samedi 16 juin 2012

Pylône. William Faulkner.

Je suis volontiers les conseils en littérature, alors quand des amateurs me recommandent une des valeurs les plus considérables à la bourse des livres, je ne peux que m’appliquer.
Face à ce roman dense, j’ai été satisfait d’avoir persisté, même si une lecture distendue m’avait rendu énigmatiques les raisons qui tenaient les personnages ensemble et inattendues quelques péripéties.
Le style est précis, le natif du Mississipi nous promène d’un gros plan attentif vers des ellipses qui accélèrent le mouvement.
« Jiggs tendit sa main ; pendant un instant, la paume brûlante, robuste, souple, rugueuse, transpira contre celle du reporter comme si celui-ci eût touché un bout de courroie de machine » 
Après la première guerre mondiale, un pilote d’avion, sa compagne qui est aussi celle du parachutiste, vont de meetings aériens en démonstrations sans que même leur hébergement soit assuré. Un mécanicien appartient à ce groupe de « paumés » dont un enfant suit aussi les pérégrinations.
L’argent est rare, alors il en est beaucoup question comme souvent dans la littérature américaine.
Un reporter alcoolique va participer de très près à un moment de la vie de cette équipe désinvolte et pathétique qui cherche l’absolu sans en avoir l’air : « Il s’efforçait d’expliquer ce qu’il ne savait pas. »
Ces 340 pages ont beau être présentées comme faisant partie d’ « un roman anti-faulknérien », je retrouverai volontiers cet auteur exigeant et puissant.

vendredi 15 juin 2012

La Première dame le pion à la Dame du Poitou.

Valérie Tweeterweiler cherchait un nom pour décrire sa position,
l’appellation « première dame » ne lui convenait pas, alors qu’elle n’a pas renoncé au prestige de la situation.
Elle vient de rencontrer quelques mots : la « première gaffe » de France.
Depuis Paris Match qui n’est pas vraiment l’organe politique historique de la gauche, madame De-quoi-je-me-mêle détourne l’attention médiatique en faisant passer ses passions privées devant l’intérêt collectif. Que Tweeter soit le support qu’elle privilégie comme Morano est signifiant d’une conduite intuituitive qui vise à bruiter, sans idée des conséquences. Des chroniqueurs ayant évoqué Marie Antoinette, voilà un sujet pour son prochain article chez Lagardère.
Ivresse médiatique plus jouet technologique, les pulsions personnelles peuvent dévaster les constructions collectives. La politesse, la retenue sont méprisée.
C’est le « tout à l’égo », comme disait Régis Debray,
et le Tout Sauf Ségo comme d’hab’.
L’autorité du chef de l’état en est affectée, alors que jadis, les médias qui savaient par exemple les positions de Danielle Mitterrand concernant le Tibet plus fondamentales qu’une appréciation concernant une circonscription Charentaise, n’étaient pas aussi hystériques.
Certes la présidence annoncée par Ségolène Royal au perchoir a pu être présomptueuse et contredire la position antérieure de la présidente de région se refusant alors à cumuler  avec la députation. La démocratie participative qui aurait pu être un moyen de décider de la personnalité à présenter dans cette circonscription comme dans d’autres fut également oubliée. Le président eut été avisé de ne pas se mêler de ces querelles dans un débat ramené au label de « l’homme du terroir » opposé à « femme vue à la télé », guère glorieux.
L’irresponsabilité de la « compagne de François » est flagrante et bien peu
« normale », dans la continuité d’une dérive où les vies privées tonitruantes effacent les perspectives symboliques, les projets publics.
Pour abuser avec les mots : elle ne vise pas à devenir « compagne de France » mais illustre des mœurs qui n’ont pas disparu avec le départ du fieffé des Hauts de Seine : sans gène.
A gauche, la triste sortie de la douche du président du FMI qui nous a ouvert les yeux après en avoir rincé un, laissait penser que l’arrogance n’était plus de mise, que la mesure, la discrétion, le respect de la fonction présidentielle devaient être rétablis : quelques efforts se trouvent bafoués par la journaliste actionnaire de « Direct 8 » de chez Bolloré.
Comme tant d’autres, je me sens tellement petit face aux tremblements économiques qui touchent notre vieux continent que je ne sais que poser des mots sur ce qui est à ma portée : les petites faiblesses des grands.
La formule de Léon Blum devrait tenir en 140 caractères, elle date de 1919: 
« Le socialisme est donc une morale et presque une religion autant qu’une doctrine »
.......
Dans le Canard de cette semaine:

jeudi 14 juin 2012

Quand les livres s’amusent.

Au Musée de l’imprimerie à Lyon se termine le 24 juin 2012 une exposition sur les livres animés.
Il faut traverser des salles de l’exposition permanente qui nous font mesurer le basculement culturel auquel on assiste avec de belles casses garnies de caractères minutieusement conçus quand un clic aujourd’hui transfigure un texte. J’en ai vu user de ces imprimeries primales dans des classes où un miroir était nécessaire pour lire les caractères quand « b » et « d » se croisaient, on avait le temps.
Dans ce beau bâtiment du XV°, des « livres joujoux » datant du XIV°jusqu’aux créations contemporaines sont bien mis en valeur.
Des châteaux surgissent des albums, des dragons se tortillent, des balançoires s’envolent, mus par des pliages astucieux, des tirettes, se découvrant derrière des fenêtres, ou des tunnels de frondaisons luxuriantes.
Certains ouvrages sont de véritables sculptures et à l’ère de la 3 D certaines trouvailles n’en ont que plus de prix.
Il est permis de faire des photographies et des livres récents sont mis à la disposition des enfants qui peuvent emmener leurs parents.
On retrouve Queneau qui proposait des bouquets de phrases à combiner, des échappées poétiques, mais aussi des documents scientifiques, le Chaperon Rouge ou le Petit Prince dont je ne me lasse pas.

mercredi 13 juin 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 11

Pas de nuage ce matin à 7h30, à la fin de notre dernière nuit Saint-pétersbourgeoise. Nous laissons nos bagages à la consigne de l’hôtel. La météo télévisée prévoit –14° : caleçon supplémentaire.Durant la nuit, les services de la voirie ont débarrassé la ville de la neige abondante d’hier, mais les trottoirs recouverts d’une fine pellicule glacée se révèlent traîtres. Nous projetons de diriger nos pas vers l’église baroque Notre-Dame-Vladimir. Nous la découvrons sous le soleil, dominatrice, jaune et blanche, chapeautée de cinq bulbes noirs. Nous y pénétrons pendant un office; les quatre popes se relaient pour chanter et la chorale répond de la tribune. Pour prétendre être pope, il doit falloir impérativement être chanteur, de préférence basse ! C’est magnifique !
Quelques remontrances aimables ou plus courroucées nous remettent sur le droit chemin car nous avons piétiné le tapis déroulé pour les popes, parlé trop fort ou tourné le dos aux icônes.Lorsque nous sortons, nous faisons l’aumône à trois vieilles dames. A deux pas, nous assistons au contrôle d’identité et à la fouille des poches d’un jeune par la police. L’une d’entre nous remarque que la fermeture de la petite poche de son sac est souvent ouverte, et ce n’est pas un oubli de sa part… Nous rentrons presque immédiatement dans le marché Kouznietsni. Le marché couvert propose un choix et une grande variété de marchandises. Les commerçants aux dents en or nous interpellent pour que nous goûtions leurs denrées. Leur provenance fait parfois rêver : abricots secs de Samarkand ! Derrière les étals, une armada de serveurs se disputent le peu de clients présents. Pourtant, quel choix de produits : miel, fruits séchés, peakles, salades russes, légumes, verdures, poissons, les bouchers débitent devant tout le monde de grosses pièces qui patientent sur des chariots. Nous suivons la promenade en direction de l’église de Saint-Sauveur du sang versé, fermée aujourd’hui. Nous traversons le marché aux souvenirs tant décrié par le routard, mais je déniche des poupées russes à l’effigie des personnalités politiques russes.
Nous longeons un canal qui nous mène sur le côté de la grande place du palais d’hiver avec sa colonne centrale. En tant que touristes, nous sommes vite identifiés et repérés par les vendeurs de chapkas en renard, vison ou en synthétique, de caviar douteux vu le prix ou de poupées russes, le tout à l’abri dans de gros sacs de voyages. La température ne s’améliore guère malgré la présence incontestée du soleil : Dany constate que son en-cas en pain d’épice rangé dans son sac est inconsommable, il a gelé. Sur les bords de la Neva vers la statue de Pierre le grand à cheval et l’église St Isaac, nous pouvons voir de plus près l’impact des bombardements sur les colonnes du bâtiment. Nous envisageons de retourner à l’église St Nicolas des marins, mais auparavant nous nous réchauffons dans un café en sous-sol. Nous pouvons commander des soupes chaudes, borchtch ou soupes de poissons, suivies d’une douceur (Jean essaie la glace avec du vin dedans) et d’un café. Nous serions tentés de prolonger le moment de torpeur qui succède au repas, mais le temps n’est pas un élastique et nous partons à la recherche de St Nicolas des marins. Nous la retrouvons dans le calme, hors cérémonie quoique dans un coin, le pope procède à un baptême devant une famille peu nombreuse. La lumière du soleil entre par les fenêtres et caresse l’or des icônes et de leurs cadres. Nous avons tout loisir d’observer la diversité des icônes. Les femmes en blouse noire grattent à quatre pattes la cire des bougies répandue sur le sol et surveillent celles qui se consument dans leur bougeoir.
Mais soudain, dans ce lieu respirant la tranquillité, nous prenons conscience de l’heure avancée (15h25) et c’est au pas de charge, sur des trottoirs inégaux et dangereux que nous regagnons l’hôtel à notre rendez-vous fixé à 16h avec Igor. La course nous réchauffe, nous avons juste le temps de reprendre possession de nos bagages à la consigne et de les jeter dans le Mercédès d’Igor, et nous voilà sur le chemin de l’aéroport. Nous reconnaissons le chemin qui passe par le mémorial des morts de 1940-1945. St Pete nous devenait familière. A la douane nous devons abandonner une bouteille de Vodka, confisquée parce qu’entamée.

mardi 12 juin 2012

ZMinus n° 1.

J’aime les journaux, les commencements, et souvent j’ai apprécié des numéros 1 prometteurs.
Mais ce bimestriel consacré aux dessins de toutes sortes (BD, strips, images satiriques, avec ou sans paroles…), découvert en kiosque après une brève dans Libé, m’a paru fade.
Je n’ai pas décelé d’originalité particulière, sinon quelques provocations faisant presque passer Wuillemin pour un gentil, genre :
« Abruti ! Je t’avais dit de ne pas aller trop vite avec ton doigt, t’as monté mes pertes en neige !... » 
Si ! Un dialogue d’images Panini entre footballeurs style gravure sur bois, pas mal.
Sinon la routine : un chameau porte le voile intégral dans le Nord Mali, et les « cons »sempiternels, qui prospèrent malgré les piques des humoristes, deviennent à mon goût un carburant un peu frelaté.
Ayrault en Droopy et une peau de banane qui attend Hollande ne constituent pas des sommets dans l’impertinence en politique.
Les reportages sont maigres.
24 pages vite feuilletées, vite oubliées.

lundi 11 juin 2012

Sur la route. Walter Salles.

Comme je n’aurai pas le temps de lire toutes les œuvres « cultes » des siècles passés, je suis allé voir le film inspiré du livre de Kerouac, malgré des critiques mitigées avec lesquelles je suis d'accord : c’est du « light ». J’étais bien dans la cible avec ceux à qui le livre a été vendu au prix d’un film.
Je ne sais la distance qu’apporte l’adaptation, mais pendant 2h 20, l’écrivain d’origine québécoise apparaît comme un simple spectateur assis à l’arrière d’une voiture américaine des années 50, sans dilemme, sans passion.
Les paysages sont beaux, oui ! Les images du début passant du noir à une route qu’arpentent vivement une paire de jambes étaient  pourtant de bon augure et les personnes qui ont vu le film avec moi ont aimé les musiques : c’est bien le moins pour le père de tous les road books traduit en sages images.
Il y a bien vers la fin une poussée de fièvre mais due à une tourista un peu sévère, autrement peu de sueur, pas de flamme sinon celle de briquets pour joints et Camel, pas vraiment d’ivresse, ni même de désir qui passerait entre des personnages que j’ai trouvé trop lisses.
La réalisation est trop conformiste pour traiter de ceux qui désiraient s’évader des conventions dont la quête initiatique est dépourvue ici de spiritualité.
Il ne semble être question que du passage de l’adolescence à l’âge adulte sur fond d’amitié bancale.
Ce n’est pas désagréable mais trop sage.

dimanche 10 juin 2012

Louis Armstrong. Antoine Hervé&Michel Delakian.


Comme d’habitude, Antoine Hervé évoque avec talent tous les instruments de l’orchestre, mais cette fois il est venu avec un complice trompettiste plus convainquant d’ailleurs avec son instrument qu’avec sa voix, pour une évocation de « Satchmo » (satchelmouth, « bouche en forme de besace »).
Sont mis en évidence, les suraigus et les vibratos de celui dont le premier conservatoire fut une maison de correction.
Depuis les orchestres sur les bateaux à aube du Mississipi à ses formations « hot » five ou seven :
« ce que nous jouons c’est la vie » disait il.
De la Nouvelle Orléans à NewYork en passant par Chicago, des racines afro Caraïbes jusqu’à la consécration mondiale, la figure tutélaire du jazz a donné au soliste toute sa place et popularisé le scat, aussi inventif avec sa voix qu’avec sa trompette.
« Je viens d’une ville où tout le monde rit, chante, danse et tape du pied » 
Sa personnalité généreuse a contribué à sa popularité
« Pourquoi souriez- vous toujours ? » 
« Parce que je suis payé pour ça » 
Pour donner une leçon à un de ses batteurs qui était venu à un concert diminué par une consommation excessive d’alcool, il l’invita à un plantureux repas bien arrosé et à la fin de la fête, en claquant la porte il lui dit :« ça, pas avant un concert ! ».
Les batteurs, nous dit Hervé, sont comme les capotes :
 « c’est plus sûr avec, mais sans c’est quand même meilleur ». 
Le conférencier qui sera dans le off à Avignon, considère que
« le jazz est comme une gambas, à décortiquer » 
et Roland Yvanez ajoute qu’ « Antoine Hervé le débarrasse d’une enveloppe pédante indigeste pour retrouver sa pleine saveur originelle ; en particulier dans sa relation au corps, au rythme, à la danse. Sa métaphore culinaire affiche d’emblée les tonalités principales de ses leçons : simplicité et humour… en contrepoids d’une érudition encyclopédique. »
J’avais trop confiance en Internet pour me redonner la citation qu’il fit de Gerber qui a si bien écrit sur Louie mais je ne l’ai pas retrouvée. Nous avons eu droit à « Hello dolly » à « When the saints » mais pas de « Wonderful world » mais rien que dans l’introduction de « West End Blues » deux phrases permettent à Gunther Schuller d’écrire « à elles seules, résument presque entièrement le style de Louis Armstrong et son apport au langage du jazz. La première est saisissante, en raison de la force, du dynamisme de ses quatre premières notes (sol, mi bémol, ut, fa dièse). Nous sommes immédiatement sensibles au swing terrifiant qu’elles expriment, bien qu’elles soient jouées sur le temps, non syncopées, et qu’aucune référence rythmique ne nous soit fournie, puisque Louis Armstrong joue sans accompagnement. »