous trouverons, ou non, les forces indispensables au changement de paradigme. »
Glocal : global/local :
L’Islande est en train de faire la preuve, d’un processus de réappropriation citoyenne, à l’échelle d’une nation.
A la sortie de la salle  un militant de l’association « Sol Alpin » (monnaie, d'utilité sociale et écologique) recrutait.
Son message loin des passions tristes et des exhortations sacrificielles est bien passé. 
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Dans le Canard de cette semaine: 

jeudi 30 mai 2013

Au musée du quai Branly jusqu’au 14 juillet 2013.



Dans l’exposition Philippines, archipel des échanges, nous sommes accueillis par des statuettes puissantes aux formes élémentaires qui protégeaient les récoltes de riz.
Nous pouvons admirer, sans être submergés, de beaux tissus, des habits superbes, des instruments de musique inédits, des boites précieuses, des poteries curieuses, des bijoux originaux…
Ces objets ne sont pas seulement magnifiques, ils portent la mémoire d’une civilisation. Les boites contenaient du bétel destiné à « restaurer le cœur », les jarres recueillaient les restes des défunts, certains de ceux-ci au visage recouvert d’or seraient ainsi bien reçus par les ancêtres et ils pourront intervenir dans les affaires des vivants.
Des photographies, prises durant plusieurs années sur l’île de Palawan, de cueilleurs et chasseurs vivant dans un habitat troglodyte nous transportent dans les temps premiers.
L’exposition consacrée aux cheveux semblait plus légère avec le portrait de Delon et Bardot : le brun et la blonde, qu’ils étaient beaux !
Une sculpture représentant Marie Madeleine vêtue de ses seuls cheveux datant du XIV° est d’une harmonie novatrice qui étonne encore.
Des bustes du XVII° présentés de dos pour mettre en valeur la diversité des coiffures est une idée excellente d‘autant plus que les marbres blancs font face à des bronzes sombres représentant des visages alors inédits sous nos latitudes.
La diversité des coupes est réjouissante et les mèches conservées émouvantes comme sont singuliers les rituels initiatiques lors d’une ordination par exemple.
Les femmes tondues à la libération me glacent à chaque fois.
Les cheveux, matière imputrescible, sont utilisés dans des parures frisant l’éternité, dans des ornements qui permettent le lien avec les ancêtres. C’était le rôle des scalps où résidait la force de l’ennemi et des têtes réduites d’adversaires ou de compagnons morts au combat qui comptent autant de cordelettes sortant de la bouche que de têtes qu’ils ont eux même coupées.
Ce face à face avec la mort nous effraie, et je ne sais si j’emmènerai des enfants à cette exposition  indispensable par ailleurs, même si un livret d’accompagnement pour les 7-12 ans est très bien fait et vaut aussi pour des plus grands.

mercredi 29 mai 2013

Galeries parisiennes.



A la recherche des gisants de Jan Favre qui n’y étaient déjà plus à la galerie Templon  dans le quartier Beaubourg nous avons jeté un coup d’œil à Ivan Navarro artiste conceptuel chilien qui affiche des phrases écrites avec des tubes de néons se reflétant sur des miroirs: « Présence amère », « Ils n’arrivent pas à temps » dans une exposition qui s’intitule « Where is the Next War ». 
« Son travail s’approprie les icônes du modernisme en dénonçant le risque d’un formalisme vidé de tout engagement ».
Nous n‘insistons pas, ayant évoqué Pariscope, nous avions signé notre condition de provinciaux hors du coup débarquant dans la belle galerie en fond de cour.
Par contre à côté nous sommes très bien reçus à l’Estace, qui présente l’anglais Stephen Peirce dont le galeriste  prend le temps de nous vanter les mérites de toiles organiques, ambigües, intrigantes aux aspects photographiques.
Et Pablo Parès qui se trouvait à être cette fois dans sa boutique de la rue Quincampoix, que nous avions repérée il y a deux ans, nous récompensait de notre fidélité en nous offrant un beau moment de rencontre qui fait la magie de Paris.
Il se nomme « empailleur de bulles »et s’il offre désormais un site internet intéressant  avec des animations
 http://www.pablo-pares.com/Pablo_Pares/pablo_pares.html
c’est qu’il s’est consacré depuis des années à des installations poétiques fragiles et séduisantes, « modestes et géniales » comme dit  Daniel Mermet un de ses voisins qui passe le voir de temps en temps.
En outre le concept des galeries Carré d’artistes dans le quartier Saint Germain (existe aussi à Lyon) nous a semblé intéressant dans un dispositif qui n’est pas intimidant, en mettant en valeur des œuvres originales à des prix abordables.
La formule existe aussi pour les photographies avec Lumas installé aussi dans le quartier du Marais qui propose des éditions à tirages plus importants qu’en galerie traditionnelles, plus chers que le poster de vos Che années, mais à  des prix convenables pour notre séquence désormais bobo.

mardi 28 mai 2013

Le piano rouge. André Leblanc. Barroux.



Pour Amnesty International, l’histoire vraie d’une pianiste chinoise envoyée enfant dans un camp de rééducation est retracée avec de beaux dessins à l’encre.
Il s’agit plus d’un album illustré pour la jeunesse que d’une bande dessinée.
La petite « collecte le compost humain dans les fosses d’aisance, la transporte dans les champs pour engraisser les sols ». Elle quittera un de ces camps, qui en 2013 doivent fermer parait-il, au bout de sept ans, avec ses partitions recopiées qui lui ont permis de jouer en cachette avant que les gardiens ne la désignent à l’insulte publique avec celle qui l’hébergeait le temps de quelques mesures de Bach.
Cette opposition entre la musique qui élève et la barbarie la plus bête et méchante me semble tellement élémentaire qu’elle parait symétrique des ouvrages de propagande des années 70 qui sanctifiaient le travail manuel et la classe paysanne face aux mandarins.
Le froid, la faim, la saleté étaient le lot de tous, l’humiliation en plus; les intellectuels y ont été contraints, la musique a permis à une petite fille de s’évader, furtivement.